Za darmo

Micah Clarke – Tome II. Le Capitaine Micah Clarke

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

Un murmure d'assentiment et d'approbation s'éleva parmi les Puritains les plus fermes de l'assemblée, quand ils entendirent exprimer cette opinion, pendant que les gens de cour échangeaient des coups d'œil et avançaient les lèvres d'un air moqueur. Monmouth alla et vint deux ou trois fois et demanda un autre avis.

– Vous, Lord Grey, dit-il, vous êtes un soldat et un homme d'expérience; quel est votre avis? Devons-nous faire halte ici ou pousser sur Londres?

– Nous diriger vers l'Est serait aller à notre perte, selon mon humble jugement, répondit Grey, en parlant avec lenteur, et du ton d'un homme qui a longtemps et mûrement réfléchi avant de se prononcer. Jacques Stuart a beaucoup de cavalerie, et nous en sommes entièrement dépourvus. Nous pouvons tenir ferme derrière des haies, dans un pays accidenté, mais quelle chance aurions-nous au milieu de la plaine de Salisbury? Entourés par les dragons, nous serions comme un troupeau de moutons cerné par une bande de loups. En outre, chaque pas que nous faisons dans la direction de Londres nous éloigne du terrain qui nous est favorable, et du pays fertile qui fournit à nos besoins, en même temps que cela raccourcit la distance que Jacques Stuart doit parcourir pour amener ses troupes et ses subsistances. Ainsi donc, à moins que nous ne recevions la nouvelle d'un soulèvement important en notre faveur à Londres, nous ferions mieux de défendre notre terrain et d'attendre une attaque.

– Vous raisonnez avec finesse et justesse, Mylord Grey, dit le Roi. Mais combien de temps attendrons-nous ce soulèvement qui ne se produit jamais, ces appuis toujours promis qui n'arrivent point. Voici sept longs jours que nous sommes en Angleterre et pendant ce temps, pas un des membres de la Chambre des Communes n'est venu à nous, et parmi les Lords il n'y a que Lord Grey qui était lui-même en exil. Pas un baron, pas un comte, et un seul baronnet a pris les armes pour nous. Où sont les homme que Danvers et Wildman m'avaient promis de Londres? Où sont les remuants apprentis de la Cité qui, disait-on, me demandaient instamment? Où sont les insurrections qui devaient s'étendre de Berwick à Portland, à ce qu'on annonçait. Pas un homme n'a bougé, excepté ces bons paysans. J'ai été trompé, attiré dans un piège, poussé dans une trappe par de vils agents qui m'ont entraîné à l'abattoir.

Il allait et venait en se tordant les mains, se mordant les lèvres, le désespoir marqué en grands traits sur sa figure.

Je remarquai que Buyse disait quelques mots à l'oreille de Saxon.

C'était sans doute une allusion à la crise de froid dont il avait parlé.

– Parlez, colonel Buyse, dit le Roi, faisant un violent effort pour maîtriser son émotion. En qualité de soldat, êtes-vous d'accord avec Mylord Grey?

– Interrogez Saxon, Majesté, répondit l'Allemand. Dans une réunion du Conseil, mon opinion, ainsi que je l'ai remarqué, est toujours la même que la sienne.

– Alors nous nous adressons à vous, colonel Saxon, dit Monmouth. Nous avons dans ce conseil un parti en faveur d'une marche en avant, et un autre qui propose de maintenir notre position. Si votre vote devait faire pencher la balance, que décideriez-vous?

Tous les regards se retournèrent vers notre chef, car son attitude martiale et le respect que lui témoignait Buyse, un vétéran, faisaient supposer avec toute probabilité que son avis l'emporterait.

Il resta un instant silencieux, les mains sur sa figure.

– Je vais dire ce que je pense, Majesté, fit-il enfin. Feversham et Churchill marchent vers Salisbury avec trois mille hommes d'infanterie, et ils ont lancé en avant huit cents hommes de la garde bleue et deux ou trois régiments de dragons. Nous serions donc forcés de livrer bataille dans la plaine de Salisbury, comme l'a dit Lord Grey, et notre infanterie, qui a des armes de toutes les sortes, ne serait guère capable de résister à leur caractère. Tout est possible au Seigneur, ainsi que le dit sagement le docteur Ferguson; nous sommes comme des grains de poussière dans le creux de sa main. Toutefois il nous a donné de la cervelle pour que nous soyons en état de choisir le meilleur parti, et si nous omettons d'en faire usage, nous aurons à supporter les suites de notre sottise.

Ferguson eut un rire dédaigneux, et marmotta une prière, mais bon nombre de Puritains hochèrent la tête en signe d'assentiment, reconnaissant que cette façon de voir les choses n'avait rien de déraisonnable.

– D'un autre côté, reprit Saxon, il me semble également impossible que nous restions ici. Les amis qu'a Votre Majesté dans toute l'Angleterre seraient entièrement découragés si l'armée restait immobile, sans frapper un coup. Les paysans retourneraient près de leurs femmes, dans leurs foyers. Un tel exemple est contagieux. J'ai vu une grande armée se fondre comme un glaçon au soleil. Une fois qu'ils seraient partis, il ne serait pas facile de les réunir de nouveau. Pour les retenir, il faut les occuper. Ne jamais les laisser une minute sans rien faire, les exercer, les faire marcher, les faire manœuvrer, les faire travailler, leur prêcher, les faire obéir à Dieu et à leur colonel. Rien de cela n'est possible dans une garnison confortable. Nous ne pouvons espérer de mener à sa fin cette entreprise, tant que nous ne serons pas arrivés à Londres. Ainsi donc, Londres doit être notre but. Mais il y a bien des routes pour y arriver. Sire, vous avez bien des partisans à Bristol et dans les Terres du centre, à ce que j'ai entendu dire. S'il m'est permis de donner un conseil, je dirais: Marchons de ce côté-là. Chaque jour qui passe augmentera le nombre de vos troupes et les rendra meilleures, si l'on s'aperçoit qu'on se remue. Supposez que nous prenions Bristol – et j'ai ouï dire que les ouvrages ne sont pas très forts – cela nous donnerait une très bonne prise sur la navigation, et un centre d'action comme il y en a peu. Si tout va bien pour nous, nous pourrions marcher sur Londres à travers les comtés de Gloucester et de Worcester. En attendant, je serais d'avis qu'une journée de peine et d'humiliation soit imposée pour appeler une bénédiction sur la cause.

Cette allocution, où étaient habilement combinées la sagesse de ce monde et le zèle spirituel, conquit les applaudissements de toute l'assemblée, et surtout du Roi Monmouth, dont l'humeur mélancolique se dissipa comme par enchantement.

– Par ma foi, Colonel, dit-il, ce que vous dites est clair comme le jour. Naturellement, si nous prenons de la force dans l'Ouest et si mon oncle est menacé de perdre des partisans quelque part, il n'aura aucune chance de tenir contre nous. S'il veut nous combattre sur notre propre terrain, il lui faudra dégarnir de troupes le Nord, le Sud et l'Est, chose à laquelle on ne peut songer. Nous pouvons fort bien entreprendre la marche sur Londres par la route de Bristol.

– Je trouve le conseil bon, remarqua Lord Grey, mais je tiendrais à savoir sur quoi se fonde le colonel Saxon, pour dire que Churchill et Feversham sont en route avec trois mille hommes d'infanterie régulière, et plusieurs régiments de dragons.

– Sur les paroles d'un officier des Bleus avec lequel je me suis entretenu à Salisbury, répondit Saxon. Il m'a fait ses confidences, croyant que je faisais partie de la maison du Duc de Beaufort. Quant à la cavalerie, une troupe de celle-ci nous a poursuivis dans la Plaine de Salisbury avec des mâtins. Une autre nous a attaqués à moins de vingt milles d'ici, et a perdu une vingtaine d'hommes et un cornette.

– Nous avons entendu parler de l'affaire dit le Roi. Elle a été bravement menée. Mais si ces gens-là sont aussi près, nous n'avons pas beaucoup de temps pour nos préparatifs.

– Leur infanterie ne peut être ici avant une semaine, dit le Maire, et à ce moment-là nous serions de l'autre côté des murs de Bristol.

– Il y a un point sur lequel on pourrait insister, dit Wade, l'homme de loi. Ainsi que le dit avec grande vérité Votre Majesté, nous avons été cruellement désappointés par ce fait qu'aucuns gentilshommes, et fort peu de membres importants des Communes ne se sont déclarés pour nous. La raison de cela, à mon avis, est que chacun d'eux attend que son voisin se mette en mouvement. S'il nous en venait un ou deux, les autres ne tarderaient pas à les imiter. Comment donc faire pour amener un ou deux Ducs sous nos étendards?

– Voilà la question, Maître Wade, dit Monmouth en hochant la tête d'un air de découragement.

– Je crois que la chose est possible, répondit le légiste whig. De simples proclamations adressées à tout l'ensemble des citoyens n'attraperont pas ces poissons dorés. Ils ne mordront point à l'hameçon s'il n'y a point d'appât. Je recommanderais une sorte de convocation, d'invitation qui serait envoyée à chacun d'eux, et qui les sommerait de se rendre à notre camp, avant une certaine date, sous peine de haute trahison.

– Ainsi parla l'esprit des formes légales, dit le Roi Monmouth en riant. Mais vous avez omis de nous dire comment la dite citation ou sommation serait signifiée à ces mêmes délinquants.

– Le Duc de Beaufort, reprit Wade, sans s'arrêter à l'objection du Roi, est Président de Galles, et comme le sait Votre Majesté, lieutenant de quatre comtés anglais. Son influence s'étend sur tout l'Ouest. Il a deux cents chevaux dans ses écuries à Badminton, et, à ce que j'ai ouï dire, mille hommes s'assoient chaque jour à ses tables. Pourquoi ne ferait-on pas une tentative particulière pour gagner un tel personnage, d'autant mieux que nous nous proposons de marcher dans sa direction?

– Malheureusement Henri, Duc de Beaufort, est déjà en armes contre son souverain, dit Monmouth, d'un air sombre.

– Il l'est, Sire, mais on peut le décider à tourner en votre faveur l'armée qu'il a levée contre vous. Il est protestant. On le dit Whig. Pourquoi ne lui enverrions-nous pas un message? On flatterait son orgueil. On ferait appel à sa religion. On lui ferait des caresses et des menaces. Qui sait? Il peut avoir des griefs personnels que nous ignorons. Il est peut-être mûr pour une pareille démarche.

 

– Votre conseil est bon, Wade, dit Lord Grey, mais je trouve que Sa Majesté a fait une question bien naturelle. Je crains que votre messager n'en vienne à se balancer au bout d'une corde sur un des chênes de Badminton, si le Duc veut faire parade de son loyalisme envers Jacques Stuart. Où trouver un homme à la fois assez avisé, et assez hardi pour une pareille mission, sans risquer un de nos chefs, dont nous aurions peine à nous passer en un temps pareil?

– C'est vrai, répondit Monmouth, il vaudrait mieux renoncer tout à fait à cette aventure que de la tenter d'une façon maladroite et comme à regret. Beaufort croirait que c'est un complot ayant pour but non point de le gagner, mais de le compromettre. Mais où veut en venir notre géant de la porte, avec ces signes qu'il nous fait?

– S'il plaît à Votre Majesté, demandai-je, m'autorisera-t-elle à parler?

– Nous ne demandons pas mieux que de vous écouter, capitaine, répondit-il d'un ton plein de bienveillance, pour peu que votre intelligence soit proportionnée à votre force, votre opinion doit avoir du poids.

– Alors, Majesté, dis-je, je m'offrirais comme messager propre à me charger de l'affaire. Mon père m'a commandé de n'épargner ni ma vie, ni mes membres en cette querelle, et si l'honorable Conseil pense qu'on peut gagner le Duc, je suis prêt à garantir que le message lui sera remis, si un homme à cheval peut accomplir la chose.

– Je déclare qu'on ne saurait choisir un meilleur héraut, s'écria Saxon. Ce jeune homme a du sang-froid et un cœur à toute épreuve.

– Alors, jeune monsieur, nous agréons votre offre vaillante et loyale, dit Monmouth. Êtes-vous d'accord sur ce point, messieurs?

Un murmure d'assentiment partit de l'assemblée.

– Vous rédigerez la lettre, Wade. Offrez-lui de l'argent, la préséance dans l'ordre des Ducs, la présidence des Galles à perpétuité, ce que vous voudrez, si vous pensez pouvoir le faire hésiter. Si non, le séquestre, l'exil, l'infamie éternelle. Puis, écoutez-moi bien, vous pouvez joindre une copie des documents écrits par Van Brunow, prouvant le mariage de ma mère, ainsi que les attestations des témoins. Tenez tout cela prêt pour demain matin à la pointe du jour, heure où le messager pourra se mettre en route.

– Tout cela sera prêt, Majesté, dit Wade.

– En ce cas, messieurs, reprit le Roi Monmouth, je puis vous renvoyer à vos postes. S'il survient quelque chose de nouveau, je vous réunirai une seconde fois pour mettre à profit votre sagesse. Nous séjournerons ici, avec la permission de Sir Stephen Timewell, jusqu'à ce que les hommes soient reposés et les recrues enrôlées. Alors nous nous mettrons en marche dans la direction de Bristol, et nous verrons quelle sorte de chance nous aurons dans le Nord. Si Beaufort passe de notre côté, tout ira bien. Adieu, mes bons amis, je n'ai pas besoin de vous recommander la diligence et la fidélité.

Le Conseil se leva à ce congé du Roi, et chacun s'inclinant devant-lui sortit à la file du Hall du Château. Plusieurs des membres se groupèrent autour de moi pour me donner des indications au sujet de mon voyage, ou des avis sur la conduite à tenir.

– C'est un homme plein d'orgueil et d'insolence, dit quelqu'un. Parlez-lui humblement. Sans quoi il n'écoutera pas votre message et vous fera chasser de sa présence à coups de fouet.

– Non, non, s'écriait un autre, il est vif, mais il aime un homme qui soit homme. Parlez-lui honnêtement, franchement: il est plus probable qu'il entendra raison.

– Parlez-lui comme le Seigneur vous inspirera de le faire, dit un Puritain. C'est son message que vous portez, autant que celui du Roi.

– Tâchez de l'entraîner à l'écart sous quelque prétexte, dit Buyse, puis hop! en route, avec votre homme en travers de la selle. Tonnerre de grêle, voilà qui serait bien joué.

– Qu'on le laisse tranquille, s'écria Saxon. Le gars a autant de bon sens qu'aucun de vous: il verra bien de quel côté le chat saute. Allons, ami, revenons auprès de nos hommes.

– Vraiment, je suis fâché de vous perdre, dit-il, pendant que nous nous faisions passage à travers la foule des paysans et des soldats sur la pelouse du Château. Votre compagnie vous regrettera vivement. Lockarby devra en commander deux. Si tout va bien, vous devez être de retour dans trois ou quatre jours. Je n'ai pas besoin de vous dire que vous allez à un danger réel. Si le Duc tient à prouver à Jacques qu'il n'entend pas qu'on cherche à le séduire, il ne peut le faire qu'en punissant le messager, et en sa qualité de lieutenant du comté, il a le droit de le faire dans les temps d'agitation politique. C'est un homme dur, si les on-dit sont vrais. D'autre part, si vous avez la chance de réussir, cela peut être le fondement de votre fortune, ainsi que le moyen de sauver Monmouth. Ah! il a besoin d'aide, par le Lord Harry! Jamais je ne vis une cohue comme son armée. Buyse dit qu'ils se sont battus avec entrain à Axminster, mais il est d'accord avec moi pour déclarer que quelques coups de canon et quelques charges de cavalerie les éparpilleront par tout le pays. Avez-vous quelques messages à laisser?

– Non, rien que de rappeler mon affection à ma mère.

– C'est bien. Si vous succombez d'une façon déloyale, je n'oublierai pas Sa Grâce le Duc de Beaufort, et le premier de ses gentilshommes qui tombera entre mes mains sera pendu aussi haut qu'Aman. Et maintenant vous n'avez rien de mieux à faire que de gagner votre chambre, et de dormir aussi bien que possible, car votre nouvelle mission commence demain au chant du coq.

VII – Nouvelles reçues de Havant

Après avoir donné mes ordres pour que Covenant fût sellé et harnaché le lendemain à la pointe du jour, j'étais rentré dans ma chambre, et je me préparais pour une longue nuit de repos, quand Sir Gervas, qui couchait dans la même pièce, entra en dansant et agitant au-dessus de sa tête un paquet de papiers.

– Trois devinettes, Clarke, cria-t-il. Qu'est-ce que vous désireriez le plus?

– Des lettres de Havant, dis-je vivement.

– Juste! répondit-il en les jetant sur mes genoux. En voilà trois, et pas une qui soit d'une écriture féminine. Je veux être pendu si je comprends ce que vous avez fait de toute votre vie:

 
Comment un cœur jeune peut-il renoncer
À l'amour de la femme, au vin qui pétille?
 

«Mais vous êtes si absorbé par vos nouvelles que vous n'avez pas remarqué ma transformation.

– Ah! où donc avez-vous trouvé tout cela? demandai-je, fort étonné.

Il était vêtu d'un costume de nuance prune très délicate avec des boutons et des bordures d'or, que faisaient ressortir des culottes de soie et des souliers à l'espagnole avec des roses sur le cou-de-pied.

– Cela sent plus la Cour que le camp, dit Sir Gervas en se frottant les mains et promenant sur sa personne des regards fort satisfaits. Je suis également ravitaillé en fait de ratafia et d'eau de fleur d'oranger. En plus, j'ai deux perruques, une courte, et une de gala, une livre du tabac à priser impérial qui se vend à l'enseigne de «l'Homme noir», une boîte de poudre à cheveux de De Crépigny, mon manchon en peau de renard et plusieurs autres choses indispensables. Mais je vous gêne dans votre lecture.

– J'en ai vu assez pour être assuré que tout va bien à la maison, répondis-je en jetant un coup d'œil sur la lettre de mon père. Mais comment sont venues toutes ces choses?

– Des cavaliers sont arrivés de Petersfield et les ont apportées. Quant à ma petite caisse, garnie par un bon ami que j'ai à la ville, elle a été expédiée à Bristol, où on suppose que je me trouve présentement, et où je serais en effet si je n'avais eu la bonne fortune de rencontrer votre troupe. La caisse a néanmoins trouvé le moyen d'arriver à l'Hôtellerie de Bruton, et la bonne femme qui la dirige et dont je me suis fait une amie, a su s'arranger pour me la faire parvenir. C'est une règle utile à suivre, Clarke, dans ce pèlerinage terrestre: il faut toujours embrasser l'hôtelière. C'est peut-être peu de close, mais en somme la vie est faite de petites choses. J'ai peu de principes fixes, je le crains, mais il en est deux que je puis me flatter de ne jamais violer. Je suis toujours pourvu d'un tire-bouchon, et jamais je ne manque d'embrasser l'hôtelière.

– D'après ce que j'ai vu de vous, dis-je en riant, je pourrais me porter garant que ces deux devoirs sont toujours accomplis.

– J'ai des lettres moi aussi, dit-il en s'asseyant sur le bord du lit, et parcourant un rouleau de papiers. «Votre Araminte au cœur brisé.» Hum! la donzelle ne doit pas savoir que je suis ruiné. Sans quoi son cœur serait bientôt raccommodé… Qu'est-ce que cela? Un défi pour faire combattre mon coq Julius contre le jeune coq de Lord Dorchester, enjeu cent guinées. Par ma foi, j'ai trop d'occupation à soutenir l'oiseau de Monmouth, pour l'enjeu du championnat… Un autre m'invite à une partie de chasse au cerf à Epping… Diantre, si je n'avais pas gagné au large, je me verrais moi-même aux abois, avec une meute de mâtins d'huissiers aux talons… Une lettre où mon drapier me réclame son dû. Il peut supporter cette perte. Je lui ai réglé plus d'une note bien longue… Une offre de trois mille livres que me fait le petit Dicky Chichester! Non, non, Dicky, pas de cela. Un gentleman ne doit pas vivre aux crochets de ses amis. On n'en est pas moins très reconnaissant… Qu'est-ce maintenant? De Mistress Butterworth. Pas d'argent depuis trois semaines: des garnisaires dans la maison! Non, malédiction, voilà qui est trop fort!

– Qu'y a-t-il? demandai-je en interrompant la lecture de mes propres lettres.

La figure pâle du baronnet avait pris une légère coloration, et il arpentait la pièce d'un air furieux, une lettre froissée à la main.

– C'est une honte abominable, Clarke, s'écria-t-il. Par la corde, elle aura ma montre, qui sort de chez Tompion, à l'enseigne des Trois-Couronnes, dans la Cour de Saint-Paul, et qui a coûté toute neuve cent livres! Cela pourra assurer son existence pendant quelques mois… Pour cela Mortimer aura à se mesurer à l'épée avec moi. J'écrirai le mot de vilain sur lui avec la pointe de ma rapière.

– Je ne vous ai jamais vu en colère jusqu'à ce jour, dis-je.

– Non, répondit-il en riant. Bien des gens m'ont fréquenté pendant des années et me donneraient un certificat d'égalité d'humeur. Mais cela est trop fort. Sir Edward Mortimer est le frère cadet de ma mère, mais il n'est pas mon aîné de beaucoup. Un jeune homme convenable, tiré à quatre épingles, à la voix douce, le voilà tel qu'il fut toujours. En conséquence de quoi, il a réussi dans le monde, et a joint les terres aux terres, selon le langage de l'Écriture. Au temps jadis, je l'ai aidé de ma bourse, mais il n'a pas tardé à devenir plus riche que moi, car il gardait tout ce qu'il gagnait. Moi au contraire, tout ce que je gagnais… Bah! cela s'est dissipé comme la fumée de la pipe que vous allumez en ce moment. Lorsque je m'aperçus qu'il n'y avait plus rien, je reçus de Mortimer un prêt qui était suffisant pour me permettre de me rendre dans la Virginie, ainsi que je le désirais, et de faire emplette d'un cheval et d'un équipement. La chance pouvait tourner de telle sorte, Clarke, que les domaines des Jérôme lui revinssent, s'il m'arrivait un accident. Aussi ne voyait-il aucun inconvénient à ce que je partisse pour le pays des fièvres et des couteaux à scalper. Non, ne hochez pas la tête, mon cher campagnard, vous êtes peu au fait des malices du monde.

– Faites-lui crédit, jusqu'à ce que le pire soit prouvé, dis-je en m'asseyant sur le lit, et fumant, mes lettres étalées devant moi.

– Il est prouvé, le pire, dit Sir Gervas, dont la figure s'assombrit. Comme je l'ai dit, j'ai rendu à Mortimer quelques services, dont il aurait bien dû garder le souvenir, quoique je ne juge pas convenable de les lui rappeler. Cette Mistress Butterworth a été ma nourrice, et ma famille avait l'habitude de pourvoir à son entretien. Je ne pouvais me faire à l'idée que la ruine de ma fortune lui ferait perdre une ou deux pauvres guinées par semaine, sa seule ressource contre la faim. Je demandai donc à Mortimer une seule chose, au nom de notre ancienne amitié, c'était de continuer cette aumône. Je lui promis que si je réussissais, je le rembourserais entièrement. Ce vilain au cœur bas me serra la main avec chaleur et jura de le faire. Combien la nature humaine est chose vile, Clarke! Pour cette misérable somme, lui, un homme riche, il a manqué à son engagement. Il a abandonné cette pauvre femme à la mort par la faim. Mais il me paiera cela. Il me croit sur l'Atlantique. Si je marche sur Londres avec ces braves garçons, je dérangerai l'harmonie de sa pieuse existence jusqu'à ce jour… Je me contenterai des cadrans solaires, et ma montre ira aux mains de la mère Butterworth. Bénis soient ses amples seins! J'ai goûté de bien des liquides, mais je parierais volontiers que le premier de tous était le plus salutaire. Eh bien? Et vos lettres? Vous avez eu des froncements et des sourires comme un jour d'Avril.

 

– En voici une de mon père, à laquelle ma mère a ajouté un mot, dis-je. La seconde est d'un vieil ami à moi, Zacharie Palmer, le charpentier du village. La troisième est de Salomon Sprent, un marin retiré, pour qui j'ai de l'affection et du respect.

– Voilà un rare trio de porteurs de nouvelles, Clarke. Je voudrais connaître votre père. D'après ce que vous dites, ce doit être un solide bloc de chêne anglais. Je disais, il n'y a qu'un instant, que vous ne connaissiez guère le monde, mais vraiment il peut se faire que dans votre village on voit l'humanité exempte de tout vernis, et qu'ainsi on en vienne à mieux voir le bon côté de la nature humaine. Avec ou sans vernis, le mauvais finit toujours par percer à jour. Or, sans aucun doute, ce charpentier et ce marin se montrent tels qu'ils sont. On peut connaître, pendant toute la durée d'une existence, mes amis de la cour sans jamais pénétrer jusqu'à leur nature réelle, et peut-être aussi se trouverait-on mal récompensé de cette recherche. Peste! voilà que je deviens philosophe, ce qui fut toujours le refuge de l'homme ruiné. Qu'on me donne un tonneau, je le mettrai sur la Piazza de Covent-Garden, et je serai le Diogène de Londres. Je ne demande pas à redevenir riche, Micah! Que dit donc le vieux couplet:

 
Notre argent ne sera pas notre maître,
Et ne nous traînera pas à Goldsmith Hall.
Ni pirates ni naufrages ne peuvent nous effrayer,
Nous qui ne possédons point de domaines,
Qui ne redoutons ni pillages ni impôts,
Qui n'avons nul besoin de fermer nos portes à clef.
Quand on est à terre, on ne risque plus de tomber.
 

«Ce dernier vers ferait une jolie devise pour un asile de mendiants.

– Vous allez réveiller Sir Stephen, dis-je pour le mettre sur ses gardes, car il chantait à tue-tête.

– Pas de danger. Lui et ses apprentis s'exerçaient au sabre dans le hall, lorsque je l'ai traversé. C'est un coup d'œil qui en vaut la peine. Le vieux qui bat du pied, qui brandit son arme et crie: Ha! en l'abaissant. Mistress Ruth et l'ami Lockarby sont dans la chambre aux tapisseries. Elle est occupée à filer, et lui à lire à haute voix un de ces divertissants ouvrages qu'elle aurait voulu me voir lire. M'est avis qu'elle a entrepris de le convertir, et cela finira peut-être en ceci: que c'est lui qui la convertira de fille en femme mariée. Ainsi donc vous allez trouver le Duc de Beaufort! Eh bien, je serais charmé de faire le voyage avec vous, mais Saxon ne voudra rien entendre, et je dois m'occuper avant tout de mes mousquetaires. Que Dieu vous ramène sain et sauf! Où sont ma poudre au jasmin et ma boîte à mouches? Lisez-moi vos lettres, s'il y a quelque chose d'intéressant. J'ai cassé le cou à une bouteille, à l'auberge, en compagnie de notre vaillant colonel, et il m'en a dit assez long sur votre intérieur à Havant pour me faire désirer de le mieux connaître.

– C'est un intérieur un peu sérieux, dis-je.

– Non, j'ai l'esprit tourné aux choses sérieuses. Allez-y, quand même il y aurait là toute la philosophie platonicienne.

– Celle-ci est du vénérable charpentier qui a été pendant de longues années mon conseiller et mon ami. Cet homme est religieux sans rien du sectaire, philosophe sans être attaché à un parti, affectueux sans faiblesse.

– Un modèle, vraiment, s'écria Sir Gervas, occupé à manier sa brosse à sourcils.

– Voici ce qu'il dit, repris-je.

Puis, je me mis à lire la lettre même que je vous transcris maintenant:

«Ayant appris par votre père, mon cher garçon, qu'il y avait quelque possibilité de vous faire parvenir une lettre, j'ai écrit celle-ci, que je vous envoie par les soins du digne John Packingham, de Chichester, qui part maintenant pour l'Ouest.

«J'espère que vous êtes sain et sauf, avec l'armée de Monmouth, et que vous y avez obtenu un emploi honorable.

«Je suis certain que vous trouverez parmi vos camarades un certain nombre de sectaires excessifs, ainsi que d'autres qui sont des railleurs et des incroyants.

«Suivez mes conseils, ami, écartez-vous des uns et des autres.

«Car le fanatique est l'homme qui ne s'en tient pas à défendre la liberté de son propre culte, ce qui ne serait que justice, mais veut encore s'imposer à la conscience d'autrui, et par là tombe dans cette même erreur contre laquelle il combat.

«D'autre part, le simple railleur sans cervelle est inférieur à la bête des champs, car il n'en a pas l'instinctif respect de soi-même et l'humble résignation…

– Par ma foi, s'écria le baronnet, le vieux gentleman a un côté de la langue assez rude.

«Prenons la religion par sa base la plus large, car la vérité a plus de largeur que nous ne sommes capables d'en concevoir.

«La présence d'une table prouve l'existence d'un charpentier, et de même la présence de l'univers prouve celle d'un être qui a fait l'univers, quelque soit ce nom qu'on lui donne.

«Jusque là vous avez sous les pieds un sol très ferme, sans qu'il y ait besoin d'inspiration, d'enseignement, ni d'une aide quelconque.

«Dès lors, puisqu'il doit y arriver un auteur de l'univers, jugeons de sa nature par son œuvre.

«Nous ne pouvons observer les gloires du firmament, son étendue infinie, sa beauté, et l'art divin avec lequel il a été pourvu aux besoins de toutes les plantes, de tous les animaux, et ne point voir qu'il est plein de sagesse, d'intelligence et de puissance.

«Nous somme encore ici, vous le reconnaîtrez, sur un terrain solide, sans avoir besoin d'appeler à notre aide autre chose que la pure raison.

«Quand nous sommes parvenus à ce point, demandons-nous pour quelle fin l'univers a été fait et pour quelle fin nous y avons été mis.

«La nature tout entière nous enseigne que ce doit être pour nous perfectionner, pour tendre plus haut, pour croître en vertu véritable, en science, en sagesse.

«La Nature est un prédicateur muet qui se fait entendre les jours de la semaine comme le jour du Sabbat.

«Nous voyons le gland grandir en un chêne, l'œuf produire l'oiseau, la chenille devenir papillon.

«Dès lors, douterons-nous que l'âme humaine, de toutes les choses la plus précieuse, ne soit aussi sur la route qui monte.

«Et comment l'âme peut-elle faire du progrès, sinon en cultivant la vertu et l'empire sur elle-même?

«Peut-il exister une autre voie?

«Il n'en est aucune.

«Ainsi donc nous pouvons dire avec confiance que nous sommes placés ici-bas pour croître en science et en vertu.

«Voilà l'essence intime de la religion, et pour aller jusque-là, il n'est pas besoin de foi.

«Cela est aussi vrai et aussi susceptible de démonstration qu'aucun des exercices d'Euclide que nous avons étudiés ensemble.

«Sur ce terrain commun les hommes ont élevé bien des édifices différents.

«Le Christianisme, la religion de Mahomet, la croyance des Orientaux, toutes ont une même substance.

«Les diversités se trouvent dans les formes et les détails.

«Tenons-nous en à notre foi chrétienne, la doctrine de l'amour, celle qui est si belle, qui a été souvent enseignée, et rarement mise en pratique, mais ne méprisons point nos semblables, car tous nous sommes les branches issues d'une même racine, la vérité.

«L'homme quitte les ténèbres pour la lumière: il y passe quelque temps, puis il retourne dans les ténèbres.

«Micah, mon garçon, les jours passent, pour moi comme pour toi.