Za darmo

Le chemin qui descend

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– Toute à votre disposition, madame; dois-je aller maintenant dans le salon?..

– Si M. de Ryeux veut bien ne pas vous retenir davantage, je vous en serais très obligée, mademoiselle.

Il y avait dans sa voix de l'impatience et de la nervosité; entre les cils, ses yeux avides inspectaient la jeune fille. Évidemment l'aisance hautaine de Claude la désorientait et lui déplaisait, soulignée par l'amabilité empressée que lui témoignait la chanteuse qu'elle combla de paroles flatteuses, la célébrant, à l'avance, par d'enthousiastes éloges. Quand les deux femmes eurent fini de se congratuler, Mme de Ryeux revint à Claude qui attendait. Son mari avait quitté la pièce.

– Par ici, mademoiselle, je vous prie.

Claude s'inclina et, à la suite de la jeune femme, pénétra dans le salon où des visiteurs nouveaux avaient encore surgi. A sa vue, un remous de curiosité assourdit le bruit des conversations. Les femmes interrompirent leurs propos et coulèrent un regard surpris, intéressé, plus ou moins bienveillant, sur cette inconnue, si originale de type et de costume. Avec un ensemble significatif, tous les hommes se rapprochaient.

Indifférente, Claude recevait le choc de tous ces regards. Droite près du piano, son violon sur l'épaule, elle attendait que l'accompagnateur eût préludé. Peu lui importait que tous ces gens fussent soudain occupés à l'examiner, à peine plus discrètement que quelque belle statue offerte à leur jugement.

Le piano se tut.

Alors, solitaire, la voix du violon s'éleva, avec une telle puissance d'expression que, dans la frivole et houleuse assemblée, un silence se fit, attentif. Si Raymond de Ryeux avait vraiment craint qu'elle ne jouât négligemment pour ses hôtes, il dut être rassuré dès l'instant où elle commençait. Elle était bien trop artiste pour ne pas oublier l'auditoire brillant et banal, dans son intime communion avec l'œuvre qu'elle interprétait. Dès qu'elle eut modulé sa première phrase, le charme opéra sur elle et aussi sur ceux qui l'écoutaient. Les regards cessèrent d'être curieux ou distraits.

Et ce furent quelques minutes inoubliables, même pour les profanes qui subissaient l'enchantement, eux aussi. Les derniers sons vibrèrent dans le silence des âmes attentives. Puis éclata cette tempête des applaudissements qu'elle commençait à bien connaître. Des exclamations s'élevaient.

– Elle est étonnante!.. Elle est prodigieuse!.. Où Charlotte de Ryeux a-t-elle déniché cette jeune merveille?.. Et puis quel type!.. Le visage vaut le talent…

– C'est très réussi, sa toilette!.. Ça ne ressemble à rien de ce qu'on fait…

Mme de Ryeux n'était peut-être pas – sûrement même! – n'était pas une femme très intelligente, mais elle était, à coup sûr, une hôtesse parfaite qui savait incomparablement comment doser les jouissances musicales à ses invités. Tandis que vers Claude, un flot ondulait, elle laissa les conversations reprendre parmi ses invités qu'elle avait eu le tact de ne point parquer en lignes ennuyeuses, les laissant s'installer par groupes à leur fantaisie. Avec des yeux qui ne laissaient rien passer, elle suivait la circulation des plateaux chargés de rafraîchissements. Mais, presque malgré elle, tandis qu'elle causait, souriait, accueillait, son regard revenait vers le coin du piano où elle apercevait la tête bouclée de cette Claude Suzore dont le succès dépassait ce qu'elle avait prévu, même avec les assurances données par son mari, qu'elle savait connaisseur pourtant!

Certes, comme maîtresse de maison, elle était satisfaite de ce succès. Mais de si haut qu'elle considérât cette petite violoniste payée par elle, si elle avait été capable de démêler toutes les nuances de ses impressions, elle y eût découvert une sourde impatience de l'attention excessive que tous les hommes présents manifestaient à son endroit, évidemment séduits par la femme, autant que par l'artiste. Elle n'en pouvait douter à la façon dont ils la regardaient, aux propos qu'elle entendait, à l'empressement qu'ils montraient à évoluer vers elle, à se faire présenter.

Elle, restée debout près du piano, accueillait les hommages, répondait, très correcte, sans presque sourire, quelquefois avec une simple inclinaison de tête; toujours avec cette aisance fière qui exaspérait Charlotte de Ryeux, et une indifférence polie de femme qui pense: «Tout ce que me disent ces inconnus ne me touche en rien. Leur opinion ne compte pas pour moi!»

Et brusquement, tout en répondant à des félicitations sur le jeu de l'artiste, comme si elle y eût été pour quelque chose, elle pensa impatiente:

– Cette petite m'agace, avec son air de princesse au milieu de sa cour… Bon! voici Lola qui va l'encenser à son tour! Cette Claude Suzore a le succès encombrant! Il faut que j'aille remettre les choses au point… Raymond doit être aussi dans la phalange des adorateurs.

Son regard perçant fouilla le groupe formé autour de Claude. Son mari n'en faisait pas partie. Où donc était-il? Le cherchant des yeux, elle l'aperçut à l'autre extrémité du salon qui causait avec Françoise de Gaube… Et parce qu'elle savait de quelle façon la chronique mondaine accolait leurs deux noms, elle eut un fugitif froncement des sourcils.

Puis, d'un geste insouciant, elle se détourna et se dirigea vers le piano.

Elle eut alors un sursaut:

– Comment, voilà Étienne qui, lui aussi, vient faire sa cour?.. Elle est plus aimable avec lui qu'avec les autres. Ils ont l'air de se connaître. C'est un peu fort!

Lola bondissait vers elle.

– Tu sais, Lotte, je suis toquée de cette Claude! Comme elle joue chaud! Et quelle allure! Quelle tête originale!

– Une tête de modèle!.. Voyons, Lola, ne t'emballe pas ainsi stupidement.

Lola ouvrait de larges prunelles, effarées et moqueuses.

– Qu'est-ce qui te prend? Ma jolie Lotte, tu as l'air jalouse… Pas à cause de ton époux, j'imagine… Pour le moment, il est occupé à flirter avec Françoise de Gaube… Les vois-tu, là-bas, dans l'embrasure de la fenêtre?.. Vrai, tu sais, avec son air de se f… du monde, elle est rudement chic… et séduisante, cette Claude…

Mme de Ryeux se redressa, impatiente.

– Tu es bien taquine, aujourd'hui! Lolita.

Il était temps d'agir, et sans plus se laisser arrêter, elle alla droit à Claude:

– Mademoiselle Suzore, voulez-vous avoir, maintenant, la complaisance d'accompagner madame Dancenay.

– Très bien, madame. Je suis toute prête.

Charlotte de Ryeux n'avait pas eu un mot de félicitation pour Claude. Comme elle était une femme du monde fort correcte, elle s'en aperçut, le regretta au point de vue politesse, et dit hâtivement:

– Vous avez pu constater, mademoiselle, votre succès… Je vous remercie pour moi et mes hôtes.

Claude s'inclina légèrement, sans un mot. Mme de Ryeux se tournait, empressée, vers la chanteuse:

– Alors, chère madame Dancenay, vous voulez bien, maintenant, nous donner le plaisir de vous applaudir?

La voix brève prenait des inflexions presque câlines. Mme Dancenay était tout à fait au goût de Charlotte de Ryeux, à qui elle témoignait une flatteuse déférence.

– Verriez-vous quelque inconvénient, chère madame, à ce que je chante d'abord seule, sans accompagnement de violon?

– Aucun, certes… Faites comme il vous sera le plus agréable!

Claude, aussitôt, s'était écartée, regardant Mme de Ryeux, qui louvoyait parmi ses hôtes; et irrévérencieuse, elle songeait, devant son allure omnipotente et sa marche dandinante, aux oies qui traversent ainsi les routes.

Le petit pianiste avait repris sa place; et les accords qu'il plaqua dominèrent le bruit des conversations.

De nouveau, les regards se braquèrent vers le piano où, très agréable à voir, d'un air de cantatrice amateur, se tenait Mme Dancenay, souriante, inclinant la tête en saluts pleins de grâce à l'adresse des amis ou simples connaissances reconnues dans l'auditoire.

Elle avait une très belle voix, savamment conduite, un peu froide, qu'elle maniait avec une adresse impeccable. Et elle eut un très honorable succès. A tous, elle apportait un réel agrément; même – et ce n'était pas un mince mérite, – à ceux qui ne goûtaient pas les mélodies ultra-modernes dont elle était prodigue.

Pour permettre aux applaudissements et aux petits fours d'accomplir leur mission, il y eut, de nouveau, une pause dans le programme. Puis, avec Claude cette fois, Mme Dancenay reprit son chant. Mais ce n'était pas un simple accompagnement qui jaillissait des cordes vibrantes. Elles aussi chantaient, d'une voix si profondément expressive qu'un peu impatiente, Mme Dancenay murmura:

– Ne jouez pas si fort, je vous prie, vous me couvrez.

Une lueur malicieuse courut dans les prunelles de Claude; mais sans s'occuper de l'observation, docile au seul souci artistique, elle joua de telle sorte que le chant, le piano et le violon formassent un tout harmonieux dont le succès rasséréna Mme Dancenay; d'autant qu'à son tour, elle était fort entourée.

Claude, elle, s'était dérobée résolument; cachée par la lourde draperie d'une portière, elle contemplait avec son extrême indépendance d'esprit, la même comédie mondaine, tant de fois observée déjà, dans les salons où elle allait, en artiste payée.

Près d'elle, inattendue, résonna la voix de Raymond de Ryeux qu'elle eût imaginé – si elle avait pensé à lui – loin d'elle, sans doute près de la jeune femme avec laquelle, si volontiers, il paraissait causer.

– Enfin, je vous trouve!.. Admirez ma sagesse, quand je suis dans mon personnage de maître de maison… J'ai laissé tous mes hôtes vous féliciter d'abord à leur aise… Mme de Ryeux avoir ce plaisir avant moi…

L'ombre d'un sourire courut sur les lèvres de Claude. Moqueuse, elle pensait à ce qu'avaient été les félicitations de Mme de Ryeux. Il s'en aperçut tout de suite et comprit…

Un éclair dur traversa ses prunelles… Puis, avec un haussement d'épaules qui rejetait les mesquins procédés de sa femme, il demanda avec une désinvolture impertinente:

 

– Cela vous est égal, n'est-ce pas, que Mme de Ryeux n'ait pas su vous exprimer son gré du rare plaisir que vous avez donné à ses hôtes? Vous avez pu constater combien ils l'avaient goûté!.. De plus qu'eux, je suis fier…

– Que mon exhibition ait réussi. Tant mieux… Je mets un point d'honneur à donner ce qu'on attend de moi.

– Oui… oui… Je sais que vous êtes très orgueilleuse… Mais je ne vous en veux pas… Cela vous va si bien… Je crois bien que jamais je ne pourrai oublier… – et pourtant cela vaudrait mieux!.. – comment vous m'êtes apparue tantôt quand je suis entré dans le salon!

Son sourire et son accent de badinage amical et gai corrigeaient mal la sincérité violente de ses paroles, la flamme qui luisait dans le regard qu'il attachait sur elle. Mais elle ne paraissait pas y prendre garde; comme si cette flamme n'eût pu arriver jusqu'à elle, aussi invulnérable que la Walkyrie dormant dans le cercle de feu…

Elle avait seulement un peu haussé les épaules à ses paroles.

– Non, je ne suis pas orgueilleuse; en la circonstance, du moins; mais tout bonnement honnête. Je fais ce à quoi je me suis engagée. Est-ce maintenant que je dois jouer de nouveau?

Il secoua la tête d'un geste impatient.

– Pas encore… Vous ne pensez qu'à partir… Alors que moi… me permettrez-vous de l'avouer? je ne pense qu'à vous garder un peu… pour moi!.. après vous avoir généreusement abandonnée tout l'après-midi à mes hôtes…

Elle avait eu un mouvement si net pour l'arrêter, qu'il n'insista pas, trop habitué aux femmes pour ne pas comprendre qu'avec celle-ci, il lui fallait n'avancer qu'avec une extrême prudence. Il ne se demandait pas ce qu'il voulait d'elle. Il obéissait à l'attrait violent qu'elle exerçait sur lui. Sans répondre à ses paroles, elle s'était levée, disant:

– Je crains que Mme de Ryeux ne me cherche.

– Eh bien, laissez-la vous chercher! jeta-t-il avec indifférence. Soyez sans inquiétude, elle vous découvrira. Elle est très tenace et arrive toujours à ses fins.

Il avait laissé tomber la riposte avec cette drôlerie gamine qui l'amusait malgré elle, peu habituée à ce tour d'esprit. Mais parce qu'elle n'était plus à l'ombre de la portière, Lola l'avait aperçue et se précipitait vers elle, enchantée d'être désagréable à Raymond, en venant troubler son aparté avec l'artiste qu'il admirait si fort – à tous points de vue… Son intuition de petite fille très expérimentée l'avait vite avertie.

– Mademoiselle Suzore, tout le monde réclame que vous jouiez encore. C'est à vous, n'est-ce pas?

– J'attends le bon plaisir de Mme de Ryeux…

– Elle vous cherchait de tous les côtés…

Instinctivement, les yeux de Claude coururent vers Raymond de Ryeux, dont les lèvres avaient maintenant un pli moqueur.

– Lotte, voici Mlle Suzore retrouvée. Elle joue, maintenant… dis?

– Oui, elle peut…

Claude s'inclina et reprenant son violon, s'approcha lentement du piano. A sa vue, les applaudissements avaient éclaté avec un élan expressif.

Instantanément, les conversations s'interrompirent, la rumeur des propos, soudain apaisée. Ce très chic public, blasé, oh! combien! devenait attentif. De nouveau, les femmes attachèrent sur l'artiste des regards où il y avait de tout: curiosité chercheuse, étonnée, impertinente ou sympathique; inconsciente et obscure jalousie pour un succès qui n'allait pas seulement à la violoniste; bienveillance chez certaines; et chez d'autres, appréciation sévère de l'étrangeté du type, de l'originale élégance de la toilette, de l'aisance fière, presque patricienne, de l'attitude. Et ces dernières, sans le savoir, voyaient absolument juste; Claude Suzore était bien la fille du prince Démerowsky. De lui, elle tenait son allure de race et son charme un peu exotique de Slave.

Parmi l'élément masculin, l'impression était infiniment plus une. Sur tous, sur presque tous… Claude exerçait son habituelle attraction, grisante comme un parfum de tubéreuse.

Et Hugaye le constatait avec une impatience irritée dont il ne cherchait pas la cause, plus occupé à observer Raymond de Ryeux qui, adossé au mur, derrière tous ses hôtes, attachait, lui aussi, sur Claude son regard de conquérant, insoucieux de l'obstacle.

Elle avait remercié des acclamations avec un léger signe de tête, et dans un silence – bien rare chez Mme de Ryeux! – elle joua… Une fois… Deux fois… Encore une autre pour répondre aux applaudissements flatteusement impératifs…

Et puis, trop habituée au public pour ne pas savoir que la sagesse est de disparaître en plein succès, elle laissa retomber son archet d'un mouvement qui était un point final.

Brutalement, sur elle, s'abattait le besoin de reprendre sa liberté, de redevenir l'indépendante Claude qui n'agit qu'à sa guise et n'obéit qu'à elle-même.

Elle avait plus que rempli les exigences de son programme; elle était en droit de partir. Tout bas, elle murmura à son camarade qui, au piano, attendait, résigné, le bon plaisir de Mme de Ryeux.

– J'ai fini… Je file… Au revoir et merci.

Profitant de ce que Mme Dancenay, à son tour, occupait le public; que, parmi les groupes, conversations et flirts reprenaient avec une ardeur significative, elle se glissa vers la portière qui fermait l'entrée du petit salon, devenu «foyer des artistes».

Mais au seuil se tenait Raymond de Ryeux. Était-il là, ou non, pour suivre une volonté arrêtée?.. Elle n'y pensa même pas. Autour d'eux, les femmes, très élégantes, et les beaux messieurs causaient, regardaient, se cherchaient, sous la généreuse clarté des ampoules voilées de fleurs, dans la chaude atmosphère saturée de parfums. Les domestiques apportaient les petites tables du goûter, coquettement dressées, les disposant dans le salon, dans la galerie, sous le regard des nymphes qui détachaient en pleine lumière leurs roses nudités.

Très courtois, Raymond de Ryeux interrogea:

– Vous cherchez quelque chose? mademoiselle.

– J'ai terminé mon programme. Je puis me retirer, je pense…

– Non, pas avant d'avoir goûté!.. Voyez, les tables sont apportées. Il faut nous permettre de célébrer votre triomphe!

Elle secoua sa tête volontaire et jeta presque brusquement:

– Merci, non… Je vous suis très… reconnaissante; mais je ne veux rien… que du repos…

Il la contemplait avec une sorte de jouissance avide. La clarté d'une lampe ruisselait sur la ligne longue et souple du cou, sur les bras et les mains nus, sur la chair ivoirine, qui, aux joues, s'était avivée d'un rose plus vif.

– Vous n'êtes jamais fatiguée!.. Vous me l'avez dit à Jobourg.

– La nature et le travail ne me fatiguent pas. Mais le monde… oui!..

– Alors… qu'il en soit fait comme vous préférez… Et… merci!

Il l'avait sentie si résolue à partir qu'il n'insistait plus pour la retenir; mais un regret le mordait, à ce point violent qu'il tressaillit, irrité contre lui-même. C'était stupide, à son âge, de se laisser ainsi troubler par une enfant qui ne se souciait pas de lui!

Sans un mot, il écarta les draperies qui séparaient le grand salon, du «foyer». Sur un fauteuil, gisait abandonnée la longue mante de Claude; il la prit et, d'un geste courtois, délicatement, il la posa sur les épaules qui ne se dérobaient pas.

Claude ne refusait jamais de se laisser servir par un homme du monde. Elle le trouvait là dans son rôle…

Avec un accent de prière, il demanda:

– Vous m'accorderez bientôt un rendez-vous pour une séance de musique?

– Bientôt?.. Je ne sais… Il faut que j'aie des loisirs… Je vous le ferai savoir… Au revoir…

Cette fois, elle lui tendait la main. Dans la sienne, une seconde, il garda les doigts tièdes où frémissait l'ardente vie… Une seconde, à peine, car tout de suite, il sentait la main prisonnière chercher sa liberté, il se courba et la baisa. Puis il dit:

– L'auto vous attend.

– L'auto?

– Bien entendu, nous ne permettons pas que vous retourniez vers Charonne, à l'aventure, surtout avec le brouillard qu'il fait ce soir.

– Mais je ne veux pas! protesta-t-elle, irritée.

Elle se révoltait contre cette sollicitude qui heurtait son altière indépendance.

– Et moi je veux! fit-il aussi impératif qu'elle-même. Je vous répète qu'il fait un affreux brouillard. Il est déjà tard. Vous nous êtes confiée. Par exception, vous allez vous montrer une petite fille docile et m'obéir!

Ils se regardaient bien en face comme deux adversaires; elle, fâchée sincèrement. Mais non pas lui… Car le sourire luisait dans ses prunelles, sous les paupières à demi abaissées; et ce sourire gagnait la bouche sensuelle et volontaire, donnant au visage un charme imprévu.

Elle se taisait, les sourcils rapprochés. Puis elle eut un geste d'épaules.

– Après tout, soit, comme vous vous voudrez. La chose ne vaut pas l'honneur d'une querelle… Maintenant, je devrais vous remercier… Mais les bienfaits que l'on subit…

– Dispensent de tout remerciement. Je suis de votre avis… Laissons donc de côté, voulez-vous, cette oiseuse question. La prochaine fois, je vous promets de vous demander la permission, avant de disposer de votre consentement. En ces conditions, vous me pardonnez et nous faisons la paix?.. Je ne veux pas vous laisser partir fâchée un jour où je vous dois tant…

Elle ne répondit pas… S'il l'avait regardée, il eût été frappé de l'étrange expression qu'avaient ses yeux. Mais il ouvrait la porte devant elle. A travers le vaste vestibule, il la conduisit jusqu'au seuil même. Il interrogea:

– La voiture de Mlle Suzore est avancée?

– Oui, monsieur le comte.

– Alors, mademoiselle, je vous laisse, en vous présentant mes respectueux hommages.

Les yeux vifs l'enveloppaient toute et ils n'étaient certes pas aussi respectueux que les hommages, peut-être sans qu'il en eût conscience. Mais, en lui, grondait si follement le regret de ne pouvoir la saisir et l'emporter comme une proie précieuse!..

Devant le perron, le valet de pied tenait la portière ouverte. Raymond de Ryeux alors s'inclina une dernière fois; elle eut un signe de tête. Dans l'ombre, ses yeux avaient la même expression – ardente et mystérieuse…

Puis la voiture s'ébranla, s'enfonçant dans la nuit…

Aussitôt, elle eut un soupir d'allégement, comme si un poids tombait à terre qui, trop longtemps, s'était appesanti sur ses épaules. Elle se retrouvait seule enfin! «Enfin!» ses lèvres frémissantes articulèrent le mot… Une seconde, elle ferma les yeux comme si elle eût voulu ainsi se reprendre mieux; regarder en elle où elle entendait bourdonner le sourd tumulte de ses pensées et de ses impressions…

Mais elle les rouvrit aussitôt. Une odeur fraîche de fleurs dominait, dans la voiture close, la senteur de cuir des coussins, l'indéfinissable parfum de cigare et de chypre qu'elle connaissait bien maintenant. Elle regarda. Près d'elle, dans un panier de jonc, il y avait une brassée d'admirables fleurs, violettes sombres et pâles violettes de Parme, lilas, roses, tubéreuses; non pas serrées en ces gerbes banales qu'elle détestait; mais abandonnées en pleine liberté, comme si, à l'instant, elles venaient d'être enlevées à la tige natale.

Claude se souvint. Une fois, elle avait dit à Raymond de Ryeux qu'ainsi seulement, elle aimait à recevoir des fleurs.

Un obscur tressaillement l'ébranla, pareil à un choc; et dans l'ombre, sa bouche eut un bizarre sourire.

Bien des hommes déjà avaient rôdé autour d'elle, cherchant à séduire son indépendance… Personne encore ne lui avait fait une cour qui ressemblât à celle de Raymond de Ryeux… Une cour délicate, sourdement ardente sous un masque de respect, si subtile que le parfum qui en émanait semblait s'insinuer en elle pour amollir l'arc tendu de sa volonté.

Loin de lui, elle pouvait s'irriter de l'évidente attention dont il l'enveloppait, du soin qu'il apportait à user de toutes les circonstances pour se rapprocher d'elle; cela, avec une inflexible et discrète résolution. Son orgueil pouvait se révolter devant ce qu'il osait penser, espérer, croire… – peut-être, sinon sûrement… Elle savait déjà si bien ce que sont les hommes!..

Et puis, quand il lui parlait de sa manière impérieuse et caressante, ou avec son accent de gaminerie gaie, imprévu chez un homme de son âge; quand il lui adressait quelque prière, ou simplement lui disait ce qu'il souhaitait d'elle, avec une franchise hardie sans insolence, alors, elle ne l'ignorait pas… elle n'éprouvait plus ni irritation ni colère. Elle acceptait, curieuse, amusée, le cerveau toujours libre, sûre d'elle-même, que cet homme lui offrît l'hommage de sa séduction… Comme elle eût respiré, dressée sur un piédestal inaccessible, le parfum d'un encens.

 

Maintenant qu'elle était seule, libérée de l'espèce d'envoûtement qu'elle subissait près de lui, elle se reprenait toute; et sa pensée incisive s'attachait aussitôt à l'analyse de ses impressions durant les deux heures passées dans l'hôtel de Ryeux.

Son succès y avait été aussi complet que son orgueil d'artiste le pouvait souhaiter. Plusieurs des brillantes amies de Charlotte de Ryeux lui avaient demandé si elle consentirait à se faire entendre chez elles… Tout s'était donc accompli à son gré…

Alors, pourquoi cette obscure irritation contre elle-même que discernait si bien sa clairvoyante pensée et qui l'empêchait de savourer, comme d'ordinaire, la détente de ses nerfs, après la fiévreuse dépense qu'elle leur imposait en jouant…

De quoi s'en voulait-elle? D'avoir joui trop vivement de l'atmosphère de luxe qui imprégnait la somptueuse demeure de Mme de Ryeux. Ce n'était, hélas! pas la première fois qu'elle distinguait, en elle, cette faiblesse contre laquelle, rudement, elle luttait; qu'elle constatait l'espèce d'épanouissement qui se faisait en tout son être quand sa carrière l'amenait dans un milieu où elle s'adaptait instantanément, comme si elle rentrait dans son propre monde.

Est-ce que, en cette minute, dans la tiédeur parfumée de l'auto qui l'emportait, hors de l'atteinte du froid, de la nuit, de la boue, elle n'éprouvait pas la bizarre impression d'être là, à sa vraie place?

Tout comme il lui paraissait naturel que le comte de Ryeux la traitât en égale, bien qu'elle vînt chez lui en artiste payée. Elle le revoyait incliné devant elle, la mettant en voiture, avec ce regard dont tout à coup il lui semblait sentir la brûlure sur son visage. L'impression était si forte que, d'un geste inconscient, elle appuya sur ses joues la paume de ses mains dégantées…

La bouche railleuse, elle murmurait:

– Décidément, cela ne me vaut rien de fréquenter le grand monde! Demain, pour me remettre d'aplomb, je passerai l'après-midi au dispensaire…