Za darmo

Jim Harrison, boxeur

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L'un parlait de sa poudre dont il fallait six livres pour lancer un boulet à mille yards, l'autre maudissait les tribunaux de l'Amirauté, où la prise entre comme un vaisseau bien gréé et en sort comme un schooner.

Le vieux capitaine parla de l'avancement subordonné aux intérêts parlementaires, qui avaient souvent mis dans une cabine de capitaine un freluquet dont la place aurait été dans la sainte barbe.

Puis ils revinrent à la difficulté de trouver des équipages pour leurs vaisseaux. Ils haussèrent la voix pour gémir en choeur.

– À quoi bon construire de nouveaux vaisseaux, disait Foley, alors qu'avec une prime de cent livres vous n'arriverez pas à équiper ceux que vous avez?

Mais lord Cochrane voyait la question autrement.

– Les hommes! monsieur, vous les auriez s'ils étaient bien traités. L'amiral Nelson trouve les hommes qu'il lui faut pour ses navires. Et de même l'amiral Collingwood. Pourquoi? Parce qu'il se préoccupe de ses hommes et dès lors ses hommes se souviennent de lui. Que les officiers et les hommes se respectent mutuellement et alors on n'aura aucune peine à maintenir l'effectif de l'équipage. Ce qui pourrit la marine, c'est cet infernal système qui consiste à faire passer les équipages d'un navire à l'autre, sans les officiers. Mais moi, je n'ai jamais rencontré de difficulté et je crois pouvoir dire que, si demain je hissais mon pennon, je trouverais tous mes vieux du Rapide et j'aurais autant de volontaires que je voudrais en prendre.

– C'est très bien, mylord, dit le vieux capitaine avec quelque chaleur. Quand les marins entendent dire que le Rapide a pris cinquante navires en treize mois, on peut être sûr qu'ils s'offriront volontiers pour servir sous son commandant. Un bon croiseur est toujours sûr de compléter facilement son équipage. Mais ce ne sont pas les croiseurs qui livrent les batailles pour la défense du pays et qui bloquent les ports de l'ennemi. Je dis que tout le bénéfice des prises devrait être réparti également entre la flotte entière, et tant qu'on n'aura pas établi cette règle, les hommes les plus capables iront toujours là où ils rendent le moins de services et où ils font les plus grands profits.

Ce discours produisit un choeur de protestations de la part des officiers de croiseurs et de véhémentes approbations de la part de ceux qui servaient à bord des vaisseaux de ligne.

Ces derniers paraissaient former la majorité dans le cercle qui s'était rassemblé.

À voir l'animation des figures et la colère qui brillait dans les regards il était évident que la question tenait fort à coeur à chacun des deux partis.

– Ce que le croiseur obtient, s'écria un capitaine de frégate, le croiseur le gagne.

– Entendez-vous par là, monsieur, dit le capitaine Foley, que les devoirs d'un officier à bord dun croiseur exigent plus d'attention ou plus d'habileté professionnelle que ceux d'un officier chargé d'un blocus, qui a la côte à tribord toutes les fois que le vent tourne à l'ouest et qui a continuellement en vue les huniers de l'escadre ennemie?

– Je ne prétends point à une habileté supérieure, monsieur.

– Alors, pourquoi réclamez-vous une solde plus forte? Pouvez-vous nier qu'un marin devant le mât rend plus de services sur une frégate rapide qu'un lieutenant ne peut le faire sur un vaisseau de guerre? – L'année dernière, pas plus tard, dit un officier à tournure de gentleman qui aurait pu être pris pour un petit maître à la ville, sans le teint cuivré qu'il devait à un soleil comme on n'en voit jamais à Londres, l'année dernière, j'ai ramené de la Méditerranée le vieil Océan qui flottait comme une barrique vide et ne rapportait absolument rien, comme chargement, que de la gloire. Dans le canal nous rencontrâmes la frégate La Minerve de l'Océan occidental qui plongeait jusqu'aux sabords et était prête à éclater sous un butin que l'on avait jugé trop précieux pour le confier aux équipages de prise. Il y avait des lingots d'argent jusqu'au long de ses vergues et près de son beaupré, de la vaisselle d'argent à la pomme de ses mâts. Mes marins auraient tiré sur elle, oui, ils auraient tiré, si on ne les avait pas retenus. Cela les enrageait de penser à tout ce qu'ils avaient fait dans le Sud, et de voir cette impudente frégate faire parade de son argent sous leurs yeux.

– Je ne vois pas le bien fondé de leurs griefs, capitaine Bail, dit Cochrane.

– Quand vous serez promu au commandement d'un navire à deux ponts, milord, il pourra bien se faire qu'il vous apparaisse plus clairement.

– Vous parlez comme si un croiseur n'avait d'autre tâche que de faire des prises. Si c'est là votre manière de voir, permettez-moi de vous dire que vous n'êtes pas au fait de la chose. J'ai commandé un sloop, une corvette et une frégate et, sur chacun d'eux, j'ai eu à remplir des devoirs fort divers. Il m'a fallu éviter les vaisseaux de ligne de l'ennemi et livrer bataille à ses croiseurs. J'ai dû donner la chasse à ses corsaires et les capturer et leur couper la retraite quand ils se réfugiaient sous ses batteries. Il m'a fallu faire une diversion sur ses forts, débarquer mes hommes, détruire ses canons et postes de signaux. Tout cela, et en outre les convois, les reconnaissances, la nécessité de risquer son propre navire, pour arriver à connaître les mouvements de l'ennemi, incombe à l'officier qui commande un croiseur. Je vais même jusqu'à dire que quand on est capable d'accomplir avec succès ces tâches, on mérite mieux de son pays que l'officier du vaisseau de ligne, qui fait le va et vient entre Ouessant et les Roches Noires, assez longtemps pour construire un récif avec la masse de ses os de boeuf.

– Monsieur, dit le colérique vieux marin, un officier comme ça ne court pas du moins le risque d'être pris pour un corsaire.

– Je suis surpris, capitaine Bulkeley, répliqua avec vivacité Cochrane, que vous alliez jusqu'à mettre ensemble les termes de corsaire et d'officier du roi.

Les choses tournaient à l'orage entre ces loups de mer aux têtes chaudes, aux propos laconiques, mais le capitaine Foley para au danger en portant la discussion sur les nouveaux vaisseaux que l'on construisait dans les ports de France.

Je prenais grand intérêt à écouter ces hommes, qui passaient leur vie à combattre nos voisins, à en discuter le caractère et les méthodes.

Vous qui vivez en des temps de paix et d'entente cordiale, vous ne sauriez vous imaginer avec quelle rage l'Angleterre haïssait alors la France, et par-dessus tout son grand chef.

C'était plus qu'un simple préjugé, qu'une antipathie.

C'était une aversion profonde, agressive, dont vous pouvez encore aujourd'hui vous faire quelque idée en jetant les yeux sur les journaux et les caricatures de l'époque.

Le mot de Français n'était guère prononcé que précédé de l'épithète coquin ou canaille.

Dans tous les rangs de la société, dans toutes les parties du pays, ce sentiment était le même.

Et les soldats de marine, qui étaient à bord de nos vaisseaux, menaient à combattre contre les Français une férocité qu'ils n'auraient jamais montrée, s'il s'était agi de Danois, de Hollandais ou d'Espagnols.

Si, maintenant que cinquante ans se sont écoulés, vous me demandez d'où venait ce sentiment de virulence à leur égard, ce sentiment si étranger au caractère anglais avec son laisser-aller et sa tolérance, je vous avouerai que, selon moi, c'était la crainte.

Naturellement, ce n'était point une crainte individuelle. Nos détracteurs les plus venimeux ne nous ont jamais qualifiés de lâches. C'était la crainte de leur étoile, la crainte de leur avenir, la crainte de l'homme subtil dont les plans paraissaient toujours tourner heureusement, la crainte de la lourde main qui avait jeté à bas une nation, puis une autre.

Notre pays était petit et au temps de la guerre, sa population n'était guère supérieure à la moitié de celle de la France.

Et alors, la France s'était agrandie par des bonds _gig_antesques.

Elle s'était avancée au nord jusqu'à la Belgique et à la Hollande.

Elle s'était accrue par le sud en Italie.

Pendant ce temps, nous étions affaiblis par la haine profonde qui régnait en Irlande entre les Catholiques et les Presbytériens.

Le danger était imminent, évident pour l'homme le plus incapable de réflexion.

On ne pouvait se promener le long de la côte du Kent sans voir les amas de bois amoncelés pour servir de signaux et avertir le pays du débarquement de l'ennemi, et quand le soleil brillait sur les hauteurs du côté de Boulogne, on voyait son éclat se refléter sur les baïonnettes des vétérans qui manoeuvraient.

Rien d'étonnant à ce qu'il y eut, au fond du coeur des plus braves, une crainte de la puissance française, et cette animosité a toujours pour résultat d'engendrer une haine amère et pleine de rancune.

Alors les marins parlèrent sans bienveillance de leurs récents ennemis.

Ils les haïssaient sincèrement et selon l'usage de notre pays, ils disaient tout haut ce qu'ils avaient sur le coeur.

En ce qui concernait les officiers français, il était impossible d'en parler dune façon plus chevaleresque, mais quant à la nation, ils l'avaient en horreur.

Les vieux avaient combattu contre eux dans la guerre d'Amérique, combattu encore pendant ces dix dernières années, et on eût dit que le désir le plus ardent qu'ils eussent dans le coeur était de passer le reste de leur vie à combattre encore contre eux.

Mais si j'étais surpris de la violente animosité qu'ils témoignaient à l'égard des Français, je ne l'étais pas moins de voir à quel degré ils les appréciaient.

La longue série des victoires anglaises avait fini par obliger les Français à s'abriter dans les ports, à renoncer avec désespoir à la lutte et cela nous avait fait croire à tous que, pour une raison ou une autre et par la nature même des choses, l'Anglais sur mer avait toujours le dessus contre le Français.

 

Mais ceux qui avaient participé à la lutte n'étaient nullement de cet avis.

Ils se répandaient en bruyants éloges sur la vaillance de leurs adversaires et ils expliquaient leur défaite par des raisons précises.

Ils rappelaient que les officiers de l'ancienne marine française étaient presque tous des aristocrates, que la Révolution les avait chassés de leurs vaisseaux et que la face navale était tombée entre les mains de matelots indisciplinés et de chefs sans compétence.

Cette flotte mal commandée avait été rudement rejetée dans les ports par la poussée de la flotte anglaise qui avait de bons équipages bien commandés.

Elle les y avait maintenus immobiles, de sorte qu'ils n'avaient eu aucune occasion d'apprendre les choses de la mer. Leur exercice dans les ports, leur tir au canon dans les ports ne servaient à rien, quand il s'agissait de voiles à carguer, de bordées à tirer sur un vaisseau de ligne qui se balançait sur les vagues de l'Atlantique.

Quand une de leurs frégates gagnait le large et qu'elle pouvait naviguer librement un couple d'années, alors son équipage arrivait à connaître son affaire et un officier anglais pouvait espérer mettre une plume à son chapeau, lorsque avec un navire d'égale force il arrivait à lui faire amener son pavillon.

Telles étaient les opinions de ces officiers expérimentés qui les appuyaient de nombreux souvenirs de preuves multiples de la vaillance française.

Ils citaient, entre autres, la façon dont l'équipage de l_Orient_ avait employé ses canons de gaillard d'arrière, pendant que, sous leurs pieds, le pont était en feu et qu'ils savaient qu'ils se battaient sur une soute aux poudres prête à sauter.

On espérait en général que l'expédition des Indes Occidentales qui avait eu lieu depuis la paix, aurait donné à beaucoup de navires l'expérience de l'Océan et qu'on pourrait se hasarder à les faire sortir du Canal si la guerre venait à éclater de nouveau.

Mais recommencerait-elle?

Nous avions dépensé des sommes fabuleuses et fait des efforts immenses pour faire fléchir la puissance de Napoléon et l'empêcher de se faire le despote de l'Europe entière.

Le gouvernement l'essaierait-il une fois de plus?

Se laisserait-il épouvanter par le poids effrayant d'une dette qui ferait courber le dos à bien des générations futures?

Pitt était là et certes, il n'était point homme à laisser la besogne à moitié faite.

Soudain, il y eut de l'agitation près de la porte.

Parmi les nuages gris de fumée de tabac, j'entrevis un uniforme bleu et des épaulettes d'or, autour desquels se formait un rassemblement dense, pendant qu'un rauque murmure, partant du groupe, se changeait en applaudissements lancés par de fortes poitrines.

Tout le monde se leva pour regarder.

On se demandait les uns aux autres de quoi il s'agissait.

Mais la foule bouillonnait et les applaudissements redoublaient.

– Qu'est-ce que c'est? Qu'est-ce qu'il arrive? demandaient une vingtaine de voix.

– Enlevons-le! Hissons-le, cria quelqu'un et, aussitôt après, je vis le capitaine Troubridge au-dessus des épaules de la foule.

Sa figure était rouge, comme s'il était sous l'influence du vin et il agitait quelque chose qui ressemblait à une lettre.

Les applaudissements se turent peu à peu et il se fit un tel silence que j'aurais pu discerner le froissement du papier dans sa main.

– Grandes nouvelles, gentlemen, cria-t-il, grandes nouvelles! Le contre-amiral Collingwood m'a chargé de vous les communiquer. L'ambassadeur de France a reçu ses passeports ce soir. Tous les vaisseaux qui figurent à l'Annuaire vont recevoir leur commission. L'amiral Cornwallis doit quitter la baie de Cawsand pour croiser au large d'Ouessant. Une escadre part pour la Mer du Nord, une autre pour la mer d'Irlande.

Il avait sans doute d'autres nouvelles à donner, mais son auditoire ne voulut pas en entendre davantage.

Comme on criait, comme on trépignait, quel délire!

Prudes et vieux officiers à pavillon, graves capitaines d'armes, jeunes lieutenants, tous criaient à tue-tête comme des écoliers échappés en vacances.

On ne songeait plus à ces cuisants et multiples griefs que j'avais entendu énumérer.

Le mauvais temps était passé.

Les oiseaux de mer, captifs sur terre, allaient raser l'écume, une fois encore.

Les notes du God Save the King dominèrent majestueusement le bruit confus.

J'entendis les antiques vers chantés d'une façon qui faisait oublier leurs mauvaises rimes et leur banalité.

J'espère que vous ne les entendrez jamais chanter ainsi, avec des larmes sur les joues ridées, avec des sanglots dans des voix d'hommes énergiques.

Ceux qui parlent du flegme de nos compatriotes ne les ont jamais vus quand la croûte de lave est brisée et que, pendant un instant, la flamme ardente et durable du Nord apparaît à découvert.

C'est ainsi que je la vis alors, et si je ne la vois point aujourd'hui, je ne suis ni assez vieux, ni assez sot pour croire qu'elle soit éteinte.

XIII – LORD NELSON

Le rendez-vous entre Lord Nelson et mon père devait avoir lieu à une heure matinale, et il tenait d'autant plus à être exact qu'il savait combien les allées et venues de l'amiral seraient modifiées par les nouvelles que nous avions apprises, la veille au soir.

Je venais à peine de déjeuner et mon oncle n'avait pas sonné pour son chocolat, quand mon père vint me prendre à Jermyn Street.

Au bout de quelques centaines de pas dans Piccadilly, nous nous trouvâmes devant le grand bâtiment de briques déteintes qui servait de logement de ville aux Hamilton et qui devenait le quartier général de Lord Nelson lorsque affaires ou plaisirs le faisaient venir de Merton.

Un valet de pied répondit à notre coup de marteau et nous introduisit dans un grand salon au mobilier sombre, aux tentures de nuance triste.

Mon père fit passer son nom et nous nous assîmes, jetant les yeux sur les blanches statuettes italiennes qui occupaient les angles, sur un tableau qui représentait le Vésuve et la baie de Naples et qui était accroché au-dessus du clavecin.

Je me rappelle encore une pendule noire au bruyant tic-tac qui était sur la cheminée; et de temps à autre, au milieu du bruit des voitures de louage, il nous arrivait de bruyants éclats de rire de je ne sais quelle autre pièce.

Lorsque enfin la porte s'ouvrit, mon père et moi nous nous levâmes, nous attendant à nous trouver en présence du plus grand des Anglais. Mais ce fut une personne bien différente qui entra.

C'était une dame de haute taille et qui me parut extrêmement belle, bien que peut-être un critique plus expérimenté et plus difficile eût trouvé que son charme appartenait plutôt aux temps passé qu'au présent.

Son corps de reine présentait des lignes grandes et nobles, tandis que sa figure qui commençait à s'empâter, à devenir grossière, était encore remarquable par léclat du teint, la beauté de grands yeux bleu clair et les reflets de sa noire chevelure qui se frisait sur un front blanc et bas.

Elle avait un port des plus imposants, si bien qu'en la regardant à son entrée majestueuse, et devant cette pose qu'elle prit en jetant un coup d'oeil sur mon père, je me rappelai alors la reine des Péruviens, qui sous les traits de Miss Polly Hinton, nous excitait le petit Jim et moi à nous révolter.

– Lieutenant Anson Stone? demandait-elle.

– Oui, belle, dame, répondit mon père.

– Ah! s'écria-t-elle en sursautant d'une façon affectée, avec exagération. Alors, vous me connaissez?

– J'ai vu Votre Seigneurie à Naples.

– Alors, vous avez vu aussi sans doute, mon pauvre Sir William?

Mon pauvre Sir William!

Et elle toucha sa robe de ses doigts blancs couverts de bagues, comme pour attirer notre attention sur ce fait qu'elle était en complet costume de deuil.

– J'ai entendu parler de la triste perte qu'avait éprouvée Votre

Seigneurie, dit mon père.

– Nous sommes morts ensemble, s'écria-t-elle. Que peut être désormais mon existence, sinon une mort lentement prolongée?

Elle parlait d'une belle et riche voix qu'agitait le frémissement le plus douloureux, mais je ne pus m'empêcher de reconnaître qu'elle avait l'air de la personne la plus robuste que j'eusse jamais vue et je fus surpris de voir qu'elle me lançait de petites oeillades interrogatives comme si elle prenait quelque plaisir à se voir admirer, fût-ce par un individu aussi insignifiant que moi.

Mon père, en son rude langage de marin, tâchait de balbutier quelques banales paroles de condoléances, mais ses yeux se détournaient de cette figure revêche, hâlée, pour épier quel effet elle avait produit sur moi.

– Voici son portrait, à cet ange tutélaire de cette demeure, s'écria-t-elle en montrant d'un geste grandiose, large, un portrait suspendu au mur et représentant un gentleman à la figure très maigre, au nez proéminent et qui avait plusieurs décorations à son habit.

«Mais c'est assez parler de mes chagrins personnels, dit-elle en essuyant sur ses yeux d'invisibles larmes. Vous êtes venus voir Lord Nelson. Il m'a chargée de vous dire qu'il serait ici dans un instant. Vous avez sans doute appris que les hostilités vont reprendre?

– Nous avons appris cette nouvelle hier soir. – Lord Nelson a reçu l'ordre de prendre le commandement de la flotte de la Méditerranée.

– Vous pouvez croire qu'en un tel moment… Mais n'est-ce pas le pas de Sa Seigneurie que j'entends?

Mon attention était si absorbée par les singulières façons de la dame, et par les gestes, les poses dont elle accompagnait toutes ses remarques, que je ne vis pas le grand amiral entrer dans la pièce.

Lorsque je me retournai, il était tout près à côté de moi.

C'était un petit homme brun à la tournure svelte et élancée d'un adolescent.

Il n'était point en uniforme.

Il portait un habit brun à haut collet, dont la manche droite et vide, pendait à son côté.

L'expression de sa figure était, je m'en souviens bien, extrêmement triste et douce, avec les rides profondes qui décelaient les luttes de son âme impatiente, ardente.

Un de ses yeux avait été crevé et abîmé par une blessure, mais l'autre se portait de mon père à moi avec autant de vivacité que de pénétration.

À vrai dire, d'ensemble, avec ses regards brefs et aigus, la belle pose de sa tête, tout en lui indiquait l'énergie, la promptitude, en sorte que, si je puis comparer les grandes choses aux petites, il me rappela un terrier de bonne race, bien dressé au combat, doux et leste, mais vif et prêt à tout ce que le hasard pourrait mettre sur sa voie.

– Eh bien! lieutenant Stone, dit-il du ton le plus cordial en tendant sa main gauche à mon père, je suis fort content de vous voir. Londres est plein de marins de la Méditerranée, mais je compte qu'avant une semaine, il ne restera plus aucun officier d'entre vous sur la terre ferme.

– Je suis venu vous demander, Sir, si vous pourriez m'aider à avoir un vaisseau.

– Vous en aurez un, Stone, si on fait quelque cas de ma parole à l'Amirauté. J'aurai besoin d'avoir derrière moi tous les anciens du Nil. Je ne puis vous promettre un vaisseau de première ligne, mais ce sera au moins un vaisseau de soixante-quatre canons, et je puis vous assurer qu'on est à même de faire bien des choses avec un vaisseau de soixante-quatre canons, bien maniable, qui a un bon équipage et qui est bien bâti.

– Qui pourrait en douter, quand on a entendu parler de l_Agamemnon_? s'écria Lady Hamilton.

Et en même temps, elle se mit à parler de l'amiral et de ses exploits en termes d'une exagération élogieuse, avec une telle averse de compliments et dépithètes, que mon père et moi nous ne savions quelle figure faire.

Nous nous sentions humiliés et chagrins de la présence d'un homme qui était forcé d'entendre dire devant lui de telles choses.

Mais, après avoir risqué un coup d'oeil sur Lord Nelson, je m'aperçus à ma grande surprise que, bien loin de témoigner de l'embarras, il souriait, il avait l'air enchanté comme si cette grossière flatterie de la dame était pour lui la chose la plus précieuse du monde.

– Allons, allons, ma chère dame, vos éloges surpassent de beaucoup mes mérites…

Ces mots l'encourageant, elle se lança dans une apostrophe théâtrale au favori de la Grande-Bretagne, au fils aîné de Neptune, et il s'y soumit en manifestant la même gratitude, le même plaisir.

Qu'un homme du monde, âgé de quarante-cinq ans, pénétrant, honnête, au fait du manège des cours, se laissât entortiller par des hommages aussi crus, aussi grossiers, j'en fus stupéfait, comme le furent tous ceux qui le connaissaient.

 

Mais vous qui avez beaucoup vécu, vous n'avez pas besoin qu'on vous dise combien de fois il arrive que la nature la plus énergique, la plus noble, à quelque faiblesse unique, inexplicable, une faiblesse qui se montre d'autant plus visiblement qu'elle contraste avec le reste, ainsi qu'une tache noire apparaît d'une manière plus choquante sur le drap le plus blanc.

– Vous êtes un officier de mer comme je les aime, Stone, dit-il, quand Sa Seigneurie fut arrivée au bout de son panégyrique. Vous êtes un marin de la vieille école.

Il arpenta la pièce à petits pas impatients tout en parlant et en pivotant de temps à autre sur un talon, comme si quelque barrière invisible l'avait arrêté.

– Nous commençons à devenir trop beaux pour notre besogne avec ces inventions d'épaulettes, d'insignes de gaillard darrière. Au temps où j'entrai au service, vous auriez pu voir un lieutenant faire les liures et le gréement de son beaupré, ayant parfois un épissoir suspendu au cou, pour donner l'exemple à ses hommes. Aujourd'hui, c'est tout juste, sil veut bien porter son sextant jusqu'à l'écoutille. Quand serez-vous prêt à embarquer, Stone?

– Ce soir, Mylord.

– Bien, Stone, bien. Voilà le véritable esprit. On double la besogne à chaque marée sur les chantiers, mais je ne sais quand les vaisseaux seront prêts. J'arbore mon pavillon sur la Victoire mercredi, et nous mettons à la voile aussitôt.

– Non, non, pas si tôt, il ne pourra pas être prêt à prendre la mer, dit Lady Hamilton d'une voix plaintive en joignant les mains, et elle tourna les yeux vers le plafond, tout en parlant.

– Il faut qu'il soit prêt et il le sera, s'écria Nelson avec une véhémence extraordinaire. Par le ciel, quand même le diable serait à la porte, je m'embarquerai mercredi. Qui sait ce que ces gredins peuvent bien faire en mon absence? La tête me tourne à la pensée des diableries qu'ils projettent peut-être. En cet instant même, chère dame, la reine, notre reine, s'écarquille peut-être les yeux pour apercevoir les voiles des hunes des vaisseaux de Nelson.

Comme je me figurais qu'il parlait de notre vieille reine Charlotte, je ne comprenais rien à ses paroles, mais mon père me dit ensuite que Nelson et Lady Hamilton s'étaient pris d'une affection extraordinaire pour la reine de Naples et c'étaient les intérêts de ce petit royaume qui lui tenaient si fort à coeur.

Peut-être mon air d'ahurissement attira-t-il l'attention de Nelson sur moi, car il suspendit tout à coup sa promenade à l'allure de gaillard d'arrière et me toisa des pieds à la tête, d'un air sévère. – Eh bien! jeune gentleman, dit-il d'un ton sec.

– C'est mon fils unique, Sir, dit mon père. Mon désir est qu'il entre au service si l'on peut trouver une cabine pour lui, car voici bien des générations que nous sommes officiers du roi.

– Ainsi donc, vous tenez à venir vous faire rompre les os, s'écria Nelson d'un ton rude, et en regardant d'un air de mécontentement les beaux habits qui avaient été si longuement discutés entre mon oncle et Mr Brummel. Vous aurez à quitter ce grand habit pour une jaquette de toile cirée, si vous servez sous mes ordres.

Je fus si embarrassé par la brusquerie de son langage, que je pus à peine répondre en balbutiant que j'espérais faire mon devoir.

Alors, sa bouche sévère se détendit en un sourire plein de bienveillance, et bientôt, il posa sur mon épaule sa petite main brune.

– Je crois pouvoir dire que vous marcherez très bien. Je vois que vous êtes de bonne étoffe. Mais ne vous imaginez pas entrer dans un service facile, jeune gentleman, quand vous entrez dans le service de Sa Majesté. C'est une profession pénible. Vous entendez parler du petit nombre qui réussit, mais que savez-vous de centaines d'autres qui n'arrivent pas à faire leur chemin? Voyez combien j'ai eu de chance. Sur deux cents qui étaient avec moi à l'expédition de San Juan, cent quarante-cinq sont morts en une seule nuit. J'ai pris part à cent quatre-vingts engagements, et comme vous voyez, j'ai perdu un oeil et un bras sans compter d'autres graves blessures. La chance m'a permis de passer à travers tout cela, et maintenant, je bats pavillon amiral, mais je me rappelle plus d'un honnête homme qui me valait et qui n'a point percé.

«Oui, reprit-il, comme la dame se répandait en protestations loquaces, bien des gens, bien des gens qui me valaient sont devenus la proie des requins et des crabes de terre. Mais c'est un marin sans valeur que celui qui ne se risque pas chaque jour, et nos existences à tous sont dans la main de celui qui connaît parfaitement l'heure où il nous la redemandera.

Pendant un instant, le sérieux de son regard, le ton religieux de sa voix nous firent entrevoir peut-être les profondeurs du vrai Nelson, l'homme des contes orientaux, imbu de ce viril puritanisme qui fit surgir de cette région, les Côtes de fer, ceux qui devaient façonner le coeur de l'Angleterre et les Pères Pèlerins qui devaient le propager au dehors.

C'était là le Nelson qui affirmait avoir vu la main de Dieu s'appesantir sur les Français et qui s'agenouillait dans la cabine de son vaisseau amiral, pour attendre le moment de se porter sur la ligue ennemie.

Il y avait aussi une humaine tendresse dans le ton qu'il prenait pour parler de ses camarades morts, et elle me fit comprendre pourquoi il était si aimé de tous ceux qui servirent sous lui.

En effet, bien qu'il eût la dureté du fer quand il s'agissait de naviguer et de combattre, en sa nature complexe, il se combinait une faculté qui manque à l'Anglais, cette émotion affectueuse qui s'exprimait par des larmes, lorsqu'il était touché, et par des mouvements instinctifs de tendresse, comme celui dans lequel il demanda à son capitaine de pavillon de l'embrasser quand il gisait mourant, dans le poste de la Victoire.

Mon père s'était levé pour partir, mais l'amiral, avec cette bienveillance qu'il témoigna toujours à la jeunesse, et qui avait été un instant glacée par l'inopportune splendeur de mes habits, continua à se promener devant nous, en jetant des phrases brèves et substantielles pour m'encourager et me conseiller.

– C'est de l'ardeur que nous demandons dans le service, jeune gentleman, dit-il. Il nous faut des hommes chauffés au rouge, qui ne sachent ce que c'est que le repos. Nous en avons de tels dans la Méditerranée et nous les retrouverons. Quelle troupe fraternelle. Lorsqu'on me demandait d'en désigner un pour une tâche difficile, je répondais à l'amirauté de prendre le premier venu, car le même esprit les animait tous. Si nous avions pris dix-neuf vaisseaux, nous n'aurions jamais déclaré notre tâche bien remplie, tant que le vingtième aurait navigué sur les mers. Vous savez ce quil en était chez nous, Stone. Vous avez passé trop de temps sur la Méditerranée, pour que j'aie besoin de vous en dire quoi que ce soit.

– J'espère être sous vos ordres, Mylord, dit mon père, la prochaine fois que nous les rencontrerons.

– Nous les rencontrerons, il le faut, et cela sera. Par le ciel! je n'aurai pas de repos, tant que je ne leur aurai pas donné une secousse. Ce coquin de Bonaparte prétend nous abaisser. Qu'il essaie et que Dieu favorise la bonne cause!

Il parlait avec tant d'animation, que la manche vide s'agitait en l'air, ce qui lui donnait l'air le plus extraordinaire.

Voyant mes yeux fixés sur lui, il sourit et se tourna vers mon père.

– Je peux encore faire de la besogne avec ma nageoire, dit-il en posant la main sur son moignon. Qu'est-ce qu'on disait dans la flotte à ce propos?

– Que c'était un signal indiquant qu'il ne ferait pas bon se mettre en travers de votre écubier.

– Ils me connaissent, les coquins. Vous le voyez, jeune gentleman, il ne s'est pas perdu la moindre étincelle de l'ardeur que j'ai mise à servir mon pays. Il pourra arriver un jour, que vous arborerez votre propre pavillon et, quand ce jour viendra, vous vous souviendrez que le conseil que je donne à un officier, c'est qu'il ne fasse rien à moitié, par demi mesures. Mettez votre enjeu d'un seul coup, et si vous perdez sans qu'il y ait de votre faute, le pays vous confiera un autre enjeu de même valeur. Ne vous préoccupez pas de manoeuvres. Foin des manoeuvres! La seule dont vous ayez besoin, consiste à vous mettre bord à bord avec l'ennemi. Combattez jusqu'au bout et vous aurez toujours raison. N'ayez jamais une arrière pensée pour vos aises, pour votre propre vie, car votre vie ne vous appartient plus à partir du jour où vous avez endossé l'uniforme bleu. Elle appartient au pays et il faut la dépenser sans compter pour peu que le pays en retire le moindre avantage. Comment est le vent, ce matin, Stone?