Za darmo

Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Vol. 6

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

Toutefois il fallait bien du temps pour ruiner d'une manière définitive cet empire entamé de madame de Montespan, empire établi sur l'esprit, la beauté, le plaisir, ces trois fées qui avaient dominé la seconde jeunesse d'un prince, séduit, au début de la vie, par la grâce et la candeur de la douce la Vallière, et qui devait finir sous le charme de la raison solide, de l'esprit droit, de l'humeur prévenante et docile d'une amie qui sut régner en professant l'obéissance. Mais ce qui retenait pour six ans encore Louis XIV dans les liens de cette Mortemart toujours belle, c'était l'ardeur sensuelle qui lui venait de son aïeul, et à laquelle répondait mal le vertueux et tendre amour de sa timide épouse. L'âge seul devait l'amortir. Lorsque le roi, après la prise de Bouchain, quitta son armée pour retourner à Versailles, on put donc croire au triomphe complet, à un règne nouveau de la marquise de Montespan, et ce n'était plus qu'en souriant que l'on reparlait de cette pure amitié qui, l'année d'avant, avait été le mot d'ordre à la cour, pour colorer aux yeux du parti religieux, la rentrée de la favorite dans son appartement accoutumé, sous le couvert et le prétexte de sa charge de première dame d'honneur de la reine.

«Le roi arrive ce soir à Saint-Germain (écrit madame de Sévigné le 8 juillet 1676), et, par hasard, madame de Montespan s'y trouve aussi le même jour; j'aurois voulu donner un autre air à ce retour, puisque c'est une pure amitié307.» Deux jours après, elle fait connaître toutes les circonstances de ce retour caractéristique: «Le bon ami de Quanto avoit résolu de n'arriver que lorsqu'elle arriveroit de son côté; de sorte que, si cela ne se fût trouvé juste le même jour, il auroit couché à trente lieues d'ici: mais enfin tout alla à souhait. La famille de l'ami alla au-devant de lui: on donna du temps aux bienséances, mais beaucoup plus à la pure et simple amitié, qui occupa tout le soir. On fit hier une promenade ensemble, accompagnés de quelques dames; on fut bien aise d'aller à Versailles, pour le visiter avant que la cour y vienne.» Après un tour en ville où elle a complété et rectifié ses renseignements, madame de Sévigné continue dans cette même lettre: «L'ami de Quanto arriva un quart d'heure avant Quanto, et, comme il causoit en famille, on le vint avertir de l'arrivée: il courut avec un grand empressement, et fut longtemps avec elle. Il fut hier à cette promenade que je vous ai dite, mais en tiers avec Quanto et son amie (madame de Maintenon): nulle autre personne n'y fut admise, et la sœur (madame de Thianges) en a été très-affligée: voilà tout ce que je sais308

Soit pour soustraire son royal amant aux séductions d'une cour où, depuis leur tentative de séparation, bien des femmes aspiraient à la remplacer; soit pour la satisfaction d'un amour de tête, si ce n'est de cœur, et qui devenait plus exigeant à mesure qu'il était moins partagé, madame de Montespan, pendant près d'un mois, s'attacha à retenir le roi dans son appartement, redoublant de cette habile et souveraine coquetterie des manières et de l'esprit avec laquelle elle sut l'enchaîner si longtemps. Mais les courtisans ne tardèrent pas à se plaindre de cette sorte d'amoureuse séquestration, qui prenait sur leurs plaisirs et tenait leurs intérêts en souffrance. La favorite restaurée comprit qu'elle affichait par là des craintes ou un égoïsme également peu séants; elle s'empressa de redonner le roi à la France, comme le dit madame de Sévigné, dans une lettre des plus curieuses, où elle retrace de la cour, de la situation et de la personne de madame de Montespan, du jeu royal, des autres divertissements de cette vie enchantée, et de sa propre réception dans ce lieu qu'elle visite rarement, un tableau que nous devons reproduire en entier. Notre épistolaire sans rivale est là avec tout l'art qu'elle veut avoir (car ceci est une relation qui sera lue au petit lever de la gouvernante de la Provence) et le naturel qu'elle ne peut jamais perdre.

«Voici un changement de scène qui vous paraîtra aussi agréable qu'à tout le monde. Je fus samedi à Versailles avec les Villars: voici comme cela va. Vous connaissez la toilette de la reine, la messe, le dîner; mais il n'est plus besoin de se faire étouffer pendant que Leurs Majestés sont à table; car, à trois heures, le roi, la reine, Monsieur, Madame, Mademoiselle, tout ce qu'il y a de princes et de princesses, madame de Montespan, toute sa suite, tous les courtisans, toutes les dames, enfin ce qui s'appelle la cour de France, se trouve dans ce bel appartement du roi que vous connoissez. Tout est meublé divinement, tout est magnifique. On ne sait ce que c'est que d'y avoir chaud; on passe d'un lieu à l'autre sans faire la presse nulle part. Un jeu de reversi donne la forme et fixe tout. Le roi est auprès de madame de Montespan qui tient la carte; MONSIEUR, la reine et madame de Soubise; Dangeau et compagnie; Langlée et compagnie; mille louis sont répandus sur le tapis, il n'y a point d'autres jetons. Je voyois jouer Dangeau, et j'admirois combien nous sommes sots au jeu auprès de lui. Il ne songe qu'à son affaire, et gagne où les autres perdent; il ne néglige rien, il profite de tout, il n'est point distrait: en un mot, sa bonne conduite défie la fortune; aussi les deux cent mille francs en dix jours, les cent mille écus en un mois, tout cela se met sur le livre de sa recette. Il dit que je prenois part à son jeu, de sorte que je fus assise très-agréablement et très-commodément. Je saluai le roi ainsi que vous me l'avez appris; il me rendit mon salut comme si j'avois été jeune et belle. La reine me parla aussi longtemps de ma maladie, que si c'eût été une couche. Elle me dit encore quelques mots de vous. M. le Duc me fit mille de ces caresses à quoi il ne pense pas. Le maréchal de Lorges m'attaqua sous le nom du chevalier de Grignan; enfin tutti quanti. Vous savez ce que c'est que de recevoir un mot de tout ce que l'on trouve en son chemin. Madame de Montespan me parla de Bourbon; elle me pria de lui conter Vichy, et comme je m'en étois trouvée; elle me dit que Bourbon, au lieu de guérir un genou, lui a fait mal aux deux. Je lui trouvai le dos bien plat, comme disoit la maréchale de la Meilleraie; mais sérieusement c'est une chose surprenante que sa beauté; sa taille n'est pas de la moitié si grosse qu'elle étoit, sans que son teint, ni ses yeux, ni ses lèvres en soient moins bien. Elle étoit tout habillée de point de France; coiffée de mille boucles; les deux des tempes lui tombent fort bas sur les joues; des rubans noirs sur sa tête, des perles de la maréchale de l'Hôpital, embellies de boucles et de pendeloques de diamants de la dernière beauté, trois ou quatre poinçons, point de coiffe, en un mot, une triomphante beauté à faire admirer à tous les ambassadeurs. Elle a su qu'on se plaignoit qu'elle empêchoit toute la France de voir le roi; elle l'a redonné, comme vous voyez; et vous ne sauriez croire la joie que tout le monde en a, ni de quelle beauté cela rend la cour. Cette agréable confusion, sans confusion, de tout ce qu'il y a de plus choisi, dure depuis trois heures jusqu'à six. S'il vient des courriers, le roi se retire un moment pour lire ses lettres, et puis revient. Il y a toujours quelque musique qu'il écoute, et qui fait un très-bon effet. Il cause avec les dames qui ont accoutumé d'avoir cet honneur. Enfin on quitte le jeu à six heures; on n'a point du tout de peine à faire les comptes; il n'y a point de jetons ni de marques; les poules sont au moins de cinq, six ou sept cents louis, les grosses de mille, de douze cents. On en met d'abord vingt-cinq chacun, c'est cent; et puis celui qui fait en met dix; on donne chacun quatre louis à celui qui a le quinola; on passe; et quand on fait jouer, et qu'on ne prend pas la poule, on en met seize à la poule, pour apprendre à jouer mal à propos. On parle sans cesse, et rien ne demeure sur le cœur. Combien avez-vous de cœurs? J'en ai deux, j'en ai trois, j'en ai un; j'en ai quatre: il n'en a donc que trois, que quatre, et Dangeau est ravi de tout ce caquet: il découvre le jeu, il tire ses conséquences, il voit à qui il a affaire; enfin j'étois fort aise de voir cet excès d'habileté: vraiment c'est bien lui qui sait le dessous des cartes, car il sait toutes les autres couleurs. On monte donc à six heures en calèche, le roi, madame de Montespan, MONSIEUR, madame de Thianges, et la bonne d'Heudicourt sur le strapontin, c'est-à-dire comme en paradis, ou dans la gloire de Niquée309. Vous savez comme ces calèches sont faites; on ne se regarde point, on est tourné du même côté. La reine étoit dans une autre avec les princesses, et ensuite tout le monde attroupé, selon sa fantaisie. On va sur le canal dans des gondoles, on y trouve de la musique, on revient à dix heures, on trouve la comédie, minuit sonne, on fait médianoche; voilà comme se passa le samedi.

 

«De vous dire combien de fois on me parla de vous, combien on me demanda de vos nouvelles, combien on me fit de questions sans attendre la réponse, combien j'en épargnois, combien on s'en soucioit peu, combien je m'en souciois encore moins, vous reconnoîtriez au naturel l'iniqua corte. Cependant elle ne fut jamais si agréable, et l'on souhaite fort que cela continue310

Mais la triomphante sécurité de madame de Montespan ne devait pas être de longue durée. Le roi, en attendant cette grande infidélité du cœur que préparait dans l'ombre l'ascendant toujours croissant de madame de Maintenon, se laissait aller à des caprices des sens qui désolaient la jalousie éveillée de sa maîtresse, moins jeune que belle. Rien n'est curieux comme de suivre la révélation de cette situation bizarre, dans la correspondance de madame de Sévigné, qui, l'oreille au guet, tantôt bien, tantôt mal renseignée, un jour croyant à l'éternel empire de la favorite, l'autre à sa chute imminente, reproduit en un style fait pour rester tous ces événements d'une heure, ces rumeurs passagères si peu dignes de vivre.

Au commencement d'août, on avait parlé de l'une des filles de la reine, nièce de madame de Montespan, mademoiselle de Théobon: «J'ai vu, écrit le 7 la marquise de Sévigné, des gens qui sont revenus de la cour; ils sont persuadés que la vision de Théobon est entièrement ridicule, et que jamais la souveraine puissance de Quanto n'a été si bien établie. Elle se sent au-dessus de toutes choses, et ne craint non plus ses petites morveuses de nièces, que si elles étoient charbonnées. Comme elle a bien de l'esprit, elle paroît entièrement délivrée de la crainte d'enfermer le loup dans la bergerie: sa beauté est extrême, sa parure est comme sa beauté, et sa gaieté comme sa parure311

Ce qui devait parfois faire une entière illusion à madame de Montespan, c'était la tendresse vive que le roi témoignait pour ses enfants, et surtout pour le jeune duc du Maine, que Louis XIV semblait préférer à sa descendance légitime. Ses grâces, son esprit précoce, étaient bien faits pour séduire même tout autre qu'un père, s'il en faut croire le témoignage peu suspect de madame de Sévigné. «M. du Maine, mande-t-elle, est un prodige d'esprit: premièrement aucun ton, aucune finesse ne lui manquent; il en veut comme les autres à M. de Montausier; c'est sur cela que je dis l'iniqua corte. Il le voyoit passer un jour sous ses fenêtres, avec une petite baguette qu'il tenoit en l'air, il lui cria: M. de Montausier, toujours le bâton haut! Mettez-y le ton et l'intelligence, et vous trouverez qu'à six ans on n'a guère de ces manières-là: il en dit tous les jours mille dans ce même genre. Il étoit, il y a quelques jours, sur le canal dans une gondole, où il soupoit fort près de celle du roi: on ne veut point qu'il l'appelle mon papa; il se mit à boire, et follement s'écria: A la santé du roi, mon père! et puis se jeta, en mourant de rire, sur madame de Maintenon. Je ne sais pourquoi je vous dis ces choses-là; ce sont, je vous assure, les moindres312.» Mais en jouissant de la spirituelle gentillesse d'un fils qu'il adorait, le roi en faisait moins honneur à la mère qu'à l'institutrice qui développait avec tant d'adresse et de sollicitude ces dons naturels; aussi, quelques jours après, la marquise de Sévigné a-t-elle lieu d'ajouter: «L'amie de madame de Coulanges (on sait que cela veut dire madame de Maintenon) est toujours dans une haute faveur313

Vers le milieu du même mois, on remarqua que madame de Montespan était restée deux ou trois jours sans paraître au salon du roi, qui, lui, n'avait garde de manquer à son jeu quotidien. C'était un nouvel accès de jalousie qui en était cause, mais, cette fois (la chronique posthume l'a révélé) mieux justifiée qu'à propos de cette Théobon dont parlait tout à l'heure madame de Sévigné. «J'apprends, écrit celle-ci le 19 août, que la belle madame a reparu dans le bel appartement comme à l'ordinaire, et que ce qui avoit causé son chagrin étoit une légère inquiétude de son ami et de madame de Soubise. Si cela est, on verra bientôt cette dernière sécher sur pied; car on ne pardonne pas seulement d'avoir plu314.» Et ce trait annonce ce que va être la jalousie croissante de cette femme ardente, altière et habituée à dominer, et combien elle va souffrir. La marquise de Sévigné est peu disposée à s'attendrir sur de pareilles douleurs: sans doute elle se rappelait ce que madame de Montespan avait fait endurer à la Vallière, et puis, avec ses principes d'honnête femme et de mère parfaite, elle pensait que la première n'avait que ce qu'elle méritait, ayant abandonné époux, enfants, pour venir à la cour vivre le front levé dans son double adultère. Aussi son ton n'est que plaisant lorsqu'elle parle des tribulations de la marquise de Montespan et des ruses qu'emploie son amant couronné pour lui dissimuler ses infidélités: «On dit que l'on sent la chair fraîche dans le pays de Quanto. On ne sait pas bien droitement où c'est, on a nommé la dame que je vous ai nommée; mais, comme on est fin en ce pays, peut-être que ce n'est pas là. Enfin il est certain que le cavalier est gai et réveillé, et la demoiselle triste, embarrassée et quelquefois larmoyante. Je vous dirai la suite si je le puis. Madame de Maintenon est allée à Maintenon pour trois semaines. Le roi lui a envoyé le Nôtre pour ajuster cette belle et laide terre315.» Laide aujourd'hui, et bientôt digne d'une reine.

Ces prévenances pour la gouvernante de ses enfants causaient aussi, pour leur part, les larmes de madame de Montespan, sentant par instinct les dangers de sa position, entre le goût qui poussait le roi vers madame de Soubise et la faveur envahissante de madame de Maintenon. Dans sa correspondance adressée à sa fille, madame de Sévigné fait marcher de front ce qui concerne ces trois femmes, et si, par elle, nous ne savons pas toujours avec vérité ce qui en était, au moins savons-nous bien ce qui paraissait et ce qu'on en croyait.

A chaque pas on voit se dessiner mieux l'évolution habilement conduite par madame de Maintenon, soigneuse de s'éloigner de ses anciens amis, en vue et par pressentiment de sa prochaine fortune, dont les approches semblent troubler cette raison que l'on croyait si solide. «Madame de Maintenon, dit à ce propos madame de Sévigné, est toujours à Maintenon avec Barillon et la Tourte316: elle a prié d'autres gens d'y aller; mais celui que vous disiez autrefois qui vouloit faire trotter votre esprit, et qui est le déserteur de cette cour, a répondu fort plaisamment qu'il n'y avoit point présentement de logement pour les amis, qu'il n'y en avoit que pour les valets. Vous voyez de quoi on accuse cette bonne tête: à qui peut-on se fier désormais? Il est vrai que sa faveur est extrême, et que l'ami de Quanto en parle comme de sa première ou seconde amie. Il lui a envoyé un illustre (le Nôtre) pour rendre sa maison admirablement belle. On dit que MONSIEUR y doit aller, je pense même que ce fut hier, avec madame de Montespan: ils devaient faire cette diligence en relais, sans y coucher317.» «On prétend, ajoute-t-elle trois semaines après, que cette amie de l'amie (madame de Maintenon) n'est plus ce qu'elle étoit, et qu'il ne faut plus compter sur aucune bonne tête, puisque celle-là n'a pas soutenu le tourbillon de ce bon pays318

Mais, sans analyse et sans commentaire, il va être intéressant et il nous suffira de rapprocher, en un même récit, les divers passages où madame de Sévigné donne à sa fille le bulletin quotidien de cette ondoyante intrigue, de cette comédie de cour à quatre personnages, où madame de Montespan lutte héroïquement par le sourire et par les larmes, afin de disputer le cœur du roi à l'attrait platonique de madame de Maintenon, et sa personne aux très-vulgaires desseins de la princesse de Soubise.

«(2 septembre 1676.) – La vision de madame de Soubise a passé plus vite qu'un éclair; tout est raccommodé. On me mande que l'autre jour, au jeu, Quanto avoit la tête appuyée familièrement sur l'épaule de son ami; on crut que cette affectation étoit pour dire: Je suis mieux que jamais. Madame de Maintenon est revenue de chez elle; sa faveur est extrême319

«(4 septembre.) —Quanto n'a point été un jour à la comédie, ni joué deux jours. On veut tout expliquer: on trouve toutes les dames belles, c'est qu'on est trop fin: la belle des belles est gaie, c'est un bon témoignage. Madame de Maintenon est revenue; elle promet à madame de Coulanges un voyage pour elle toute seule; elle l'attend fort patiemment à Livry (où se trouve la marquise de Sévigné); elle a mille complaisances pour moi320

«(11 septembre.) – Tout le monde croit que l'étoile de Quanto pâlit. Il y a des larmes, des chagrins naturels, des gaietés affectées, des bouderies; enfin, ma chère, tout finit. On regarde, on observe, on s'imagine, on croit voir des rayons de lumière sur des visages que l'on trouvoit indignes, il y a un mois, d'être comparés aux autres: on joue fort gaiement, quoique la belle garde sa chambre. Les uns tremblent, les autres rient, les uns souhaitent l'immutabilité, la plupart un changement de théâtre; enfin voici le temps d'une crise digne d'attention, à ce que disent les plus clairvoyants321

 

«(14 septembre.) – Madame de Coulanges (alors à Versailles) me mande, et d'autres aussi, que madame de Soubise est partie pour aller à Lorges; ce voyage fait grand honneur à sa vertu. On dit qu'il y a eu un bon raccommodement, peut-être trop bon322

«(16 septembre.) – Madame de Soubise est partie avec beaucoup de chagrin, craignant bien qu'on ne lui pardonne pas l'ombre seulement de sa fusée: car ce fut une grande boucle tirée lorsque l'on y pensoit le moins qui mit l'alarme au camp. Je vous en dirai davantage quand j'aurai vu Sylphide (madame de Coulanges323).»

«(30 septembre.) – Tout le monde croit que l'ami n'a plus d'amour, et que Quanto est embarrassée entre les conséquences qui suivroient le retour des faveurs, et le danger de n'en plus faire, crainte qu'on n'en cherche ailleurs. D'un autre côté le parti de l'amitié n'est point pris nettement: tant de beauté encore et tant d'orgueil se réduisent difficilement à la seconde place. Les jalousies sont vives; mais ont-elles jamais rien empêché? Il est certain qu'il y a eu des regards, des façons pour la bonne femme (madame de Soubise); mais, quoique tout ce que vous dites soit parfaitement vrai, elle est une autre, et c'est beaucoup324. Bien des gens croient qu'elle est trop bien conseillée pour lever l'étendard d'une telle perfidie, avec si peu d'apparence d'en jouir longtemps; elle seroit précisément en butte à la fureur de Quanto; elle ouvriroit le chemin à l'infidélité, et serviroit comme d'un passage pour aller à d'autres plus jeunes et plus ragoûtantes: voilà mes réflexions, chacun regarde, et l'on croit que le temps découvrira quelque chose. La bonne femme a demandé le congé de son mari (il servait à l'armée de Flandre) et, depuis son retour, elle ne se montre ni parée, ni autrement qu'à l'ordinaire325

«(2 octobre.) – Madame de Maintenon vint hier voir madame de Coulanges (qui relevait de maladie à Bâville); elle témoigna beaucoup de tendresse à cette pauvre malade, et bien de la joie de sa résurrection. L'ami et l'amie avoient été tout hier ensemble: la femme (la reine) étoit venue à Paris. On dîna ensemble, on ne joua point en public. Enfin la joie est revenue, et tous les airs de jalousie ont disparu… Les humeurs sont adoucies; et enfin ce que l'on mande aujourd'hui n'est plus vrai demain: c'est un pays bien opposé à l'immutabilité326

«(7 octobre.) – La vision de la bonne femme passe à vue d'œil, mais sans croire qu'il y ait plus autre chose que la crainte qui attache à Quanto… Madame de Soubise est allée voir son mari malade en Flandre: cela me plaît327

«(15 octobre). – … Si Quanto avoit bridé sa coiffe à Pâques de l'année qu'elle revint à Paris, elle ne seroit pas dans l'agitation où elle est: il y avoit du bon esprit à prendre ce parti; mais la faiblesse humaine est grande; on veut ménager des restes de beauté; cette économie ruine plutôt qu'elle n'enrichit. La bonne femme est en Flandre: cela ferme la bouche328

«(16 octobre.) – Madame de Soubise est revenue de Flandre; je l'ai vue et lui ai rendu une visite qu'elle me fit à mon retour de Bretagne. Je l'ai trouvée fort belle, à une dent près, qui lui fait un étrange effet au-devant de la bouche; son mari est en parfaite santé et fort gai329…»

«(21 octobre.) – Madame de Soubise a paru avec son mari, deux coiffes et une dent de moins, à la cour; de sorte que l'on n'a pas le mot à dire. Elle avoit une de ses dents de devant un peu endommagée; ma foi, elle a péri, et l'on voit une place comme celle du gros abbé (le Camus de Pontcarré, aumônier du roi) dont elle ne se soucie guère davantage; c'est pourtant une étrange perte330

«(6 novembre.) – Madame de Coulanges vient de me mander que, du jour d'hier, la dent avoit paru arrachée: si cela est, vous aurez très-bien deviné qu'on n'aura point de dent contre elle331

C'est par cette pointe d'un goût qui ne lui est pas habituel, que madame de Sévigné termine l'histoire alors cachée de la princesse de Soubise. Depuis, les mémoires contemporains ont parlé. Ce n'était, certes, point là une vision, comme le disait tout à l'heure madame de Sévigné. Mais le cœur entra pour fort peu dans cette liaison, dont le plaisir, d'une part, et, de l'autre, les calculs les plus intéressés, formaient tout l'objet.

Madame de Caylus et Saint-Simon se sont expliqués sur ce mystérieux épisode de la vie galante de Louis XIV, d'une façon qui ne laisse rien dans le doute et l'obscurité. «Madame de Montespan, dit la première, découvrit cette intrigue par l'affectation que madame de Soubise avoit de mettre certains pendants d'oreilles d'émeraudes, les jours que M. de Soubise alloit à Paris. Sur cette idée, elle observa le roi, le fit suivre, et il se trouva que c'étoit effectivement le signal du rendez-vous. Madame de Soubise avoit un mari qui ne ressembloit pas à celui de madame de Montespan, et pour lequel il falloit avoir des ménagements. D'ailleurs madame de Soubise étoit trop solide pour s'arrêter à des délicatesses de sentiment que la force de son esprit ou la froideur de son tempérament lui faisoit regarder comme des faiblesses honteuses. Uniquement occupée des intérêts et de la grandeur de sa maison, tout ce qui ne s'opposoit pas à ses vues lui étoit indifférent. Pour juger si madame de Soubise s'est conduite selon ces maximes, il suffit de considérer l'état présent de cette maison et de la comparer à ce qu'elle étoit quand elle y est entrée. A peine M. de Soubise avoit-il alors six mille livres de rente.

«… Pour dire la vérité, je crois que madame de Soubise et madame de Montespan n'aimoient guère plus le roi l'une que l'autre: toutes deux avoient de l'ambition, la première pour sa famille, la seconde pour elle-même. Madame de Soubise vouloit élever sa maison et l'enrichir; madame de Montespan vouloit gouverner et faire sentir son autorité. Mais je ne pousserai pas plus loin ce parallèle; je dirai seulement que, si l'on en excepte la beauté et la taille, qui pourtant n'étoient en madame de Soubise que comme un beau tableau ou une belle statue, elle ne devoit pas disputer un cœur avec madame de Montespan. Son esprit, uniquement porté aux affaires, rendoit sa conversation froide et plate; madame de Montespan, au contraire, rendoit agréables les matières les plus sérieuses, et ennoblissoit les plus communes; aussi je crois que le roi n'a jamais été fort amoureux de madame de Soubise, et que madame de Montespan auroit eu tort d'en être inquiète332

Saint-Simon n'aime pas la maison de Soubise; il en veut à sa récente princerie: c'est dire de quel ton il parle de l'habile et peu scrupuleuse femme qui, pour grandir les siens, consentit à être une maîtresse d'occasion, n'éprouvant pas plus d'amour qu'elle n'en inspirait, et comment il qualifie le complaisant époux, trop satisfait des profits qu'attirait la faveur royale pour s'inquiéter des moyens employés à l'acquérir. Saint-Simon a connu les récits faits par la marquise de Sévigné, de cette chute progressive de madame de Montespan, de la marche ascendante de madame de Maintenon, et de l'intermède de madame de Soubise. «La fortune, pour n'oser nommer ici la Providence (dit-il au moment de sa plus grande bile contre madame de Maintenon) fortifia de plus en plus le goût du roi pour cette femme adroite et experte au métier, que les jalousies continuelles de madame de Montespan rendaient encore plus solide par les sorties fréquentes que son humeur aigrie lui faisait faire sans ménagement sur le roi et sur elle; et c'est ce que madame de Sévigné sait peindre si joliment en énigmes, dans ses lettres à madame de Grignan, où elle l'entretient quelquefois de ces mouvements de cour, parce que madame de Maintenon avait été à Paris assez de la société de madame de Sévigné, de madame de Coulanges, de madame de la Fayette, et qu'elle commençait à leur faire sentir son importance. On y voit aussi, dans le même goût, des traits charmants sur la faveur voilée mais brillante de madame de Soubise333

Madame de Montespan néanmoins avait encore tous les dehors, toutes les allures et les prérogatives d'une maîtresse en titre. Son règne agité se manifestait par des signes où l'on reconnaissait les intermittences de l'amour du roi, tantôt refroidi et infidèle, et tantôt subjugué, comme aux meilleurs jours, par tant de beauté, de rare esprit et de charme voluptueux. Madame de Montespan était, en outre, la mère d'enfants que Louis XIV aimait tendrement. Le roi la traitait donc toujours avec une considération qui retenait les courtisans, trop enclins à délaisser les anciennes idoles pour en encenser de nouvelles. Aussi vit-on alors deux hommes de cour émérites lutter entre eux, pour offrir à la favorite menacée mais encore régnante des marques d'ingénieuse galanterie.

«M. de Langlée (dit madame de Sévigné dans une lettre charmante et souvent reproduite) a donné à madame de Montespan une robe d'or sur or, rebrodé d'or, rebordé d'or, et par-dessus un or frisé, rebroché d'un or mêlé avec un certain or, qui fait la plus divine étoffe qui ait jamais été imaginée: ce sont les fées qui ont fait cet ouvrage en secret; âme vivante n'en avoit connaissance. On la voulut donner aussi mystérieusement qu'elle avoit été fabriquée. Le tailleur de madame de Montespan lui apporta l'habit qu'elle lui avoit ordonné, il en avoit fait le corps sur des mesures ridicules: voilà des cris et des gronderies comme vous pouvez le penser; le tailleur dit en tremblant: «Madame, comme le temps presse, voyez si cet autre habit que voilà ne pourroit point vous accommoder, faute d'autre.» On découvrit l'habit: – Ah! la belle chose! ah! quelle étoffe! vient-elle du ciel? Il n'y en a point de pareille sur la terre. On essaye le corps; il est à peindre. Le roi arrive; le tailleur dit: «Madame, il est fait pour vous.» On comprend que c'est une galanterie; mais qui peut l'avoir faite? C'est Langlée, dit le roi: C'est Langlée, assurément, dit madame de Montespan; personne que lui ne peut avoir imaginé une telle magnificence: c'est Langlée, c'est Langlée: tout le monde répète: C'est Langlée; les échos en demeurèrent d'accord, et disent, c'est Langlée; et moi, ma fille, je vous dis, pour être à la mode, C'est Langlée334

C'était là un hommage de joueur souvent heureux au jeu du roi. Voici un cadeau d'un autre genre fait par un second joueur plus constamment heureux encore. «Dangeau (mande, à quelques jours de là, madame de Sévigné à sa fille) a voulu faire des présents aussi bien que Langlée: il a commencé la ménagerie de Clagny335: il a ramassé pour deux mille écus de toutes les tourterelles les plus passionnées, de toutes les truies les plus grasses, de toutes les vaches les plus pleines, de tous les moutons les plus frisés, de tous les oisons les plus oisons, et fit hier passer en revue tout cet équipage comme celui de Jacob, que vous avez dans votre cabinet de Grignan336

Ce qu'écrivait la plupart du temps madame de Sévigné était uniquement par ouï-dire, car elle allait rarement à la cour, et à cause de son âge, et à cause du peu de faveur qu'elle y trouvait, quoiqu'elle n'y rencontrât que des gens bien disposés pour elle, et tout au moins inoffensifs. Ses amitiés vives et fidèles étaient ailleurs, et celles-ci étaient peu faites pour rompre cette glace de politesse, mêlée de considération et d'une certaine crainte de sa plume, qui l'accueillait dans le cercle royal. Nous avons dit ce que n'avaient pas cessé de lui être Fouquet et tous les siens. Sa liaison intime avec le cardinal de Retz est bien connue de tous les lecteurs des volumes publiés par M. le baron Walckenaer.

M. Walckenaer337 nous a montré cet ancien héros de la Fronde, occupé à achever la rédaction de ses Mémoires, sorte de confession générale familière aux personnages sur le retour, et dans laquelle, peu indulgent aux péchés des autres, on se pare volontiers des siens, que l'on a soin d'habiller en belles actions, en combinaisons profondes, et en représailles toujours justifiées. On a vu aussi la retraite subite de Retz à Commercy, dans sa jolie maison de Ville-Issey, située près de sa riche abbaye de Saint-Mihiel. Il quittait le monde et ses rares amis, pour faire des économies dans le but de payer ses énormes dettes, bilan de la guerre civile et châtiment du chef de parti, et afin de mettre, comme le lui avait dit Turenne parlant de lui-même, quelque temps entre la vie et la mort. Voulant aussi finir dans l'humilité une carrière commencée dans la dissipation, l'ambition et l'intrigue, Retz s'était démis de ce chapeau de cardinal qu'il avait poursuivi par tant de moyens illégitimes et permis.

307SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 372.
308SÉVIGNÉ, Lettres (10 juillet 1676), t. IV, p. 375.
309Allusion à l'une des féeries du roman d'Amadis de Gaule.
310SÉVIGNÉ, Lettres (29 juillet 1676), t. IV, p. 394.
311SÉVIGNÉ, Lettres (7 août 1676), t. IV, p. 415.
312Même lettre, p. 416.
313SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 432.
314SÉVIGNÉ, Lettres, ibid., p. 429.
315SÉVIGNÉ, Lettres (21 août 1676), t. IV, p. 436.
316M. Monmerqué nous apprend qu'on désignait ainsi mademoiselle de Montgeron. (Note de la lettre citée.)
317SÉVIGNÉ, Lettres (26 août 1676), t. IV, p. 441.
318SÉVIGNÉ, Lettres, ibid., p. 462.
319SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 453.
320SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 455.
321SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 460.
322SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 463.
323SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 467.
324Madame de Grignan objectait sans doute à sa mère les trente ans de madame de Soubise et ses huit enfants.
325SÉVIGNÉ, Lettres, t. V, p. 7.
326SÉVIGNÉ, Lettres, t. V, p. 11.
327SÉVIGNÉ, Lettres, t. V, p. 14 et 19.
328SÉVIGNÉ, Lettres, t. V, p. 20.
329SÉVIGNÉ, Lettres, t. V, p. 30.
330SÉVIGNÉ, Lettres, t. V, p. 34.
331SÉVIGNÉ, Lettres, t. V, p. 53.
332Mémoires de madame de Caylus, coll. Michaud, t. XXXII, p. 486.
333Sur madame de Soubise conférez Mémoires du duc de Saint-Simon, t. XIII, p. 104. Voir aussi t. II, p. 155-167, 387, 309; t. V, p. 280, 431 et 433; t. VI, p. 151, 436; VII, p. 60; X, p. 219, 258; XI, p. 237; XIII, p. 5; XVIII, p. 4.
334SÉVIGNÉ, Lettres (6 novembre 1676), t. V, p. 54.
335Terre achetée par madame de Montespan.
336T. V, p. 66, lettre du 18 novembre 1676. Dans une lettre du 29 septembre de l'année précédente on trouve le mot de cette comparaison. «Le bon abbé (écrit madame de Sévigné parlant de son oncle de Coulanges) est fort en colère contre M. de Grignan; il espéroit qu'il lui manderoit si le voyage de Jacob a été heureux, s'il est arrivé à bon port dans la terre promise, s'il y est bien placé, bien établi, lui et ses femmes, ses enfants, ses moutons, ses chameaux.» C'était une collection de figurines en cire ou en bois, représentant le voyage du patriarche en Égypte.
337Mémoires, etc., t. V, p. 138, 160-167.