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Robert Burns

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Il est impossible de quitter ce sujet des animaux dans Burns sans replacer une remarque qui revient à intervalles réguliers comme des traits de craie sur un mur. Nous notons ici – comme nous l'avons noté auparavant et comme nous aurons à la noter plus loin – sa merveilleuse puissance de personnification. Tandis que les animaux de La Fontaine et que l'âne de Sterne sont des animaux en général, ceux de Burns sont tous des personnalités. Sa pauvre Mailie, le chien Luath, la vieille et honnête Maggie sont désormais des connaissances. Qui, les ayant connus, pourrait les oublier? Il n'est pas jusqu'à la jument que Nicol lui avait donnée à soigner qui n'ait sa ressemblance tracée en quelques traits. On l'appelait Peg Nicholson. C'était une aussi bonne jument baie que toutes les juments qui ont jamais trotté sur du fer.

 
Peg Nicholson était une bonne jument baie
Et jadis elle avait porté un prêtre;
Mais maintenant elle flotte au fil de la Nith,
Banquet pour les poissons de la Solway.
 
 
Peg Nicholson était une bonne jument baie,
Et un prêtre la montait durement;
Et très opprimée et meurtrie avait-elle été,
Comme les bêtes conduites par les prêtres829.
 

Il avait de la pitié pour tous les malheurs qui peuvent arriver aux bêtes.

Cette façon de traiter les animaux nous amène à ce qui, peut-être, est la véritable originalité de Burns dans le sentiment de la nature, nous voulons dire la richesse de tendresse, de pitié, de compassion, d'affection, qu'il a répandues sur toutes les choses animées. Il est en cela unique, bien au-delà des autres poètes. Wordsworth avait une âme trop sereine, trop au-dessus des phénomènes particuliers; son élévation le faisait séjourner dans une sorte d'optimisme où les accidents n'arrivaient pas. Un flot de tendresse est sans doute sorti de l'âme de Shelley, mais elle était impersonnelle, vague, élémentaire, pour ainsi dire, s'adressant plutôt à des forces atmosphériques qu'à des êtres. Elle n'était pas pratique. C'était une aspiration naturaliste plutôt qu'un acte de sympathie humaine. Celui qui approche le plus de Burns est Cowper. Il a fallu une nature délicate, féminine, sensitive, pour avoir horreur de la souffrance des autres presque autant que ce cœur de paysan. Il est curieux de voir combien, après tout, la tendresse virile de celui-ci l'emporte sur la sensibilité exquise de l'autre.

La première manifestation de ce sentiment est la haine de la chasse qui se trouve dans Cowper et dans Burns. Il est curieux de suivre, dans les pages de la littérature anglaise, les progrès de cette sympathie pour les bêtes blessées. Au XVIe siècle, il y en eut quelques exemples, entre autres la touchante scène où le mélancolique Jacques, sous son chêne, au bord d'un ruisseau, voit arriver un cerf mourant830. L'animal gémit, «les grosses larmes rondes se poursuivent l'une l'autre sur son muffle innocent et tombent dans le courant rapide.» Jacques, ce cœur original et bon, peut-être le plus surprenant personnage de Shakspeare, s'afflige, moralise et s'emporte contre la cruauté des hommes.

 
Jurant que nous sommes
De purs usurpateurs, des tyrans, ce qu'il y a de pire,
D'effrayer les animaux et de les tuer
Dans leur demeure assignée et naturelle831.
 

Mais cette pièce de la Forêt des Ardennes est, pour le sentiment, un inconcevable anachronisme, elle va presque jusqu'à Wordsworth; cette compassion des bêtes souffrantes n'est qu'un des étonnements qu'elle renferme. Il n'en est plus question ensuite de cette pitié; il est facile de voir combien elle avait complètement disparu. Pope, qui appartenait au «féroce spiritualisme cartésien832», et n'avait pas su lire le discours de La Fontaine à Madame de la Sablière, voit tuer des oiseaux dans la forêt de Windsor. Il y trouve matière à quelques descriptions brillantes et sèches. Le chasseur lève son fusil et vise; un coup de tonnerre éclate et fait tressaillir le ciel glacé. Tandis que dans leurs cercles aériens, les vanneaux criards effleurent la bruyère, ils sentent le plomb mortel; tandis que, en montant, les alouettes préparent leurs notes, elles tombent et laissent leurs petites vies en l'air. Pope voit tomber un faisan, et il le peint en jolis vers, aussi éclatants que le plumage de l'oiseau.

 
Voyez! du fourré, le faisan s'envole avec un bruissement,
Et monte joyeux sur ses ailes triomphantes,
Courte est sa joie; il sent la brûlante blessure,
Volète dans le sang et palpitant bat le sol.
Ah! que lui servent ses teintes lustrées et chatoyantes,
Sa crête de pourpre, ses yeux cerclés d'écarlate,
Le vert si vif déployé sur ses plumes,
Ses ailes peintes et sa poitrine flamboyante d'or?833
 

Rien de plus, pas un mot de compassion. Tout d'un coup, la tendresse du mélancolique Jacques reparaît en même temps dans les deux poètes, à des degrés différents. Quel autre accent il y a déjà dans Cowper.

 
Détestable jeu
Qui doit ses plaisirs à la douleur d'un autre,
Qui se nourrit des sanglots et des gémissements mortels
D'innocentes créatures, muettes, et pourtant douées
De l'éloquence que les agonies inspirent,
Celle des larmes silencieuses et des soupirs qui déchirent l'âme834.
 

Cette malédiction dans laquelle passe de la colère, phénomène rare dans cette âme bénigne, est reprise plus vigoureusement encore par Burns. Chez Cowper, cette aversion de la chasse est un peu la délicatesse et la timidité physiques; chez lui, elle n'a pas cette faiblesse de nerfs. Elle est virile et toute en charité. Elle paraît de tous côtés, dans le passage des Deux Ponts d'Ayr cité plus haut, et dans maints endroits de ses chansons. Même quand il se promène avec Peggy, au moment où les vents d'ouest et les fusils meurtriers ramènent le plaisant temps d'automne, voyant les oiseaux se réjouir, il s'écrie:

 
Aussi chaque espèce cherche son plaisir,
Les sauvages et les tendres,
Les uns se joignent en société et s'unissent en ligues,
D'autres errent solitaires.
Au loin, au loin, le cruel empire,
La domination tyrannique de l'homme;
La joie du chasseur, le cri meurtrier,
L'aile palpitante et sanglante835.
 

Cette pensée lui gâte la beauté de la scène. Voir souffrir le jette hors de lui. Lorsque ses regards tombent sur les couvées blessées, pères, mères, petits, gisantes en un même carnage, il exècre «l'acte sauvage de l'homme836».

 

C'est à un mouvement de colère de ce genre qu'est dû son poème sur Le Lièvre blessé. «Un de ces derniers matins, comme j'étais d'assez bonne heure dans les champs à semer du gazon, j'entendis un coup de fusil sortir d'une plantation voisine, et je vis presque aussitôt un pauvre petit lièvre blessé passer près de moi en boitant. Vous devinez mon indignation contre l'individu inhumain capable de tirer sur un lièvre en cette saison, quand ils ont tous des jeunes. En vérité il y a, dans cette façon de tuer, pour notre amusement, des individus de la création animale qui ne nous font pas de tort sensible, quelque chose que je ne puis réconcilier avec mon idée de la vertu837». Il écrivit sous le coup de cette impression, le petit poème qui suit:

 
Homme inhumain! maudite soit ton adresse barbare,
Que ton œil qui vise au meurtre se dessèche!
Puisse la pitié ne jamais le consoler d'un soupir!
Les plaisirs ne jamais réjouir ton cœur méchant!
 
 
Va vivre, pauvre coureur des bois et des champs,
Ton petit reste amer de vie:
Les fougères épaisses et les plaines verdissantes
N'ont plus pour toi, ni refuge, ni nourriture, ni jeux.
 
 
Va, malheureux meurtri, vers quelque endroit de repos habituel,
Cherche, non plus le repos, mais un lit pour mourir!
Les roseaux protecteurs bruiront au-dessus de toi,
Et ta poitrine saignante pressera la terre froide.
 
 
Peut-être l'angoisse d'une mère s'ajoute à ta souffrance,
Tes deux petits jouent, se pressent avidement à ton flanc,
Oh! orphelins dénués, qui maintenant leur donnera
Cette vie qu'une mère seule peut donner?
 
 
Souvent quand pensif près des détours de la Nith j'attends
Le calme crépuscule ou que je salue la joyeuse aurore,
Je regretterai les jeux sur la rosée de la prairie,
Je maudirai le bras de ce scélérat, je plaindrai ton infortune838.
 

On sent la bouffée de colère et de pitié qui lui a brusquement passé dans l'âme. Son exaspération était si forte qu'il se mit à jurer après le pauvre diable de fermier qui avait tiré le coup de fusil, disant qu'il avait envie de le jeter à l'eau. «Et il était alors de taille à le faire, ajoutait celui-ci, bien que je fusse alors jeune et vigoureux.839»

Dans ces deux âmes de poètes, la sympathie, toujours en émoi, n'avait pas besoin d'être réveillée d'une secousse violente par l'aspect brutal de la chasse. Le sang répandu par des animaux familiers impressionne toujours. Il faut l'endurcissement de l'habitude pour voir achever un oiseau en lui frappant la tête sur une pierre, ou entendre les plaintes d'un lièvre blessé, lamentables et pareilles aux cris d'un enfant. Mais il y a dans le monde animal tant de souffrances muettes que nous ignorons, tant d'êtres que leur exiguïté, leur silence ou leur laideur écartent de nous! Notre pitié ne va jamais les trouver. Combien de nous songent aux oiselets qui raidis par le froid tombent des branches, ou aux troupeaux assaillis par l'ouragan? Qui s'apitoie sur les souffrances des poissons ou des insectes? Mais Cowper, sortant pour sa promenade d'un matin d'hiver, se demande, devant la plaine ensevelie sous la neige, ce que deviennent les milliers de petits chanteurs, de petits ménestrels, pour employer son mot, qui réjouissent en été les collines et les vallées? Hélas! la trop longue rigueur de l'année les tue. Ils vont se blottir dans des crevasses et des trous, s'ensevelissant eux-mêmes avant que de mourir. Il prend en pitié jusqu'aux corbeaux amaigris qui volètent sur les traces des voitures840. Et un peu plus loin, il écrivait ces beaux vers, comme un plaidoyer et une intercession pour les plus chétives des forces de la vie.

 
Je ne voudrais pas inscrire sur la liste de mes amis,
(Fût-il doué de façons polies, d'un sens délicat,
Mais dépourvu de sensibilité), l'homme
Qui, sans nécessité, met le pied sur un ver.
Un pas inadvertent peut écraser le limaçon
Qui rampe, le soir, sur le chemin public;
Mais celui qui a de l'humanité, s'il le voit,
Marchera à côté et laissera le reptile vivre841.
 

Burns, à la même époque, rendait les mêmes idées mais avec une autre puissance de pathétique et de réalité. Pendant les nuits d'hiver, quand l'orage mugissant fait osciller les clochers, il ne peut s'empêcher de penser aux bêtes exposées dehors, même aux plus méchantes d'entre elles, à celles qui rôdent en quête de meurtres.

 
En écoutant les portes et les fenêtres battre,
Je pensais aux bestiaux grelottants,
Ou aux pauvres moutons qui supportent ces assauts
De la guerre de l'hiver,
Et sous les tourbillons de neige, enfoncés dans la boue, se pressent
Contre un pan de montagne.
 
 
Chaque oiseau sautillant, petite, pauvrette créature,
Qui, dans les mois joyeux du printemps,
Me donnais plaisir à t'entendre chanter,
Que deviens-tu?
Où abriteras-tu ton aile frissonnante,
Où fermeras-tu tes yeux?
 
 
Même vous qui, fatigués à la recherche du meurtre,
Rôdez solitaires, loin de vos farouches demeures!
Le poulailler teint de sang, le parc à moutons dévasté,
Mon cœur oublie tout,
Quand, implacable, la tempête sauvage
Cruellement vous bat!842
 

Cette commisération pour les animaux s'offre à lui sous les formes les plus humbles et sous les moindres prétextes. On sent qu'elle est sans cesse auprès de son esprit. Quand il visite les cascades de Bruar, et qu'il les trouve presque desséchées, faute d'ombrage, il pense aussitôt aux poissons délaissés par l'eau baissante, sur ces pierres qui perdent peu à peu leur grise teinte mouillée, et, selon son expression, blanchissent au soleil.

 
Les truites, aux bonds légers, étincelantes,
Qui jouent dans mes flots.
Si dans leurs jaillissements fous, imprudents,
Elles vont près de la rive,
Et si, par malheur, elles s'y attardent longtemps,
Le soleil me dessèche si vite,
Qu'elles sont laissées sur les pierres qui blanchissent,
Se tordant haletantes, expirantes843.
 

Et il feint que la cascade elle-même prie le duc d'Athole de faire planter des arbres sur ses bords, afin que les oiseaux trouvent un abri qui les protège des orages, «et que les lièvres peureux dorment rassurés dans leur gîte d'herbes.»

Si c'était alors, en 1782, dans la poésie moderne une telle nouveauté de s'occuper des humbles parmi les hommes que, soixante ans plus tard, en 1840, l'Université d'Oxford conférait à Wordsworth, le degré de docteur pour avoir été le poète des pauvres844, c'était une nouveauté bien plus étrange que de s'intéresser aux misérables existences des plus infimes animaux. Il nous semble naturel aujourd'hui d'entendre un poète s'écrier:

 
J'aime l'araignée et j'aime l'ortie
Parce qu'on les hait,
Et que rien n'exauce et que tout châtie
Leur morne souhait.845
 

Mais de semblables déclarations étaient nouvelles à cette époque. Cowper et Burns étaient, en cela, des précurseurs. Est-il besoin cependant de faire remarquer combien la sympathie de Burns est la plus véhémente et la plus chaude des deux, et de quel plus fougueux élan de tendresse elle est poussée? Les recommandations de Cowper ont quelque chose d'impersonnel et de toujours calme. Ce sont des réflexions générales, exprimées dans un style qui est un peu de sermon. Chez Burns, c'est presque toujours un fait individuel de sympathie s'adressant à l'être qu'il voit souffrir sous ses yeux plutôt qu'à des êtres perdus et confondus dans l'éloignement des généralités, sans s'étendre et se refroidir en une réflexion. Le sentiment jaillit, ardent, particulier, immédiat. L'émotion y bat toute vive. On sent que chacune de ses aventures de compassion a été pour son cœur un événement qui l'a remué. Aussi la forme est-elle toujours vivante et dramatique. Ce n'est plus une exhortation comme dans Cowper. C'est une scène à laquelle on assiste. Sa pièce à une Souris est un chef-d'œuvre, né d'une émotion de ce genre.

Un jour de Novembre, quand les vents sont déjà durs sur le plateau de Mossgiel et annoncent l'hiver, il labourait un champ qu'on montre aujourd'hui. Le labour se faisait alors avec des attelages de quatre chevaux, le sol étant plus revêche et les charrues plus lourdes; ils étaient généralement conduits par un jeune garçon qui marchait auprès d'eux, comme en certain pays l'aiguillonneur à côté de ses bœufs. Le laboureur n'avait à s'occuper que de sa charrue. Burns menait son sillon quand le coutre coupa un nid de souris. La petite bête effrayée se sauva. Le garçon, qui se nommait John Blane, voulait courir après elle et la tuer avec le bâton qui sert à faire tomber la terre du soc846. Mais Burns l'arrêta en lui demandant quel mal elle lui avait fait. Une grande compassion lui vint pour cette pauvre bestiole privée de son refuge à la veille de l'hiver. Une humble scène d'un instant: les chevaux arrêtés sous un ciel noirâtre, et ce jeune paysan appuyé sur le manche de sa charrue, regardant tristement cette poignée de fétus de paille et de brindilles. Mais qui sait ce que de tels moments contiennent, où le cœur est inondé de bonté? Ils portent leur indestructible récompense. Le plus souvent c'est un de ces souvenirs qui sont la parure de l'âme, et, en s'accumulant, finissent par la rendre belle. Celui-ci contenait plus encore. Burns reprit son sillon et travailla pensif pendant le reste de l'après-midi. Le soir, il réveilla John Blane, qui couchait dans le même grenier que lui, pour lui lire quelques vers. C'était un chef-d'œuvre, la récompense de ce moment d'infinie compassion.

 
 
Pauvre petite bête lisse, craintive, tremblante,
Ô, quelle panique il y a dans ta petite poitrine,
Tu n'as pas besoin de te sauver si vite,
Et de courir en trottinant.
Je ne voudrais pour rien le poursuivre et te chasser,
Avec le bâton meurtrier.
 
 
En vérité, je suis triste que la domination de l'homme
Ait brisé l'union sociale de la nature,
Et justifie la mauvaise opinion
Qui te fait t'enfuir
De moi, ton pauvre compagnon, né de la terre
Et mortel comme toi.
 
 
Je sais bien que parfois il t'arrive de voler,
Mais quoi? pauvre petite bête, il faut bien vivre;
Un épi par hasard dans deux douzaines de gerbes,
C'est peu de chose.
J'aurai une bénédiction avec le reste,
Et je n'y perdrai rien.
 
 
Et ta mignonne maisonnette en ruines!
Ses pauvres murs dispersés aux vents!
Et rien maintenant pour en bâtir une autre,
Plus un brin d'herbe;
Et les vents du glacial Décembre qui arrivent,
Durs et aigus!
 
 
Tu voyais les champs s'étendre nus et dépouillés,
Et le triste hiver arriver vitement;
Et bien au chaud, ici, sous la rafale,
Tu pensais demeurer,
Lorsque soudain le coutre cruel a passé
À travers ta cellule.
 
 
Ce petit tas de feuilles et de fétus
T'a coûté maint grignotement fatiguant.
Te voici maintenant dehors, après tant de peine,
Sans maison ni abri;
Pour supporter les brumes, les grésils d'hiver,
Et les froides gelées blanches.
 
 
Mais, petite souris, tu n'es pas la seule
À prouver que la prévoyance peut être vaine.
Les plans les mieux faits des souris et des hommes
Bien souvent gauchissent,
Et ne nous laissent que chagrins et souffrance
Au lieu de la joie promise.
 
 
Encore, es-tu heureuse, comparée à moi,
Le présent seul te touche
Moi hélas! en arrière je jette les yeux
Sur de sombres perspectives,
Et, en avant, bien que je ne puisse discerner,
Je pressens et je redoute847.
 

Il n'y a de comparable à une pareille pièce que l'anxiété et la tendresse avec laquelle Michelet suit, par delà les cimes neigeuses, à travers les nuits froides, au milieu des oiseaux de proie, les migrations du pauvre rossignol848.

Chose bien plus étrange encore chez un paysan accoutumé à couper les épis, à les écraser sous le fléau, à maltraiter le grain de mille manières, les plantes elles-mêmes participaient à cette tendresse. Sans le moindre penchant au panthéisme, auquel sa nature compacte et nouée en robuste personnalité ne se prêtait pas, il y a pénétré aussi loin que des natures diffuses et vaporeuses comme Shelley, faites pour s'éprendre de modes d'existence vagues, flottants et pas encore solidifiés en conscience. Rien ne répugnait plus à son esprit clair et limité, mais sa sympathie le menait au fond des choses, jusqu'aux racines obscures communes à toute vie. Il sortait de tout ce qui vivait et pouvait souffrir, à quelque profondeur que ce fût, un appel qui montait jusqu'à lui. Plus tard, avec Wordsworth et surtout avec Shelley, les fleurs vivront, seront chéries, livreront leurs rêves, étudiés et devinés par ces purs poètes. Mais, à cette époque, c'était une chose inouïe véritablement. Cowper, lorsqu'il parle des plantes, ne dépasse pas les sentiments d'un jardinier; ses vers font penser à ceux de l'abbé Delille. Darwin les décrivait en botaniste. Mais les aimer, les plaindre, sentir quelque chose qui ressemble à de l'émotion ou à de l'intérêt pour une fleur flétrie ou une branche brisée! C'était une chose faite pour surprendre.

Cependant, là encore, sa bonté a mené Burns plus loin que son esprit. Un jour de printemps, le soc de sa charrue trancha une pâquerette qui fleurissait avec confiance. Il ne put voir, sans être touché, la petite fleur expirante. Il écrivit une pièce qui est le pendant exact de celle sur la Souris, et qu'il est curieux d'en rapprocher. Elle est d'une teinte un peu moins sombre, de nuance plus gaie et plus riante. Et ce détail suffirait seul à montrer quelle était l'impressionnabilité de Burns. Sur les mêmes sujets, la première pièce fut écrite un jour de novembre, et la seconde un jour de printemps. Instinctivement, elles se sont présentées à son esprit dans deux tonalités différentes. Sans qu'il y ait presque un mot de description, la première est assombrie, la seconde a la clarté printanière et l'écho d'un chant d'alouette. Les deux paysages ont passé dans l'émotion même et l'ont colorée différemment.

 
Petite, modeste fleur, cerclée de cramoisi,
Tu m'as rencontré dans une heure mauvaise
Il a fallu que j'écrase dans la poussière
Ta tige mince!
T'épargner maintenant, n'est plus en mon pouvoir,
Toi jolie perle.
 
 
Hélas! ce n'est pas ta douce voisine,
La gentille alouette, compagne faite pour toi,
Qui te courbe dans les gouttes de rosée
Sous sa poitrine tachetée,
Quand elle jaillit au ciel joyeuse, pour saluer
L'Est qui s'empourpre.
 
 
Le Nord aux dures morsures souffla froidement
Quand naguères, tu naquis humblement;
Malgré cela, tout heureuse, tu parus et brillas
Sous l'ouragan,
Dressant à peine au-dessus de ta mère, la terre
Ta tendre forme.
 
 
Les fleurs orgueilleuses que nos jardins produisent,
De hauts bois protecteurs et des murs les défendent;
Mais toi, au hasard, sous l'abri
D'une motte ou d'une pierre,
Tu pares ce champ d'éteule aride,
Ignorée, solitaire.
 
 
Là, vêtue de ton étroit mantelet,
Tournant au soleil ta poitrine neigeuse,
Tu lèves ta tête modeste,
D'une humble façon
Mais soudain, le soc soulève, arrache ton lit;
Te voici prosternée.
 
 
Telle est le sort de la jeune fille
Douce fleurette des ombres rustiques;
Trompée par la simplicité de l'amour
Et une confiance naïve,
Comme toi, toute souillée, elle tombe,
Et gît dans la poussière.
 
 
Tel est le sort de l'humble barde,
Sur le rude Océan de la vie, sous une mauvaise étoile,
Il est inhabile à consulter la carte
Du savoir prudent,
Jusqu'à ce que les rafales soufflent, les vagues mugissent,
Et l'engloutissent.
 
 
Tel, le sort de la vertu malheureuse,
Qui longtemps a lutté avec les besoins et les chagrins,
Que l'orgueil et la malice humaine ont poussée
Au bord de la misère;
Arrachée de tous ses soutiens, sauf le ciel,
Ruinée, elle tombe.
 
 
Et toi-même qui, gémis sur le destin de la pâquerette,
Ce destin est le tien, à une date prochaine;
Le soc de l'âpre ruine arrive droit
En plein sur ta jeunesse;
Bientôt être écrasé sous le poids du sillon
Sera ta destinée!849
 

Reconnaissons tout de suite que cette pièce est inférieure dans son ensemble à celle sur le nid de souris. Elle est moins touchante et moins parfaite. Les strophes de la fin, qui ont un intérêt dans l'histoire de Burns, car elles désignent évidemment Jane Armour, le poète lui-même et son père, la surchargent. Elles la font trop tourner à l'allégorie et lui donnent à première vue l'air d'un cadre littéraire. Il y a aussi, à l'antépénultième strophe, une comparaison maritime, inopportune et hors de proportions avec l'image qui devait à elle seule constituer la pièce. Elle en dérange l'unité et l'harmonie.

Mais, ces réserves faites, on peut admirer. Rien de plus joli n'a été écrit sur la pâquerette, et surtout, ce qu'il faut toujours relever dans Burns, rien de plus précis. Sa petite toilette simple, sans prétentions, à peine relevée d'un liseré rose en février et rouge en avril, est indiquée en deux mots. Son amitié avec l'alouette, qui la réveille en lui trempant la tête dans la rosée et lui annonce le matin, est d'une grâce mignarde. Et qui a mieux rendu la petite personnalité de la pâquerette? La modestie, la gaîté calme, la sagesse pratique de la vaillante fleurette, toujours d'égale humeur, qui s'accommode du moindre abri, fleurit par tous les temps et, avec son contentement et son humilité, ressemble à un sourire tranquille. Wordsworth dont elle était la favorite, et dont il se disait le poète:

 
Douce fleur qui, probablement auras un jour
Ta place sur la tombe de ton poète850,
 

a écrit sur elle une suite de pièces851. Elles sont d'une belle rêverie, mais trop vague. Elles manquent de quelque chose d'exact, de réalité familière. Les siennes sont des pâquerettes élégantes et idéales; elles ont perdu leur ingénuité de petites paysannes. Les traits les plus précis semblent avoir été empruntés à Burns, comme lorsque la pâquerette est comparée à une jeune fille, dans sa simplicité, le jouet de toutes les tentations, ou lorsqu'elle est louée de trouver son abri sous tous les vents et d'être toujours «satisfaite, complaisante et douce852». Seul, le vieux Chaucer en a parlé avec une fraîcheur égale. «Au delà de toutes les fleurs de la prairie, j'aime ces fleurs blanches et rouges853». Il avait pour elle une si grande affection qu'il se levait pour aller la voir s'ouvrir au soleil.

 
Cette vue heureuse adoucit tout mon chagrin;
Si joyeux suis-je quand suis en présence
D'elle, de lui faire toute révérence,
Car elle est, de toutes les fleurs, la fleur
Pleine de toute vertu et honneur,
Et toujours également belle et de fraîches couleurs;
Et je l'aime et sans cesse, l'aimé-je de nouveau854.
 

Et il ajoutait avec une charmante naïveté d'enthousiasme:

 
Appuyé sur mon coude et mon côté,
Tout le long jour suis-je résolu à rester étendu
Pour rien autre, – et point ne mentirai-je —
Sinon regarder la pâquerette,
L'impératrice et la fleur de toutes les fleurs;
Et si prié-je Dieu que tout bien lui advienne,
Et, à cause d'elle, à tous ceux qui aiment les fleurs855.
 

Dans Burns, il y a en plus le drame, la souffrance, l'émotion, et une telle puissance d'individualité que, tandis que les autres poètes ont parlé de la pâquerette en général, il a fait de celle-ci une personne qui vit dans notre esprit, comme une petite amie qu'on ne saurait oublier. Si le vœu de Wordsworth a été exaucé; si on a planté un saule sur la tombe de Musset; si Keats, qui disait en mourant qu'il sentait déjà les violettes pousser au-dessus de lui, dort sous les violettes; Burns devrait avoir un tertre vert parsemé de pâquerettes, où descendraient les rosées et d'où monteraient des alouettes.

Cette exquise sensibilité pour toutes les formes de la vie n'était pas un artifice littéraire. Il la portait avec lui partout; elle faisait le charme de ses promenades solitaires et de ses rêveries. Dans une de ses plus belles lettres, il a admirablement rendu cette tendresse qui débordait de son âme et se déversait sur son chemin. C'est un passage qui, même après ses pièces sur la Souris et sur la Pâquerette, mérite d'être cité. Il respire peut-être mieux encore cette merveilleuse bonté.

«J'avais erré au hasard dans les lieux préférés de ma muse, sur les bords de l'Ayr, pour contempler la nature dans toute la gaîté de l'année à son printemps. Le soleil du soir flamboyait au-dessus des lointaines collines, à l'ouest; pas une haleine ne remuait les fleurs cramoisies qui s'ouvraient, ou les feuilles vertes qui se déployaient. C'était un moment d'or pour un cœur poétique. J'écoutais les gazouilleurs emplumés qui répandaient leur harmonie de tous côtés, avec des égards de confrère, et je sortais fréquemment de mon sentier de peur de troubler leurs petites chansons ou de les faire s'envoler ailleurs en les effrayant. Sûrement, me disais-je, sûrement celui-là est un vrai misérable qui, insoucieux de vos efforts harmonieux pour lui plaire, peut suivre du regard vos détours, afin de découvrir vos retraites secrètes et vous dérober le seul trésor que la nature vous donne, votre plus cher bonheur, vos faibles petits. Même le blanc rameau d'aubépines qui s'avançait en travers du chemin, quel est le cœur qui, en un semblable moment, pourrait ne pas s'intéresser à son bien-être, et ne pas désirer qu'il soit préservé des troupeaux qui broutent rudement ou du souffle meurtrier de l'est?856

N'est-ce pas adorable de bienfaisance? Et la fin surtout n'est-elle pas exquise? Pour trouver l'équivalent de ces lignes charmantes, il faut se rappeler le Chant des Créatures du séraphique saint François d'Assise, qui ramassait les vers du chemin pour les mettre à l'abri des passants, et évitait qu'une goutte d'eau pure ne fût trépignée et souillée. Un écrivain de nos jours, qui a lui aussi le sens de la vie des choses au point qu'il serait capable de s'adresser au ver de saint François d'Assise avec une polie et délicate ironie, lui en décerne pour ce fait un haut éloge857. Cette aménité pour les choses est peut-être moins surprenante chez un ascète mystique, dont la personnalité s'atténue dans l'uniformité et le rêve pacifique du cloître, que chez ce paysan pratique, foulé par la vie, réagissant contre ses chocs en tensions de volonté, et malmené par ses propres passions. Un passage comme celui de Burns n'a de supérieur que cette parole admirable de la Bible: «il ne brisera pas le roseau cassé et n'éteindra pas la mèche qui fume encore858».

Du reste, avec son habituelle clairvoyance intérieure, il se rendait compte que cette bonté était une partie de son génie. Dans son premier journal, il se dépeint à lui-même comme un homme «d'une bienveillance illimitée, envers toutes les créatures douées ou dénuées de raison859». Et dans la Vision, la Muse lui dit comme un des signes à quoi elle l'a reconnu poète:

 
Quand la profonde terre au manteau vert
Encourageait tendrement la naissance de chaque fleurette,
Que la joie et la musique se répandaient
Dans chaque bocage,
Je l'ai vu contempler le bonheur général,
Avec une infinie tendresse860».
 

Une attraction croissante rapproche l'homme de la nature. Il n'apparaît plus à l'écart et au-dessus d'elle. Les sciences immergent de plus en plus sa personnalité dans un océan de forces, où elle est roulée par le flot des mêmes lois; elles tendent à la confondre dans une vie collective et, pour ainsi parler, dans une pulsation universelle. Le fond d'existence commun à toutes les espèces prend plus d'importance, monte presque jusqu'à la surface, ne laisse plus qu'une mince enveloppe de diversité, sous laquelle se devinent une origine semblable et une obscure fraternité. Sans le savoir, la poésie a fait le même travail en sens inverse: elle a rapproché l'homme des choses, comme la science a rapproché les choses de l'homme. Elle l'a amené à elles, l'a penché sur elles, lui a enseigné à s'y intéresser, a engagé sa sympathie dans leurs vicissitudes muettes. Elle enrôle peu à peu «les recrues du genre humain» contre la brutalité et la souffrance. Quel est le petit enfant qui, ayant appris à l'école la pièce sur le Nid de Souris ou la Pâquerette, n'en emportera pas un germe de douceur?861 Dans ce beau mouvement de concorde, quelques poètes ont eu, au-delà de Burns, une vue plus large des ressemblances, un sens plus grandiose de notre parenté avec les énergies profondes du monde, un plus vaste aperçu de l'ensemble, et, pour ainsi parler, une sympathie plus cosmogonique. Mais il a éprouvé, bien au-delà de tous les autres, la tendresse pour les êtres individuels, une tendresse qui n'a pris ni la forme vague d'une aspiration panthéiste, ni la forme indifférente d'une adhésion intellectuelle, mais qui reste bien humaine, une vraie tendresse de cœur et qui n'allait pas loin des larmes. En cela Burns est unique. Wordsworth a dit qu'il faut ajouter à la nature:

829Elegy on Willie Nicol's Mare.
830La Renaissance, dans sa large sympathie pour toutes les formes de la vie, était plus capable de sentir cette pitié. Même dans un livre de chasseur on trouve un peu de la compassion de Jacques pour le malheureux cerf blessé. Dans Le Plaisir des champs, de Claude Gauchet, achevé d'imprimer en 1583, on trouve ces vers presque émus: Le cerf désespéré paravant qu'il endureLa mort, tant de ses pieds que de sa teste dureDonne encor' à travers et, voulant se venger,De doux il se fait voir cruel en tel danger,Et aux chiens plus hardis en ceste part et ceste,Battant la terre aux pieds, il oppose sa teste…Le cerf sentant le ferLuy traverser le flanc, pour, pauvret, se sauver,Du bras qui, relançant la sanglante allumelle,Veult le blesser encor' d'une playe nouvelle,Se remet à fuyr; mais blessé et lassé,Il ne peut courir loin qu'il ne soit terrassé.Alors le pauvre cerf voyant sa dernière heure,Non sans faire pitié, à grosses larmes pleure;Puis estant derechef de l'estoc transpercéChancelle, quatre pas et tombe renversé.(L'Esté, page 207 de l'édition Prosper Blanchemain). Sur la tendresse de certains poètes de l'Antiquité, en particulier de Lucrèce et de Virgile pour les animaux et les plantes, voir Histoire du Sentiment Poétique de la Nature dans l'Antiquité, par Ém. Gebhart, p. 111-12 et 132-34.
831As You Like it, Acte II, scène I.
832Le mot exact de Mr Renan est «bien éloigné de la férocité du faux spiritualisme cartésien». Nouvelles études d'histoire religieuse, p. 332.
833Pope. Windsor Forest, vers 111-118.
834Cowper. The Garden, vers 326-331. Voir encore, dans the Winter Walk at Noon, un autre très beau passage sur la chasse, vers 386-96.
835Peggy.
836The Brigs of Ayr. Voir aussi les vers On Scaring some Water-Fowl on Loch Turrit.
837To Alex. Cunningham, 4th May 1789.
838Verses on Seeing a Wounded Hare limp by me which a Fellow had just shot.
839Allan Cunningham. Life of Burns, p. 285.
840Cowper. The Winter Morning Walk, vers 80-95.
841Cowper. The Winter Walk at Noon, vers 560-68.
842A Winter Night.
843The Humble Petition of Bruar Water.
844Shairp. Studies in Poetry.
845Victor Hugo. Les Contemplations, livre I. À ma fille.
846R. Chambers. Life of Burns, tom I, p. 147.
847To a Mouse.
848Michelet. L'Oiseau, Les Migrations.
849To a Mountain Daisy.
850Wordsworth. To the Daisy, Epitaphs and Elegiac Pieces.
851Dans les Poems of the Fancy: to the Daisy; to the Same Flower. – Dans les Poems of Sentiment and Reflection: to the Daisy. – Dans les Epitaphs and Elegiac Pieces: to the Daisy.
852La pièce intitulée: to the Same Flower, dans les Poems of the Fancy.
853Chaucer. Prologue to the Legend of Good Women.
854Chaucer. Prologue to the Legend of Good Women.
855Chaucer. Prologue to the Legend of Good Women.
856To Miss Wilhelmina Alexander, 18th Nov. 1786.
857Renan. Nouvelles études d'Histoire Religieuse. François d'Assise.
858Mathieu, chap. XII.
859Common-place Book.
860The Vision.
861Le bon Cowper avait eu conscience de cette influence adoucissante de la poésie et, après ses beaux plaidoyers pour les bêtes, il avait dit avec sa simplicité pénétrante: Je suis récompensé, et j'estime que les labeursDe la poésie ne sont pas perdus, si mes versPeuvent s'interposer entre un animal et une souffrance,Et enseigner à un seul tyran la pitié pour son esclave. Winter Walk at Noon, vers 725-29.