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Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Vol. 6

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Ce grand procès criminel marchait trop lentement au gré de la galerie avide de nouvelles et d'émotions. Le 2 février madame de Sévigné annonce avec un certain regret que la Chambre ne travaillera de vingt jours, soit pour faire des informations nouvelles, soit pour faire venir de loin des gens accusés, «comme, par exemple, cette Polignac, qui a un décret, ainsi que la comtesse de Soissons784.» Pour le plus grand nombre, les charges, à ce que l'on répétait, étaient bien légères. «Feuquières et madame du Roure, écrit madame de Sévigné, toujours des peccadilles.» Madame de La Ferté (redit-elle, car elle tient à son mot), «ravie d'être innocente une fois en sa vie, a voulu à toute force jouir de cette qualité.» Quoiqu'on l'eût laissée libre de ne pas venir s'expliquer devant la Chambre de l'Arsenal, elle insista pour être entendue; «et cela fut trouvé encore plus léger que madame de Bouillon.» Aussi la marquise ajoute-t-elle que «l'on continue à blâmer un peu la sagesse des juges, qui a fait tant de bruit, et nommé scandaleusement de si grands noms pour si peu de chose785

Le premier feu des suppositions calmé, et dans le silence de l'œuvre mystérieuse des magistrats, la fatigue ou plutôt la légèreté parisienne finit par prendre entièrement le dessus. On ne voulut plus s'occuper de cette affaire, qui avait trompé l'attente publique, à moins de quelque grosse et très-certaine révélation. «On recommencera à travailler à cette Chambre plus tôt qu'on ne pensoit (mande le 7 février, madame de Sévigné): on assure qu'il y a bien des confrontations à faire. Il nous faut quelque chose de nouveau pour nous réveiller; on s'endort; et ce grand bruit est cessé jusqu'à la première occasion. On ne parle plus de M. de Luxembourg: j'admire vraiment comme les choses passent; c'est bien un vrai fleuve qui emporte tout avec soi. On nous promet pourtant encore des scènes curieuses786.» Le surlendemain, même absence de nouvelles, si ce n'est qu'il n'y aura pas de tragédie: «L'affaire des Poisons est tout aplatie; on ne dit plus rien de nouveau. Le bruit est qu'il n'y aura point de sang répandu787.» Le 14 février, la marquise annonce que la Chambre ardente a repris ses travaux, et que M. de Luxembourg a été mené deux fois à Vincennes, où étaient détenus notamment la Voisin, Le Sage et la Vigoureux, pour leur être confronté; mais «qu'on ne sait point le véritable état de son affaire.» Le 16, elle se plaint toujours que «les juges sont muets788

Dans ce mutisme sans doute recommandé, et les choses semblant perdre chaque jour de leur gravité, après avoir accusé les magistrats de trop de précipitation, on s'égaya à leurs dépens au moyen de l'interrogatoire de la duchesse de Bouillon, qui, selon M. de La Rivière, se vengeait comme elle pouvait en se moquant de ses juges789. M. de Bouillon parlait de l'envoyer dans toute l'Europe, «où l'on pourroit croire que sa femme est une empoisonneuse790.» Bussy apprend à La Rivière que cette conduite «avoit fort fâché le roi contre elle, car cela donne un grand ridicule à la chambre de justice791. «Aussi, dix jours après, la marquise de Sévigné annonce à sa fille que madame de Bouillon s'était si bien vantée des réponses par elle faites aux juges, qu'elle s'était attiré une bonne lettre de cachet pour aller à Nérac, où elle fut, en effet obligée de se rendre792.

Le 21 février madame de Sévigné constate qu'on «ne parle plus de M. de Luxembourg793.» Revenant sur la comtesse de Soissons, elle rapporte à sa fille le bruit qui courait qu'on lui avait fermé les portes de Namur et d'Anvers, et de plusieurs autres villes de Flandre, en disant: Nous ne voulons point de ces empoisonneuses. Avec un sérieux mêlé d'amertume elle ajoute: «C'est ainsi que cela se tourne; et désormais un François, dans les pays étrangers, et un empoisonneur, ce sera la même chose794.» Dans la lettre suivante, elle redonne à madame de Grignan, d'après La Rochefoucauld, un incident grotesque et insultant de cette triste odyssée d'Olympe Mancini, où l'on voit bien l'horreur que cette affaire inouïe avait provoquée dans toute l'Europe: «M. de La Rochefoucauld nous conta hier qu'à Bruxelles la comtesse de Soissons avoit été contrainte de sortir doucement de l'église, et que l'on avoit fait une danse de chats liés ensemble, où, pour mieux dire, une criaillerie par malice, et un sabbat si épouvantable, qu'ayant crié en même temps que c'étoient des diables et des sorciers qui la suivoient, elle avoit été obligée, comme je vous dis, de quitter la place, pour laisser passer cette folie, qui ne vient pas d'une trop bonne disposition des peuples795

Enfin, le 22 février, la Voisin fut brûlée en place de Grève. «Elle ne nous a rien produit de nouveau, dit madame de Sévigné;» c'est-à-dire qu'elle trompa le public, qui, voyant qu'elle n'avait rien établi de péremptoire dans le cours de la procédure contre les personnages dénommés par elle, l'attendait aux révélations in extremis, aux inspirations de l'échafaud. La marquise de Sévigné la vit passer des fenêtres de l'hôtel Sully, situé rue Saint-Antoine, en compagnie de mesdames de Sully, de Chaulnes, de Fiesque et de «bien d'autres.» Au retour elle fait à sa fille ce récit connu des dernières heures et du supplice de la condamnée, dont nous n'empruntons que les dernières et terribles lignes: «A Notre-Dame, elle ne voulut jamais prononcer l'amende honorable, et à la Grève elle se défendit autant qu'elle put de sortir du tombereau: on l'en tira de force; on la mit sur le bûcher assise et liée avec du fer, on la couvrit de paille; elle jura beaucoup; elle repoussa la paille cinq ou six fois; mais enfin le feu s'augmenta, et on la perdit de vue, et ses cendres sont en l'air présentement. Voilà la mort de madame Voisin, célèbre par ses crimes et par son impiété796

 

On ne trouve plus dans madame de Sévigné que deux ou trois détails, à grande distance, sur ce procès des Poisons qui avait débuté avec tant de bruit. Le 1er mai, elle fait connaître la sortie de prison de madame de Dreux, après avoir été «admonestée, qui est une très-légère peine, avec cinq cents livres d'aumône.» – «On croit, ajoute-t-elle, que M. de Luxembourg sera tout aussi bien traité que madame de Dreux… et c'est une chose terrible que le scandale qu'on a fait, sans pouvoir convaincre les accusés: cela marque aussi l'intégrité des juges797.» Le 18 mai, enfin, elle apprend à madame de Grignan que dans l'affaire du maréchal, il n'y a que son intendant de condamné; qu'il a fait amende honorable et justifié son maître. Sa lettre toutefois est pleine de sous-entendus: «Il y auroit extrêmement à causer, dit-elle, à raisonner, à admirer sur tout cela798.» Elle rend compte à peu près dans les mêmes termes à M. de Guitaud de cette solution qui surprenait quoiqu'elle ne déplût pas: «On me mande (elle est à la campagne) que l'intendant de M. de Luxembourg est condamné aux galères; qu'il s'est dédit de tout ce qu'il avoit dit contre son maître: voilà un bon ou un mauvais valet; pour lui, il est sorti de la Bastille plus blanc qu'un cygne; il est allé pour quelque temps à la campagne. Avez-vous jamais vu des fins et des commencements d'histoires comme celles-là? Il faudroit faire un petit tour en litière sur tous ces événements799

Faisons, en compagnie des pièces originales, ce tour en litière que souhaitait madame de Sévigné pour s'expliquer sans réticences sur la fin d'une affaire qui lui semblait prêter autant à causer, à raisonner, à s'étonner. Elle était plus grosse, en effet, que ne l'a fait supposer son issue. L'histoire conventionnelle l'a traitée avec une légèreté et un vague dont était complice la royauté elle-même, peu désireuse de révéler au public de grands desseins avortés, des périls personnels conjurés. Une publication spéciale qui, sous la direction d'un esprit sagace, laborieux et exact, s'occupe des anciennes causes criminelles, en même temps que des procès nouveaux, vient de répandre sur l'affaire des Poisons une lumière inattendue, grâce à la découverte faite à la bibliothèque du Corps législatif (découverte pour nous, et non pour le savant membre de l'institut qui administre ce riche dépôt800) d'un résumé de la procédure instruite devant la Chambre de l'Arsenal801. Malgré l'ordre donné, dit-on, par Louis XIV d'en livrer les actes au feu, une partie fut retrouvée, en 1789, dans les archives de la Bastille, et de là portée à la bibliothèque de l'Arsenal, où M. Monmerqué a pu s'en servir en 1819 pour les notes de son édition des Lettres de madame de Sévigné, qui nous offrent quelques courtes analyses de ces précieux documents802. M. Dufey (de l'Yonne) les a utilisés aussi pour la composition de son Histoire de la Bastille803. «Disparus aujourd'hui, ajoute M. Fouquier, enlevés non-seulement à la curiosité publique, mais même à la France, on pense que si l'on pouvait les retrouver (ces papiers) ce serait en Russie qu'il faudrait les chercher804.» Les documents conservés à la bibliothèque du Palais Bourbon consistent en une analyse des cartons de la Chambre ardente, trouvés dans la succession du lieutenant de police M. de la Reynie. On y lit les noms de plus de deux cents personnes dont la Chambre a eu à s'occuper, avec des détails qui autorisent celui qui a eu la bonne fortune de les consulter le premier, à dire que, grâce à ce document irrécusable, nous pouvons aujourd'hui connaître l'histoire vraie et jusqu'à présent ignorée de ce scandaleux procès. On le peut surtout en y joignant un travail récent de M. Michelet, où se remarquent plus qu'en aucun de ses écrits les défauts excessifs et les rares qualités de sa méthode historique, et le solide ouvrage consacré par M. Rousset à la vie et à l'administration de Louvois, qui a eu dans la direction de la procédure des Poisons une part ignorée jusqu'ici805.

Le peu d'espace qui nous reste ne nous permet pas de faire nous-mêmes une pareille histoire. Le lecteur pourra facilement recourir aux sources que nous lui indiquons, et il reconnaîtra la portée politique de cette ténébreuse affaire, et les efforts du gouvernement pour l'étouffer et l'amoindrir.

Dès la fin de l'année 1679, Le Sage avait demandé à faire des révélations. Louvois fut chargé de les recevoir et de lui promettre la vie sauve s'il les jugeait complètes: l'exil dont cet accusé fut seulement frappé prouve que le ministre fut suffisamment édifié sur la sincérité de ses aveux. M. Rousset publie une lettre adressée à Louis XIV dans laquelle Louvois apprécie, sans les reproduire, les indications fournies à la justice par ce principal complice de La Voisin. D'après ses conversations avec lui, il signale au roi le danger de la présence de certains personnages à la Cour. Ce qui prouve l'importance des révélations de Le Sage, c'est que ce fut bientôt après, le 23 janvier, qu'eurent lieu les arrestations ou les ajournements qui produisirent dans Paris une si profonde émotion.

Celle qui reste le plus sérieusement chargée, soit dans les documents conservés à la bibliothèque du Corps législatif soit dans les trop courts extraits empruntés par M. de Monmerqué au dossier aujourd'hui disparu de la bibliothèque de l'Arsenal, est la comtesse de Soissons. Soumise à la question le 17 février, deux jours avant sa condamnation, La Voisin avait déclaré qu'il était très-vrai que la comtesse était venue chez elle avec la maréchale de La Ferté et la marquise d'Alluyes; que lui ayant dit, d'après l'inspection de sa main, qu'elle avait été aimée d'un grand prince, madame de Soissons lui avait demandé si cela reviendrait, ajoutant: «Qu'il fallait bien que cela revînt d'une façon ou d'autre… et qu'elle porteroit sa vengeance plus loin, et sur l'un et sur l'autre, et jusqu'à s'en défaire806.» Dans le résumé de Me Brunet, analysé par M. Fouquier, on trouve nettement formulée, à la charge de la comtesse de Soissons, l'accusation d'avoir fait préparer un placet contenant un poison en poudre très-subtil qu'elle devait remettre au roi en se jetant à ses genoux, et le résumé ajoute même que, pendant que le roi l'aurait lu, la comtesse devait encore glisser dans ses poches de cette poudre empoisonnée807.

La Voisin, sur la sellette, s'était expliquée sur le compte de la duchesse de Bouillon. Elle ne chargea pas comme sa sœur cette seconde nièce de Mazarin: elle dit qu'en effet elle était venue chez elle, mais uniquement pour satisfaire un motif de curiosité. M. de Monmerqué a reproduit une partie de l'interrogatoire subi par madame de Bouillon, le 29 janvier, cinq jours après le départ de sa sœur. Cette pièce ressemble peu au piquant dialogue recueilli par madame de Sévigné, et où la duchesse semblait avoir mis tant de persiflage et de hauteur. Elle est ici suffisamment humble et parfaitement sérieuse, car Le Sage, dans ses révélations, l'avait accusée d'avoir voulu obtenir par la magie la mort de son mari, afin d'épouser le duc de Vendôme. Madame de Bouillon fut obligée d'avouer qu'en effet elle était allée chez La Voisin pour y consulter un très-habile homme, que celle-ci disait connaître, et «qui savoit faire des merveilles,» lequel n'était autre que Le Sage. La duchesse était partie en compagnie du duc de Vendôme, du marquis de Ruvigny, de madame de Chaulieu et de l'abbé de ce nom. «Étant passée, déclara-t-elle, où étoit ledit Le Sage, elle lui demanda ce qu'il savoit faire d'extraordinaire, et ledit le Sage lui ayant dit qu'il feroit brûler en sa présence un billet, et qu'après cela il le feroit retrouver où elle voudroit, et elle répondante lui ayant dit sur cela qu'il n'en falloit pas davantage, ledit Le Sage lui dit qu'il falloit écrire quelques demandes; sur quoi M. le duc de Vendôme en écrivit deux, dont l'une étoit pour savoir où étoit alors M. le duc de Nevers, et l'autre si M. le duc de Beaufort étoit mort; lequel billet ayant été cacheté, ledit Le Sage le lia avec du fil ou de la soie, et y mit du soufre avec quelques enveloppes de papier; après quoi M. de Vendôme prit ledit billet qu'il fit brûler lui-même en la présence d'elle répondante, sur un réchaud, dans la chambre de La Voisin, et après cela ledit Le Sage dit à elle répondante qu'elle retrouveroit ce billet brûlé dans une porcelaine chez elle, ce qui n'arriva pas néanmoins. Mais deux ou trois jours après Le Sage vint chez elle et lui rapporta ledit billet, ce qui la surprit extrêmement, et de le voir cacheté comme il étoit, et au même état que lorsqu'il fut remis audit Le Sage.» Surpris d'un pareil fait, les mêmes voulurent recommencer l'expérience. Un nouveau billet fut, à quelques jours de là, remis à Le Sage, et pareillement brûlé par lui. Mais, comme il tardait à le rapporter, la duchesse de Bouillon envoya plusieurs fois chez lui, «et y passa elle-même.» Après plusieurs excuses, Le Sage «vint trois ou quatre jours après chez elle répondante, où il lui dit que les sibylles (qu'il disait consulter) étoient empêchées.» La duchesse ajoute dans son interrogatoire que depuis elle n'avoit pas revu Le Sage, et qu'elle trouva la chose si ridicule qu'elle la raconta à plusieurs personnes et en écrivit même à son mari, alors à l'armée. L'un des commissaires, la mettant en présence de la déclaration de Le Sage qui la concernait, lui demanda s'il n'était pas vrai que dans l'un des billets donnés par elle ou en son nom il eût été question de la mort du duc de Bouillon, elle répondit que non, «et que la chose étoit si étrange qu'elle se détruisoit d'elle-même808

 

Le fait de Le Sage n'était qu'un vulgaire tour de passe-passe, que le dernier de nos bateleurs accomplit chaque jour sans faillir aux yeux ébahis de la foule. Quant à l'accusation portée contre la duchesse de Bouillon, eût-elle été prouvée, elle ne constituait qu'un fait de prétendue magie, et, quoi qu'on en dise, quoi qu'en semble penser Bussy, ni Louis XIV, ni ses ministres, ni les juges ne pensaient que l'on pût, par les pratiques de la sorcellerie, amener la mort de quelques personnes; au point de vue religieux, au point de vue même de la législation civile qui punissait l'impiété et le blasphème, on pouvait être reconnu coupable de magie, mais non d'homicide par magie. La duchesse de Bouillon alla donc, pour quelque temps, expier à Nérac sa trop grande curiosité, peut-être son désir trop hâtif de devenir veuve, mais surtout sa légèreté de paroles, au sortir d'un interrogatoire où elle semble avoir eu trop de peur pour y mettre tant d'esprit.

Les rigueurs extrêmes furent réservées aux personnes convaincues ou très-fortement soupçonnées d'avoir eu recours au poison. C'est ce qui explique la différence du traitement fait aux deux nièces de Mazarin. Après une courte absence, l'une reparut à la Cour; mais la comtesse de Soissons ne put jamais rentrer en France, et mourut en exil, léguant sa vengeance à son avant-dernier fils, qui malheureusement se trouva être un homme de génie, et fit cruellement connaître à Louis XIV le nom du prince Eugène.

Un regrettable et charmant écrivain a voulu désintéresser Olympe Mancini dans toutes les accusations dont elle a été l'objet, et, tout en avouant son amour pour Louis XIV et son ardent désir de reconquérir un empire perdu, rejeter sur l'implacable et aveugle animosité de Louvois sa sortie déshonorante de la France et son exil sans fin. Un peu de passion galante pour les nièces de Mazarin, et un sentiment de générosité vis-à-vis d'une femme perdue par la tradition populaire, l'ont égaré809. L'analyse de la procédure de l'Arsenal, qui nous a été transmise par le notaire Brunet, incrimine cette femme d'une façon bien autrement grave et précise que les extraits uniques conservés par M. de Monmerqué. Il est un fait, ensuite, dans lequel il est bien difficile de la justifier entièrement: c'est l'empoisonnement de la reine d'Espagne, la malheureuse Louise d'Orléans. Saint-Simon en accuse formellement la comtesse de Soissons. En effet, ses liaisons avec l'ambassadeur d'Autriche, le comte de Mansfeld, auteur présumé du coup, sa fuite précipitée de Madrid, au lendemain de la mort de la reine, sont de grands indices contre elle; nous disons indices, car il a été dans la destinée d'Olympe Mancini d'être soupçonnée de tous les crimes, sans avoir été convaincue d'aucun.

L'un des plus compromis par les révélations de Le Sage était le marquis de Cessac. A l'en croire, ce crédule et peu scrupuleux personnage était venu plusieurs fois le trouver pour lui demander le secret de gagner, ou pour mieux dire de tricher sûrement au jeu du roi; un moyen de se défaire en cachette de son frère, le comte de Clermont, et une recette pour se faire aimer de sa belle-sœur810. Resté hors de France pendant dix ans, le marquis de Cessac, en 1690, vint se constituer prisonnier à la Bastille, et en sortit avec un arrêt favorable, qui l'acquitta sans trop le réhabiliter.

Madame du Roure avait été accusée par La Voisin d'être venue la consulter pour se faire aimer du roi, et amener la mort de mademoiselle de La Vallière. Mais, confrontée avec son accusatrice, elle n'en fut pas reconnue, et La Voisin déclare, pour expliquer son manque de mémoire, que les faits énoncés par elle remontaient déjà à quatorze ans811.

Dans un extrait de l'interrogatoire de Marie de La Marc, femme du marquis de Fontet, mestre de camp d'un régiment de cavalerie, tiré des mêmes manuscrits de l'Arsenal, on trouve quelques détails qui ne sont point dépourvus d'intérêt, sur certains faits relatifs au marquis de Feuquières et au maréchal de Luxembourg. Ce qui concerne ce dernier doit d'autant plus fixer l'attention, que les pièces de son dossier, distinctes des documents consultés par M. de Monmerqué à la bibliothèque de l'Arsenal, n'ont pas, selon le même, «été retrouvées parmi celles de l'affaire des Poisons qui existent à la bibliothèque de MONSIEUR»812. Seraient-ce les mêmes pièces qui auraient passé du cabinet de MONSIEUR, le comte d'Artois à cette époque (1819), dans la bibliothèque du Corps législatif? C'est un doute, un fait à vérifier.

Après avoir gardé un silence presque absolu dans son premier interrogatoire du 28 janvier 1680, la marquise de Fontet, le 6 mars suivant, fit connaître aux commissaires «qu'ayant appris que l'instruction que l'on faisoit regardoit le service du roi, la considération du bien public l'obligeoit de déclarer que le duc de Luxembourg et M. le marquis de Feuquières étoient venus chez elle, un jour que Le Sage (qui se faisait appeler du Buisson) s'y trouvoit.» Ils montèrent tous trois dans une chambre haute, avec un laquais qui portait un réchaud de feu. «Ils firent sortir le laquais, ne demeurèrent pas longtemps dans cette chambre, et sortirent ensuite, sans parler à madame de Fontet, et sans qu'elle ait su ce qui s'étoit passé chez elle.» On y avait brûlé des billets dont le contenu n'est point constaté, et il paraît que ni le maréchal, ni M. de Feuquières, n'avaient été satisfaits des tours de Le Sage, car, le 12 mars, madame de Fontet, complétant ses souvenirs, déclara aux magistrats instructeurs «qu'ayant revu le duc de Luxembourg quelques jours après, il lui dit que Le Sage étoit un fripon, qui ne savoit rien.» Elle ajouta que le marquis de Feuquières, regrettant sans doute les pistoles arrachées à sa crédulité, lui avait dit, de son côté, «que Le Sage étoit un escroc.» L'historien de la maison de Montmorency, Dézormeaux, donne à cette scène un tour plus favorable pour le maréchal. Celui-ci, on le sait, publia pour sa défense une lettre où il rappelait avec hauteur et noblesse les services de sa famille. On lui imputait d'avoir fait un pacte avec le diable, dans un écrit remis à Le Sage, et cela pour obtenir trois choses: la découverte de titres égarés ou dérobés, et qui devaient lui faire adjuger des biens considérables qu'il réclamait en justice comme ayant autrefois appartenu à sa maison; les moyens d'arriver à de grands commandements militaires et à de hautes fonctions dans l'État, et, comme moyen de fortune assurée, la réussite du dessein qu'on lui attribuait de faire épouser à son fils la fille de Louvois, celle que nous venons de voir mariée au petit-fils de la Rochefoucauld. C'est à ce dernier point que le duc de Luxembourg, dans sa lettre, a fait cette réponse que l'histoire a recueillie et admirée: «Quand Matthieu de Montmorency épousa la veuve de Louis le Gros, il ne s'adressa point au diable, mais aux états généraux, qui déclarèrent que, pour acquérir au roi mineur l'appui des Montmorency il fallait faire ce mariage813.» Voltaire a pris le ton de cette lettre, écrite après coup, pour le ton de l'interrogatoire de Luxembourg. Il ne s'annonce point ainsi dans le consciencieux travail de M. Fouquier: sa tenue y est trop conforme à celle que nous a révélée la correspondance de madame de Sévigné. Dans sa lettre déjà citée, Louvois, dès le lendemain de son entretien avec Le Sage, avait fait connaître au roi ces mêmes imputations sur lesquelles fut basée la procédure suivie contre le maréchal. Les hommes de guerre, avides de fortune et de gloire comme lui, courtisaient à l'envi un ministre dont l'influence était si considérable: rien ne fait donc obstacle à la réalité du projet matrimonial attribué au duc de Luxembourg.

Le Sage, le chargeant d'un crime vulgaire, l'avait en outre accusé d'avoir voulu faire empoisonner une comédienne, la Dupin, entre les mains de laquelle se trouvaient ses titres perdus, et qui refusait de les rendre. Ceci était plus grave qu'un pacte avec le diable pour les retrouver, et l'on comprend l'indignation avec laquelle Luxembourg rejeta une pareille accusation. On lui représenta l'écrit, signé de lui, dans lequel il se vouait au diable pour obtenir son appui. Il reconnut sa signature, mais il dénia, comme œuvre d'une main étrangère, le corps de l'écriture. Le jugement intervenu dans son affaire mit au compte de son intendant Bonnard ces lignes accusatrices. Bonnard fut convaincu de les avoir ajoutées au pouvoir signé en blanc que son maître disait lui avoir remis pour arriver à la découverte des papiers intéressant sa fortune. Mis hors de cause par arrêt en date du 14 mai 1681, le maréchal de Luxembourg reçut le 18 l'ordre de se rendre à vingt lieues de Paris dans ses terres, d'où il ne fut rappelé qu'au mois de juin de l'année suivante.

Quant aux autres personnes de distinction comprises dans la procédure des Poisons, et que nous avons nommées, mesdames de La Ferté, de Cœnishac, du Fontet, de Polignac, de Tingry, MM. de Thermes, de Feuquières, etc., elles s'en tirèrent encore à meilleur marché que le maréchal, les premières investigations n'ayant mis à leur charge que des faits de puérile curiosité, ou de croyance ridicule, mais fort commune, en la puissance de la magie. C'est là ce qu'il est peut-être permis de reprocher au vainqueur de Fleurus; car, pour des crimes, nul ne peut y songer. D'ailleurs la manière dont Louis XIV le traita par la suite indique qu'il l'avait surtout reconnu pur de tout mauvais dessein, de tout complot contre sa personne, comme son inflexible sévérité à l'égard de la comtesse de Soissons prouve qu'il l'en croyait capable, sinon coupable.

Si l'on en croit le document conservé à la bibliothèque du Corps législatif, c'est au même motif qu'il faudrait attribuer la rigueur persistante dont fut l'objet le surintendant Fouquet; et c'est ici la partie nouvelle et vraiment imprévue du travail de M. Fouquier. Il a recueilli dans le résumé de Me Brunet des indices nombreux, nous n'oserions dire des preuves, que, pendant de longues années, du fond de sa prison, Fouquet organisa, ou mieux inspira une conjuration permanente contre la personne de Louis XIV, lorsqu'il eut acquis la conviction, partagée par quelques-uns de ses amis, que la mort seule du roi pourrait le rendre à la liberté. Déjà son nom avait été prononcé dans le procès de la Brinvilliers. Il n'en fut nullement question dans le public en cette dernière circonstance, et la marquise de Sévigné n'eut ni le chagrin d'entendre accuser son ami, ni l'occasion, sans nul doute chaleureusement saisie, de le défendre: mais il faut finir cet article déjà trop long de ces mémoires. Nous renvoyons donc à la Chambre ardente de M. Fouquier le lecteur désireux d'approfondir la grave accusation portée contre un homme, que la science historique nouvelle a déjà assez maltraité, et que de plus complètes recherches finiraient peut-être par accabler814.

Quelle conclusion y a-t-il à tirer de toute cette affaire quant au temps qui en fut témoin? Faut-il, comme M. Michelet, condamner un régime tout entier pour des faits individuels quoique trop nombreux, et y voir une preuve de la gangrène générale d'une société parée, au dehors, de tout l'éclat du génie, de toutes les grâces de la civilisation la plus polie? Nous aimons mieux (ce sera plus juste et plus vrai) dire avec Voltaire: «Cette abomination ne fut que le partage de quelques particuliers, et ne corrompit point les mœurs adoucies de la nation815

Après les premières émotions de l'affaire des Poisons, la Cour porta toute son attention sur le mariage de l'héritier de la couronne, qui devait être l'occasion de grâces nombreuses et de la création de nouvelles charges fort enviées et chaudement disputées. Madame de Maintenon eut la haute main dans la composition de la maison de la Dauphine, et on vit bien alors quel chemin elle avait fait dans l'esprit plutôt que dans le cœur d'un prince qui s'éloignait chaque jour davantage de madame de Montespan, et que mademoiselle de Fontanges, eût-elle vécu, n'eût pu garder longtemps avec sa beauté sans esprit.

L'histoire de madame de Maintenon à cette époque décisive de sa vie est fort mêlée à celle du mariage du Dauphin; mais, seule, madame de Sévigné nous en fait connaître quelques particularités. Ailleurs on la voit tout d'un coup établie souveraine; madame de Sévigné nous fait compter les pas et mesurer les degrés de cette élévation lente, continue et sans pareille. Ses renseignements étaient sûrs. Par madame de La Fayette et M. de La Rochefoucauld, elle savait ce que pouvait en dire le prince de Marsillac, ce demi-favori du roi, depuis qu'il s'était décidé à ne plus avoir de favori en titre; et par madame de Coulanges elle pénétrait dans l'intérieur de madame de Maintenon. Dès le 29 novembre 1679, diligente à renseigner sa fille sur la situation du thermomètre de la Cour, elle lui écrit: «Madame de Coulanges a été quinze jours à la Cour; madame de Maintenon étoit enrhumée, et ne vouloit pas la laisser partir… Quanto et l'enrhumée sont très-mal; cette dernière est toujours parfaitement bien avec le centre de toutes choses, et c'est ce qui fait la rage. Je vous conterois mille bagatelles si vous étiez ici816.» Le 13 décembre elle ajoute: «Nous saurons bientôt ceux qui seront nommés pour madame la Dauphine; c'est à l'arrivée de ce dernier courrier qu'on les déclarera. Il y en a qui disent que madame de Maintenon sera placée d'une manière à surprendre; ce ne sera pas à cause de Quanto, car c'est la plus belle haine de nos jours.» Et, rendant justice à un mérite par elle pratiqué et bien connu, madame de Sévigné termine par cette observation: «Elle n'a vraiment besoin de personne que de son bon apprêt817

Les colères de madame de Montespan n'étaient pas faites pour ramener le roi. Ces transports produisaient un effet tout contraire à celui qu'en attendait peut-être une femme dont la passion troublait l'esprit, si clairvoyant autrefois. Madame de Caylus, bien au courant de cet intérieur troublé, a dit avec raison: «L'esprit qui ne nous apprend pas à vaincre notre humeur devient inutile, quand il faut ramener les mêmes gens qu'elle a écartés, et si les caractères doux souffrent plus longtemps que les autres, leur fuite est sans retour818.» Pendant qu'à la vue de son empire croulant, madame de Montespan s'abandonnait aux désagréables éclats de sa colère, la supériorité de sa rivale s'établissait par le contraste de sa douceur, de son égalité d'âme, qualités inestimables pour un homme lassé des passions orageuses, et cherchant le port au sein d'une affection paisible et solide. La nièce de madame de Maintenon a parfaitement mis en relief cette différence des deux caractères, donnant à sa tante les mêmes louanges que l'histoire a consacrées: «Le roi trouva une grande différence dans l'humeur de madame de Maintenon; il trouva une femme toujours modeste, toujours maîtresse d'elle-même, toujours raisonnable, et qui joignoit encore à des qualités si rares les agréments de l'esprit et de la conversation.»

784SÉVIGNÉ, Lettres, t. VI, p. 151.
785SÉVIGNÉ, Lettres, t. VI, p. 150.
786SÉVIGNÉ, Lettres, t. VI, p. 154.
787SÉVIGNÉ, Lettres, t. VI, p. 158.
788SÉVIGNÉ, Lettres, t. VI, p. 160, 164 et 167.
789Corresp. de Bussy, Lettre du 23 février, t. V, p. 69.
790SÉVIGNÉ, Lettres, t. VI, p. 150.
791Corresp. de Bussy, t. V, p. 55.
792SÉVIGNÉ, Lettres (16 février 1680), t. VI, p. 166.
793SÉVIGNÉ, Lettres, p. 171.
794SÉVIGNÉ, Lettres, p. 172.
795SÉVIGNÉ, Lettres, p. 180.
796SÉVIGNÉ, Lettre du 23 février, t. VI, p. 175-177.
797SÉVIGNÉ, Lettres, t. VI, p. 242 et 244.
798SÉVIGNÉ, Lettres, 279.
799Lettres inédites, éd. Klostermann, p. 61.
800M. Miller, de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
801Voy. Causes célèbres de tous les peuples, par A. Fouquier, continuateur de l'Annuaire historique dit de Lesur (La Chambre Ardente, 1679-1682). Paris, 1860, chez Lebrun et compagnie.
802«Une grande partie des pièces originales de ce procès, disait-il, est conservée parmi les manuscrits de la bibliothèque de l'Arsenal. L'éditeur y a puisé des éclaircissements. (Note à la lettre du 26 janvier 1680, t. VI, p. 130.)
803La Bastille, ou Mémoires pour servir à l'histoire secrète du gouvernement français depuis le quatorzième siècle jusqu'en 1789.
804La Chambre ardente, p. 9.
805MICHELET, Procès de la Brinvilliers (Revue des Deux Mondes, avril 1860). CAMILLE ROUSSET, Histoire de Louvois et de son administration politique et judiciaire. Paris, 1861. Voici ce que dit M. Fouquier de l'excellent sommaire du procès des Poisons qu'il lui a été donné de consulter: «C'est un manuscrit conservé à la bibliothèque du Corps législatif sous les lettres et numéros suivants: B 105/577 g de 200 pages environ, non toutes remplies entièrement, mais couvertes en partie de résumés écrits d'une écriture très-fine et serrée. Ce manuscrit a pour titre: CHAMBRE ARDENTE, tenue les années 1679, 80, 81, 82. Extrait fait par Me Brunet, notaire, de 12 cartons remis entre les mains de M. le chancelier garde des sceaux, par les héritiers de La Reynie. Voilà donc, enfin, une source authentique, abondante. Le registre s'ouvre par une liste alphabétique de 226 décrétés, dont 138 femmes. Parmi ces noms brillent, presque à chaque page, ceux de ces seigneurs, de ces grandes dames, de ces parlementaires, de ces prêtres qu'on avait, disait-on, prudemment soustraits à la juridiction de la Chambre. Les révélations les plus inattendues y sollicitent le regard, et on y entrevoit de singuliers et sinistres jours sur l'histoire secrète de la cour de Louis XIV. Comme Me Brunet, le patient et véridique notaire, nous nous contenterons du rôle effacé de greffier et d'abréviateur, nous permettant seulement de mettre en ordre et en œuvre ces notes précieuses.» (La Chambre ardente, p. 10.)
806SÉVIGNÉ, Lettres, t. VI, p. 139. Extrait de la procédure de l'Arsenal.
807FOUQUIER, la Chambre ardente.
808SÉVIGNÉ, notes de la Lettre 707, t. VI, p. 141.
809Conf. AMÉDÉE RENÉE, les Nièces de Mazarin (chapitre d'Olympe Mancini); Paris, chez MM. Firmin Didot, 1858, un vol. in-8o.
810Extraits de la procédure de l'Arsenal. (SÉVIGNÉ, t. VI, 137.)
811SÉVIGNÉ, t. VI.
812Ibid.
813VOLTAIRE, Siècle de Louis XIV, chap. XXVI; Fouquier, la Chambre ardente.
814Conf. surtout la Notice sur Fouquet placée par M. P. Clément en tête de son Histoire de Colbert. L'équité veut toutefois qu'on n'accepte qu'avec la plus extrême prudence les révélations, les allégations de misérables, accusés et surtout convaincus de grands crimes, et qui peut-être pensaient pouvoir se sauver en impliquant dans leurs soi-disants aveux des personnages éminents ou des noms fameux. M. de Monmerqué n'a-t-il pas lu à la bibliothèque de l'Arsenal un interrogatoire de La Voisin, où celle-ci déclare «qu'elle a connu la demoiselle du Parc, comédienne, et l'a fréquentée pendant quatorze ans, que sa belle-mère, nommée de Gordo, lui avoit dit que c'étoit Racine qui l'avoit empoisonnée?» (SÉVIGNÉ, Lettres, t. VI, p. 176.) Racine un empoisonneur! cette accusation est d'un grand prix pour toutes les personnes compromises par La Voisin. Mademoiselle du Parc était morte en 1668, après avoir créé avec éclat, l'année précédente, le rôle d'Andromaque.
815VOLTAIRE, Siècle de Louis XIV, chap. XXVI.
816SÉVIGNÉ, Lettres, t. VI, p. 33.
817SÉVIGNÉ, Lettres, t. VI, p. 65.
818Souvenirs de madame de Caylus. (Coll. Michaud, t. XXXIII, p. 487.)