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Robert Burns

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C'étaient là de beaux sujets et une grande ambition. C'était en même temps une tentative qui aurait probablement été au-dessus de ses forces. C'est qu'il n'y a pas pour le génie humain de plus haute entreprise qu'un drame historique, nous voulons dire un drame véritablement historique. Un auteur peut mettre dans la bouche de personnages illustres ses propres sentiments, et les leur faire déclamer avec éloquence. C'est faire un drame politique ou social, c'est faire œuvre d'apôtre ou de réformateur, comme Alfieri ou Schiller; cela est loin du drame historique. Ou bien il peut rencontrer dans les faits de l'histoire une situation dramatique, s'en emparer, et y faire mouvoir, sous des figures célèbres, des passions humaines. C'est faire un drame psychologique, où il n'y a d'historique que les décors et les costumes. Le drame historique est autre chose. Il est plus complexe et plus profond. Il faut que les personnages, outre leurs sentiments particuliers, dont le choc constitue le drame, y agissent réellement en personnages historiques, et que leurs actions soient liées à des mouvements plus vastes, sans quoi on n'aura qu'une pièce découpée dans l'histoire, et non pas une pièce historique. Il faut qu'ils soient emportés par des événements politiques, ou qu'ils les déterminent; qu'ils en soient, les uns les jouets, les autres les instruments; et qu'on perçoive le rapport entre cette mêlée de passions humaines, sans lesquelles il n'y a pas de théâtre, et des faits plus vastes. Le drame humain, qui reste au premier plan, sert d'expression à un second drame plus grandiose qui gronde au loin. Celui-ci est comme un écho puissant, dont le bruit rapetisse la voix qui l'a éveillé, et, du même coup, en élargit la portée. Comme cela augmente les proportions du drame, qu'il faut ainsi hausser à la dignité d'un fait historique! Et quelle difficulté pour créer des personnages réels! S'il s'agit des grands, il faut comprendre des êtres que leur condition rend inaccessibles aux observateurs ordinaires, formés par une éducation spéciale, et gouvernés par des intérêts sans analogues. S'il s'agit d'hommes d'État, il faut atteindre des âmes qui, par leur hauteur, ont dominé les autres, et vis-à-vis desquelles il faut, en plus que la sympathie des passions, une intelligence capable de comprendre et de reconstituer la leur. Si ce sont des héros, il faut ressentir ce que des âmes choisies ont éprouvé dans des moments sublimes où elles-mêmes n'ont peut-être séjourné que quelques instants. Il faut qu'au-dessus de l'intérêt inspiré par ces caractères, le poète place un intérêt général, supérieur, qui est comme l'intérêt de l'histoire, et la part qu'elle ajoute au drame. Il faut, selon la phrase d'un historien de Shakspeare, que «derrière les personnages dont il trace le portrait, grands seigneurs ou rois, il nous montre au fond du tableau, le peuple qui attend son bonheur ou son malheur des actions de ceux qui le gouvernent440». Il faut, avec les passions, les calculs, les actions de ces figures historiques, qui doivent constituer un drame par elles-mêmes, former un ensemble et comme un chœur, qui exprime quelque chose de plus grand encore. Il faut que la pièce tout entière, qui d'ordinaire est sa propre fin, devienne un symbole. Il faut hausser le drame d'un degré, et avoir des bras assez puissants pour le prendre d'un bloc et le placer comme sur un autel, afin qu'il soit un exemple, une offrande ou un avertissement mémorables. Il n'y a pas de plus gigantesque entreprise. De tous les nobles poètes qui l'ont osée, peut-être n'en est-il que deux qui y aient réussi: Eschyle et Shakspeare.

Il est clair que Burns n'était pas désigné pour ces suprêmes créations. On peut seulement se demander jusqu'où il serait allé vers elles, si la vie lui avait permis de marcher plus longtemps. C'est peut-être une question inutile. Mais où est celui qui peut lire les projets d'André Chénier sans se demander ce qu'aurait été l'Hermès, sans se dire que, pour être juste envers ces génies anéantis si jeunes, il faut aussi tenir compte de leurs rêves? La destinée, en empêchant Burns de tenter un drame, lui a-t-elle été très cruelle? À parler franchement, il ne semble pas qu'il fût né, ni préparé, pour une semblable entreprise. Son esprit, très exact et très fidèle à la réalité moyenne, n'avait pas ce quelque chose d'épique et de grandiose que réclament ces puissants sujets. Il n'avait ni l'envergure, ni l'élévation nécessaires pour atteindre ces sommets. L'expérience des hommes et des choses lui manquait de ce côté. Le voisinage de la cour et la fréquentation des grands avaient fourni à Shakspeare les éléments de ses personnages. Il vivait dans une époque de grand souffle historique, qui lui avait permis de comprendre l'histoire, et il avait vu de grandes infortunes qui lui avaient permis de la juger. Burns n'avait connu, en dehors de ses paysans, que quelques professeurs et quelques avocats; il avait vécu dans un temps prosaïque et bourgeois. Le seul événement historique dont il fût assez proche pour en saisir la réalité et l'émotion était l'aventure romanesque de Charles Édouard. Mais c'était un sujet impossible à traiter alors. D'un autre côté, les lectures historiques, qui peuvent peut-être remplacer la vue des événements, lui faisaient aussi défaut. L'histoire, qui commençait avec Hume et Robertson, était abstraite et froide. Les correspondances, les mémoires, les confidences des gens de jadis n'étaient pas publiés. Il ne faut pas oublier que Walter Scott a découvert lui-même les matériaux de ses fictions et que, chez lui, l'archéologue a dû préparer le romancier. Le passé dormait profondément. Enfin, Burns était trop captif de la vie, elle le possédait trop; il ne pouvait s'en isoler sur une de ces hauteurs d'où l'on embrasse les perspectives des événements, et d'où l'on voit se ramasser et s'ordonner le mélange confus des affaires humaines. Pour s'emparer de ces spectacles imposants et les soumettre à un contrôle et à une sanction, il faut avoir la vision de la Némésis qui plane au-dessus des destinées royales, et connaître que toutes ces grandeurs ne sont que des tourbillons de poussière qui s'élèvent et parcourent seulement un peu de chemin. C'est à ce prix qu'on peut juger ces pourpres, devant lesquelles les hommes sont interdits, et maîtriser ces vastes apparences assez pour les construire en drames et en tirer des leçons. Qu'il provienne d'un sentiment que la vie humaine est vaine, ou de la pensée qu'on la contemple d'une éminence inaccessible, ce détachement, qui n'est pas sans dédain, est nécessaire. Lui seul fait qu'on apprécie ces grandeurs dans un langage qui les dépasse. C'est lui qui, caché chez le poète et éclatant chez l'orateur, a fait que Shakspeare et Bossuet ont parlé des majestés et des puissances, avec une autorité et d'une façon dignes d'elles.

Sa véritable voie était ailleurs. Elle était du côté de l'observation directe des manières de son temps et de son milieu, du côté de la comédie familière et populaire. Il l'avait compris et avait songé à faire un drame rustique, qui aurait admirablement convenu à son génie, et aurait été une chose unique en littérature. Il écrivait à Lady Glencairn, vers la fin de 1789: «J'ai tourné mes pensées vers le drame. Je ne veux pas dire le cothurne majestueux de la muse tragique. Ne pensez-vous pas, Madame, qu'un théâtre d'Édimbourg s'amuserait plus des affectations, des folies et des caprices de production écossaise, que de manières que la plus grande partie de l'auditoire ne peut connaître que de seconde main!441». Cette lettre prouve son indécision, car le projet de drame sur Bruce durait encore dans le courant de 1790. Il songeait à mettre à profit les opportunités que lui fournissait son service dans l'Excise, pour étendre son observation et trouver des caractères: «Si j'étais dans le service, écrivait-il à Graham de Fintry, cela favoriserait mes desseins poétiques. Je pense à quelque chose dans le genre d'un drame rustique. L'originalité des caractères est, je le pense, la principale beauté dans ce genre de composition; mes voyages pour mon métier m'aideraient beaucoup à recueillir des traits originaux de la nature humaine442.» Il était cette fois sur son vrai terrain et il voyait juste. Il avait, à un haut degré, toutes les qualités pour une création de ce genre. Il avait le sens du pittoresque plutôt que du beau, du pittoresque trivial et grotesque qu'ont les peintres hollandais et flamands. Il avait l'observation familière des manières, des gestes; il avait un don extraordinaire de mouvement, non pas ample et harmonieux, mais court, rapide, imprévu, leste, dégagé, comme il convient à des façons populaires où la réserve est moindre et l'impulsion du moment plus spontanée. Il avait, pour donner du sel à tout cela, l'humour que nous avons vu. Il avait aussi ce qu'il faut de pathétique et de tendre pour rendre, avec justesse, les souffrances des cœurs les plus humbles. Son don de vie se serait exercé à franches coudées et se serait animé encore par le plaisir du mouvement.

 

Autour de lui s'offrait un riche champ d'observation. Les Écossais sont très originaux; la race a une personnalité très âpre, très dure à entamer. Les circonstances l'avaient conservée intacte. La perte de la cour, à la suite du départ de Jacques I pour le trône d'Angleterre, les préserva de l'uniformité de la mode. Ils n'eurent pas l'occasion d'obéir à un goût unique, qui part d'en haut et gagne tout le pays. Ils avaient gardé, dans la façon de penser comme de se vêtir, une sorte d'indépendance. Même à Édimbourg, où la convention régnait davantage par suite de l'abondance de professeurs, d'hommes de loi et d'église, la société était encore, vers la fin du dernier siècle, d'une étonnante originalité. Les individualités les plus bizarres de costume ou d'habitudes s'y rencontraient de toutes parts. Il faut en voir l'amusant tableau dans les pages de Lord Cockburn et de Robert Chambers, ou dans la série des portraits de Kay. Lord Cockburn a bien marqué cette singularité de manières, lorsqu'il parlait des vieilles ladies écossaises: «Elles étaient indifférentes aux modes et aux habitudes du monde moderne, et attachées à leurs propres habitudes, de façon à saillir comme des rocs primitifs, au-dessus de la société ordinaire443.» Et il ajoute: «Leurs remarquables qualités de bon sens, d'humour, d'affection et d'énergie, se manifestaient dans de curieux dehors, car elles s'habillaient, parlaient et agissaient toutes, exactement comme il leur semblait bon; leur langage, comme leurs habitudes, était entièrement écossais, mais sans autre vulgarité que ce qu'un naturel parfait fait parfois prendre à tort pour de la vulgarité444». Ces vieilles dames avaient été les jeunes femmes d'Édimbourg, au temps de Burns. Lord Cockburn voyait disparaître en elles les derniers représentants de l'originalité écossaise. Si les caractères avaient ce relief dans la société polie et jusque dans les salons d'Édimbourg, ils étaient plus accentués dans les classes moyennes et dans le peuple. Les personnalités étaient intéressantes jusqu'au fond de la nation. Par suite de leur éducation, de leur habitude de lire et de discuter, les paysans écossais n'étaient nullement ces animaux farouches et stupides, qui, dans d'autres pays, cultivaient le sol. Ils étaient plus instruits que la plupart des bourgeois ne l'étaient ailleurs. Les moindres villages contenaient ainsi des hommes qui avaient poussé dans toute leur originalité native, et qui étaient assez cultivés pour qu'elle se manifestât par l'esprit. Il n'y a peut-être pas de littérature où les gens du peuple, paysans, bergers, artisans aient fourni autant de types aux romans que la littérature écossaise, depuis les mendiants de Walter Scott jusqu'aux rudes interlocuteurs des Noctes Ambrosianæ de John Wilson, et au tailleur de Mansie Wauch. Dans Burns, combien n'aperçoit-on pas de ces caractères qui ne demandent qu'à venir au premier plan, à agir et à parler? le fermier Rankine, le maître d'école Davie, le vieux Lapraik, William Simpson, autre maître d'école, le marchand Goudie, James Smith, et tant d'autres. En même temps, tout le pittoresque des grand'routes subsistait encore. Mendiants, joueurs de cornemuses, colporteurs, gypsies, chanteurs de ballades, toutes ces hordes vagabondes couvraient encore les chemins. Des scènes comme celle des Joyeux Mendiants étaient encore possibles. C'était un moment précieux. Cette originalité du pays n'allait pas tarder à s'affaiblir.

On imagine ce que le génie de Burns pouvait faire avec une semblable matière. On aurait eu une suite de comédies rustiques, avec des scènes comme la Veillée de la Toussaint, comme la Foire-Sainte. Sur la foule bigarrée et grouillante, sur des fonds de foires, de marchés, d'assemblées, de funérailles, de mariages, rendus avec tous les détails précis et exacts, des scènes vivantes, agiles, pressées, pleines d'entrain, de rire; des personnages hardis, pittoresques, goguenards, campés de main de maître. Les amoureux n'y auraient pas manqué. Des chansons auraient ajouté, comme chez les Dramaturges du règne d'Élisabeth, un élément lyrique; et on peut affirmer que, depuis Shakspeare, jamais la poésie, la moquerie ou la joie populaires n'auraient été si bien exprimées. Elles auraient été la grâce légère et le charme de ces pièces. C'était un drame vulgaire d'une sincérité et d'une vie étonnantes, quelque chose comme les suites villageoises de Téniers, quelque chose d'unique, non-seulement dans la littérature anglaise, mais dans la littérature de tous les pays.

C'est à cela que tendait tout le génie du pauvre Burns. C'est bien l'opinion de ceux qui l'ont étudié de près. Walter Scott a dit très justement: «L'occupation d'écrire une série de chansons pour de grands recueils musicaux a dégénéré en un travail servile qu'aucun talent ne pouvait soutenir, a produit de la négligence et, surtout, a détourné le poète de son grand dessein de composition dramatique. Produire une œuvre de ce genre, qui n'eût été peut-être ni une tragédie régulière ni une comédie régulière, mais quelque chose qui eût partagé de la nature des deux, semble avoir été le vœu longtemps chéri de Burns… Aucun poète, depuis Shakspeare, n'a jamais possédé le pouvoir d'exciter les émotions les plus variées et les plus opposées par de si rapides transitions… Nous devons donc regretter profondément ces occupations qui ont détourné une imagination si diverse et si vigoureuse, unie à un langage et à une force d'expression capables de suivre tous ses changements, de laisser un monument plus substantiel, pour sa gloire et pour l'honneur de son pays445». Et Lockhart écrit avec non moins de conviction: «La cantate des Joyeux Mendiants ne peut être prisée à sa valeur sans augmenter notre regret que Burns n'ait pas vécu pour exécuter le drame qu'il méditait. Cette extraordinaire esquisse, rapprochée des pièces lyriques d'un ton plus élevé, fruit de ses dernières années, suffit à montrer que nous avions en lui un maître capable de placer le drame musical à la hauteur de nos formes classiques les plus élevées… Sans manquer de respect au nom de Shakspeare, on peut dire que son génie même aurait à peine pu, avec de tels matériaux, construire une pièce dans laquelle l'imagination aurait plus splendidement recouvert l'aspect extérieur des choses, dans laquelle la puissance de la poésie à éveiller la sympathie se serait plus triomphalement déployée au milieu de circonstances de la plus grande difficulté446». Telle est aussi la pensée de Shairp447. Les duretés de la destinée et ses propres fautes ont empêché le poète d'aller aussi loin, de recueillir tout ce qu'il y avait de semé pour lui. Cette fête rustique que les paysans écossais célébraient quand la dernière gerbe de la moisson était entrée dans la grange et qu'ils appelaient Kirn, ne devait pas avoir lieu pour lui. Son génie est un champ à moitié récolté. C'est en perdant ces comédies populaires qu'il a perdu la meilleure partie de sa gloire.

L'Écosse, de son côté, y a peut-être perdu l'unique occasion qu'elle ait eue d'avoir un théâtre national. C'est un genre littéraire où elle est d'un dénûment absolu. Ce n'est pas que le génie écossais manque de qualités dramatiques; il y en a assurément dans Walter Scott, dans Wilson, et aussi dans Carlyle. Ce sont les événements politiques qui ont empêché le drame de prendre racine. L'Écosse était tombée, dès la Réformation, entre les dures mains du puritanisme. En 1563, quand le règne d'Élisabeth ne comptait encore que cinq ans et commençait à peine sa carrière de luxe et de prodigalités, d'élégance éblouissante et de poésie, le lugubre John Knox était le maître d'Édimbourg et grognait contre la danse. Il admonestait les filles d'honneur de la reine, «les Maries» de la reine, comme on les appelait, en leur disant que les vers hideux travailleraient sur cette chair si belle et si tendre. La tristesse puritaine pesait déjà sur cette contrée. Il s'en fallait d'un quart de siècle que la première pièce de Shakspeare fût représentée. C'était un an avant la naissance de Shakspeare, et dix ans avant celle de Ben Johnson. Si l'Angleterre avait été arrêtée au même moment, elle en serait restée à Gordobuc en fait de drame, et à Ralph Roister Doister en fait de comédie. La passion ni la poésie ne pouvaient naître dans cet air morose. En 1599, l'année où furent probablement composées les Joyeuses Commères de Windsor, une troupe anglaise étant venue à Édimbourg, la Kirk Session de la cité passa un acte qui menaçait de censure tous ceux qui encourageraient la Comédie, et le fit lire dans toutes les églises. Les chaires retentirent de déclamations contre la «vie déréglée et immodeste des joueurs de pièces448». En fait de haine contre les choses de l'esprit, les presbytériens écossais avaient un demi siècle d'avance sur les sombres et stupides fanatiques qui tuèrent le théâtre anglais, en 1642. La réaction de la Restauration ne pénétra pas en Écosse. Les tentatives dramatiques de Dryden, les comédies de Congreve, de Vanbrugh et de Farquhar n'osèrent pas s'y montrer. L'auteur d'une pièce publiée à Édimbourg en 1668 comparait, dans sa préface, le drame en Écosse à «un rodomont entrant dans une église de campagne449». La première apparition, toute timide, d'une troupe de comédiens date de 1715. Le presbytère d'Édimbourg s'en émut: «Étant informé, dit-il, que quelques comédiens sont récemment arrivés dans les limites de ce presbytère et jouent dans l'enceinte de l'Abbaye, au grand scandale de beaucoup, en empiétant sur la morale et sur ces règles de modestie et de chasteté que notre sainte religion oblige tous ses fidèles à observer strictement, le presbytère recommande à tous ses membres d'employer toutes les méthodes convenables et prudentes pour décourager les comédiens450». La première troupe théâtrale qui s'établit à Édimbourg vint en 1725, sous la direction d'un nommé Anthony Aston, pour lequel Allan Ramsay eut le courage d'écrire un prologue. On y trouve une image amusante parce qu'elle prouve que l'Écosse était, pour l'art dramatique, une terre inconnue et lointaine.

 
 
L'expérience me dit d'espérer, bien qu'au sud de la Tweed
Les peureux aient dit: «Il ne réussira pas.
Quoi! Quel bien allez-vous chercher dans ce pays
Qui n'aime ni le théâtre, ni le porc, ni le pudding».
Ainsi le grand Colomb par un équipage imbécile
Fut raillé tout d'abord, sur ses justes vues451.
 

Ce comédien comparait son arrivée à un voyage de découverte. Encore, en Écosse, cela ne se fit pas sans difficulté. Le conseil municipal d'Édimbourg défendit à la troupe de jouer; le presbytère lui envoya une députation pour le féliciter de sa fermeté452. Il fallut plaider pour pouvoir passer outre453. «À partir de ce moment, Édimbourg, tous les deux ou trois ans, était visité par des troupes itinérantes, qui louaient occasionnellement le Tailors Hall dans la Cowgate, ainsi nommé parce qu'il appartenait à la corporation des Tailleurs.454» Allan Ramsay continua à combattre courageusement pour l'établissement d'un théâtre à Édimbourg455. En 1736, il fit même construire à ses frais une salle de spectacle. Mais à peine était-elle ouverte qu'on passa un acte qui, sous prétexte d'expliquer un acte de la reine Anne sur les malfaiteurs et les vagabonds, interdisait à toute personne de jouer des pièces de théâtre pour de l'argent, sans licence par lettres-patentes du roi ou du Lord Chambellan. C'était tuer l'entreprise. La salle fut fermée. Non seulement Allan Ramsay faillit être ruiné, il fut poursuivi jusque dans sa réputation par la haine des fanatiques. On publia contre lui des pamphlets, entre autres, un intitulé: La fuite de la Piété religieuse, hors d'Écosse, à cause des livres licencieux d'Allan Ramsay et des comédiens venus d'Enfer, qui débauchent toutes les facultés de l'âme de notre génération grandissante456. En 1746, seulement, un théâtre fut construit dans la Canongate, et les représentations étaient irrégulières457. Il n'est pas étonnant qu'avec ces entraves le théâtre ne se soit pas développé en Écosse, et que le Noble Berger soit resté pendant des années la seule œuvre dramatique due à une plume écossaise.

En 1756, John Home, qui était ministre de l'Église Établie, donna à Édimbourg, sa célèbre tragédie de Douglas. Ce fut, dans la partie libérale de la population, un étonnement et une joie. Toute la ville était «dans un tumulte d'enthousiasme qu'un Écossais eût écrit une tragédie de premier ordre»458. Mais le clergé et les gens rigides estimèrent que c'était un péché pour un clergyman d'écrire une pièce de théâtre, aussi morale qu'en fût la tendance. Il faut voir dans l'Autobiographie du Dr Carlyle, l'ami intime de John Home, quel scandale cet événement produisit. Le Presbytère d'Édimbourg fit lire, dans toutes les églises, une admonestation solennelle qui se lamentait sur l'irréligion du siècle et prémunissait les fidèles contre le danger de fréquenter les théâtres. John Home fut obligé de donner sa démission, de se retirer de l'Église. Un clergyman qui avait assisté à une des représentations de Douglas fut suspendu pendant six semaines de ses fonctions par le Presbytère de Glasgow. Carlyle lui-même fut traduit devant l'Assemblée générale du clergé. Il fut habilement défendu par Robertson, l'historien, et acquitté. Mais, le lendemain, l'assemblée passa un acte interdisant au clergé d'encourager le théâtre459. Voilà où en était l'art dramatique en Écosse, en 1756. C'était le dernier effort de la sévérité puritaine. Les mœurs se corrompaient rapidement. En 1769, on construisit dans la nouvelle ville un théâtre royal460. Il avait l'air d'une grange avec un portique classique; il portait, sur la pointe du toit, une statue de Shakspeare entre la Muse tragique et la Muse comique461. La dépravation augmenta si rapidement qu'en 1784, lorsque la grande actrice Mrs Siddons parut pour la première fois à Édimbourg, pendant la session de l'Assemblée générale du clergé, toutes les affaires importantes durent être fixées aux jours où il n'y avait pas de représentation, parce que les membres les plus jeunes de l'Assemblée, aussi bien ceux qui appartenaient au clergé que les laïques, allaient prendre leur place au théâtre à trois heures après-midi. Cependant les anciens comme Robertson, l'historien, et Blair, le professeur de rhétorique, bien qu'ils fissent visite à Mrs Siddons, n'osèrent pas aller au théâtre admirer son talent, tant le préjugé persistait encore462. Mais la bataille était, après tout, gagnée.

La fin du dernier siècle était donc un moment favorable et peut-être unique pour doter l'Écosse d'un théâtre national. Plus tôt, une pareille entreprise était impossible. Allan Ramsay ne l'avait même pas rêvée, et tous ses efforts avaient seulement tendu à introduire des représentations dramatiques. Le goût pour la scène était nouveau et ardent; Édimbourg était encore une capitale intellectuelle; la vieille Écosse conservait intactes ses mœurs et ses coutumes. Un peu plus tard et peu après le commencement de ce siècle-ci, ces conditions s'altérèrent. L'uniformité, qui a recouvert tant d'habitudes locales, s'est étendue de Londres vers le Nord et a franchi la Tweed. Bien que la vie populaire écossaise soit demeurée assez originale pour donner de la saveur aux romans qui la représentent, cette originalité n'est plus assez intense pour les peintures plus ramassées de la scène. Walter Scott lui-même a plutôt recueilli l'écho d'usages qui venaient de disparaître qu'il ne les a observés directement. Enfin, il faut tenir compte de la position et du génie de Burns qui le destinaient également à cette œuvre. Il a été l'homme unique d'un moment unique. L'Écosse peut encore produire un grand poète dramatique. Elle n'aura pas de théâtre écossais.

440A. Mézières. Shakspeare, ses œuvres et ses critiques, Chap. III, § 1.
441To Lady Glencairn, Dec. 1789.
442To Robert Graham of Fintry, Sep. 10th, 1788.
443Lord Cockburn. Memorial of His Time, pages 50 et suivantes.
444Lord Cockburn. Memorial of His Time, pages 50 et suivantes.
445Walter Scott Quarterly Review, no I, p. 33. On trouvera d'ailleurs cet essai sur Burns, dans le recueil des œuvres critiques de Walter Scott.
446Lockhart. Life of Burns, p. 318.
447Shairp. Burns, p. 125-26.
448R. Chambers. Domestic Annals of Scotland, tom I, p. 307.
449R. Chambers. Domestic Annals of Scotland, tom III, p. 398.
450R. Chambers. Domestic Annals of Scotland, tom III, p. 399.
451Allan Ramsay. A Prologue spoken by Anthony Aston, the first night of his Acting in Winter 1726.
452Voir sur ces points Hugo Arnot. History of Edinburgh. Book iii, chap. II, p. 280-81.
453R. Chambers. Domestic Annals of Scotland, p. 519-20.
454Hugo Arnot. History of Edinburgh. Book III, chap. II, p. 281.
455R. Chambers. Domestic Annals of Scotland, p. 544. – Voir aussi p. 550 sur les résistances des presbytériens.
456Voir les titres de ces pamphlets dans The Life of Allan Ramsay, en tête de l'édition d'Alex. Gardner, p. XXXII-XXXIII. On trouvera également dans cette biographie des détails sur les difficultés des représentations théâtrales.
457Hugo Arnot. History of Edinburgh. Book III, chap. II, p. 282.
458Dr Alex. Carlyle. Autobiography, chap. VIII, p. 312.
459Voir le récit détaillé de cet événement dans l'Autobiography du Dr Alex. Carlyle. Le chapitre VIII y est consacré en entier. – Voir aussi Hugo Arnot, History of Edinburgh. Book III, chap. II, p. 289-90.
460J. Grant. Old and New Edinburgh, tom I, p. 341.
461Voir la gravure représentant cet édifice dans A Graphic and Historical Description of the City of Edinburgh.
462Dr Alex. Carlyle. Autobiography, chap. VIII, p. 322-23.