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Robert Burns

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Quand ils rencontrent de durs désastres,
Comme la perte de la santé ou le manque de maîtres,
Vous penseriez presque qu'une petite poussée en plus
Et il faut qu'ils meurent de froid et de faim.
Comment cela se fait, je ne le sais pas encore,
Mais ils sont la plupart merveilleusement satisfaits;
Et les gars robustes, et les fines fillettes,
Sont engendrés de cette façon-là548.
 

On se rappelle qu'il disait à Dugald-Stewart, pendant une des promenades matinales qu'ils firent ensemble dans les environs d'Édimbourg, que «la vue de tant de chaumières d'où monte la fumée, donnait à son esprit un plaisir que personne ne pouvait comprendre qui n'avait pas, comme lui, été témoin du bonheur et de la vertu qu'elles abritaient549».

Ce relèvement de la vie des pauvres a trouvé son expression la plus grande et la plus émouvante dans le célèbre morceau du Samedi soir du Villageois. Elle y est ennoblie, touchée de beauté, car elle prend une telle élévation que, tout en gardant ses traits fatigués, elle s'embellit d'une lumière supérieure. Jamais on n'avait répandu tant de dignité sur l'existence des indigents. C'est une consécration de ce qu'il y a de piété naturelle, d'amour familial, de résignation, et d'honnêteté, sous des toits misérables; un hommage solennel aux vertus humbles. Et ce qu'il y a d'admirable dans ce tableau, c'est que cette noblesse sort peu à peu de la réalité, la surmonte, la conquiert et finit par la vaincre, par l'entraîner dans son triomphe. La pièce, qui s'ouvre par une peinture presque sombre de travail exténué, aboutit à une idée glorieuse. Les misères, le labeur, les sueurs, la rudesse des détails disparaissent. Elle atteint les sommets de la dignité humaine, là où toutes les distinctions sociales sont tombées, où l'âme seule paraît, où ce qu'il y a d'absolu dans la vertu éclate et rayonne, en faisant fondre autour de soi, comme de vaines cires, le rang, la richesse et la naissance. C'est un morceau qu'il faut connaître, car il marque, dans une direction, un des points extrêmes du génie de Burns.

On est au samedi soir, la veille du jour de repos si rigoureusement observé par tout le pays. Le paysage est désolé: le vent de novembre siffle aigre et irrité; le jour hivernal se clôt; les bêtes toutes boueuses viennent de la charrue; le noir cortège des corbeaux passe dans le ciel. Le laboureur, rapportant sur son épaule sa bêche, sa pioche et sa houe, regagne sa demeure, traversant d'un pas alourdi les moors qui s'obscurcissent. C'est une impression de lassitude et de tristesse. Enfin, la chaumière isolée se montre sous le vieil arbre qui l'abrite. Les enfants accourent. Le feu qui brille au foyer clair, le sourire de sa femme, le gazouillement du dernier-né sur ses genoux, trompent les soucis qui le rongent, lui font oublier son labeur, et ses endurances. C'est le tableau si souvent décrit du laboureur qui revient le soir, mais avec une teinte plus réelle et plus attristée.

Les uns après les autres, les enfants qui sont au service dans les fermes voisines, arrivent. Puis leur aînée, Jenny, qui devient une femme toute fleurie de sa jeunesse. Les frères et les sœurs réunis se mettent à causer, pendant que la mère, avec son aiguille et ses ciseaux, force les vieux habits à avoir presque aussi bon air que les habits neufs. Il y a dans toute cette scène un sentiment d'affection réciproque, un bruit de bonnes paroles aimantes et fraternelles qui fait plaisir. Le père donne ses conseils et fait ses recommandations.

 
Les ordres de leur maître et de leur maîtresse,
Les enfants sont avertis qu'ils doivent y obéir,
Et s'occuper de leur travail d'une main diligente,
Et, bien que hors du regard, ne jamais jouer ni flâner;
«Ô! ayez bien soin de toujours craindre le Seigneur,
De bien penser à vos devoirs, le matin et le soir;
De peur que vous ne déviiez dans le sentier de la tentation,
Implorez son Conseil et l'appui de son Pouvoir;
Ceux-là n'ont jamais cherché en vain qui ont vraiment cherché Dieu».
 

Mais on frappe timidement à la porte. Jenny, qui sait ce que cela signifie, se hâte de dire qu'un gars du voisinage est venu par les moors pour faire des commissions et la reconduire jusqu'à la maison. Le père s'y tromperait peut-être, mais la mère plus fine a vu la flamme secrète étinceler dans les yeux de Jenny et rougir sa joue. Il y a, en deux ou trois vers d'une fine observation, un de ces courts drames intérieurs qui tiennent en quelques mots. La mère a un moment d'anxiété en demandant le nom. Jenny hésite un peu à le dire. La mère est tout à coup heureuse en entendant que ce n'est pas celui d'un mauvais sujet et d'un débauché. On sent tout ce qui s'est passé entre la mère et la fille sous ces quelques mots indifférents pour tous. On ouvre la porte; le gars entre. Son air plaît à la mère. Jenny est heureuse de voir que la visite n'est pas mal prise. Le père se met à causer de chevaux, de charrue et de bœufs. Le gars, dont le cœur déborde de joie, reste tout gauche, tout timide et tout interdit sachant à peine comment se tenir. La mère sait bien, avec sa perspicacité de femme, ce qui le rend si grave. Après le tableau des affections de famille, c'est celui de l'amour rustique, innocent et sincère. Il est dans le dessein du poète que la vie des paysans nous apparaisse sous tous ses aspects.

 
Ô heureux amour! Quand un amour comme celui-là se trouve!
Ô extases ressenties au cœur! bonheur au-delà des comparaisons!
J'ai parcouru beaucoup du triste cercle mortel,
Et la sage expérience m'ordonne de déclarer ceci:
Si le ciel répand une goutte de plaisir céleste,
Un cordial, dans cette vallée mélancolique,
C'est lorsqu'un couple jeune, aimant, modeste,
Dans les bras l'un de l'autre, soupire la tendre histoire
Sous l'épine blanche comme le lait où se parfume la brise du soir.
 

Maintenant, le souper «couronne» leur pauvre table. La mère apporte le porridge, le lait que leur vache unique leur donne. La brave bête! On l'entend derrière la porte mâcher sa paille. Cette touche délicate l'associe au repas qu'elle a fourni en partie. Elle est presque de la famille. C'est une affection qui complète les autres et met le dernier trait à ce tableau de bonté.

Le souper terminé, la pièce grandit; la scène prend quelque chose de biblique. Au milieu de la famille silencieuse, le père se lève. Il se découvre. Il prend la vieille bible de famille, où sont inscrites les dates des naissances et des morts, obscures archives de la race. Une solennité remplit cette chaumière à peine éclairée, où les outils du travail quotidien luisent dans un coin.

 
Le joyeux souper fini, avec des visages sérieux,
Autour du feu, ils forment un large cercle.
Le père feuillète avec une grâce patriarcale
La grosse Bible, jadis l'orgueil de son père:
Il retire avec respect son bonnet,
Ses tempes grises sont maigries et dégarnies.
Parmi ces chants qui autrefois glissaient doucement dans Sion,
Il choisit une portion avec un soin judicieux;
Et: «Adorons Dieu!» dit-il avec un air solennel.
 

C'est la prière du soir. C'est plus: c'est presque un office du soir. La famille chante une hymne sur un des vieux airs écossais qui ont servi aux Covenanters et où vivent encore les luttes, les persécutions, et la ferveur anciennes. Les voix et les cœurs sont à l'unisson. L'hymne achevée, «le père semblable à un prêtre» lit quelque passage de la Bible. Il l'emprunte aux pages sévères de l'Ancien Testament; il parle d'Abraham qui fut l'ami de Dieu; de Moïse, du barde royal gémissant sous la colère du ciel; des gémissements de Job; du feu farouche et séraphique d'Isaïe. Ou bien, il tourne les pages plus douces du Nouveau Testament.

 
Peut-être le volume chrétien est son thème,
Comment le sang innocent fut versé pour l'homme coupable;
Comment celui qui portait le second nom dans le ciel
N'avait pas de quoi reposer sa tête;
Comment ses premiers disciples et serviteurs prospérèrent;
Les sages préceptes qu'ils écrivirent à mainte nation;
Comment celui qui fut banni, solitaire à Patmos,
Vit un ange puissant debout dans le soleil,
Et entendit le jugement de la Grande Babylone, prononcé par l'ordre du ciel.
 

Quelle grandeur prennent les pauvres murs où passent ces visions sacrées et majestueuses. Elles y apportent l'autorité de la Religion; elles y répandent en même temps une poésie terrifiante ou adorablement tendre. Ce groupe de paysans les comprend. Ç'a été la lecture presque unique de leur jeunesse; ils les entendent commenter tous les dimanches. Il y a là vraiment, dans toutes ces âmes simples, un instant moral de haute vénération, tel que des âmes plus cultivées n'en connaissent jamais. La scène continue par une prière qui plane sur tous les fronts courbés.

 
Alors, s'agenouillant devant le Roi éternel des cieux,
Le saint, le père, l'époux prie:
L'Espoir s'élance joyeux sur ses ailes triomphantes,
L'Espoir qu'ils seront ainsi réunis dans les jours futurs;
Qu'ils vivront à jamais à la chaleur des rayons incréés,
Sans connaître les soupirs, sans plus verser de pleurs amers,
Célébrant ensemble par des hymnes la louange du Créateur,
Plus douce encore en une telle société,
Tant que les cercles du Temps se mouvront dans une sphère éternelle.
 

Il est superflu de faire remarquer la simplicité et la fermeté de ces vers. Le poète a raison d'ajouter que, à côté de ceci, la pompe et la méthode que les hommes déploient dans les Congrégations semblent pauvres.

 
 
Comparée à ceci, combien pauvre est l'orgueil de la Religion,
Dans toute la pompe de sa méthode et de son art;
Quand des hommes déploient devant une large congrégation
Toutes les grâces de la Dévotion, sauf le cœur!
Le Tout-Puissant, courroucé, abandonne ces cérémonies,
Le chant solennel, l'étole sacerdotale;
Mais peut-être, dans quelque chaumière perdue, éloignée,
Il se plaît à entendre le langage de l'âme,
Et inscrit les pauvres habitants dans son livre de Vie.
 

La pièce, tout en restant élevée, descend un peu de ces hauteurs et se rapproche de la terre. La soirée est achevée. On se disperse. Le père et la mère restent seuls avec une dernière pensée pour les leurs.

 
Alors tous, vers leur demeure, reprennent leurs chemins divers,
Les jeunes enfants se retirent au repos:
Les deux parents offrent leur secret hommage
Au ciel, et lui présentent l'ardente requête
Que celui qui calme les cris du nid des corbeaux
Et revêt les beaux lis de l'orgueil de leur fleur,
Veuille, de la façon que sa Sagesse jugera la meilleure,
Pourvoir pour eux et pour leurs petits,
Mais, avant tout, résider dans leurs cœurs avec sa grâce divine.
 

Cette strophe n'est-elle pas dans une autre lumière que le début du poème? Nous sommes loin du paysage d'hiver où cheminait un homme fatigué; loin du sentiment de tristesse, de lassitude, qui emplissait ce crépuscule. Il y a ici une clarté de confiance, embellie par les gracieuses images d'un nid d'oiseaux et d'une fleur somptueuse. À travers les sentiments d'amour, dont aucune forme n'a été oubliée, à travers l'adoration du maître suprême, ces âmes accablées d'abord se sont élevées; elles se reposent maintenant dans une sérénité presque radieuse et dans la confiance. Si la pensée vient que toutes les chaumières perdues dans la nuit contiennent, au même moment, un spectacle semblable; que sous chacune de ces humbles fumées éparses par la campagne on s'aime, on prie et on espère ainsi, alors la noblesse de cette scène s'étend sur toute la contrée. Ces habitations de paysans deviennent tout d'un coup le soutien et l'ornement de la nation. On ne s'étonne pas du mouvement presque lyrique qui termine le poème.

 
De scènes comme celles-ci naît la grandeur de la vieille Écosse,
Qui la fait aimer chez elle et respecter au dehors;
Les princes et les lords ne sont qu'un souffle des rois,
«Un honnête homme est le plus noble ouvrage de Dieu.»
Et certes, sur la route céleste et belle de la vertu,
La chaumière laisse le palais loin derrière elle.
Qu'est la pompe mondaine? Un poids pesant
Qui déguise souvent un misérable
Versé dans les arts de l'enfer, raffiné dans la méchanceté.
 
 
Ô Écosse, cher sol, mon sol natal,
Pour qui mon plus ardent vœu monte au ciel,
Puissent longtemps tes fils endurcis parle travail rustique
Posséder la santé et la paix et le doux contentement!
Et, oh! puisse le Ciel protéger leurs vies simples
De la contagion du luxe, faible et vil!
Alors, couronnes de rois et de noblesse peuvent être brisées,
Une populace vertueuse saura se lever,
Et dressera un mur de feu autour de son île bien-aimée!
 

Quelle leçon d'égalité! Où trouvera-t-on du respect pour le faste et le cérémonial, quand on l'a donné tout entier à ce pauvre paysan, plus noble que les marquis et les lords? Quand on a éprouvé cette vénération pour la vertu en soi, et goûté le vin du vrai respect, toutes les déférences extérieures semblent creuses et insipides.

On voit quelle dignité la vie des pauvres a pris entre les mains de Burns. Elle est rehaussée, ennoblie. Elle est montrée dans sa grande importance pour le pays. Elle est même parfois, malgré la réalité qu'elle conserve, revêtue d'une sorte de beauté. En regard, la vie des riches est dépouillée de ses entourages fallacieux, révélée dans son vide et ses laideurs, dans son inutilité pour tous. De quel côté est l'avantage, la vraie supériorité, le droit à l'estime? Ces familles sont le froment d'un pays. Comme l'humble blé, elles le font vivre et, quelles que soient les plantes fastueuses et rares qui fleurissent dans les jardins, ce sont elles qui sont la parure des plaines.

C'est par ce côté, et dans ces limites, que Burns a touché aux portions nobles de la vie. Il est, grâce à cela, plus qu'un poète de la réalité familière et grotesque. Il faut avouer cependant que ces deux parties de son génie ne sont pas égales entre elles. Celle-ci est inférieure à la première, en originalité, en variété, et surtout en vie. Ne semble-t-il pas que la différence capitale que nous avons signalée ressort visiblement? C'est que le don d'objectiver, de créer des scènes ou des êtres en dehors de soi-même, abandonne Burns lorsqu'il pénètre dans le domaine du Beau. Il n'y porte que ses propres émotions; il n'y parle qu'en son propre nom; il y exprime des principes au lieu de peindre des personnages. Il est créateur dans le comique, et non dans le relevé. Il a donné la vie à beaucoup de personnages risibles, pas à une figure poétique. Tandis que les peintres complets, comme Shakspeare, en face de Falstaff et de Caliban, produisent Ophélie et Ariel, Burns n'a pas donné en beau de pendant à ses Joyeux Mendiants et à Tam de Shanter. Même cette verve d'expression, cette perpétuelle trouvaille, cette bonne fortune et cette bonne humeur de langage le délaissent. La langue reste vigoureuse et simple, mais elle est plus monotone, plus abstraite. Elle se tient à quelque distance des objets, et par un artifice de construction littéraire. En même temps, au lieu d'être souple, prompte de mouvement, agile aux moindres détours de la réalité, elle est plus raide et plus tendue. Ce n'est plus une suite de touches qui tombent pressées sur le point qu'elles doivent rendre, c'est le développement oratoire. La pièce du Samedi soir peut servir d'exemple. L'inspiration en est haute et en fait en grande partie la beauté. Mais où sont la vie, l'individualité? Le laboureur n'est qu'un type général, à la façon du maître d'école ou du curé de village de Goldsmith. Le sujet demandait sans doute de la gravité, mais elle est ici un peu lente; le style, qui est large, a quelque chose de froid et de compassé! Le morceau manque de la saveur des véritables créations de Burns.

Il en faut conclure que Burns n'a pas rendu avec la même netteté la beauté des choses que leurs aspects familiers et comiques. Il a été plus créateur dans le grotesque que dans le sérieux. De la beauté répandue dans la vie, il a eu surtout le goût de la beauté morale. Lui qui est si peintre dans les faits de tous les jours, n'est plus, à une certaine hauteur, qu'un orateur. Il a l'ardeur, l'âpreté, l'éloquence; il cesse d'avoir la véritable création. Il a été un prédicateur de choses nobles et un peintre de choses vulgaires. Mais la vie est au-dessus de tout. Le côté des œuvres de Burns où sont les Joyeux Mendiants, La Veillée de la Toussaint, La Mort et le Dr Hornbook, Tam de Shanter, est plus de génie que celui où se trouve le Samedi soir, l'Ode de Bruce et les Conseils à un Jeune Homme.

Malgré cette préférence, il aurait été injuste de négliger cet aspect de Burns. Cela ajoute quelque chose à un homme d'avoir énergiquement aimé la liberté, la justice et la bonté mutuelle entre les hommes. Cela ajoute quelque chose à un poète de les avoir chantées avec des accents vibrants. Cela ajoutera beaucoup à la gloire de Burns de les avoir chantées en des chants si simples et si forts qu'ils ont fourni au peuple la poésie de ses droits, de ses colères, et de sa dignité.

V.
LE JUGEMENT DE LA VIE

Au delà de ces nobles passions qui sont les ailes de la vie, il y a des pensées qui se placent en dehors d'elle, pour la mesurer et la juger. Il y a l'intelligence du peu qu'elle est, de sa brièveté, de sa vanité, de ses tristesses, de ses défaillances. Dans quelque joie ou quelque activité que l'homme existe, il n'a qu'une idée imparfaite de sa situation tant qu'il ne l'a pas envisagée par ce dehors et connue pour ce qu'elle est. C'est un contrôle qui nous empêche d'accorder trop d'importance à nos pauvres nous-mêmes, d'exagérer la petite place que nous tenons. Il est bon de savoir que les bonheurs sont de courts rêves que beaucoup, autour de nous, ne peuvent pas même rêver. Cela nous ramène au sentiment de la fuite et de la fragilité de la vie. Et cette conviction nous empêche d'être les dupes de nos propres espoirs, de nous enfermer dans l'égoïsme de notre propre satisfaction. En sachant le peu que tout cela vaut et dure, nous sommes plus préparés à le perdre ou à le partager; nous devenons plus sages et meilleurs. En vérité, il n'y a pas de tableau achevé de la vie, sans cet arrière-plan de mélancolie.

Burns a eu fortement cette sensation du rapide passage de la vie. Au milieu du rire et des plaisirs, il n'oublie jamais complètement que tout cela est l'éclat d'un flot qui passe, moins brillant s'il était moins rapide. Dans ses moments les plus joyeux, il semble brusquement avoir conscience de leur fuite et s'abandonne, sur cette pente de tristesse, à des réflexions sur la fuite de la vie elle-même.

 
Cette vie, autant que je le comprends,
Est une terre enchantée et féerique,
Où le plaisir est la baguette magique,
Qui, maniée adroitement,
Fait que les heures, comme des minutes, la main dans la main,
Passent, en dansant, très légères.
 
 
Sachons donc manier cette baguette magique;
Car, lorsqu'on a gravi quarante-cinq ans,
Vois, la vieillesse caduque, lasse, sans joie,
Avec une face ridée,
Arrive, toussant, boitant par la plaine,
D'un pas traînant.
 
 
Quand le jour de la vie approche du crépuscule,
Alors, adieu les promenades insouciantes et oisives,
Et adieu les joyeux gobelets écumants,
Et les sociétés bruyantes,
Et adieu, chères et décevantes femmes,
La joie des joies!
 
 
Ô vie! combien est charmant ton matin,
Les rayons de la jeune Fantaisie ornent les collines!
Méprisant les leçons de la froide et lente Prudence,
Nous nous échappons,
Comme des écoliers, au signal attendu
De s'éjouir et de jouer!
 
 
Nous errons ici, nous errons là,
Nous regardons la rose sur l'églantier,
Sans songer que l'épine est proche
Parmi les feuilles;
Et bien que la petite blessure menace,
Sa souffrance est si courte!
 
 
Quelques-uns, les heureux, trouvent un coin fleuri,
Pour lequel ils n'ont ni peiné, ni sué;
Ils boivent le doux et mangent le meilleur,
Sans souci, ni peine,
Et, peut-être, regardent la pauvre hutte
Avec un haut dédain.
 
 
Sans dévier, quelques-uns poursuivent la fortune;
L'âpre espérance tend tous leurs muscles;
À travers beau et laid, ils pressent la chasse,
Et saisissent la proie;
Alors, tranquillement, dans un coin plaisant,
Ils terminent la journée.
 
 
Et d'autres, comme votre humble serviteur,
Pauvres gens! n'observant ni règles, ni routes,
À droite, à gauche, s'écartant sans cesse,
Ils vont en zig-zags,
Tant qu'accablés par l'âge, obscurs, ayant faim,
Ils gémissent souvent.
 
 
Hélas! quel amer labeur et quels efforts!..
Mais, assez de ces pauvres plaintes moroses!
La lune inconstante de la Fortune pâlit-elle?
Qu'elle aille où elle veut!
Sous ce qu'elle conserve de lueur,
Chantons notre chanson!550
 

Il y a encore de la gaîté et de l'insouciance dans ces vers. En certains endroits, le sentiment est plus sombre. La vie n'est pas seulement rapide, elle est mauvaise. Elle est faite de plus de maux que de biens. La terre est le théâtre d'innombrables douleurs où errent quelques joies.

 
 
Pourquoi hésiterais-je à quitter cette scène terrestre?
L'ai-je donc trouvée si pleine de charmes plaisants?
Quelques gouttes de joie avec des flots de mal entre elles,
Quelques rayons de soleil parmi des tempêtes renaissantes.
Sont-ce les agonies du départ qui alarment mon âme,
Ou la triste, haïssable et sombre demeure de la mort?551
 

De cette impression est sortie une pièce d'une grande mélancolie qui a pour titre et pour refrain L'Homme fut créé pour gémir. Par un crépuscule de novembre, au milieu des champs et des bois dénudés, on voit cheminer un vieillard dont les pas sont fatigués. Il semble usé de souci, ses traits sont sillonnés par les années, ses cheveux sont blancs. Cet étrange passant énumère toutes les amertumes dont est faite la vie, les duretés du sort, les duretés des hommes, auxquelles s'ajoutent nos propres folies.

 
Les unes après les autres, les folies nous conduisent,
Les passions licencieuses brûlent,
Elles décuplent la force de la loi de la nature:
Que l'homme fut créé pour gémir552.
 

La pièce, qui se prolonge comme une lamentation, se termine par cette strophe découragée.

 
Ô mort! La plus chère amie du pauvre,
La plus douce et la meilleure!
Bienvenue l'heure où mes membres âgés
Seront étendus avec toi en repos!
Les grands, les riches craignent ton coup,
Arrachés à la pompe et au plaisir,
Mais, oh! tu es un soulagement béni pour ceux
Qui, las et accablés, gémissent!553
 

Quelquefois ces réflexions sur la vie prennent un accent moderne Elles s'unissent aux aspects de la nature. Y a-t-il dans Chateaubriand ou dans Lamartine quelque chose de plus mélancolique, une plus intime union des tristesses de l'âme aux tristesses des choses que dans la pièce qui suit? Ce ne sont pas les invocations orageuses que René adresse à l'orage, ni les plaintes harmonieuses de l'Isolement. Il y a, dans la tranquillité même de cette scène, voilée de brume, quelque chose de plus tranquille et de plus accablé.

 
Le brouillard paresseux pend au front de la colline
Cachant le cours du ruisseau sombre et sinueux!
Combien sont languissantes les scènes naguère si vives,
Quand l'Automne remet à l'Hiver l'année pâlie.
Les forêts sont sans feuillage, les prairies sont brunes,
Et toute la gaie toilette de l'Été est envolée,
Laissez-moi seul errer, laissez-moi seul songer
Combien vite le temps s'envole, combien durement le sort me poursuit.
 
 
Combien j'ai vécu longtemps, mais combien j'ai vécu en vain!
Combien peu de la modique mesure de la vie me reste peut-être!
Quels aspects divers le vieux temps a pris dans sa course,
Quels liens le cruel Destin a déchirés dans mon cœur!
Combien imprudents ou pires, nous sommes jusqu'au sommet de la colline,
Et, sur la pente, combien faibles, assombris et navrés!
Cette vie, avec tout ce qu'elle donne ne vaut pas qu'on la reçoive.
Pour quelque chose au delà d'elle, sûrement l'homme doit vivre554.
 

Ce ne sont pas là des sentiments très originaux. À toute époque, il y a eu des poètes qui s'en sont nourris, et on peut encore ajouter que Burns les a exprimés avec moins de profondeur que maint d'entre eux. Mais il ne faut pas oublier qu'en même temps il aime et rend la vie. Tandis que les autres semblent vivre dans les cimetières et ne fréquenter que les fossoyeurs, lui est un homme qui va aux fêtes, aux foires, aux marchés, là où il y a de jolies filles et des gars rubiconds. Sur son chemin, il traverse parfois l'enclos planté de croix où le gazon est ouvert pour une place nouvelle. Il s'y arrête un instant et continue. Cette courte méditation suffit pour qu'il emporte, dans l'agitation et le bruit, la tristesse qui les apprécie.

Ainsi que cela arrive presque constamment chez lui, les sentiments personnels sont rendus avec plus de force que les idées générales. Il parle surtout bien des amertumes de la vie qu'il a éprouvées lui-même. Parmi elles, il y en a deux qui ont pénétré en lui: la lassitude de vivre, et le sentiment douloureux des erreurs et des fautes que l'existence entraîne.

Il y a peu d'âmes harassées par les passions qui, à quelque moment, n'éprouvent la fatigue, le besoin d'une quiétude définitive, qui n'aient appelé la mort comme l'aïeule bienveillante sur le giron de laquelle il serait doux, ineffablement doux de s'endormir. Ce goût de la mort est surtout marqué chez les âmes qui manquent de but et de direction, soit que leurs passions, soit que les événements les aient jetées hors de la route. C'était déjà le vœu d'Hamlet désorienté et meurtri. Ce fut celui d'Edgar Poe qui portait sous son front de sourdes souffrances, et pour qui le fait d'exister semble avoir été douloureux. On se rappelle la pièce terrifiante, tant le désir de s'assoupir dans le néant y est ardent, et ces strophes, si poignantes à la manière de Poe, par la simple reprise de sons qui se répètent comme des lamentations:

 
Les gémissements et les plaintes,
Les soupirs et les sanglots
Sont apaisés maintenant,
Avec cet horrible battement
Au cœur! ah! cet horrible,
Horrible battement!
 
 
Le malaise, la nausée,
La souffrance impitoyable
Ont cessé avec la fièvre
Qui affolait mon cerveau,
Avec la fièvre appelée «vivre»
Qui brûlait dans mon cerveau!555
 

Byron ne disait-il pas aussi:

 
Qu'est-ce que la mort? un repos du cœur!556
 

Burns avait éprouvé ce même besoin de mourir. Sa nature violente, qui se dépensait par secousses fougueuses, aurait été sujette à des réactions et à des abattements, même dans son fonctionnement normal. Le malheur, en le jetant dans les plaisirs qui étourdissent, avait rendu ces dépressions plus fréquentes et plus profondes. Alors le découragement arrivait, la fatigue, une sorte de courbature de vivre, le souhait du repos définitif. Il a rendu cela avec une vigueur qui ne va pas loin de celle de Poe.

 
Et toi, puissance hideuse que la Vie abhorre,
Tant que la Vie peut fournir un plaisir,
Oh! écoute la prière d'un misérable!
Je ne recule plus, effrayé, épouvanté;
J'implore, je mendie ton aide amicale,
Pour clore cette scène de soucis!
Quand mon âme, dans une paix silencieuse,
Quittera-t-elle le jour morne de la vie?
Quand mon cœur fatigué cessera-t-il ses battements,
Froide poussière dans l'argile?
Plus de crainte alors, plus de larme alors,
Pour mouiller ma face inanimée;
Être serré, être étreint,
Dans ton glacial embrassement!557
 

Ce goût de la mort fut également ressenti par Shelley. Trelawny raconte qu'un jour il dut le repêcher au fond de l'eau, où il s'était laissé couler et où il s'était roulé «comme un congre» en attendant paisiblement de mourir. Mais chez Shelley, c'était moins la lassitude de la vie présente que l'attrait de la vie commune, et le dessein de se réunir à la vaste existence universelle.

Le pauvre Burns avait de plus, à un haut degré, le sens des erreurs de la vie, de ses faiblesses. Ses propres souvenirs lui avaient enseigné combien les meilleures résolutions sont proches des défaillances, combien nos efforts vers le mieux trébuchent parmi les folies et les fautes.

 
La dame Vie, bien que la fiction puisse l'attifer
Et l'orner de fausses perles et de clinquant,
Oh! vacillante, faible et incertaine,
Je l'ai toujours trouvée,
Toujours tremblante, comme une branche de saule,
Entre le bien et le mal558.
 

Avec ce sentiment lui revenaient les regrets et parfois les remords des mauvais passages de son passé. Il avait assez souffert, et il s'était assez forgé de malheurs, pour comprendre les leçons que la vie contient toujours et qu'elle inflige parfois. Dès qu'il touche à ce point, il devient grave. En quelque endroit de presque toutes ses pièces, le ton comique se suspend et les paroles sérieuses arrivent. Il fait, en repassant à travers ses propres erreurs, sa récolte de sagesse. Ce sont souvent des regrets, souvent des résolutions, parfois de véritables remords. Quelquefois, il arrache fortement à sa conduite un avertissement, brusque comme le chagrin qui nous atteint au bout d'une suite de faiblesses et tout d'un coup nous les dévoile. Il est plein de ces aveux et de ces conseils. La pièce qui a pour titre: Épître à un jeune Ami, et qui est si riche de paroles pratiques et viriles qu'on pourrait la comparer aux recommandations de Polonius à son fils, en est un exemple. Les exhortations se succèdent, portant sur tous les points où un homme doit être prémuni; pensées prudentes, avisées, en même temps qu'élevées, et toute cette sagesse aboutit à un retour mélancolique sur lui-même.

 
En termes de laboureur, «Dieu vous prospère»
À devenir chaque jour plus sage,
Et puissiez-vous mieux suivre ce conseil
Que ne l'a jamais fait le conseilleur.
 

Ces aveux sont épars de tous côtés dans son œuvre. Ils sont accompagnés de préceptes d'indulgence, dans lesquels on sent qu'il la réclame autant qu'il la conseille.

Ce quelque chose de grave, qui reparaît çà et là, suffit pour remettre toutes choses en leur place. Le rire et le comique restent au premier plan, mais ils ne sont pas seuls. Derrière leur gaîté sortent des avertissements et une voix plus austère qui ne laisse pas oublier ce que la vie contient de sérieux et d'imposant, qui en proclame les responsabilités. Par delà les scènes de la vie ordinaire qu'il excelle à peindre, il y a une pensée plus sévère qui les observe, qui les juge, les condamne ou les plaint. Parfois même, on l'a vu, il arrive jusqu'à la tristesse qui fait le fond de la vie et la clôt. Il n'avait pas encore connu le désenchantement de la vieillesse et la décoloration qui s'étend sur tout, mais il avait déjà eu des moments où l'inanité de nos courtes carrières apparaît. Il avait connu précocement ce terrible «À quoi bon?», qui visite, vers leur fin, les âmes les plus actives et les mieux réglées, celles qui ont fait le plus consciencieusement leur besogne de vivre; et qui assaille de meilleure heure celles qui se sont dispersées et n'ont pas donné tout ce qu'elles pouvaient. En sorte qu'une moralité se dégage après tout de son œuvre. Sa peinture de la condition humaine n'en représente pas seulement le côté insouciant, pittoresque et quotidien. Elle est plus complète. Elle n'en ignore ni les douleurs, ni les fragilités, ni les énigmes, tout le côté obscur et qui regarde du côté de la mort.

548The Twa Dogs.
549Dugald Stewart. Reminiscences.
550Epistle to James Smith.
551Stanzas, in the Prospect of Death.
552Man was made to Mourn.
553Man was made to Mourn.
554The lazy Mist.
555Edgar Poe. For Annie.
556Byron.
557Ode to Ruin.
558To Colonel de Peyster.