Za darmo

Micah Clarke – Tome III. La Bataille de Sedgemoor

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

– On met l'armée en ligne pour l'attaque, dit Saxon, qui était arrivé à cheval pendant notre entretien. Éclair et tonnerre! A-t-on jamais vu un camp aussi exposé à un assaut. Ah! si j'avais douze cents bons cavaliers, les Pandours de Wessemburg pour une heure seulement! Comme je vous les foulerais aux pieds, jusqu'à ce que leur camp ait l'air d'un champ de blé vert après la grêle.

– Notre cavalerie ne peut-elle pas avancer? Le vieux soldat eut un profond reniflement de dédain.

– Si cette bataille peut être gagnée, il faut qu'elle le soit par notre infanterie. Qu'attendre d'une pareille cavalerie? Tenez vos hommes bien en main, car nous aurons peut-être à soutenir le choc des dragons du Roi. On pourrait nous attaquer de flanc, car nous sommes au poste d'honneur.

– Il y a des troupes à notre droite, répondis-je, en sondant les ténèbres du regard.

– Oui, les bourgeois de Taunton et les paysans de Frame. Notre brigade couvre le flanc gauche. À côté de nous se trouvent les mineurs de Mendip, et je ne pouvais désirer de meilleurs camarades, si leur ardeur ne l'emporte pas sur la prudence. En ce moment, ils sont agenouillés dans la boue.

– Ils ne s'en battront pas plus mal pour cela, remarquai-je, mais voici que les troupes se mettent en marche.

– Oui, oui, dit Saxon, d'un ton joyeux, en tirant son épée et roulant son mouchoir autour de la poignée pour la tenir plus ferme. L'heure est venue! En avant!

Nous partîmes avec grande lenteur et sans bruit à travers l'épais brouillard, nos pieds écrasant la vase du sol détrempé et y glissant.

Malgré toutes les précautions possibles, la marche d'un aussi grand nombre d'hommes ne pouvait se faire sans produire un son sourd et accentué, sous des milliers de pieds en mouvement.

En avant de nous, des taches d'une lumière rougeâtre papillotant à travers le brouillard indiquaient les feux des postes avancés du Roi.

Juste en avant de nous, marchait notre cavalerie formée en une colonne compacte.

Tout à coup, du fond de l'obscurité partit un qui vive retentissant, suivi d'une détonation de carabine, et d'un bruit de galop.

Et sur toute la ligne nous entendîmes crépiter une vive fusillade.

Nous avions atteint la première ligne des avant-postes.

À cette alarme, notre cavalerie chargea en jetant un grand cri et nous la suivîmes aussi vite que nos hommes pouvaient courir.

Nous avions avancé de deux ou trois cents yards sur la lande, et nous entendions très distinctement les coups de clairon du Roi tout près de nous, quand notre cavalerie s'arrêta court, et notre marche en avant fut suspendue.

– Sancta Maria! cria Saxon se portant en avant avec nous pour reconnaître la cause de cet arrêt… Il faut marcher coûte que coûte. Une halte en ce moment, c'est l'échec de notre camisade.

– En avant, en avant, criai-je en même temps que Sir Gervas et en brandissant nos sabres.

– C'est inutile, messieurs! cria un cornette de cavalerie en se tordant les mains. Nous sommes perdus, trahis. Il y a devant nous un fossé large d'au moins vingt pieds, sans un passage à gué.

– Qu'on me fasse de la place pour mon cheval et je vais vous faire voir comment on franchit, s'écria le baronnet en faisant reculer son cheval. Maintenant, mes gars, qui veut sauter?

– Non, monsieur, au nom de Dieu, dit un soldat, en mettant la main sur la bride. Le sergent Sexton vient de faire le saut. Tout est allé au fond, homme et cheval.

– Dans ce cas allons-y voir, dit Saxon en se frayant un passage à travers la foule des cavaliers.

Nous le suivîmes de tout près et nous nous vîmes enfin au bord de la vaste tranchée qui arrêtait notre élan.

Jusqu'à ce jour, il m'a été impossible de résoudre la question qui se présentait à mon esprit.

Était-ce par hasard ou par suite d'une trahison de la part de nos guides, que nous avions ignoré l'existence de ce fossé jusqu'au moment où nous nous trouvâmes près de son bord dans l'obscurité.

Certains disent que le Rhin de Bussex, ainsi qu'on le nomme, n'était ni profond ni large, et que pour cette raison les gens des marais n'en avaient point fait mention, mais que les pluies récentes et continuelles lui avaient donné une dimension inconnue jusqu'alors.

D'autres disent que les guides avaient été trompés par le brouillard et que par suite ils avaient pris une fausse direction, alors que nous eussions pu suivre un autre trajet et tomber ainsi sur le camp du roi sans traverser le fossé.

Quoi qu'il en soit, il était certain que nous l'avions en face de nous, large, noir, menaçant, mesurant bien vingt pieds d'un bord à l'autre, et que le bonnet du malchanceux sergent se voyait encore au milieu, comme un silencieux avertissement à quiconque voudrait tenter un passage à gué.

– Il doit y avoir un passage quelque part, criait Saxon avec emportement. Chaque moment vaut un escadron de cavalerie pour eux. Où est Mylord Grey? Le guide a-t-il été traité comme il le mérite?

– Le Major Hollis a précipité le guide dans la tranchée, répondit le jeune cornette. Mylord Grey a suivi les bords à cheval pour trouver un endroit guéable.

Je pris la pique d'un fantassin et la plongeai dans la vase noire et épaisse, au milieu de laquelle j'entrai jusqu'à la ceinture, en tenant de la main gauche la bride de Covenant.

Nulle part je ne trouvai le fond, nulle part un endroit où le pied pût se poser solidement.

– Holà! mon garçon, cria Saxon, en prenant un soldat par le bras, courez à l'arrière-garde, galopez comme si vous aviez le diable à vos trousses. Amenez deux charrettes à vivres, nous allons voir s'il ne nous est pas possible de faire un pont sur cette infernale bouillie.

– Si quelques-uns de nous pouvaient s'établir à l'autre bord, nous tiendrions ferme jusqu'à ce qu'il vienne de l'aide, dit Sir Gervas, dès que le cavalier fut parti pour accomplir sa mission.

Tout le long de la ligne des rebelles courut un sauvage et sourd grondement de rage, qui prouvait que l'armée entière avait rencontré le même obstacle qui s'opposait à notre attaque.

De l'autre côté du fossé, les tambours battaient.

Les clairons lançaient des sons aigus et l'on entendait distinctement les appels et les jurons des officiers qui rangeaient leurs hommes.

Des lumières mobiles, à Chedzoy, à Weston-zoyland, dans les autres hameaux, à droite et à gauche, montraient avec quelle rapidité l'alarme s'étendait.

Décimus Saxon allait et venait le long du fossé, mâchonnant des jurons étrangers, grinçant des dents en sa fureur, se dressant parfois sur ses étriers pour tendre son poing ganté de fer à l'ennemi.

– Pour qui êtes-vous? cria une voix rauque à travers le brouillard.

– Pour le Roi, hurlèrent les paysans en guise de réponse.

– Pour quel Roi? cria la voix.

– Pour le Roi Monmouth.

– Alors feu sur eux, garçons!

Et aussitôt une pluie de balles sifflèrent, chantèrent à nos oreilles.

À la vue de la nappe de flamme qui jaillissait de l'obscurité, les chevaux affolés, imparfaitement dressés, s'emportèrent, s'élancèrent à toute vitesse à travers la plaine, indociles aux efforts que faisaient leurs cavaliers pour les arrêter.

Certains prétendent, il est vrai, que ces efforts ne furent pas très sérieux, et que nos cavaliers, découragés par l'échec qu'avait causé le fossé, ne furent pas fâchés de tourner les talons à l'ennemi.

Quand à Mylord Grey, je puis dire avec vérité, je le vis à la faible clarté au milieu des escadrons en fuite, et faisant tout ce que peut faire un brave cavalier pour les forcer à s'arrêter.

Mais ils passèrent, ils disparurent, en traversant comme la foudre les rangs de l'infanterie, puis se dispersèrent sur la lande, laissant leurs compagnies subir tout le choc de la bataille.

– Faces contre terre, les hommes! cria Saxon d'une voix qui domina le fracas de la mousqueterie et les cris des blessés.

Les piquiers et les faucheurs se jetèrent également à terre à son commandement! pendant que les mousquetaires, un genou sur le sol en avant d'eux, chargeaient et tiraient sans avoir d'autre point de mire que les mèches allumées des armes de l'ennemi, qu'on voyait scintiller dans les ténèbres.

Sur toute la ligne, de la droite à la gauche, avait éclaté une fusillade continue, par salves courtes et rapides du côté des soldats, par un tir continuel, irrégulier du côté des paysans.

À l'autre aile, nos quatre canons avaient été mis en position, et nous entendions leur sourd et lointain grondement.

– Chantez, frères, chantez, cria notre intrépide chapelain, Maître Josué Pettigrue, courant fort affairé, en tous sens, par les rangs couchés. Invoquez le Seigneur en notre jour d'épreuve!

Les hommes entonnèrent un hymne sonore de louanges qui devint bientôt un chœur unanime, quand s'y ajoutèrent les voix des bourgeois de Taunton à notre droite et des mineurs à notre gauche.

À ce chant, les soldats de l'autre bord répondirent par des cris farouches et l'air s'emplit de clameurs.

Nos mousquetaires avaient été amenés au bord même du Rhin de Bussex.

Les troupes royales s'étaient rapprochées de leur côté autant qu'elles avaient pu le faire, si bien qu'il n'y avait pas cinq longueurs de pique entre les deux lignes.

Et pourtant si infranchissable était cette étroite séparation qu'un quart de mille ne nous eut pas tenus plus à l'écart, excepté que le feu était plus meurtrier.

Nous étions si rapprochés que les bourres enflammées des mousquets de l'ennemi volaient en langues de feu par-dessus nos têtes et que nous sentions sur nos figures un courant d'air chaud passer rapidement à chacune de leurs décharges.

Mais bien que l'atmosphère fût traversée par une véritable pluie de balles, les soldats visant trop haut par dessus nos rangs agenouillés, nous n'eûmes que peu d'hommes d'atteints.

 

De notre côté, nous faisions de notre mieux pour empêcher les hommes de relever trop haut les canons des mousquets.

Saxon, Sir Gervas et moi, nous passions à cheval sans interruption devant la ligne, allant et venant, abaissant les canons avec nos sabres, exhortant les hommes à viser posément, lentement.

Les gémissements et les cris qui partaient de l'autre bord nous prouvèrent que du moins quelques-unes de nos balles n'avaient pas été tirées en vain.

– Nous tenons ferme par ici, dis-je à Saxon. Il me semble que leur feu se ralentit.

– C'est leur cavalerie que je crains, répondit-il, car ils peuvent éviter le fossé, puisqu'ils viennent des hameaux situés sur nos flancs. Ils peuvent tomber sur nous à n'importe quel moment.

– Hallo! monsieur, cria Sir Gervas, en arrêtant son cheval sur l'extrême bord du fossé, et se découvrant pour saluer un officier monté qui était de l'autre côté, pouvez-vous nous dire si nous avons l'honneur de combattre la garde à pied?

– Nous sommes le régiment de Dumbarton, monsieur, cria l'autre. Nous allons vous envoyer de quoi vous souvenir de votre rencontre avec nous.

– Nous allons traverser bientôt pour faire plus ample connaissance répondit Sir Gervas.

Mais au même instant, cheval et cavalier roulèrent dans le fossé, aux cris triomphants des soldats.

Une demi-douzaine de ses mousquetaires s'élancèrent aussitôt dans la vase jusqu'à la taille et tirèrent de danger notre ami, mais sa monture atteinte d'une balle en plein cœur s'effondra sans se débattre.

– Il n'y a pas de mal, s'écria le baronnet, en se relevant. J'aime autant combattre à pied, comme mes braves mousquetaires.

À ces mots les hommes lancèrent une sonore acclamation et de part et d'autre la fusillade redoubla d'activité.

Ce fut un sujet d'admiration pour moi, et aussi pour bien d'autres, que la vue de ces braves paysans qui, la bouche pleine de balles, chargeaient, amorçaient, faisaient feu avec autant de sang-froid que s'ils n'avaient fait autre chose de leur vie, et tenaient tête à un régiment de vétérans qui avaient donné sur d'autres champs de bataille la preuve qu'il n'était inférieur à aucun des régiments anglais.

La lueur grise de l'aube se glissait sur la lande, et la lutte était encore indécise.

Le brouillard était suspendu au-dessus de nous en lambeaux effilochés, et la fumée de nos mousquets s'en allait en nuage brun, à travers lequel les longues lignes d'habits rouges se dessinaient de l'autre côté du Rhin pareilles à un bataillon de géants.

J'avais les yeux cuisants, les lèvres desséchées par la saveur de la poudre.

De tous côtés, mes hommes tombaient plus nombreux, car le surplus de lumière avait rendu le tir des soldats plus précis.

Notre bon chapelain interrompit son psaume au beau milieu pour lancer à tue-tête une phrase de louanges et d'action de grâces, et ce fut ainsi qu'il trépassa, en compagnie de ses paroissiens qui gisaient autour de lui sur la lande.

Williams Mon-Espoir-est-au-Ciel et le garde-chasse Wilson, parmi les sous-officiers et les plus vaillants des hommes de la compagnie, étaient tous deux à terre, l'un mort, l'autre grièvement blessé, ce qui ne l'empêchait pas d'enfoncer la baguette du fusil et de cracher des balles dans le canon.

Les deux Stukeley, de Somerton, jumeaux d'un bel avenir, étaient étendus muets, leurs figures livides tournées vers le ciel, unis dans la mort comme à leur naissance.

Partout les morts s'entassaient parmi les vivants.

Et pourtant pas un ne cédait la place et Saxon continuait toujours sa promenade à cheval au milieu d'eux, avec des paroles d'espoir et d'éloge.

Sa figure résolue, aux traits profondément marqués, sa haute taille pleine de vigueur musculaire étaient un véritable phare d'espérance, aux yeux de ces simples campagnards.

Ceux de mes faucheurs, qui pouvaient manier un mousquet, étaient mêlés à la ligne des tireurs, après avoir pris les armes et les munitions des hommes tombés.

La lumière croissait graduellement.

À travers les intervalles dans la fumée et le brouillard, je pus voir quelle tournure prenait la lutte sur d'autres points du champ de bataille.

À droite, la lande avait pris une teinte brune, celle des hommes de Taunton et de Frome, qui s'étaient couchés comme nous, pour éviter le feu.

Le long des bords du Rhin de Bussex, une ligne épaisse de leurs mousquetaires échangeaient des salves meurtrières, presque à bout portant avec l'aile gauche des régiments même que nous combattions.

Celui-ci était soutenu par un second régiment aux larges revers blancs, qui, je crois, faisait partie de la milice du Comté de Wilts.

Sur chacun des deux bords de la noire tranchée, une dense rangée de cadavres, bruns d'un côté, vêtus d'écarlate de l'autre servait de rideau à leurs camarades, qui s'abritaient derrière elle, et appuyaient les canons de leurs mousquets sur les corps étendus.

À gauche, parmi les osiers, étaient postés cinq cents mineurs de Mendip et de Bagworthy.

Ils chantaient à tue-tête, mais si mal armés qu'ils avaient à peine un mousquet à dix hommes pour répondre au tir qui les assaillait.

Ne pouvant avancer, se refusant à reculer, ils se couvraient du mieux qu'ils pouvaient, et attendaient patiemment que leurs chefs prissent un parti sur ce qu'il y avait à faire.

Plus loin, sur une étendue d'un demi-mille ou davantage, le long nuage flottant de fumée, d'où jaillissaient capricieusement des éclairs, prouvait que nos régiments de recrues faisaient tous bravement leur part de la tâche.

À la gauche, l'artillerie avait cessé son feu.

Les canonniers hollandais avaient laissé les insulaires arranger leurs affaires entre eux.

Ils s'enfuirent jusqu'à Bridgewater, abandonnant leurs pièces à la cavalerie royale.

Tel était l'aspect de la bataille quand un cri se fit entendre:

– Le Roi, le Roi!

Et Monmouth passa à cheval dans nos rangs, la tête nue, les yeux hagards, accompagné de Buyse, de Wade et d'une demi-douzaine d'autres.

Ils s'arrêtèrent à une longueur de pique de moi, et Saxon, jouant de l'éperon pour les rejoindre, leva son épée pour saluer.

Je ne pus m'empêcher de remarquer le contraste que faisait la mine calme et grave du vétéran, réfléchi en même temps que plein de vivacité, avec l'air à moitié égaré de l'homme que nous étions contraints de considérer comme notre chef.

– Qu'en pensez-vous, Colonel Saxon? cria-t-il d'une voix éperdue. Comment marche la bataille? Tout va-t-il bien de votre côté? Quelle erreur, hélas! quelle erreur I Allons-nous battre en retraite? Qu'en dites-vous?

– Nous tenons ferme ici, Majesté, répondit Saxon. M'est avis que si nous avions quelque chose dans le genre des palissades, des chevaux de frise, à l'espagnole, nous pourrions tenir tête même à la cavalerie.

– Oh! la cavalerie! s'écria l'infortuné Monmouth. Si nous nous tirons d'ici, Lord Grey aura des comptes à rendre. Elle s'est sauvée comme un troupeau de mouton. Quel chef pourrait tirer un parti quelconque de pareilles troupes? Ah! malheur! malheur! Ne marcherons-nous pas en avant?

– Il n'y a aucune raison pour avancer, Majesté, maintenant que la surprise a échoué, dit Saxon. J'ai envoyé chercher des charrettes pour faire un pont sur la tranchée, conformément au plan qui est recommandé dans le traité De Vallis et fossis, mais elles sont inutiles pour le moment. Nous ne pouvons que combattre dans la position où nous sommes.

– Jeter des troupes de l'autre côté, ce serait les sacrifier, dit Wade. Nous avons fait de grosses pertes, mais d'après le coup d'œil que présente le bord opposé, je trouve que vous avez arrangé proprement les habits rouges.

– Tenez ferme, au nom de Dieu, tenez ferme! cria Monmouth, d'un ton d'affolement. La cavalerie a fui, l'artillerie aussi. Oh! que faire avec de pareilles gens? Que dois-je faire, hélas! hélas!

Il éperonna son cheval et partit au galop le long de la ligne continuant à se tordre les mains et à pousser ses lugubres lamentations.

Oh! mes enfants, c'est peu de chose, bien peu de chose que la mort, mise en balance contre le déshonneur.

Si cet homme s'était résigné silencieusement à son sort, comme le fit le moindre des fantassins qui avait suivi son drapeau, combien nous aurions été fiers et contents de parler de lui, de notre chef de sang princier.

Mais laissons-le de côté.

Les craintes, les agitations, les menues marques d'émotion bienveillante qui se produisaient à sa vue comme la brise sur l'eau, sont maintenant dissipées pour bien des années.

Ne songeons qu'à son bon cœur et oublions sa faiblesse de caractère.

Pendant que son escorte se formait pour le rejoindre, le grand Allemand se sépara d'elle et revint auprès de nous.

– J'en ai assez d'aller et de venir au trot comme un cheval de manège dans une fête foraine, dit-il. Si je reste avec vous, j'entends avoir une part de tous les combats qui se livreront. Tout doux, ma chérie! Cette balle lui a écorché la queue, mais elle est trop vieux soldat pour faire la grimace pour des bagatelles. Hallo! l'ami, où est votre cheval?

– Au fond du fossé, dit Sir Gervas en raclant avec la lame de son sabre la boue qui couvrait ses habits. Il est maintenant deux heures passées, et voici une bonne heure, que nous nous amusons à ce jeu d'enfants. Et avec un régiment de ligne, encore! Ce n'est pas ce que j'attendais.

– Vous allez avoir bientôt de quoi vous consoler, s'écria l'Allemand, dont les yeux brillèrent. Mein Gott! N'est-ce pas splendide! Regardez-moi cela, ami Saxon, regardez-moi cela.

Ce n'était point un menu détail, ce qui avait éveillé l'admiration du soldat.

Dans la buée épaisse, qui s'étendait sur notre droite, apparurent d'abord quelques rayons de lumière argentée, en même temps qu'un bruit sourd comme un roulement de tonnerre arriva à nos oreilles, comme celui du flot qui assaillit une côte rocheuse.

Les éclairs capricieux de l'acier se firent de plus en plus nombreux.

Le bruit rauque prit une ampleur croissante.

Enfin, tout à coup, ce brouillard s'entr'ouvrit, et on en vit sortir toutes les longues lignes de la cavalerie royale, en vagues successives, richement teintes d'écarlate, de bleu, et d'or, un spectacle aussi grandiose qu'on n'en vit jamais.

Il y avait, dans cette marche mesurée, régulière d'un si nombreux corps de cavalerie, je ne sais quoi qui donnait l'idée d'une puissance irrésistible.

Les rangs succédant aux rangs, les lignes aux lignes, drapeaux flottants, crinières au vent, brillants d'acier, ils se déversaient en avant, formant à eux seuls une armée, dont les ailes étaient encore masquées par le brouillard.

Comme ils s'avançaient avec ce bruit de foudre, se touchant du genou, bride, contre bride, on entendit venir de leur côté une telle bordée de jurons sonores mêlée au bruissement des harnais, au froissement de l'acier, au battement rythmé d'un nombre infini de sabots, qu'à moins d'avoir tenu bon, une simple pique de sept pieds à la main, contre un pareil ouragan, nul ne saurait comprendre combien il est difficile d'y faire face, les lèvres serrées et la main bien ferme.

Mais si merveilleux que fût ce spectacle, nous n'eûmes guère le loisir de le contempler, comme vous le devinez bien, mes chers enfants.

Saxon et l'Allemand se lancèrent parmi les piquiers et firent tout ce que des hommes peuvent faire pour serrer leurs rangs.

Sir Gervas et moi, nous en fîmes autant pour les hommes armés de faux, qui avaient été exercés à se former sur trois rangs, l'un à genoux, le second le corps penché, le troisième debout, les armes en avant.

Près de nous, les gens de Taunton s'étaient rangés en un cercle sombre, farouche, tout hérissé d'acier, au centre duquel on pouvait voir et entendre leur vénérable maire, dont la longue barbe flottait au vent, dont la voix perçante retentissait sur le champ de bataille.

Le grondement de la cavalerie devenait de plus en plus fort.

– Tenez ferme, mes braves garçons, cria Saxon d'une voix claironnante. Plantez en terre le bout de la pique. Appuyez-la sur le genou droit. Ne cédez pas d'un pouce. Ferme!

Une grande clameur partit des deux côtés, et alors la vague vivante s'abattit sur nous.

Comment espérer de décrire une pareille scène?

Le craquement du bois, les cris brefs, haletants, le renâclement des chevaux, le choc du sabre lancé à tour de bras sur la pique.

Comment espérer qu'on pourra faire voir à autrui ce dont on n'emporte soi-même qu'une impression aussi vague et aussi confuse?

Quiconque a joué ce rôle dans une scène pareille ne se fait aucune idée générale de tout le combat, ainsi que le pourrait un simple spectateur, mais en sa mémoire se gravent les quelques détails que le hasard lui met directement sous les yeux.

 

C'est ainsi qu'il n'est resté en mes souvenirs qu'un tourbillon de fumée, où se montrent brusquement des casques d'acier, des faces farouches, expressives, des naseaux rouges et béants de chevaux dont les pieds de devant battent l'air, comme pour éviter le tranchant des armes.

Je vois aussi un jeune homme imberbe, un officier de dragons, rampant sûr les mains et les genoux jusque sous les faux, et j'entends le gémissement qu'il jette quand un des paysans le cloue à terre.

Je vois un soldat barbu à grosse figure, monté sur un cheval gris et courant le long de la rangée de piques, y cherchant une brèche, et poussant des cris de rage.

Dans de telles circonstances, ce sont les menus détails qui s'impriment dans l'esprit.

Je remarquai même les grosses dents blanches et les gencives rouges de ces hommes.

En même temps, je vis un homme à figure pâle, aux lèvres minces, qui se penchait sur la crinière de son cheval et me lançait un coup de pointe, en jurant comme un dragon seul sait le faire.

Toutes ces images se mettent en mouvement, dès que je songe à cette charge furieuse, pendant laquelle je m'escrimai d'estoc et de taille sur les hommes, sur les chevaux sans songer à parer, ni à me tenir en garde.

De tous côtés s'entendait un vacarme babélique de clameurs, de cris brefs, de pieuses exclamations parmi les paysans, de jurons parmi les cavaliers, mais par-dessus tout cela on discernait la voix de Saxon suppliant ses piquiers de tenir ferme.

Puis, le nuage de cavaliers recula et pivota à travers la plaine.

Le cri de triomphe de mes camarades, et une tabatière, qui me fut présentée ouverte, annoncèrent que nous avions fait tourner le dos aux escadrons les plus solides qui aient jamais suivi un timbalier.

Mais si nous pouvions compter cela comme un succès, l'armée, dans son ensemble n'était guère en mesure d'en dire autant.

L'élite des troupes avait seul pu résister au flot de grosse cavalerie des cuirassiers.

Les paysans de Frome avaient été entièrement balayés du champ de bataille.

Un grand nombre, cédant par le seul effet du poids et de la pression, avaient été jetés dans la vase fatale qui avait arrêté notre marche en avant.

Beaucoup d'autres, cruellement sabrés, entaillés, gisaient en monceaux affreux à voir sur tout le terrain qu'ils avaient gardé.

Un petit nombre avait échappé au sort de leurs compagnons en se joignant à nous.

Plus loin, les gens de Taunton résistaient toujours, mais bien affaiblis en nombre.

Un long entassement de chevaux et de cavaliers en avant de nous témoignaient de la vivacité de l'attaque et de l'obstination dans la résistance.

À notre gauche, les sauvages mineurs avaient été rompus par le premier choc, mais ils s'étaient battus avec tant de fureur, en se jetant à terre et éventrant les chevaux, par des coups de couteau dirigés en haut, qu'ils avaient enfin fait reculer les dragons.

Mais les miliciens du Comté de Devon avaient été dispersés et avaient subi le sort des gens de Frome.

Pendant toute l'attaque, l'infanterie, postée sur l'autre bord du Rhin de Bussex, n'avait cessé de faire pleuvoir sur nous les balles, et nos mousquetaires, obligés de se défendre contre la cavalerie, n'étaient pas en mesure de riposter.

Il ne fallait pas une grande expérience militaire pour voir que la bataille était perdue et la cause de Monmouth condamnée.

Il faisait déjà grand jour, bien que le soleil ne fût pas encore levé.

Notre cavalerie avait disparu, notre artillerie était muette, notre ligne percée en mains endroits, et plus d'un de nos régiments détruit.

Sur le flanc droit, la cavalerie bleue de la Garde, la cavalerie de Tanger, et deux régiments de dragons se formaient pour une nouvelle attaque.

Sur le flanc gauche, les gardes à pied avaient jeté un pont sur le fossé et se battaient corps à corps avec les hommes du Somerset septentrional.

En face de nous, on entretenait une fusillade continue, à laquelle nous ripostions d'une façon faible et indécise, car les chariots de poudre s'étaient égarés dans l'obscurité, et bien des hommes s'égosillaient à demander des munitions.

D'autres chargeaient avec de petits cailloux, faute de balles.

Ajoutez à cela que les régiments, qui avaient conservé leur terrain, avaient été fortement entamés par la charge, et avaient perdu un tiers de leur effectif.

Cependant les braves paysans persistaient à faire succéder les acclamations aux acclamations, à s'encourager mutuellement par de grosses plaisanteries, comme si une bataille n'était qu'un jeu un peu rude où l'on trouve tout naturel de continuer la partie tant qu'il reste quelqu'un pour y jouer son rôle.

– Le Capitaine Clarke est-il ici? cria Décimus Saxon, arrivant, le bras droit taché de sang. Courez auprès de Sir Stephen Timewell, et dites-lui de réunir ses hommes aux nôtres. Séparément, nous serons rompus. Ensemble nous pourrons repousser une autre charge.

J'éperonnai Covenant et je me dirigeai vers nos compagnons, pour leur transmettre l'ordre.

Sir Stephen, qui avait été atteint par la balle d'un pétrinal et avait un mouchoir tout rougi sur sa tête blanche comme la neige, comprit la sagesse de cet avis et fit marcher ses compatriotes du côté indiqué.

Ses mousquetaires, mieux pourvus de poudre que les nôtres, firent de bonne besogne en arrêtant quelque temps la fusillade meurtrière qui partait de l'autre bord.

– Qui l'aurait cru capable de cela? s'écria Sir Stephen, les yeux flamboyants, lorsque Buyse et Saxon arrivèrent à sa rencontre. Qu'est-ce que vous pensez maintenant de notre noble monarque, de notre champion de la cause protestante.

– Ce n'est pas un très grand homme de guerre, dit Buyse, mais peut-être que cela vient du défaut d'habitude plutôt que du manque de courage.

– Courage? cria le vieux Maire, d'un ton de dédain. Regardez par là-bas, regardez-le votre Roi.

Et il montra la lande, d'un geste de sa main que la colère plus encore que l'âge faisait trembler.

Là-bas bien loin, mais fort visible sur le terrain qui avait la teinte foncée de la tourbe, fuyait un cavalier au costume pimpant, suivi d'une troupe d'autres cavaliers, lancé au galop le plus rapide qui pût l'éloigner du champ de bataille.

Impossible de s'y tromper: c'était le lâche Monmouth.

– Chut, s'écria Saxon, entendant notre cri unanime d'horreur et de malédiction, ne décourageons pas nos braves jeunes gens! La lâcheté est contagieuse. Elle gagnera toute une armée aussi vite que la fièvre putride.

– Le lâche! cria Buyse en grinçant des dents. Et ces braves campagnards! C'en est trop.

– Tenez bien vos piques, mes hommes, cria Saxon d'une voix tonnante.

Nous eûmes à peine le temps de former notre carré et de nous jeter à l'intérieur que le tourbillon de cavalerie bondit de nouveau sur nous.

Au moment où les gens de Taunton s'étaient réunis à nous, il s'était produit un point faible dans nos rangs, et ce fut par cette ouverture qu'en un instant les gardes bleus se frayèrent passage en écrasant tout, en frappant avec fureur à droite et à gauche.

D'un côté les bourgeois, et nous de l'autre, nous ripostâmes par de violents coups de piques et de faux qui firent vider les arçons à plus d'un homme, mais au plus fort de la mêlée, l'artillerie royale ouvrit le feu pour la première fois avec un bruit de tonnerre, sur l'autre bord du Rhin, et un ouragan de boulets laboura nos rangs compacts, en traçant des sillons de morts et de blessés.

En même temps un grand cri: «De la poudre! au nom du Christ, de la poudre!» partit des rangs des mousquetaires, qui avaient brûlé leur dernière charge.

Le canon gronda de nouveau, et nos hommes furent de nouveau moissonnés.

On eût dit que la mort en personne promenait sa faux parmi nous.

À la fin, nos rangs se rompaient.

Au milieu même des piqueurs, brillaient des casques d'acier.

Les sabres se levaient et retombaient.

Toute la troupe fut obligée de reculer, d'au moins deux cents pas, sans cesser de lutter furieusement, et alors elle se mêla à d'autres corps auxquels le choc avait fait perdre toute apparence d'ordre militaire.