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Robert Burns

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Reste, ma charmeresse, peux-tu me quitter?
Cruelle, cruelle, de me tromper!
Tu sais combien tu me tortures,
Cruelle charmeresse, peux-tu t'en aller?
Cruelle charmeresse, peux-tu t'en aller?
 
 
Par mon amour si mal récompensé,
Par ta foi tendrement promise,
Par les tourments des amants dédaignés,
Ne me quitte pas, ne me quitte pas ainsi!
Ne me quitte pas, ne me quitte pas ainsi!667
 

La seconde est une plainte mélancolique de jeune fille délaissée. Elle est faite aussi avec le retour des mêmes paroles, la répétition de la même phrase, une modulation triste qui se recommence. L'effet en est navrant. Il est impossible de lire, dans l'original, cette pièce, qui ne contient pas une image et qui est presque sans pensée, sans que, vers la fin, et par une inexprimable émotion qui est on ne sait où, la voix ne s'altère. C'est une des plus merveilleuses choses que Burns ait écrites. Au-delà d'une pièce de ce genre, la poésie cesse et il n'y a plus que l'émotion purement musicale.

 
Tu m'as quittée pour jamais, Jamie,
Tu m'as quittée pour jamais;
Tu m'as quittée pour jamais, Jamie,
Tu m'as quittée pour jamais.
Souvent tu m'as promis que la mort
Seule nous séparerait;
Maintenant, tu as quitté ta fillette pour toujours,
Je ne dois jamais te revoir, Jamie,
Je ne te reverrai jamais.
 
 
Tu m'as abandonnée, Jamie,
Tu m'as abandonnée;
Tu m'as abandonnée, Jamie,
Tu m'as abandonnée.
Tu peux en aimer une autre,
Tandis que mon cœur se brise.
Bientôt je fermerai mes yeux las
Pour ne plus me réveiller, Jamie,
Pour ne plus me réveiller!668
 

Cette abondance de pièces, semées dans toutes les directions, suffirait à faire de Burns un des plus variés et des plus copieux poètes de l'amour. Mais il convient de ne pas oublier que la portion la plus élevée, la plus riche de sa poésie amoureuse ne figure pas ici, nous voulons dire ses pièces personnelles qui marquent les crises de sa vie. À celles qui viennent d'être données, il faut en ajouter bien d'autres: ses premières chansons d'amour. Derrière les collines où le Lugar coule669, ses vers à Anna Park, si brutalement luxurieux670; la série des morceaux à Jane Lorimer, d'un si joli coloris de désir671; les strophes à sa petite garde-malade Jessy Lewars672, sans parler des poèmes inspirés par Clarinda. Il faut se remettre en mémoire les chansons à Jane Armour: De tous les points d'où souffle le vent, J'ai une femme à moi, Si j'étais sur la colline du Parnasse673; et surtout les pièces écrites au moment de leur séparation et dans lesquelles vit quelque chose du désespoir des Nuits674. Enfin au-dessus de tout cela, pour la hauteur de l'inspiration, la pureté du sentiment, pour le désintéressement qu'on trouve rarement dans ses vers d'amour, il faut placer les poésies à Mary Campbell. Il faut mettre, au sommet, ce cri de remords et de douleur par lequel, tandis que l'étoile attardée qui aime à saluer le matin ramenait l'anniversaire des adieux, prosterné à terre, il implorait la chère ombre disparue de baisser les yeux vers lui, de sa place de repos bienheureux, et d'accueillir les gémissements qui déchiraient sa poitrine675. Et cet autre sanglot, peut-être plus poignant encore, lorsque semblant renoncer à l'espoir d'une réunion future, il épanche une douleur que le temps renouvelle, et pense que ce cœur dont il a été aimé se dissout maintenant en poussière silencieuse676. Ce sont des accents qui élèvent sa gloire. Grâce à eux il a atteint au rang des plus douloureux et partant des plus divins chantres de la divine et douloureuse passion; il est parmi ceux qui ont su aimer les mortes et saigner d'un souvenir. Les vers à Mary Campbell se sont envolés jusqu'à la sphère où chantent les élégies célestes, les canzones à Laure, le Crucifix, les Vers à Graziella677. Il y a dans la couronne de Burns deux feuilles du laurier de Pétrarque et de Lamartine, mais deux feuilles seulement.

II.
LA COMÉDIE DE L'AMOUR

Nous n'en avons pas fini avec l'amour dans Burns. Il n'en a pas représenté que la face sentimentale et poétique, mais aussi les côtés risibles, prosaïques et grotesques. Sa faculté d'observation, qui n'était gênée par aucune pensée d'harmonie littéraire dans son œuvre, s'est exercée là comme ailleurs. Il a vu et rendu tout un aspect de la vie amoureuse, que les poètes ne perçoivent pas, ou réservent pour leurs conversations. Il en a saisi les comédies aussi bien que les adorations, et il y a, dans ce chapitre, tout un coin familier, amusant, risible, tout un défilé de caractères et de scènes populaires. Après les grâces et les charmes de l'amour, voici toutes ses ruses, ses méchants tours, ses tromperies, ses calculs, ses artifices, ses situations ridicules et piteuses. Rien n'y manque. Prières de jeunes gars qui viennent le soir frapper à la fenêtre et demandent à être introduits, réflexions de fillettes qu'on veut marier à de vieux richards, conseils de vieilles commères aux jeunesses qui interrogent leur expérience des hommes et des choses, épousailles grotesques, disputes d'époux, allégresses de veufs, épisodes de toute espèce, de toute forme et de tout sel, fin, moyen et gros. Tout cela est crayonné vivement, comme une suite de caricatures prises sur le fait. C'est la comédie entière de l'amour, avec toutes ses péripéties et ses vicissitudes drôlatiques. Elle embrasse, elle aussi, toutes les situations, et on pourrait reconstituer avec ces pièces risibles, une vie entière d'amour, à partir des premières rencontres.

 

C'était, on l'a vu, l'usage des jeunes paysans écossais que d'aller le soir faire leur cour, parfois à une distance de plusieurs milles. Cette coutume, dont le côté pur et gracieux a été poétisé dans la chanson de Ma Nannie Ô!, se retrouve ici avec ce qu'elle devait avoir souvent de plus prosaïque et de plus réel. On entend les dialogues qui devaient souvent s'échanger à travers le volet.

 
«Qui est là, à la porte de ma chambre?»
«Oh! qui est là, sinon Findlay?»
«Passez votre chemin, vous n'entrerez pas ici!»
«En vérité, j'entrerai,» dit Findlay.
«Qui vous rend si semblable à un voleur?»
«Oh! venez voir,» dit Findlay.
«Avant le matin, vous aurez fait un malheur,»
«En vérité, je le ferai,» dit Findlay.
 
 
«Si je me lève et vous laisse entrer,»
«Laissez-moi entrer,» dit Findlay.
«Vous me tiendrez éveillée avec votre bruit.»
«En vérité, je le ferai,» dit Findlay.
«Si dans ma chambre vous restiez,»
«Laissez-moi rester,» dit Findlay.
«J'ai peur que vous n'y restiez jusqu'au matin,»
«En vérité, je le ferai,» dit Findlay.
 
 
«Si vous restez ici cette nuit,»
«J'y resterai,» dit Findlay,
«J'ai peur que vous ne retrouviez le chemin»
«En vérité, je le ferai,» dit Findlay.
«Ce qui pourra se passer dans cette chambre,»
«Laissons-le passer,» dit Findlay,
«Il faut le taire jusqu'à votre dernière heure,»
«En vérité, je le tairai,» dit Findlay678.
 

Quelques-unes de celles qu'on sollicite ainsi sont avisées; elles tiennent la dragée haute, connaissant, sans doute, par pur instinct de femme, la vérité du conseil de Méphistophélès aux belles «qu'il ne faut accorder un baiser que la bague au doigt».

 
Fillette, quand votre mère n'est pas à la maison,
Puis-je prendre la hardiesse
De venir à la fenêtre de votre chambre
Et d'entrer pour me garder du froid?
De venir à la fenêtre de votre chambre?
Et quand il fait froid et humide
De me réchauffer sur votre doux sein?
Douce fillette, puis-je faire cela?
 
 
Jeune homme, si vous avez la bonté,
Quand la ménagère n'est pas à la maison,
De venir à la fenêtre de ma chambre
Quand je suis couchée seule,
Pour vous réchauffer sur mon sein,
Remarquez bien ce que je vous dis,
Le chemin jusqu'à moi passe par l'église,
Jeune homme, entendez-vous cela?679
 

Malheureusement, elles n'ont pas toutes aussi bonne tête. La voix derrière le volet est parfois si tendre et si persuasive. En hiver, il est dur de laisser le pauvre garçon, qui vient de si loin à travers les moors, se morfondre sous les rafales; en été, les sillons d'orge sont bien tentants; en toute saison, ces heures de nuit sont mauvaises conseillères. Que ce soit lui qui entre ou elle qui sorte, cela, dit-on, revient au même.

 
Oh! siffle, et je viendrai vers toi, mon gars,
Oh! siffle, et je viendrai vers toi, mon gars.
Quand père et mère en deviendraient fous,
Oh! siffle, et je viendrai vers toi, mon gars.
 
 
Mais fais bien attention quand tu viens me faire la cour,
Et ne viens pas à moi à moins que la porte de derrière ne soit entr'ouverte,
Puis franchis la barrière, que personne ne te voie,
Et viens comme si tu ne venais pas chez moi.
 
 
À l'église, au marché, partout où nous nous rencontrons,
Passe près de moi comme si tu t'en souciais comme d'une mouche,
Mais glisse un regard de ton doux œil noir;
Cependant aie l'air de ne pas me regarder.
 
 
Jure et proteste toujours que tu ne te soucies pas de moi,
Et, quelquefois, tu peux légèrement rabaisser ma beauté, un peu
Mais n'en courtise pas une autre, même en plaisantant,
De peur qu'elle ne détache ta fantaisie de moi.
 
 
Oh! siffle, et je viendrai vers toi, mon gars,
Oh! siffle, et je viendrai vers toi, mon gars,
Quand père et mère en deviendraient fous,
Oh! siffle, et je viendrai vers toi, mon gars680.
 

Il n'y a pas que ces entrevues nocturnes qui soient dangereuses. En mille autres occasions, il y a des rencontres funestes. Et ici la vie de la campagne paraît dans son jour vrai, avec la facilité, ou plutôt la naïveté, de mœurs qui se cache sous sa prétendue innocence. Tantôt, c'est en faisant ensemble la moisson, cette saison des meules.

 
Robin a fauché à la moisson,
Et j'ai fauché avec lui;
Je n'avais pas de faucille,
Et pourtant, je l'ai suivi.
 
 
Robin me promit
De me nourrir l'hiver;
Il n'avait rien que trois
Plumes d'oie et un sifflet681.
 

Les marchés et les foires sont aussi des endroits dangereux, surtout quand on y va en croupe avec Duncan Gray. Il suffit que la selle soit vieille et que la sous-ventrière casse, pour qu'il se produise des chutes malheureuses, auxquelles la lune, qui regarde par-dessus les collines, semble prendre grand plaisir.

 
Malheur sur vous, Duncan Gray,
Ha, ha, la sous-ventrière!
Malheur sur vous, Duncan Gray
Ha, ha, la sous-ventrière!
Quand les autres vont s'amuser,
Je reste assise tout le jour,
À remuer le berceau avec mon pied,
À cause de la sous-ventrière.
 
 
Claire était la lune d'août,
Ha, ha, la sous-ventrière!
Brillante au-dessus de toutes les collines,
Ha, ha, la sous-ventrière!
La sous-ventrière cassa, la bête tomba,
Je perdis mon bonnet et mes deux souliers,
Ah! Duncan, vous êtes un mauvais gars,
Maudite soit cette mauvaise sous-ventrière!
 
 
Mais, Duncan, si vous tenez votre serment,
Ha, ha, la sous-ventrière!
Je vous bénirai à mon dernier souffle,
Ha, ha, la sous-ventrière!
La bête encore nous portera tous deux,
Le vieux maître John réparera le mal,
Et raccommodera la sous-ventrière682.
 

Parfois enfin, on va à la ville porter du fil à tisser. Là encore, que d'embûches! Ces tisserands sont bien subtils à attraper le cœur des fillettes.

 
Mon cœur était jadis aussi joyeux et libre
Que les jours d'été étaient longs,
Mais un tisserand de l'ouest, un joli gars,
M'a fait changer ma chanson.
 
 
Chez le tisserand, si vous allez, jolies fillettes,
Chez le tisserand, si vous allez,
Je vous avertis, n'allez jamais la nuit,
Si vous allez chez le tisserand…
 
 
Ma mère m'a envoyé à la ville
Pour faire ourdir un tissu de plaid;
Mais que cet ourdissage m'a fait lasse, lasse,
M'a causé de soupirs, de sanglots!
 
 
Un beau gars tisserand de l'ouest
Travaillait assis à son métier,
Il a pris mon cœur comme dans un filet
Dans les bouts de fil et les nœuds.
 
 
Ce qui fut dit ou ce qui fut fait,
La honte me prenne si je le dis,
Mais, oh! j'ai peur que le pays bientôt
Ne le sache aussi bien que moi683.
 

Hélas! le pays, en effet, ne tarde pas à tout savoir. Les chuchotements viennent, puis les reproches et les railleries, avec des expressions goguenardes et grossières. Ces duretés se font jour, avec ce manque de pitié qui est commun aux paysans et aux enfants, et qui donne à leurs remarques quelque chose de si direct et de si cruel. Cela se termine par une de ces plaisanteries brutales, sur lesquelles le groupe se disperse avec des éclats de rire, en laissant la pauvre fillette confuse et pleurante.

 
Vous vous êtes couchée de travers, fillette,
Vous vous êtes couchée de travers.
Vous vous êtes couchée dans un autre lit,
Et avec un homme étranger.
 
 
Vos joues rosées sont devenues si pâles,
Vous êtes plus verte que l'herbe, fillette,
Votre jupon est plus court d'une main,
Bien qu'on ne l'ait pas raccourci d'un pouce, fillette.
 
 
Ô, fillette, vous avez fait la sotte,
Vous éprouverez le mépris, fillette,
Car la soupe que vous prenez le soir,
Vous la rendez avant le matin, fillette.
 
 
Oh! jadis, vous dansiez sur les collines,
Et à travers les bois, vous chantiez, fillette,
Mais, en saccageant une ruche d'abeilles,
Vous vous êtes fait piquer, fillette684.
 

Comme cela est inévitable, les comédies du mariage fournissent des scènes nombreuses. L'argent, la dot, en est le grand ressort. Nul n'était mieux disposé à railler ce point particulier que l'ancien président du Club des Célibataires de Tarbolton. On se souvient que le premier sujet de discussion avait été de savoir s'il vaut mieux épouser une femme riche et sans charmes qu'une femme aimable et sans fortune685. Burns était sévère pour les mariages d'argent. Aussi, est-il intarissable sur les situations comiques et divertissantes que ces marchés matrimoniaux peuvent amener.

Voici d'abord les avisés qui pensent que la beauté passe et que la dot demeure. On sait les sages conseils que le père Maurice donne à Germain au début de la Mare au Diable. C'était aussi l'avis de quelques madrés paysans écossais. Il y en a plus d'un qui met, sans vergogne, son cœur à nu.

 
Au diable votre sorcellerie de la beauté tremblante,
Ce petit morceau de beauté que vous serrez dans vos bras!
Oh! donnez-moi une fillette qui a des acres de charmes,
Oh! donnez-moi une fillette avec de bonnes fermes.
 
 
Donc, hey pour la fillette avec une dot,
Donc, hey pour la fillette avec une dot,
Donc, hey pour la fillette avec une dot,
Les jolies guinées jaunes pour moi!
 
 
Votre beauté est une fleur qui fleurit le matin,
Fanée d'autant plus vite qu'elle a fleuri plus tôt;
Mais les charmes délicieux des jolies Collines vertes,
Chaque printemps les vêtit à neuf de jolies brebis blanches.
 
 
Et même quand votre beauté a exaucé vos vœux:
La plus brillante beauté peut fatiguer, quand on l'a possédée;
Mais les doux jaunets chéris, avec l'empreinte de Georges,
Plus longtemps vous les avez, et plus vous les caressez686.
 

Mais ces beaux calculs ne réussissent pas toujours. À matois, matoise et demie. Il y a de fines mouches qui savent bien à qui ces déclarations s'adressent, et l'une d'elles dit dans une jolie chanson:

 
 
Oh! mon amoureux fait grand cas de ma beauté,
Et mon amoureux fait grand cas de ma famille;
Mais mon amoureux ne sait pas que je sais fort bien
Que ma dot est le joyau qui a des charmes pour lui.
C'est pour la pomme qu'il veut nourrir l'arbre,
C'est pour le miel qu'il veut soigner l'abeille;
Mon gars est tombé si amoureux de l'argent,
Qu'il ne peut pas lui rester un peu d'amour pour moi687.
 

Les hommes sont après tout maîtres de se marier comme il leur semble bon. Ceux qui apprécient à la vergée la beauté de leur future et qui épousent des prairies et des bois sont clairsemés en somme. Qu'il leur advienne ce qui voudra! Quand le mariage leur rapporterait un peu plus de bois qu'ils n'y comptaient, c'est une faible erreur de calcul. Ils ont simplement la large mesure. Mais il se rencontre de braves garçons qui, avec de bons bras, sont prêts à nourrir une belle fille. Ceux-ci sont encore les plus nombreux. Aussi les pièces qui roulent sur la recherche de la dot sont-elles assez rares du côté masculin.

Mais que le côté féminin en est riche! Que les femmes sont bien plus à plaindre! À la merci du premier venu auquel il plaît à leur famille de les accorder! Quel défilé de pauvres filles qu'on veut faire marier à contre cœur. Les parents sont partout les mêmes. Ils sont pour le bonheur en terre et les gendres fonciers.

 
Combien cruels sont les parents
Qui n'estiment que la richesse,
Et à un riche lourdaud
Sacrifient la pauvre femme!
Cependant, la fille malheureuse
N'a que le choix de la lutte:
Fuir la haine d'un père despotique,
Devenir une épouse malheureuse688.
 

Et la chanson continue en comparant la pauvrette à une colombe poursuivie par un faucon. Elle fuit un moment, essaye ses ailes, et désespérant d'échapper, tombe aux pieds du fauconnier qui représente le mari. Sur ce thème, à moitié comique et à moitié douloureux, Burns est intarissable. Il y a à grouper, autour de ce seul point, une quinzaine de chansons avec lesquelles on constituerait toutes les phases de cette aventure commune, depuis les premières instances des parents jusqu'au moment où les résultats ordinaires de pareils mariages commencent à poindre. Les hésitations, les combats, les refus, les chagrins des pauvrettes y sont tout au long. Elles demandent conseil tout autour d'elles et ce sont de petites scènes charmantes de naïveté et de malice.

L'une d'elles va trouver sa sœur: son cœur se brise, elle ne veut pas irriter ses parents, mais que fera-t-elle de Tam Glen? Avec un aussi brave garçon ne pourrait-elle pas supporter la pauvreté, et que lui importe de se rouler dans les richesses si elle n'épouse pas Tam Glen? Il y a un propriétaire voisin qui se vante et parle toujours de son argent, mais quand dansera-t-il comme Tam Glen? Sa mère lui répète de se défier des jeunes hommes qui ne flattent que pour tromper, mais qui peut penser cela de Tam Glen? D'ailleurs, à la Toussaint, elle a mouillé sa manche gauche à un ruisseau et l'a suspendue devant le feu pour qu'à minuit celui qu'elle doit épouser vînt la retourner. Et qui est venu? sinon une apparition qui portait les culottes grises de Tam Glen?

 
«Viens, conseille-moi, chère sœurette, vite,
Je te donnerai une belle poule noire,
Si tu m'avises d'épouser
Le gars que je préfère, Tam Glen.»689
 

Elles ne reçoivent pas toujours la réponse dont elles sont désireuses. Elles s'adressent quelquefois à des commères avisées, quelque dame bien ridée qui sait que «de bon conseil ne sort jamais de mal».

 
Oh! fillette étourdie, la vie est un combat;
Même pour les plus heureux, la lutte est dure;
On combat mieux les mains pleines,
Et les soucis qui ont faim sont de durs soucis.
Mais l'un dépense et l'autre épargne,
Et les mauvaises têtes veulent avoir leur gré;
Selon que vous aurez brassé, ma jolie fille,
Souvenez-vous que vous tirerez la bière690.
 

La petite aura beau répéter qu'elle ne donnerait pas un regard de Robin pour la grange et l'étable d'un autre, que l'argent ni l'or n'ont jamais acheté un cœur loyal, que le fardeau que l'amour porte est léger, que le contentement et la tendresse apportent la paix et la joie, et que les reines n'ont rien de plus sur leur trône, les avertissements de la vieille voisine la renvoient pensive.

Que faire? Quelques-unes, les plus décidées, refusent nettement et envoient promener ces prétendants laids et vieux dont toute la séduction est dans leurs sacs d'écus. Elles leur disent leur fait comme des filles qui ont la langue leste et dont la main le serait aussi. Il y en a une entre autres qui ne va pas par quatre chemins. C'est assurément une vaillante fille, qui sait ce qu'elle veut et ce qu'elle ne veut pas, et qui ne manque ni d'esprit ni de fierté.

 
La rose rouge-sang peut fleurir à Noël,
Les lis d'été éclore dans la neige,
Le froid peut geler la plus profonde mer,
Mais un vieil homme ne me mènera jamais.
 
 
Me mener moi, et moi si jeune,
Avec son cœur faux et sa langue flatteuse;
C'est une chose que vous ne verrez jamais,
Car un vieil homme ne me mènera jamais.
 
 
Malgré toute sa farine et tout son grain,
Malgré tout son bœuf frais et son bœuf salé,
Malgré tout son or et son argent blanc,
Un vieil homme ne me mènera jamais.
 
 
Son bien peut lui acheter vaches et brebis,
Son bien peut lui acheter vallons et collines,
Mais il ne m'aura jamais, ni à fonds, ni à bail,
Un vieil homme ne me mènera jamais.
 
 
Il se traîne, cassé en deux, comme il peut,
Avec sa bouche sans dents et sa vieille tête chauve,
La pluie tombe de ses yeux rouges et chassieux;
Ce vieil homme ne me mènera jamais691.
 

Si le vieil homme ne se le tient pas pour dit, c'est qu'il est sourd, outre le reste. Mais toutes n'ont pas aussi bonne tête et cette clarté de langue qui ne permet pas de se méprendre sur ce qu'elles pensent. Il y a de petites niaises qui probablement s'imaginent, comme l'ingénue de Molière, que les familles se perpétuent par l'oreille. On les marie, sans qu'elles sachent ce qu'on leur fait faire. Le lendemain, elles pleurnichent sottement.

 
Oh! savez-vous ce que grand'mère m'a fait,
Ce que grand'mère a fait, ce que grand'mère m'a fait,
Oh! savez-vous ce que grand'mère m'a fait,
M'a fait jeudi soir, gars?
Elle m'a mise dans un lit doux,
Dans un lit doux, dans un lit doux,
Elle m'a mise dans un lit doux,
Et m'a souhaité bonsoir, gars.
 
 
Et savez-vous ce que le curé a fait,
Le curé a fait, le curé a fait.
Et savez-vous ce que le curé a fait,
Pour quelques gros sous, gars?
Il a lâché sur moi un long homme,
Un gros homme, un fort homme,
Il a lâché sur moi un long homme,
Qui aurait pu m'effrayer, gars.
 
 
Et je n'étais qu'une jeune créature,
Une jeune créature, une jeune créature,
Et je n'étais qu'une jeune créature,
Avec personne pour me plaindre, gars.
C'est l'église qui est à blâmer,
Qui est à blâmer, qui est à blâmer,
D'effrayer une jeune créature,
Et de lâcher un homme sur moi, gars692.
 

Si le long homme n'est pas, quelque jour, allongé encore, il passera, comme on dit, par une belle porte. La chanson n'est pas longue à changer. La niaiserie, sur ces choses, n'est chez les femmes que de surface; la plus innocente est prompte à se délurer. Alors le dépit vient, et les reproches, dont on se fait une provision d'excuses pour soi-même. À ce compte, les défauts s'accumulent vite sur le mari; les prétextes vont du même train. Telle fillette qui, peut-être a eu les étonnements de celle qu'on vient d'entendre, parle maintenant d'un autre ton.

 
Que peut faire une jeunesse, que fera une jeunesse,
Que peut faire une jeunesse, avec un vieil homme?
Malheur aux écus qui ont poussé ma mère
À vendre sa Jenny pour de l'argent et des terres;
Malheur aux écus qui ont poussé ma mère
À vendre sa Jenny pour de l'argent et des terres.
 
 
Il est toujours à se plaindre du matin au soir,
Il tousse, et il boîte, toute la longue journée;
Il est caduc, il est engourdi, son sang est gelé;
Ah! triste est la nuit avec un vieil homme vermoulu,
Il est caduc, il est engourdi, son sang est gelé,
Ah! triste est la nuit avec un vieil homme vermoulu.
 
 
Il gronde et il grogne, il s'agite et il bougonne,
Il n'est jamais content, quoi que je fasse.
Il est hargneux et jaloux de tous les jeunes gens.
Ah! malheur sur le jour où j'ai rencontré un vieil homme!
Il est hargneux et jaloux de tous les jeunes gens,
Ah! malheur sur le jour où j'ai rencontré un vieil homme!
 
 
Ma vieille tante Katie prend pitié de moi,
Je vais essayer de suivre son plan.
Je le tracasserai, je le harasserai, tant qu'il perde l'âme,
Alors, son vieux cuivre me procurera une poële neuve;
Je le tracasserai, je le harasserai tant qu'il perde l'âme,
Alors son vieux cuivre me procurera une poële neuve693.
 

Mais il faut se garder de croire que toutes les filles d'Écosse aient été mariées par contrainte. Si on en pousse quelques-unes au mariage, les autres y vont bien d'elles-mêmes. Il n'en manque pas de fines et de futées, qui savent chercher et trouver un mari toutes seules. Ce sont alors de jolis jeux de coquetterie. Les demoiselles de la ville ne leur en remontreraient pas sur ce chapitre. Ce manège est heureusement exposé dans une chanson qui est une vraie petite comédie. Les refus prétendus du commencement, la niaiserie de l'amoureux qui les prend pour argent comptant et cherche à se consoler ailleurs, le dépit de la fillette, la confiance qu'elle a dans un de ses regards, sa façon si féminine d'achever sa rivale en demandant de ses nouvelles, la brusque volte-face de l'amoureux qui du coup perd la tête et se tuera si elle ne l'accepte. Elle le fait, mais à cause de lui et par grâce; la rusée a l'air de faire un sacrifice.

 
En mai dernier, un bel amoureux descendit le long du vallon
Et me fatigua, m'obséda avec son amour,
Je dis qu'il n'y avait rien que je haïsse comme les hommes.
Le diable l'emporte de m'avoir crue, de m'avoir crue,
Le diable l'emporte de m'avoir crue.
 
 
Il parla des dards de mes jolis yeux noirs,
Et jura qu'il se mourrait d'amour pour moi,
Je dis qu'il pouvait mourir quand il lui plairait,
Le Seigneur me pardonne d'avoir menti, d'avoir menti,
Le Seigneur me pardonne d'avoir menti.
 

Et cependant, il offrait une ferme bien garnie et le mariage aussitôt. Elle pensait bien qu'elle pouvait avoir de pires offres. C'est alors que le benêt s'en va trouver la noire cousine Bess.

 
Mais, la semaine suivante, tourmentée de soucis,
J'allai à la foire de Dalgarnock.
Et qui était là, sinon mon bel amoureux volage?
J'ouvris les yeux comme si je voyais un sorcier, un sorcier,
J'ouvris les yeux comme si je voyais un sorcier.
 
 
Mais, par-dessus mon épaule gauche, je lui lançai un regard,
De peur que les voisins ne disent que j'étais hardie.
Mon amoureux dansa comme s'il avait été gris,
Et jura que j'étais sa chère fillette, sa chère fillette,
Et jura que j'étais sa chère fillette.
 
 
Je m'informai de ma cousine, tout doucement et tranquillement,
Si elle avait recouvré l'ouïe,
Et comment ses souliers neufs allaient à ses vieux pieds tortus.
Mais, cieux, comme il se mit à jurer, à jurer,
Mais, cieux, comme il se mit à jurer!
 
 
Il me pria, pour l'amour de Dieu, d'être sa femme,
Sinon, je le tuerais de chagrin;
Aussi, pour préserver la vie du pauvre garçon,
Je crois que je dois l'épouser demain, demain,
Je crois que je dois l'épouser demain694.
 

C'est un sujet analogue dans la chanson de Duncan Gray. Mais, tandis que la précédente est toute faite d'observations, celle-ci est faite de grosse gaîté, le récit est interrompu par un grand éclat de rire qui éclate à chaque instant, se répercute de strophe en strophe, devient contagieux, et secoue toute la pièce d'une lourde et joviale hilarité.

 
Duncan Gray est venu ici faire sa cour,
Ha! ha! la jolie cour,
Une belle nuit de Noël, quand nous étions gris,
Ha! ha! la jolie cour.
Maggie rejeta la tête en l'air,
Le regarda de côté et de haut,
Et lui dit de se tenir coi,
Ha! ha! la jolie cour!
 
 
Duncan flatta, et Duncan pria,
Ha! ha! la jolie cour;
May fut sourde comme Ailsa Craig695,
Ha! ha! la jolie cour.
Duncan sortit et rentra de gros soupirs,
Pleura, eut les yeux rouges et troublés,
Parla de sauter dans une cascade,
Ha! ha! la jolie cour!
 

L'arrivée de ce pauvre amoureux transi, dans la bagarre joyeuse d'une nuit de Noël, son attitude gauche, et celle sottement dédaigneuse de Maggie sont bien amusantes. Mais, malgré son air contrit, Duncan Gray n'est pas une bête.

 
Le Temps et la Chance sont comme les flots,
Ha! ha! la jolie cour,
L'amour dédaigné est dur à supporter,
Ha! ha! la jolie cour.
Irai-je comme un sot, dit-il,
Pour une chipie hautaine, mourir?
Elle peut aller… en France, je m'en moque!
Ha! ha! la jolie cour.
 
 
Comment cela se fit, que les docteurs le disent;
Ha! ha! la jolie cour,
Meg dépérit à mesure qu'il guérissait,
Ha! ha! la jolie cour.
Elle sent une peine en sa poitrine,
Elle pousse des soupirs pour se soulager,
Et, oh! ses yeux disent de telles choses;
Ha! ha! la jolie cour.
 
 
Duncan était un gars de pitié,
Ha! ha! la jolie cour,
Maggie était en mauvais cas
Ha! ha! la jolie cour!
Duncan ne voulut pas causer sa mort,
La pitié en lui étouffa la colère.
Maintenant, ils sont contents et heureux,
Ha! ha! la jolie cour!696
 

Le jour des épousailles lui-même ne passe pas inaperçu. C'était souvent un jour de lourde joie et d'ivresse. On en a quelques aperçus.

 
La dernière belle noce où je fus,
C'était le jour de la Toussaint,
Il y avait abondance de boire et de rire,
Et beaucoup de joie et de jeu.
Et les cloches sonnaient, et les vieilles femmes chantaient,
Et les jeunes dansaient dans la salle,
L'épouse alla au lit, avec son sot mari,
Au milieu de toutes ses commères697.
 

Il y a aussi le jour de noces de Meg du moulin, qui aimait bien une goutte de whiskey le matin. Tout le monde semble y avoir été gris. On remporta à bras le fiancé, on remporta le clerc dans une voiture.

 
Oh! savez-vous comment Meg du moulin fut mise au lit?
Et savez-vous comment Meg du moulin fut mise au lit?
Le futur était si gris qu'il tomba tout d'un tas à côté.
Et voilà comment Meg du moulin fut mise au lit!698
 

Comme il est à prévoir, la vie conjugale réunit tout un groupe de ces chansons. En général, elle n'est pas représentée en brillantes couleurs. Du côté attrayant, à peine une petite chanson, pleine de crânerie et de belle humeur, fredonne-t-elle la joie d'un homme tout fier d'avoir une femme à soi et décidée à défendre son bien. Elle est très enlevée et très jolie; on a vu à quel propos elle a été composée699.

 
J'ai pris une femme pour moi seul,
Je ne partagerai avec personne,
Personne ne me fera cocu,
Je ne ferai cocu personne.
J'ai un penny à dépenser
Qui ne doit rien à personne;
Je n'ai rien à pouvoir prêter,
Je n'emprunterai de personne.
 
 
De personne je ne suis le maître,
Je ne serai esclave de personne.
J'ai une brave épée écossaise,
Je n'accepte de coups de personne.
Je serai libre et joyeux,
Je ne serai triste pour personne.
Si personne n'a souci de moi,
Je n'aurai souci de personne700.
 

Pour le reste, c'est un concert de lamentations, toutes placées d'ailleurs, dans la bouche des hommes. Le titre d'une chanson Je voudrais ne m'être jamais marié701, pourrait servir d'épigraphe à l'ensemble. Quels tracas de toutes parts! Des inquiétudes, des soucis, des enfants qui demandent à manger. Et les femmes! Une collection de commères, de maritornes, de viragos acariâtres, hargneuses et malfaisantes qui criaillent, disputaillent et braillent, au jour la journée. Elles font de leurs pauvres hommes de vrais martyrs702. Une d'elles boit et casse sa quenouille sur la tête de son mari703. Une autre reproche au sien, depuis sept longues années de n'être plus qu'un vieux sans sève. Et lui, doucement, répond qu'il a vu le jour, et elle aussi, où elle n'était pas si revêche. Cette querelle de vieux époux, tombés en sénilité, est comme la contre-partie et la caricature de la chanson de John Anderson. Les enfants arrivent en criant que le canard, en passant entre les jambes du vieux grand-père, l'a fait tomber.

667Stay, my charmer.
668Thou has Left me ever.
669Voir la Biographie, page 42.
670Id. page 433.
671Id. page 519-527.
672Id. page 543-545.
673Id. page 388, 398.
674Id. page 136-138.
675Id. page 412. Il est curieux de retrouver dans le noble Pétrarque, une pièce qui rappelle tout à fait celle À Marie dans les cieux. L'idée en est la même, sauf ce qui semble se mêler de remords au chagrin de Burns. C'est le sonnet XXXVII, Après la mort de Madame Laure. Le titre seul suffirait à marquer la similitude des deux morceaux: «Il la prie pour que, de là-haut, elle lui jette un regard de pitié». «Belle âme, délivrée de ce nœud le plus beau que sut jamais ourdir la nature, tourne du haut du ciel ton esprit sur ma vie obscure, jetée de pensers si joyeux dans les pleurs. Elle est sortie de ton cœur, la fausse opinion qui pendant un temps te fit paraître acerbe et dure pour moi; rassurée désormais, tourne vers moi les yeux, et écoute mes soupirs. Regarde le grand rocher d'où naît la Soigne, et tu y verras quelqu'un qui, seul au milieu des herbes et des eaux, se repaît, de ton souvenir et de douleur». (Traduction de Francisque Reynard).
676Voir la Biographie, p. 504.
677Il est inutile de faire remarquer que la situation de Lamartine envers Graziella ressemble, à quelques égards, à celle de Burns envers Mary Campbell.
678«Indeed will I» Quo' Findlay.
679The Discreet Hint.
680Whistle and I'll come to you, my lad.
681Robin shure in Hairst.
682Weary fa' you, Duncan Gray.
683To the Weaver's gin ye go.
684Ye hae lien wrang, Lassie.
685Voir première partie, page 39.
686A Lass wi a Tocher.
687My Tocher's the Jewel.
688How cruel are the Parents.
689Tam Glen.
690The Country Lass.
691To Daunton me.
692O wat ye what my Minnie did.
693What can a young Lassie do wi' an auld Man.
694The Braw Wooer.
695C'est une petite île rocheuse non loin d'Ayr.
696Duncan Gray.
697The last Braw Bridal.
698Meg o' the Mill.
699Voir première partie, p. 398.
700I hae a Wife o' my ain.
701Oh, that I had ne'er been married.
702Oh, aye my Wife she dang me; Shelah O' Neil; My spouse Nancy.
703The weary Pund o' Tow.