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Micah Clarke – Tome II. Le Capitaine Micah Clarke

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«Qu'ils ne se passent point en pure perte!

«Leur nombre est bien petit.

«Que dit Pétrarque?: À celui qui y entre, la vie parait l'infini; à celui qui la quitte, le néant.

«Que chaque jour, chaque heure soient employés à seconder les vues du Créateur, à mettre en œuvre toutes les puissances du bien qui sont en vous.

«Qu'est-ce que la douleur, le travail, le chagrin?

«C'est le nuage qui passe devant le soleil. Ce qui est tout, c'est le résultat de l'œuvre bien faite.

«Il est éternel; il vit et s'accroît de siècle en siècle.

«Ne vous arrêtez pas pour vous reposer.

«Le repos viendra quand sera achevée l'heure du travail.

«Que Dieu vous protège et vous garde!

«Il n'y a pas grand-chose de nouveau.

«La garnison de Portsmouth est partie pour l'Ouest.

«Sir John Lawson, le magistrat, est venu ici et a fait des menaces à votre père et à d'autres, mais il ne peut faire grand-chose faute de preuves.

«L'Église et les Dissenters se prennent à la gorge, comme toujours.

«Vraiment l'austère Loi de Moïse règne plus longtemps que les douces paroles du Christ.

«Adieu, mon cher garçon, recevez les meilleurs souhaits de votre ami à la tête grisonnante.

«ZACHARIE PALMER»

– Corbleu! s'écria Sir Gervas, pendant que je repliais la lettre, j'ai entendu Stillingfleet et Tenison, mais je n'ai jamais écouté un meilleur sermon. Celui-là, c'est un évêque déguisé en charpentier. Mais voyons notre ami le marin. Est-ce un théologien en droit, un docteur en droit canon parmi les loups de mer?

– Salomon Sprent est un personnage tout différent, bien qu'il soit fort bon en son genre, dis-je, mais vous allez juger de lui par sa lettre.

– Maître Clarke.

«La dernière fois que nous fûmes de compagnie, j'ai couru sous les batteries, en service d'enlèvement, pendant que vous restiez au large et attendiez les signaux.

«M'étant arrêté pour me radouber et passer l'examen de ma prise, qui s'est trouvée être en bonne condition pour le gréement et la charpente…

– Que diable veut-il dire? demanda Sir Gervas.

– C'est d'une demoiselle qu'il parle, Phébé Dawson, la sœur du forgeron. Il est resté pendant plus de quarante ans presque sans mettre le pied sur la terre ferme. Aussi s'exprime-t-il en ce jargon maritime, tout en s'imaginant qu'il parle un anglais aussi pur que n'importe qui dans le Hampshire.

– Alors, continuez, dit le baronnet.

«Lui ayant lu les règlements de guerre, je lui ai expliqué les conditions d'après lesquelles nous devions naviguer de conserve dans le voyage de la vie, savoir:

«Premièrement: elle obéira aux signaux sans faire de questions, dès qu'ils seront reçus.

«Deuxièmement: elle gouvernera d'après mon calcul.

«Troisièmement: elle me soutiendra en fidèle navire de conserve, qu'il fasse mauvais temps, ou dans la bataille, ou dans le naufrage.

«Quatrièmement: elle se mettra à l'abri sous mes canons, en cas d'attaque par des bandits, corsaires, ou garde-côtes.

«Cinquièmement: j'aurai à la tenir en bon état, à la mettre en cale sèche de temps en temps, et pourvoir à ce qu'elle soit bien repeinte, approvisionné de parois, d'étamine, ainsi qu'il convient pour un coquet navire d'agrément.

«Sixièmement: je m'interdirai de prendre à la remorque aucun autre bateau, et s'il s'en trouve un qui me soit amarré présentement, je couperai les aussières.

«Septièmement: je devrai la ravitailler chaque jour.

«Huitièmement: si par hasard elle venait à avoir une voie d'eau, ou à se trouver échouée et prisonnière dans un banc de sable, j'aurai à la soutenir, la vider avec la pompe, et la redresser.

«Neuvièmement: arborer le pavillon protestant à la pomme du grand mât pendant la traversée de la vie, et tracer notre route vers le grand port, avec l'espoir de rencontrer un amarrage et un fond propre à jeter l'ancre, pour deux navires de construction anglaise, quand ils seront désarmés pour l'éternité.

«Le huitième coup du quart de midi allait sonner quand ces articles ont été signés et scellés.

«Ensuite, lorsque j'ai piqué sur vous, je n'ai pas seulement aperçu le bout de notre hunier.

«Bientôt après, j'ai appris que vous étiez parti pour servir comme soldat, en compagnie de ce bâtiment efflanqué, dégingandé, aux longs espars, à la mine de corsaire, que j'avais vu quelques jours auparavant dans le village.

«Je trouve que vous ne vous êtes pas trop bien conduit envers moi, en partant sans même me saluer de votre pavillon.

«Mais peut-être que la marée était favorable, et que vous ne pouviez pas attendre.

«Si je n'avais pas été affligé d'un mât de fortune, un de mes espars coupé, j'aurais eu le plus grand plaisir à ceindre mon sabre d'abordage et à sentir encore la poudre à canon.

«Et je le ferais encore, malgré ma patte de bois et le reste, sans mon vaisseau compagnon, qui pourrait se plaindre de la violation du contrat et dès lors s'esquiver.

«Il faut que je suive le feu de sa poupe jusqu'au jour où nous serons légalement unis.

«Adieu, matelot!

«Dans l'action, suivez le conseil d'un vieux marin, gardez la position du vent, et à l'abordage!

«Dites cela à votre amiral le jour de la bataille.

«Dites-le lui tout bas, à l'oreille.

«Dites-lui: gardez la position du vent et allez-y: à l'abordage.

«Dites-lui aussi qu'il frappe vite, qu'il frappe fort, qu'il frappe toujours.

«C'est ainsi que parlait Christophe Minga, et jamais on ne mit à la mer un homme meilleur, bien qu'il ait eu à grimper à travers le tuyau à aussière.

«Bien à vous et à vos ordres.

«SALOMON SPRENT»

Pendant toute la lecture de cette épître, Sir Gervas n'avait fait que rire en dedans, mais la dernière partie nous fit rire aux éclats.

– Qu'il soit à terre ou à bord, il veut absolument que toute bataille soit un combat naval, dit le baronnet. Il aurait fallu que vous eussiez ce sage conseil à proposer dans la réunion convoquée aujourd'hui par Monmouth. Si jamais il vous demande votre avis, répondez-lui: «Gardez la position du vent et montez à l'abordage!»

– Il faut que je dorme, dis-je en posant ma pipe. Je dois me mettre en route dès la pointe du jour.

– Non, je vous en prie, mettez le comble à votre bonté en me permettant d'entrevoir votre respectable père, la Tête-Ronde.

– Il n'y a que quelques lignes, répondis-je. Il a toujours été bref dans son langage, mais puisqu'elles vous intéressent, je vais vous le lire:

«Je vous envoie la présente, mon cher fils, par un homme pieux, pour vous dire que j'espère que vous vous comportez ainsi qu'il vous convient.

«Dans toutes les difficultés et tous les dangers, ne comptez pas sur vous, mais invoquez l'aide d'en haut.

«Si vous exercez un commandement, enseignez à vos hommes à chanter des psaumes au moment où ils se rangent en bataille, selon la bonne vieille coutume.

«Dans l'action, usez de la pointe plutôt que du tranchant.

«Un coup d'estoc doit parer un coup de taille.

«Votre mère et les autres vous envoient leur affection.

«Sir John Lawson a tourné autour d'ici comme un loup affamé, mais il n'a pu trouver aucune preuve contre moi.

«John Marchbank, de Bedhampton, a été jeté en prison.

«Véritablement l'Antéchrist règne sur le pays, mais le royaume de la lumière est proche.

«Frappez avec entrain pour la vérité et la conscience.

«Votre père affectueux,

«JOSEPH CLARKE»

«Post-scriptum (de ma mère): J'espère que vous vous rappelez ce que je vous ai dit au sujet de vos caleçons et aussi des larges collets de toile, que vous trouverez dans le sac.

«Il n'y a guère plus d'une semaine que vous êtes parti, et pourtant cela paraît une année.

«Quand vous aurez froid ou que vous serez mouillé, prenez dix gouttes de l'élixir de Daffy dans un petit verre d'eau de vie.

«Si les pieds vous cuisent, frottez le dedans de vos bottes avec du suif.

«Rappelez-moi à Maître Saxon, et à Maître Lockarby, s'il est avec vous.

«Son père a été dans une rage folle par suite de son départ, car il avait à brasser une grande quantité de bière et personne pour surveiller la cuve à fermentation.

«Ruth a fait cuire un gâteau, mais le four lui a joué un mauvais tour, et le dedans est resté en pâte molle.

«Un millier de baisers, cher cœur, de la part de votre tendre mère.

«M. C.»

– Un couple de gens sensés, dit Sir Gervas qui, après avoir achevé sa toilette, s'était mis au lit. Maintenant je commence à comprendre comment vous êtes fabriqué, Clarke. Je vois les fils dont on s'est servi pour vous tisser. Votre père veille à vos besoins spirituels; votre mère se préoccupe des besoins matériels. Mais je crois que le prêche du vieux charpentier est plus à votre goût. Vous êtes un infâme latitudinaire, mon homme. Sir Stephen crierait haro sur vous et Josué Pettigrue vous renierait. Bon! éteignons la lumière, car nous devons tous les deux être en mouvement au chant du coq. Voilà notre religion pour le moment.

– Celle des premiers Chrétiens, suggérai-je.

Sur quoi on rit tous les deux.

Puis, on s'endormit.

VIII – Le piège tendu sur la route de Weston

Aussitôt après le lever du soleil, je fus réveillé par un des domestiques du Maire qui me prévint que l'honorable Maître Wade m'attendait en bas.

M'étant levé et habillé, je le trouvai assis à la table du salon, avec des papiers, une boîte de pains à cacheter, et occupé à sceller la missive que je devais porter.

C'était un homme de petite taille, vieilli, à la figure blême, se tenant très droit, brusque dans son langage, et dont la tournure faisait songer à un soldat plutôt qu'à un homme de loi.

 

– Voilà, dit-il en appuyant le cachet sur la cire qui couvrait le nœud du cordon. Je vois que votre cheval vous attend tout sellé, dehors. Vous ferez bien de passer par Nether le Bas, et le Canal de Bristol, car nous avons appris que la cavalerie ennemie garde les routes jusqu'au delà de Wells. Voici votre paquet.

Je m'inclinai et plaçai le pli dans l'intérieur de ma tunique.

– C'est un ordre écrit, ainsi qu'il a été proposé dans le conseil. Le Duc répondra peut-être par écrit, peut-être de vive voix. Dans les deux cas, conservez bien sa réponse. Le paquet contient aussi les dépositions du clergyman de la Haye, et celles des deux témoins présents au mariage de Charles d'Angleterre avec Lucy Walters, la mère de Sa Majesté. Votre mission est d'une importance telle que le succès de notre entreprise peut en dépendre entièrement. Faites en sorte de remettre le papier à Beaufort en personne. Sans quoi il n'aurait peut-être aucune valeur devant un tribunal.

Je promis de le faire, si la chose était possible.

– Je vous engagerais aussi, reprit-il, à emporter le sabre et le pistolet pour vous prémunir contre les dangers de la route, mais à laisser ici casque et cuirasse, qui vous donneraient une tournure trop guerrière pour un paisible messager.

– J'avais déjà pris ce parti, dis-je.

– Il n'y a plus rien à ajouter, capitaine, dit l'homme de loi, en me tendant la main. Puisse la bonne fortune vous accompagner! Ayez la langue muette et l'oreille au guet. Veillez attentivement sur tout ce qui se passera. Examinez bien quelles gens auront l'air sombre ou l'air content. Il peut se faire que le Duc soit à Bristol, mais il est préférable que vous alliez à sa résidence de Badminton. Notre mot de passe est aujourd'hui Tewkesbury.

Après avoir remercié mon instructeur de ses conseils, je sortis et montai sur Covenant, qui piétinait le sol et rongeait son frein, tout joyeux de son nouveau voyage.

Fort peu de citadins étaient dehors, mais plus d'une tête coiffée du bonnet de nuit me regarda avec étonnement par la fenêtre.

Je pris la précaution de faire marcher Covenant avec le moins de bruit possible, jusqu'à ce que nous fussions à une bonne distance de la maison, car je n'avais pas dit un mot à Ruben du voyage que je projetais.

J'étais convaincu que s'il était mis au fait, ni la discipline, ni même les chaînes toutes neuves de son amour ne sauraient l'empêcher de partir avec moi.

Malgré mon attention, les fers de Covenant rendaient un son clair sur les galets, mais en me retournant, je vis que les stores restaient abaissés à la chambre de mon fidèle ami, et que tout paraissait tranquille dans la maison.

Aussi j'agitai ma bride et partis à un trot rapide, par les rues silencieuses, encore jonchées des fleurs fanées, encore égayées de rubans.

À la porte du nord était de garde une demi-compagnie, qui me laissa franchir la muraille, sitôt que j'eus prononcé le mot de passe.

Aussitôt que je fus hors des anciens murs, je me trouvai en pleine campagne, orienté vers le nord, et la route libre devant moi.

C'était une matinée superbe.

Le soleil se levait au-dessus de ses collines lointaines.

Ciel et terre prenaient des teintes de rouille et d'or.

Les arbres des vergers, qui bordaient la route, étaient peuplés d'innombrables oiseaux qui babillaient, chantaient, remplissaient l'air de leur ramage aigu.

Il y avait dans chaque souffle quelque chose qui vous rendait plus léger, plus joyeux.

Le bétail roux du Somerset avec ses yeux curieux se rangeait le long des haies, projetant de grandes ombres sur les champs, et me regardait au passage.

Des chevaux de ferme posaient la tête par-dessus les portes à claire-voie et hennissaient comme pour saluer leur frère à la robe lustrée.

Un grand troupeau de moutons à toison de neige descendit vers nous sur la pente d'une hauteur et se mit à sauter et gambader au soleil.

Tout n'était que vie innocente, depuis l'alouette qui chantait dans les airs jusqu'à la menue musaraigne qui courait par le blé mûrissant, jusqu'au martinet qui partait au bruit de mon approche.

Partout, la vie, dans son innocence.

Que devons-nous penser, mes chers enfants, quand nous voyons les bêtes des champs pleines de bienveillance, de vertu, et de gratitude.

Où est-elle cette supériorité dont, nous parlons!

Sur le terrain dominant qui montait au Nord, je me retournai pour contempler la ville endormie, avec cette large bordure de tentes et de chariots, qui faisait bien voir combien sa population s'était accrue subitement.

L'étendard royal flottait encore au clocher de Sainte-Madeleine, pendant que le beau clocher symétrique de Saint-Jacques portait bien haut le drapeau bleu de Monmouth.

Pendant que je les contemplais, le vif et pétulant roulement d'un tambour se fit entendre dans l'air matinal, en même temps que le chant clair et vibrant des trompettes, tirant les troupes de leur sommeil.

Au loin, et des deux côtés de la ville se déployait une magnifique perspective sur les collines du comté de Somerset, formant des ondulations jusqu'à la mer lointaine, peuplée de villes, de hameaux, de châteaux à tourelles, de clochers, avec des combes boisées, des étendues de terres à blé, un spectacle aussi beau que l'œil pouvait le souhaiter.

Quand j'eus fait faire demi-tour à mon cheval pour reprendre ma route, je sentis, mes chers enfants, qu'un tel pays méritait qu'on se battit pour lui et que la vie d'un homme était bien peu de chose, du moment qu'il pouvait contribuer, pour si peu que ce fût, à lui assurer la liberté et le bonheur.

Dans un petit village de l'autre côté de la hauteur, je rencontrai un poste de cavalerie dont le chef m'accompagna quelque temps à cheval et me mit sur la route de Stowey le Bas.

Mes yeux de natif du Hampshire furent étonnés en remarquant la couleur rouge uniforme du sol de cette région qui est bien différente du calcaire et du gravier de Havant.

Les vaches sont également rousses, en majorité.

Les cottages ne sont point bâtis en briques ni en bois, mais d'une sorte de pisé qu'on nomme cob et qui garde sa solidité et son état lisse tant qu'il n'a pas été mouillé.

En conséquence, on protège les murs contre la pluie au moyen de toits de chaume qui s'avancent beaucoup.

Il y a à peine un clocher dans toute cette région, chose encore qui parait étrange aux habitants des autres parties de l'Angleterre.

Toutes les églises ont une tour carrée, avec des clochetons aux angles.

Les tours sont presque toujours très larges et contiennent de très beaux carillons.

La route, que je devais suivre, longeait la base des belles collines de Quantock, où des combes aux denses forêts sont éparses parmi des dunes vastes, couvertes de bruyères et d'un épais tapis de fougères et de myrtilles.

De chaque côté du chemin descendaient des ravins tortueux bordés d'ajonc jaune, qui jaillissait de l'épaisse couche de terre rouge comme une flamme sortant de cendres chaudes.

Des ruisseaux d'une eau colorée par la tourbe descendaient à grand bruit de ces vallons et passaient par-dessus la route.

Covenant y enfonçait jusqu'aux pâturons et avait des mouvement de surprise, en voyant des truites au large dos passer comme des flèches entre ses pieds de devant.

Je voyageai pendant tout un jour à travers ce beau pays, où je fis peu de rencontres, car je me tenais à distance des grandes routes.

Quelques pâtres et fermiers, un clergyman aux longues jambes, un colporteur avec sa mule, un cavalier portant une grande sacoche et qui me fit l'effet d'un acheteur de chevelures, voilà tout ce que je peux me rappeler.

Une cruche noire d'une demi pinte d'ale et un croûton de pain dans une auberge voisine de la route, tel fut mon seul repas.

Près de Combwich, Covenant perdit un fer et j'eus à perdre deux heures dans la ville, avant de trouver une forge et de pouvoir faire remédier à l'accident.

Ce fut seulement dans la soirée que j'arrivai enfin sur les bords du Canal de Bristol, à un endroit nommé les Shurton Bars, où les flots vaseux du Parret se déversent dans la mer.

En cet endroit, le canal est si large, que l'on distingue à peine les montagnes galloises.

Le rivage est plat, noir, bourbeux, piqué çà et là de taches blanches qui sont des oiseaux de mer, mais plus loin, vers l'est, surgit une ligne de collines fort sauvages, fort escarpées, qui en certains endroits se dressent en murailles à pic.

Ces falaises se dirigent vers la mer, et les intervalles, que laissent leurs entailles, forment un grand nombre de petits ports, de baies à sec pendant la moitié de la journée, mais capables de porter un bateau de belle taille, dès que le flux est à la moitié.

La route suivait ces crêtes nues et rocheuses, qu'habite une population clairsemée de pêcheurs et de pâtres farouches.

Ils venaient sur le seuil de leurs cabanes en entendant résonner les fers de mon cheval, et me lançaient au passage quelqu'une des grosses plaisanteries qui ont cours dans l'Ouest.

À mesure que la nuit approchait, le pays se faisait plus triste et plus désert.

À de rares intervalles clignotait une lumière lointaine venant d'un cottage solitaire au flanc des collines.

C'était le seul indice de la présence de l'homme.

Le rude sentier se rapprochait de la mer, mais malgré son élévation, les embruns produits par les brisants le franchissaient.

J'avais les lèvres saupoudrées de sel.

L'air était plein du grondement rauque de la houle, du sifflement grêle des courlis, qui m'effleuraient de leur vol, pareils à des créatures de l'autre monde, blanches, vagues, à la voix mélancolique.

Le vent soufflait par bouffées courtes, brusques, irritées, venant de l'Ouest.

Bien loin, sur les eaux noires, s'apercevait un point lumineux, unique, montant, descendant, oscillant, puis disparaissant à la vue, ce qui indiquait la violence de la tempête qui avait éclaté sur le canal.

Pendant que je chevauchais par le crépuscule à travers ce paysage étrange et sombre, mon esprit se tourna naturellement vers le passé.

Je songeai à mon père, à ma mère, au vieux charpentier, à Salomon Sprent.

Puis, mes pensées se reportèrent sur Decimus Saxon, dont le caractère aux faces multiples offrait autant de sujets d'admiration et de sujets d'horreur.

L'aimais-je, ne l'aimais-je pas?

C'était plus que je ne pouvais dire.

Après lui, je me rappelai mon fidèle Ruben, et son idylle amoureuse avec la jolie Puritaine, pour songer ensuite à Sir Gervas et au naufrage de sa fortune.

De là mon esprit se reporta à l'état de l'armée, et à l'avenir de la rébellion, ce qui me ramena à ma mission présente, à ses périls et à ses difficultés.

Après avoir retourné en mon esprit toutes ces choses, je commençais à m'assoupir sur le dos de mon cheval.

Je succombais à la fatigue du voyage et à l'endormante cantilène des vagues.

Je venais justement de commencer un rêve où je voyais Ruben Lockarby couronné Roi d'Angleterre par Mistress Ruth Timewell, pendant que Decimus Saxon se préparait à décharger sur lui son pistolet bourré d'un flacon de l'élixir de Daffy, lorsque tout à coup, sans avertissement, je fus violemment jeté à bas de mon cheval, et me trouvai étendu à moitié évanoui, sur le sentier pierreux.

J'étais si étourdi, si ébranlé par cette chute inattendue, que je restai quelques minutes incapable de comprendre où j'étais et ce qui m'était arrivé, bien que j'entrevisse vaguement des gens qui se penchaient sur moi et que des rires rauques retentissent à mes oreilles.

Lorsqu'enfin je fis un effort pour me remettre debout, je m'aperçus qu'un tour de corde avait été passé autour de mes bras et de mes jambes, de façon à les rendre immobiles. D'un violent effort, je parvins à dégager une main et la lançai à la face d'un des hommes qui me maintenaient, mais aussitôt toute la bande, au moins une douzaine, se jeta sur moi.

Les uns me donnaient des coups de poing ou de pied.

D'autres serraient une autre corde sur mes coudes et la nouaient si adroitement que j'étais tout à fait impuissant.

M'apercevant que dans mon état de faiblesse et d'étourdissement, tous mes efforts seraient vains, je restai étendu dans un silence grognon, mais l'œil au guet, sans prendre garde aux nouvelles bourrades qui fondaient sur moi.

Il faisait si noir qu'il me fut impossible de voir les figures de mes agresseurs, ni de faire la moindre supposition sur ce qu'ils pouvaient être, ou sur la façon dont ils m'avaient fait tomber de ma selle.

Le bruit que faisait un cheval en rongeant son frein et piétinant tout près de là, m'apprit que Covenant était prisonnier, aussi bien que son maître.

 

– Pete le Hollandais en a reçu autant qu'il peut en porter, dit une voix rude et rauque. Il gît sur la route aussi inerte qu'un congre.

– Ah! Pauvre Pete! dit à demi-voix un autre. Il ne touchera plus à une carte; il ne videra plus son verre de cognac.

– Pour ça, vous mentez, mon bon ami, dit l'homme frappé, d'une voix faible et chevrotante, et je vous prouverai que vous mentez, si vous avez un flacon dans votre poche.

– Quand même Pete serait mort et enterré, dit celui qui avait parlé le premier, il suffirait du mot d'eau-de-vie pour le faire revenir. Donnez-lui une gorgée de votre bouteille, Dicon.

On entendit dans l'obscurité un bruit de glouglou et d'aspiration, suivi d'une forte inspiration du buveur.

– Gott sei gelobt! (Dieu soit loué) s'écria-t-il d'une voix plus forte. J'ai vu plus d'étoiles qu'il n'en a été fait. Si ma kopf (tête) n'avait pas été bien cerclée, il l'aurait démolie comme un baril mal lié. Il a un coup de poing qui vaut une ruade de cheval.

Comme il parlait, le rebord de la lune se montra par-dessus un escarpement et jeta un flot de froide et claire lumière sur la scène.

Levant les yeux, je vis qu'une grosse corde avait été tendue en travers de la route, d'un tronc d'arbre à un autre, à une hauteur d'environ huit pieds au-dessus du sol.

Je n'aurais pu m'en apercevoir dans les ténèbres, lors même que j'eusse été tout à fait éveillé, mais comme elle me rencontra au niveau de la poitrine, pendant que Covenant passait par-dessous au trot, elle m'arrêta brusquement et me jeta à terre avec une grande violence.

Soit par l'effet de la chute, soit par celui des coups reçus, j'avais des coupures profondes, en sorte que je sentais le sang couler en nappe chaude sur mon oreille et mon cou.

Néanmoins je ne fis aucune tentative pour remuer.

J'attendis en silence pour voir qui étaient les gens aux mains desquels j'étais tombé.

Je ne craignais qu'une chose, qu'on m'enlevât mes lettres et que ma mission n'eût plus de but.

À la seule pensée d'être désarmé sans combattre et de perdre les papiers qui m'avaient été confiés, et cela la première fois que l'on me chargeait d'une tâche pareille, le sang me monta tout bouillant à la figure, tant j'étais honteux.

La bande, qui m'avait capturé, se composait de gaillards aux barbes incultes, coiffés de bonnets de fourrure, vêtus de jaquettes de futaine, avec des ceintures de buffle auxquelles étaient suspendus des épées courtes et droites.

Leurs figures hâlées, tannées par le soleil, et leurs grandes bottes montraient que c'étaient des pêcheurs ou des marins, et on eût pu, d'ailleurs, le deviner à leur rude langage maritime.

Deux d'entre eux se tenaient à genoux de chaque côté de moi avec leurs mains sur mes bras.

Un troisième était debout en arrière tenant un pistolet armé, pendant que les autres, au nombre de sept ou huit, aidaient à se remettre sur pied l'homme que j'avais frappé, et qui saignait abondamment par une entaille au-dessus de l'œil.

– Emmenez le cheval chez le père Microft, dit un homme trapu, à barbe noire, qui paraissait être leur chef. Ça n'est pas une rosse louée pour un dragon, mais une belle bête, dans toute sa force, qui se vendra au moins soixante pièces. Avec votre part, Pete, vous aurez de quoi acheter onguent et emplâtres pour votre blessure.

– Ha! chien! cria le Hollandais en me montrant le poing, vous voudriez bien tomber sur Peter, n'est-ce pas? Vous voudriez bien saigner Peter, n'est-ce pas? Mille diables, mon homme, si vous et moi, nous étions ensemble sur la cime de la montagne, on verrait bien lequel est le plus fort.

– Embrayez votre machine à bavarder, Pete, grogna un de ses camarades. Ce gaillard-là est, bien sûr, un membre de Satan, et il exerce une profession qu'un gredin à l'âme basse, rampante, un coquin de vile naissance est seul capable d'embrasser. Et pourtant, je vous le garantis, rien qu'à le voir, il vous trousserait comme un coq de bruyère, s'il posait sur vous ses grandes mains. Et vous crieriez au secours, comme vous l'avez fait à la dernière Saint-Martin, quand vous avez pris la femme de Dick le tonnelier, pour un employé de l'excise.

– Me trousser, n'est-ce pas? Mort et enfer! cria l'autre que sa blessure et l'eau-de-vie avaient mis dans une rage folle, nous allons voir, attrape-ça, frai du diable, attrape-ça.

Et courant à moi, il me donna des coups de pieds de toute sa force, avec ses lourdes bottes de marin.

Quelques-uns de la bande riaient, mais l'homme, qui avait parlé le premier, donna au Hollandais une poussée qui le fit tourner sur lui-même.

– Pas de ça! dit-il d'un ton rude. Sur le sol anglais, on se bat loyalement à l'anglaise. Pas de vos mauvais coups du continent. Ce n'est pas moi qui resterai là à voir donner des coups de pied à un Anglais, par le fils d'une fille de joie d'Amsterdam, un individu au ventre en tonneau, au lécheur de schnaps, au cœur de poulet. Qu'on le pende, si cela plaît au patron! Tout ça se passera à bord, à découvert, mais, par le tonnerre, c'est une bataille que vous allez avoir, si vous touchez encore à cet homme-là.

– Tout doux, Dicon, dit leur chef, d'une voix conciliante, nous savons tous que Pete n'est pas de taille à se battre, mais il est le meilleur tonnelier de la côte. Eh! Pete! Il n'a pas son pareil pour faire une douve, pour cercler, pour assembler. Qu'on lui donne une planche, et il en aura fait un baril, pendant le temps qu'un autre se demandera comment il faut faire.

– Ah! vous vous rappelez cela, Capitaine Murgatroyd, dit le Hollandais d'un ton maussade, mais vous me regardez assommer, battre, et narguer, et injurier, et qu'est-ce qu'on fait pour moi? Je vous le jure, quand la Maria retournera au Texel, je me remettrai à mon ancien métier, je vous en réponds, et je ne remettrai plus le pied sur son bord.

– Pas de danger! répondit le Capitaine, en riant. Tant que la Maria ramassera ses cinq mille pièces d'or et sera capable de montrer ses talons à n'importe quel cotre de la côte, on n'a pas à craindre que cet avaricieux de Pete perde sa part de gain. Comment l'ami, si cela continue, vous serez assez riche dans un an ou deux pour monter une baraque à votre compte, avec une pelouse bien tondue par-devant, des arbres taillés en forme de paons, des fleurs formant un dessin, un canal près de la porte, et une grande ménagère, pleine d'entrain, tout comme si vous étiez un bourgmestre! Il s'est fait plus d'une fortune, grâce aux malines et au cognac.

– Oui, et grâce aux malines et au cognac, il y a eu plus d'une tête cassée, grogna mon ennemi. Tonnerre! Il y a autre chose à envisager que les baraques et les plates-bandes. Il y a les côtes qui donnent des coups de vent, et les tempêtes du Nord-Ouest, et la police, et les espions.

– Et c'est justement par là que le marin adroit l'emporte sur le pêcheur de harengs, ou sur le caboteur aux allures timides, qui se donne tant de mal d'un Noël à l'autre, qui risque tous les dangers et n'a pas de ces petits profits. Mais assez causé! En route avec le prisonnier, et qu'on le mette en sûreté avec les entraves aux pieds!

Je fus remis debout, et tantôt porté, tantôt traîné au milieu de la bande.

Mon cheval avait déjà été emmené dans la direction opposée.

Notre trajet s'écartait de la route, pour descendre par un ravin très rocheux, très accidenté qui allait en pente vers la mer.

Il semblait qu'il n'y eût pas trace de sentier.

Je ne pouvais que marcher d'un pas incertain en me butant aux pierres et aux buissons, du mieux que je pouvais, enchaîné et impuissant comme je l'étais.

Mais le sang s'était séché sur mes blessures, et la fraîche brise de la mer, qui se jouait sur mon front, me rendit des forces, ce qui me permit de me faire une idée plus claire de ma situation.

D'après leurs propos, il était évident que ces hommes étaient des contrebandiers.

Dès lors, ils ne devaient pas éprouver une sympathie bien vive pour le gouvernement, ni souhaiter de soutenir le Roi Jacques en quoi que ce fût.

Il était probable, au contraire, qu'ils étaient portés vers Monmouth.

En effet, n'avais-je pas vu, la veille un régiment entier d'infanterie de son armée, lequel avait été levé parmi les gens de la côte.

D'autre part, il se pouvait que leur avidité l'emportât sur leur loyalisme et les décidât à me remettre à la justice, par l'espoir d'une récompense.