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Robert Burns

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Ce n'est pas qu'il en ait laissé, comme Wordsworth l'a fait pour son gracieux district des lacs, une suite de tableaux si nombreux, si minutieux, si particuliers, qu'on peut suivre ses promenades, rattacher chaque description au site qui l'a inspirée, reconnaître jusqu'à la barrière vermoulue et verdie de mousse750, jusqu'au rocher où les vers luisants suspendaient leurs lampes751, et extraire de ses œuvres une sorte de guide poétique du pays qu'il a habité752. Il n'y a rien de semblable dans Burns. Autant sa représentation de la vie humaine abonde en mille détails écossais de costumes, de mœurs, de préjugés, autant sa représentation de la nature est dégagée des éléments purement locaux. À part les termes de terroir, qui trahissent le pays par le dialecte, à part les noms propres, qui désignent les localités, il serait difficile, par ses seules peintures, de préciser les sites qui les ont inspirées. Il choisit parfois, il est vrai, des traits propres à sa contrée et qui ne peuvent être bien compris que par ceux qui l'ont visitée. Il parlera des «moors d'un rouge brun, sous les clochettes de bruyères753»; il représentera la teinte rougeâtre particulière que prennent les ruisseaux écossais lorsqu'ils sont gonflés par la pluie, les détours des petites rivières caillouteuses, bordées de noisetiers. Ce sont là des indices plutôt que des tableaux. Outre que ces traits sont communs à toute une région et pourraient s'appliquer à une grande partie de l'Écosse, ils sont rares et trop rapides. On chercherait vainement en lui une de ces descriptions particulières et détaillées, telles qu'on en rencontre dans Wordsworth et dans Cowper, et qui, lues à tel endroit, s'encadrent exactement dans l'horizon, s'appliquent à tous les points, et semblent le calque du paysage qu'on a sous les yeux. Il y a, au commencement du Sofa, une vue de Weston, si précise qu'on pourrait envoyer un voyageur à sa recherche, un Cowper à la main. Lorsqu'il arriverait au sommet de la colline de Weston-Park et qu'il découvrirait l'Ouse errant lentement dans une plaine unie, parsemée de troupeaux, le groupe d'ormeaux qui abritent la hutte solitaire du berger, la plaine coupée de haies qui va se perdre dans les nuages, la tour carrée de Clifton, le haut clocher d'Olney, les villages d'Emberton et Steventon qui fument au loin, par delà des bouquets d'arbres et des bruyères, il pourrait s'écrier: «C'est ici754». Une pareille expérience serait impossible avec Burns. Ses descriptions, justes sans doute pour les endroits qu'elles désignent, pourraient s'appliquer aussi bien à beaucoup d'autres.

C'est qu'en effet il n'a pas laissé de ces importantes peintures de sites, de ces tableaux si complets, si poussés jusqu'au détail, si séparés du reste, et parfois si inutiles au reste, si faits en vue d'eux-mêmes, qu'on pourrait, pour ainsi dire, les détacher et les isoler dans un cadre où ils formeraient un tout. On ne trouverait pas, chez lui, un seul de ces passages qui rapprochent l'écrivain du peintre, et font de bien des poèmes modernes des galeries de paysages. Il y a telles descriptions poétiques qu'on transposerait facilement sur la toile; il suffirait de les copier pour en avoir la transcription en couleurs et en lignes. Cela serait, avec lui, impossible. Il indique plutôt qu'il ne peint, et il suggère plutôt qu'il ne représente. Ses moyens sont trop simples et l'effet obtenu trop vaste pour la peinture. Généralement, le paysage est très large et perçu d'ensemble. Il est évoqué nettement et vigoureusement, en deux ou trois traits, si courts, si rapides, si sobres, qu'il n'y aurait pas les éléments d'une étude; et en même temps si profonds, si larges, si réels, qu'il y aurait la matière de vingt tableaux.

Parfois, il n'y a qu'un seul trait, qui traverse le pays et le pénètre jusqu'au fond. On en a vu quelques exemples à propos de la mer et des montagnes. On en retrouverait un autre dans le refrain d'une chanson citée plus haut: «Savez-vous qui demeure dans cette ville là-bas, sur laquelle brille le soleil du soir?755»; on en recueillerait facilement ailleurs. L'impression que produit le soleil, errant solitaire au-dessus de la plaine illimitée des moors, est rendue en deux mots:

 
Le soleil suspendu au-dessus des moors
Qui s'étendent de toutes parts756.
 

L'impression mélancolique d'un jour grisâtre qui s'achève à l'extrémité d'un paysage de moors et de ces marécages qu'on appelle en Écosse, des «mousses» apparaît en quelques vers:

 
Derrière les collines là-bas où le Lugar coule,
Parmi ces moors et ces marécages nombreux,
Le soleil d'hiver a clos le jour757.
 

Voici une nuit d'hiver et de tempête:

 
Lorsque les orages bourrus frappaient sur la colline,
Et que les nuits d'hiver étaient noires et pluvieuses.
 

De tous côtés, ce sont des descriptions en un seul vers: «La pâle lune se leva dans l'est livide758». – «Les vents d'automne ondulent sur les blés jaunes759». – «Adieu, cieux, maintenant brillants du large soleil couchant760». – «Les nuages aux ailes rapides volaient sur le ciel constellé761». – «Les ombres du soir se rencontrent en silence762». – «Les averses bruissantes s'enlevaient sur la rafale, les ténèbres avalaient les brefs éclairs763» – «Pas une étoile ne regarde à travers le grésil chassé764». – «Sur ces montagnes éclate franchement le matin765».

 

C'est une conséquence de cette méthode que souvent les paysages ont beaucoup d'espace, une large voûte de ciel. Quelques-uns ont été aperçus du flanc d'une colline; la contrée s'étend à vol d'oiseau.

 
La sombre nuit se ramasse rapidement,
La sauvage et inconstante rafale rugit,
Là-bas, ce nuage obscur est lourd de pluie,
Je le vois passer au-dessus de la plaine,
Le chasseur a maintenant quitté le moor,
Les couvées dispersées se réunissent en sûreté766.
 

Dans d'autres au contraire, la campagne s'étend, bornée au loin par les hauteurs, mais toujours très prolongée et très vaste. On est toujours en plein air. Voici la plaine en hiver, avec les monts qui commencent à blanchir au loin.

 
Quand les vents se désolent dans les arbres nus,
Ou que les frimas, sur les collines
Sont d'un blanc grisâtre,
Ou que les tourbillons de neige, aveuglants, sauvages, furieux, passent,
Assombrissant le jour767.
 

Et la voici par un jour de printemps. Quel joli tableau matinal, avec sa plaine tout entière en train de s'éveiller!

 
Un dimanche d'été, le matin,
Quand la face de la Nature est belle,
Je sortis et marchai pour voir le blé,
Et aspirer l'air plus frais.
Le soleil qui se levait au-dessus des moors de Galston,
Dans une glorieuse lumière étincelait,
Les lièvres flânaient dans les sillons,
Les alouettes, elles chantaient768.
 

Ou encore cet autre paysage tout en ciel et en échos lointains.

 
Les vents étaient tombés, l'air était calme,
Les étoiles passaient le long du ciel,
Le renard hurlait sur la colline,
Et les échos distants des ravins lui répondaient769.
 

Lorsque la description s'allonge un peu, elle est formée non par le développement d'un seul trait, mais par un assemblement rapide de plusieurs traits, chacun d'eux extrêmement bref et solide. Les coups de pinceau tombent très serrés, très précis, chacun d'eux apportant quelque chose, sans une retouche. Voici une vue d'automne.

 
Le vent soufflait rauquement venant des collines,
Par accès, les rayons expirants du soleil
Jetaient un regard sur les bois flétris et jaunes
Qui ondulaient au-dessus du cours tortueux du Lugar770.
 

Qu'on lise cette courte strophe dans l'original, on verra que chaque mot est chargé de sens. Tout y est: le vent, son bruit, sa direction, l'instant du jour, l'expression des rayons du soleil, la saison, l'aspect et la couleur des bois. Que dis-je? Leur agitation du moment, leur disposition générale. Qu'on prenne un autre exemple, c'est un crépuscule d'hiver.

 
Quand le mordant Borée, piquant et âpre,
Frissonne aigrement dans les bois effeuillés,
Quand Phébus jette une lueur vite morte,
Bien loin, au sud du ciel,
Assombri, à travers la neige qui descend en flocons,
Ou est chassée en tourbillons771.
 

Pas une épithète pour l'effet littéraire, tout est en renseignements: l'air si lointain du soleil derrière la neige, son court éclat, sa position exacte dans le ciel plus obscur par le contraste avec la neige; et quand il s'agit de celle-ci, la strophe n'est pas achevée par quelque détail littéraire; en quelques mots, il y a deux actes d'observation, les deux aspects de la neige: ou les lentes tombées de flocons, ou les trombes furibondes fouettées par le vent. Ce n'est plus de la composition littéraire, ce sont des faits entassés dans des mots. Veut-on un autre passage encore?

 
Le printemps souriant revient dans sa gaieté,
Et le chagrin Hiver s'enfuit maussadement.
Claires comme le cristal sont maintenant les chutes d'eau,
Et d'un joli bleu est le ciel ensoleillé
Avec fraîcheur, sur la montagne, éclate le matin,
Et le soir dore le reflux de l'Océan772».
 

Toute la journée s'y trouve des premières aux dernières clartés du jour. Il faut songer aux longs assombrissements des hivers de là-haut, pour comprendre ce qu'il y a de justesse dans cette joie rendue aux airs, et dans cet or revenu sur la mer qui depuis des mois n'a été qu'une grisaille uniforme. Qu'on prenne un dernier exemple:

 
Ô toi, orbe pâli et silencieux, qui brilles,
Tandis que les mortels dorment délivres de leurs soucis,
Sans plaisir, je vois tes rayons orner
Les lointaines collines faiblement tracées;
Je vois, sans plaisir, ton croissant tremblant
Réfléchi dans le ruisseau qui bruit773.
 

Quelle profondeur dans ce tableau! Et pourquoi? C'est qu'il a saisi les deux sensations extrêmes entre lesquelles sont compris tous les paysages lunaires: au loin, les hauteurs vagues, indiquées à peine et baignées dans une lumière indécise; à nos pieds, tous les ruisseaux peuplés de croissants d'or vacillants. Burns n'a pris que deux traits mais tels, qu'ils sont le fond et le premier plan de la nuit et qu'ils la contiennent tout entière.

On voit combien ces tableaux sont denses et compacts. Chaque partie étant à la fois très exacte et très généralisée, l'ensemble contient beaucoup dans un petit volume. Ces visions, comme toutes les choses très comprimées, ont une vertu d'expansion. Elles s'ouvrent et s'amplifient dans la mémoire. Au bout de quelque temps, on est surpris de la quantité d'impressions qu'elles renfermaient. On a dit de Milton que ses vers avaient une étrange puissance d'évocation, et qu'ils étaient pleins d'une poésie si condensée qu'avec quelques mots, ils éveillaient une suite prolongée d'images774. L'Allegro et le Penseroso surtout possèdent cette magie de suggestion; maintes de leurs brèves descriptions contiennent de longues rêveries. Il en est un peu de même de Burns. Il y a, dans ses coups de pinceau rapides, cette vertu mystérieuse qui met l'esprit en route. Il est par cela même sur le vrai terrain de la poésie, qui est aussi près de la musique que de la peinture, et dont l'office est de faire imaginer au moins autant que de faire voir. Depuis Milton et en exceptant quelques vers de Thomson, personne n'a eu plus que Burns ce don des visions rapides qui parcourent d'un coup d'œil de vastes étendues de terrain et que la lecture n'épuise jamais.

Lorsqu'il s'agit du détail et non plus de l'ensemble d'un paysage, lorsqu'il veut rendre un coin au lieu d'une étendue de campagne, et un effet particulier au lieu d'un aspect général, il a les mêmes qualités, avec cette différence que la précision prend le pas sur la largeur du trait. C'est toujours net et court. Cette précision ne l'abandonne jamais, alors même que le sujet qu'il traite semble le plus éloigné de la vie réelle. S'il parle des plantes, il donnera l'endroit précis où elles poussent; s'il parle d'oiseaux, il indiquera la saison, l'heure du jour, où ils chantent, les tons de leurs voix, les endroits qu'ils préfèrent, en sorte que des strophes entières seront presque des passages d'un livre de botanique ou d'ornithologie, et avec cela de la poésie. Qu'on lise les vers suivants avec cette préoccupation, on verra que chacun d'eux est instructif.

 
Maintenant le lis fleurit près de la rive,
La primevère au pied des pentes,
L'épine bourgeonne dans la glen,
Et la prunelle est blanche comme le lait775.
 
 
Maintenant l'alouette éveille le matin joyeux,
En l'air, sur ses ailes mouillées de rosée;
Le merle, à midi, dans son bosquet,
Fait retentir les échos des bois;
Le mauvis sauvage, de ses notes nombreuses,
Chante et endort le jour assoupi776.
 
 
La grise alouette, gazouillant éperdument,
S'élèvera vers les cieux;
Le chardonneret, le plus gai fils de la musique.
Se joindra doucement au chœur;
Le merle a la voix forte, le linot a la voix claire,
Le mauvis doux et moelleux;
Le rouge-gorge réjouira le pensif automne
Sous sa chevelure jaunie777.
 
 
La perdrix aime les collines fertiles,
Le pluvier aime les montagnes,
La bécasse hante les vallées solitaires;
Le héron au vol élevé les fontaines;
À travers les hautes futaies le ramier erre,
Pour éviter les sentiers de l'homme;
Le buisson de noisetier abrite la grive,
Et l'épine épandue le linot778.
 

Il tenait à cette exactitude. Dans une de ses lettres à Thomson, parlant d'une chanson, Les Rives de la Dee, il écrit: «la chanson est assez bien, niais elle contient des images fausses, par exemple: «Et doucement le rossignol chanta sur l'arbre». D'abord le rossignol chante dans un buisson bas, et jamais sur un arbre, et en second lieu, on n'a jamais vu ni entendu un rossignol sur les bords de la Dee, ni sur les bords d'aucune autre rivière d'Écosse779

 

C'est dans ces observations minutieuses des faits intimes que se découvrent, sinon le sentiment, du moins la connaissance et la fréquentation assidue de la Nature. Pour rendre les grands espaces de terrain ou les grandes phases des jours et des saisons, il suffit d'un coup d'œil d'artiste et d'un maniement suffisant de la langue. La surprise de la campagne peut quelquefois en remplacer l'intimité, et l'enthousiasme des premières rencontres arracher des accents plus vifs que la calme douceur d'une longue amitié. Mais lorsqu'il s'agit de pénétrer dans le détail, de démêler les mille sons dont est faite l'harmonie des champs, de percevoir les symptômes légers qui précèdent les mouvements atmosphériques ou plutôt qui en font déjà partie et en sont comme la frange; lorsqu'il s'agit de posséder les habitudes et les préférences des plantes, leurs heures, leurs endroits et leur saison, les coutumes et les habitats de tant d'oiseaux et d'animaux, on entre dans une étude immense. Une vie humaine y suffit à peine. Wordsworth y a consacré la sienne, avec l'assiduité d'un savant, pendant les trois quarts d'un siècle. Chaque jour il a examiné la nature; il en a fait son occupation unique; il est arrivé à en avoir une merveilleuse connaissance. C'est avec Burns le poète moderne qui l'a observée le plus directement et le plus intimement connue. Mais il l'a regardée, pour ainsi dire, en faisant un choix; cherchant en artiste ses effets rares et nouveaux à interpréter en moraliste. Il la voyait à travers la double préoccupation du pittoresque et de la parabole, en extrayant de préférence ce qui était beau ou instructif. Aussi ses observations ont toujours quelque chose d'épuré. Elles semblent avoir été prises moins pour elles-mêmes que pour leur éclat ou la leçon qu'elles contiennent.

Il n'en est pas ainsi de celles de Burns. Il a, bien entendu, cette connaissance complète de la campagne, mais elle lui vient moins d'une observation voulue que d'une fréquentation constante. Il la possède parce qu'il a vécu avec elle, qu'il l'a travaillée de ses propres mains, arrosée de sa sueur, surprise à toutes ses heures. Il est familier avec ses mille aspects et ses mille voix, mais sans s'être donné la tâche de le devenir. Sa façon de la voir est plus simple et plus désintéressée. Il n'y recherche ni les tableaux brillants, ni les comparaisons éloquentes. Ce n'est pas un artiste qui l'étudie, c'est un paysan qui la cultive; les faits le frappent, non parce qu'ils sont curieux, mais parce qu'ils sont ordinaires. Ce qui l'attire dans les choses, ce n'est pas leur pittoresque, mais leur réalité, leur importance au point de vue de la vie rurale, la place qu'ils y tiennent; le pittoresque ne vient qu'à la suite et par surcroît. On comprend qu'il y a, dans cette façon de voir la campagne, quelque chose de moins éclatant et de moins subtil; mais de plus solide, de plus ferme et de plus pratique. La plupart du temps, Burns fait des descriptions sans s'en douter; il n'a été préoccupé que de relater des faits; ses vers, pleins, écrits pour la chose qu'ils disent, sont en réalité des renseignements qui ont rencontré la couleur. Par exemple, lorsqu'il dit:

 
En été, lorsque le foin était coupé,
Que le blé vert ondulait dans tous les champs,
Au moment où la luzerne fleurit blanche sur la plaine,
Et où les rosés s'ouvrent dans les coins abrités780.
 

il s'occupe moins de l'aspect que de l'état réel de la campagne, dans les semaines qui suivent la fenaison. Si, vers la fin d'avril, il écrit à un de ses amis, ce ne sera pas un pittoresque un peu extérieur qui le frappera, ce sera le moment précis de vie rurale où il se trouve, le moment où l'on fait sortir les vaches qui ont vêlé, et où on travaille activement aux champs781. S'il souhaite au même ami un temps favorable pour ses moissons, il ne fera pas quelque phrase générale sur le soleil et la brise, il ira droit au détail technique.

 
Puisse Borée ne jamais battre vos sillons,
Et ne pas donner de croc-en-jambe à vos tas de gerbes,
Dispersant la récolte à travers moors et marécages,
Comme du chiendent arraché;
Mais puisse le grain qui branle tout au faîte de l'épi
Tomber dans le sac782.
 

Ce dernier trait qui note que les plus hauts grains, parce qu'ils sont les plus secoués et les plus mûrs, se perdent le plus facilement, est d'un coup d'œil de paysan.

Sa poésie est tellement claire, de proportions moyennes et à angles vifs, qu'elle s'écarte instinctivement de ce qui donne aux objets quelque chose d'obscur, de vague ou d'excessif. Les phénomènes de brumes ou de brouillard, si communs dans un pays humide comme l'Ayrshire, sur lequel traînent continuellement les longues files des nuages de l'Atlantique, et qui, dans un pays voisin, ont fourni à Wordsworth tant de tableaux d'une subtilité ou d'une splendeur merveilleuses, ne paraissent presque pas dans ses vers. Lorsque par hasard il les rencontre, il leur donne quelque chose d'arrêté et de précis qui leur enlève une partie de leur charme ou de leur terreur. Le côté vaporeux, flottant et perdu des choses, par lequel certains esprits aiment à les contempler, parce qu'elles sont par là plus transformables, et sur qui furent constamment fixés les beaux yeux rêveurs de Shelley, n'existe guère pour lui. De la nuit même, d'autres voient surtout les profondeurs ténébreuses; les lumières ne servent qu'à les rendre plus reculées et plus insondables; lui y voit surtout un fond pour ses lumières qui, sur cette noirceur, jouent plus vives, plus individuelles, plus nettes, que dans l'universelle clarté du jour. Aussi ses vers sont-ils pleins de ces effets de nuit, toujours rendus par rapport aux points lumineux, et jamais par rapport aux arrière-plans obscurs.

 
Nous n'errerons plus sur le bord du ruisseau,
Nous ne sourirons plus au visage ridé de la lune dans la vague783.
 
 
Le char de Cynthia d'argent massif
Montait dans le ciel étoilé, homme;
Les rayons reflétés dorment dans les ruisseaux,
Ou se cassent dans le courant784.
 
 
Nous irons le long du Cluden,
À travers les noisetiers qui s'étendent largement
Au-dessus des vagues qui glissent lentement,
Si claires sous la lune785.
 
 
Donnez-moi la vallée solitaire,
Le soir plein de rosée, la lune montante,
Qui luit joliment et fait ruisseler
Sa lumière d'argent dans les branches786.
 

Tout est en points lumineux et scintillants. Cette même netteté d'expression, ce quelque chose de bref et d'un peu sec, de limpide, qui lui fait rendre si bien la clarté froide de la lune, lui fait aussi rendre admirablement les effets de gelée claire et sonore.

 
Quand les feuilles jaunies jonchent la terre,
Ou que, voltigeant comme des chauves-souris,
Elles obscurcissent le souffle du froid Borée,
Quand les grêlons chassent,
Et que les jeunes froids commencent à mordre,
Tout vêtus de gelée blanche787.
 

Ou bien encore ces vers qui décrivent si bien une nuit d'hiver:

 
Tout était endormi comme l'œil fermé de la nature,
Silencieuse, la lune brillait très haut au dessus d'arbres et tours;
Le gel froid, sous son rayon d'argent,
S'étendait, formant doucement sa croûte, sur la rivière scintillante788.
 

C'est là aussi ce qui le fait parler si heureusement du chant clair et du vol léger de l'alouette, de tout ce qui est vif, mobile, rapide.

On ne connaît pas la quantité de nature qui se trouve dans un poète quand on ne connaît que les descriptions directes qu'il en a faites. On peut même dire qu'on n'en a que la partie la moins intime, la moins personnelle, l'expression purement extérieure. À travers une œuvre poétique, surtout moderne, apparaissent, dans les comparaisons, dans les métaphores, une foule d'impressions de la Nature qui, ayant séjourné dans l'âme du poète, en remontent transformées et toutes chargées de sa pensée. Il y a bien des jours, bien des années qu'elles se sont déposées au fond de lui; elles y sont restées ignorées et perdues dans les profondeurs où le souvenir cesse d'être volontaire; elles y ont subi un lent et mystérieux travail; un choc les ébranle, elles reparaissent parfois presque méconnaissables de ce long séjour dans une âme humaine. Une partie de l'infinie poésie de la Nature qui ornait l'âme de Shakspeare nous apparaît de cette façon, à propos de sentiments humains. Ces impressions sont forcément profondes, puisqu'elles ont duré longtemps; elles sont aussi généralisées par le lent dépouillement des détails accidentels et les nécessités de fournir une comparaison applicable partout. C'est parmi elles qu'on trouve souvent les plus hautes et les plus subtiles manifestations de la Nature, dans un poète.

Ces réapparitions sont-elles nombreuses dans Burns? Y a-t-il, dans ses métaphores, dans les unions de pensée et d'images naturelles, une assez grande proportion de ces dernières pour que, en les dégageant, on obtienne un aspect nouveau de son sentiment de la Nature? À priori, on peut croire que non. D'abord, parce que ses métaphores sont brèves et rapides. Ce foisonnement d'images qui, dans certaines œuvres, décore l'idée jusqu'à la recouvrir, et étouffe le sens sous une luxuriante végétation parasitaire, est plutôt le propre des poètes d'imagination que des poètes de passion. Il y en a plus dans Shelley et dans Coleridge que dans Byron et dans Burns. Pour s'envelopper de ces ornements, la pensée a besoin de loisir qui lui permette un moment d'arrêt, et lui donne du répit pour cette toilette. Le sentiment violent est volontiers nu, parce qu'il est impétueux, sa fougue l'emporte à travers ces ajustements. Il s'en soucie peu. Il est pressé d'atteindre, de frapper, de sentir le choc de son but. C'est ce qui arrive à Burns, où l'éloquence est bien plus dans l'accent que dans l'image, et dans le mouvement que dans l'éclat. Il ne s'attarde jamais aux comparaisons, il les traverse rapidement, et nous pouvons prévoir que, par suite de la brusquerie de ses métaphores, les impressions de Nature qui y sont contenues ne seront pas très nombreuses. Il y a à cela encore une autre raison, c'est que la plus grande quantité peut-être de ses images est empruntée à des actions, des détails de vie humaine.

Il y a bien un assez grand nombre de ces réminiscences naturelles, dans ses chansons d'amour. Mais il y a si longtemps que la plupart d'entre elles ont été empruntées à la Nature qu'elles ont perdu leur parfum d'origine; elles ont servi à tant de cœurs humains qu'il ne leur reste plus qu'une valeur de sentiment. Elles font partie de l'éternel vocabulaire des vers amoureux; elles ne sortent pas du fonds d'images auquel il est permis à tous les poètes de puiser comme à un coffre commun. Ce sont des yeux comme des étoiles pendant la nuit; des cheveux dorés comme des anneaux d'or, noirs comme l'aile du corbeau, ou blonds comme le lin; ce sont des joues comme des lis tachés de vin; des lèvres comme des cerises mûres protégées du vent froid par des murs ensoleillés; des tailles comme les jeunes frênes qui montent au-dessus des buissons entre deux talus semés de primevères; des innocences aussi pures que la pâquerette qui s'ouvre dans la rosée ou que l'épine dont les fleurs sont si blanches et les feuilles si vertes. Il se trouve, dans ces comparaisons, de jolis détails; çà et là, un détail que Burns a rajeuni et auquel, pour employer l'expression de sa femme, il a donné un coup de brosse; mais, en réalité, rien de bien nouveau, ni de bien profond.

Cependant, lorsque l'émotion moins tendue lance moins rapidement l'expression, il arrive que sa pensée prend le temps de se placer dans une de ces observations naturelles. Alors l'effet de nature qui en constitue l'enveloppe est plus subtil, plus nuancé que ceux qui se rencontrent généralement dans ses descriptions directes. L'observation est toujours brève et nette, mais elle s'applique à des phénomènes plus fugitifs, plus changeants, plus susceptibles de se perdre dans l'âme et de se confondre confusément avec elle. Les délicats phénomènes de lumière et d'atmosphère, dont Shelley devait plus tard composer sa poésie aérienne et irisée, sont très rares dans Burns. Ceux qu'on rencontre généralement chez lui se trouvent presque uniquement dans ses métaphores.

 
Ses yeux sont plus brillants que les rayons radieux
Qui dorent l'averse fuyante,
Et étincellent sur le cristal des ruisseaux,
Et réjouissent les fleurs rafraîchies789.
 

Ou bien:

 
Comme dans le sein du ruisseau
Le rayon de lune séjourne au soir humide de rosée,
Ainsi tremblant et pur était le jeune amour
Dans le cœur de la jolie Jane790.
 

Ou encore:

 
Son front est comme l'arc-en-ciel,
Quand de brillants rayons de soleil interviennent
Et dorent le front de la montagne lointaine791.
 

Ou bien cette jolie énumération de choses fragiles et fugitives dans Tam o' Shanter, pour laquelle un poète disait qu'il aurait donné tout ce qu'il avait écrit:

 
Les plaisirs sont comme des pavots épanouis,
Vous prenez la fleur, ses pétales tombent;
Ou comme la neige qui tombe dans la rivière,
Un instant blanche, puis fondue pour jamais;
Ou comme les éphémères boréales
Qui fuient sans que vous puissiez en marquer la trace;
Ou comme la forme adorable de l'arc-en-ciel
Qui s'évanouit dans l'orage792.
 

Ces rayons de soleil dans une averse, ce reflet de lune dans un ruisseau, tous ces phénomènes de lumière, de nuances à peine perçues, sont des effets rares dans Burns. Ils manquaient pour lui de réalité. Sa main robuste et un peu rude voulait saisir quelque chose de plus matériel.

C'est là, chez lui, le point extrême en fait de transformation de la Nature. C'est dans ces passages qu'elle est le plus légère, le plus pénétrée de sentiment. On voit combien elle est encore sobre et solide, combien elle reste pratique en quelque sorte. Les faits demeurent toujours précis, nets, perdent à peine un peu de leurs contours. En sorte que cette étude plus profonde des sensations de la Nature nous fait seulement mieux sentir encore combien son regard sur elle était bref, et clair; combien peu il s'occupait d'elle quand il n'était pas en commerce direct avec elle; combien elle séjournait en lui sans le déformer, c'est-à-dire combien elle et lui restèrent distincts.

Un des caractères les plus frappants de la nature, telle qu'on la voit dans Burns, est qu'elle n'est presque jamais inanimée. Ce n'est pas une scène silencieuse et dépeuplée, où l'homme seul paraît, un décor de théâtre peint pour lui seul. Elle fourmille d'existences particulières; elle est pleine de mouvements et de voix; elle est sillonnée de mille animaux qui la peuplent et la font vivre. De tous côtés, on voit les lièvres courir le long des sillons, les volées criaillantes de perdrix partir, les couvées de grouse courir sous la bruyère, les aigles passer au-dessus des collines. Les oiseaux de toute espèce remplissent les taillis. Le renard glapit. Les phases de la journée ne sont pas notées simplement par les couleurs qu'elles étalent dans le ciel et que n'importe qui peut étaler dans ses vers; elles sont accompagnées de quelque fin détail de vie animale que seul possède celui qui connaît bien la campagne.

 
Oh! plaisants sont les prés et les bois de Coila,
Où les linots chantent parmi les bourgeons,
Et les lièvres coureurs, dans leurs jeux amoureux, goûtent leurs amours,
Tandis que par les coteaux le ramier roucoule d'un cri plaintif793.
 
 
Le soleil était hors de vue,
Et le crépuscule plus sombre amenait la nuit,
Le hanneton bruissait avec un bourdonnement lent,
Et les vaches debout beuglaient à la place où on les trait794.
 

Presque jamais, le paysage n'est sans bêtes, que les scènes soient riantes ou sauvages.

 
Combien aimables, ô Nith, sont tes vallées fertiles,
Où les aubépines éployées fleurissent gaîment,
Combien doucement sinuent tes vallons en pente,
Où les agneaux jouent à travers les genêts795.
 
 
Solitaires sur les glaciales collines, les troupeaux errants
Évitent les cruels orages parmi les rochers abritants;
Les ruisseaux se précipitent, écument, rougeâtres sous la pluie qui les bat,
Les déluges amassés crèvent au-dessus des plaines lointaines,
Sous la rafale les forêts effeuillées gémissent;
Les cavernes creuses rendent une morne plainte796.
 

Burns lui-même marquait la place que les animaux tiennent dans ses vers, lorsqu'il disait:

 
Tant que les églantiers et les chèvrefeuilles verdissants,
Et les perdrix qui piaillent haut le soir,
Et le lièvre matinal qu'on voit filer silencieusement,
Inspireront ma muse797.
 

Cette présence des animaux est à noter, car, chez la plupart des poètes, si on tuait les oiseaux, la nature resterait dépeuplée.

Sur ces fonds déjà fourmillants de vie ressortent plus fortement les animaux domestiques. À chaque pas, ce sont des coins de collines, de prairies ou de champs, dans lesquels ils figurent avec une touche de sentiment humain qui les rapproche des premiers plans. Ils servent à indiquer les heures du jour:

750Wordsworth. The Wishing Gate.
751Id. The Primrose of the Rock.
752Ce travail a été fait. Voir the English Lake District as interpreted in the Poems of Wordsworth, by William Knight.
753Epistle to William Simpson.
754Cowper. The Sofa, vers 160-180.
755Oh, Wat ye wha's in yon Town?
756Man was made to mourn.
757My Nannie, O.
758Elegy on the Death of Sir James Hunter Blair.
759Lament of Mary Queen of Scots.
760War Song.
761Elegy on the Death of Sir James Hunter Blair.
762O Philly, happy be that Day.
763Tam o' Shanter.
764O Lassie, art thou sleeping yet.
765Smiling Spring comes in rejoicing.
766The Bonny Banks of Ayr.
767Epistle to William Simpson.
768The Holy Fair.
769A Vision.
770Lament for James Earl of Glencairn.
771A Winter Night.
772Smiling Spring comes in rejoicing.
773Lament on the unfortunate Issue of a Friend's amour.
774Macaulay. Essay on Milton.
775Lament of Mary Queen of Scots.
776Lament of Mary Queen of Scots.
777The Humble Petition of Bruar Water.
778Peggy.
779To Thomson, 7th April 1793.
780Countrie Lassie.
781Second Epistle to Lapraik. Voir ce passage plus bas.
782Third Epistle to Lapraik.
783Lament written at a time when the Poet was about to leave Scotland.
784The Fete Champetre.
785Ca' the Yowes.
786She says she lo'es me best of a'.
787The Jolly Beggars.
788The Brigs of Ayr.
789Young Peggy.
790There was a Lass and she was fair.
791On Cessnock Banks.
792Tam o' Shanter.
793Epistle to William Simpson.
794The twa Dogs.
795The Banks of Nith.
796Elegy on the Death of Robert Dundas.
797Epistle to John Lapraik.