Za darmo

Robert Burns

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa
 
«Puis les gueux en gueusant trouvent maintes délices415».
 

C'est une orgie, une bacchanale de mendiants. La scène est à Mauchline, chez une pauvre cabaretière nommée Poosie Nansie. La maison basse existe encore, au coin de la route, en face du cimetière, un cabaret clair et propre. C'était alors une auberge borgne, un logis nocturne pour les vagabonds. Quand on y va aujourd'hui lire les Joyeux Mendiants, il faut, par la pensée, décrépir et délabrer les murailles, noircir les poutres, faire luire dans l'âtre un feu de tourbe et de broussailles, éclairer la salle d'une ou deux chandelles fumeuses. On a ainsi l'atmosphère épaisse, les fonds ténébreux, et les reflets rougeâtres, qui donnent toute sa couleur à cet étrange tableau. Le repos sacré du dimanche condamnait tous ces gueux, tous ces traîneurs de grand'routes, ces museurs de ponts, tout ce monde ambulant à une journée d'immobilité. Ils se rassemblaient le samedi soir dans quelque taudis de leur choix, avec les profits de la semaine, qui consistaient non-seulement en espèces, mais en dons de farine et de vieux vêtements qu'ils vendaient alors pour payer leur écot. C'est une horde de ce genre qui se trouve réunie ce soir-là. Ils sont arrivés une vingtaine, hommes et femmes, de toutes les professions qui vont du mendiant au tire-laine: soldats réformés, paillasses de carrefour, violoneux de village, chaudronniers ambulants, chanteurs de ballades, drôlesses de pavé, tout ce qui vagabonde, mendie et maraude; écume de grand'routes, épaves de tous métiers, gibier de prison, toute une truandaille bigarrée, déguenillée, dépenaillée, et merveilleusement pittoresque. Ce ramassis de loqueteux forme un cercle autour du feu; les uns assis sur des escabeaux, les autres accroupis ou vautrés sur leurs sacs. Ils boivent du whiskey dans leurs écuelles. Dehors, le temps est dur, et les pauvres diables sans feu ni lieu, harcelés toute la semaine par les intempéries, goûtent le bien-être d'être au chaud. Avec la boisson, la joie naît dans leurs cœurs insouciants de vagabonds. Ils chantent, beuglent, braillent, glapissent tous ensemble, rythmant leur vacarme du choc de leurs tasses de bois ou de leurs gobelets d'étain. C'est un embrouillement de trognes allumées et hurlantes, de coudes qui se lèvent, de bras qui battent la mesure, de mains qui passent les brocs, de pots qui montent aux visages; un tumulte de grimaces et de gesticulations grotesques. C'est une bagarre de gaîté. Chacun des personnages de la bande chante sa chanson. Tous reprennent en chœur les refrains, qui éclatent comme des ouragans de grosse joie. La maison en tremble. Cependant, dans les coins obscurs, s'ébauchent des amours brutaux, des idylles de ribauds. De gros baisers claquent dans cette bacchanale. Comme partout, des jalousies et des querelles s'en suivent. Les menaces s'échangent, une rapière luit dans l'ombre. Tout s'arrange. La belle, qu'on s'est disputée, autant par ivresse que par amour, tombe dans les bras du plus robuste. Les acclamations et les chants reprennent à tue-tête. Puis, par un mouvement inattendu et superbe, tous ces malandrins, ces éclopés, ces déguenillés, tous ces besaciers, se groupent en un chœur final, et entonnent une chanson d'une audace et d'un souffle magnifiques. C'est un défi à la société, un hymne de révolte, où frémit la haine des outrages subis, le goût sauvage de la vie sans contrôle, le cri des déshérités et des réfractaires. Cela grandit, monte, prend l'allure et le vol d'une ode. On dirait que la Liberté, celle des grands chemins, celle qu'adorent les gueux, les insoumis qui dorment sur les revers des fossés, sous le signe d'or de la lune, plane au-dessus de ce pæan formidable. Tout cela est rendu avec une intensité de vie, une variété, une vigueur, un relief, un mouvement merveilleux. On ne sait à quoi comparer cette étrange et admirable production. Ce n'est pas aussi plantureux que du Jordaens, mais c'est plus varié et d'une plus grande portée; c'est plus dramatique que du Téniers; c'est aussi pittoresque que du Callot, avec plus de fougue et de couleur. Quant à ces visages de chenapan, Adrien Brauwer seul a su les peindre avec cette verve et ce caractère. En littérature, cela fait penser à du Villon, plus mouvementé et plus éloquent; à du Régnier, dans lequel passerait un souffle lyrique.

Voyons si cette appréciation est exagérée. La pièce se compose de chansons coupées par des récitatifs, qui les relient les unes aux autres. Elle s'ouvre par le récitatif suivant, dans lequel il est inutile de faire remarquer et la charmante comparaison des jeunes gelées, et la façon rapide et décidée de se mettre au cœur du sujet.

 
Quand les feuilles jaunes jonchent le sol,
Ou que, voltigeant comme des chauves-souris,
Elles obscurcissent l'haleine du froid Borée,
Quand les grêlons chassent, durs et obliques,
Et que les jeunes gelées commencent à mordre,
Tout habillées en givre blanc,
Un jour, au soir, une joyeuse vingtaine de gueux errants et vagabonds,
Chez Poosie Nansie étaient en liesse,
À boire leurs haillons superflus.
Avec des rasades et des rires,
Ils s'ébaudissaient et chantaient;
De leurs sauts, de leurs coups de poing,
La poêle même en résonnait.
 

Le premier de ces gueux est un ancien soldat. Il a conservé, jusque dans cette vie bohème, ce trait caractéristique des gens qui ont passé par les régiments, l'habitude de tenir son havre-sac bien en ordre. Le tableau de ce soudart, avec sa drôlesse, et de leurs caresses, est justement un des passages qui ressemblent aux scènes de Brauwer. Mais nous n'interromprons plus ce morceau qu'il faut lire d'une haleine et dont il faut suivre l'élan.

 
D'abord, près du feu, en vieux haillons rouges,
L'un deux était assis, bien étayé par ses sacs de farine,
Et son havre-sac bien en ordre;
Sa bien-aimée était dans ses bras;
L'eau-de-vie et les couvertures la réchauffaient,
Elle contemplait son soldat.
Et sans cesse, il donne à la luronne soûle
Quelque baiser sonore,
Tandis qu'elle tend sa bouche goulue
Comme une écuelle à aumônes416,
Leur becquetement claquait à chaque instant,
Comme un fouet de colporteur;
Alors, trébuchant et se rengorgeant,
Il beugla cette chanson:
 
Chanson
 
Je suis un fils de Mars, qui a été dans mainte guerre,
Je montre mes blessures et mes cicatrices partout où j'arrive;
Celle-ci fut reçue pour une garce; celle-là dans une tranchée,
En accueillant les Français au son du tambour.
Lal de daudle, etc.
 
 
Je fis mon apprentissage là où mon chef expira417,
Lors du sanglant coup de dés, sur les hauteurs d'Abram;
Je complétai mon métier quand on joua une crâne partie,
Et que le Moro tomba au son du tambour418.
Lal de daudle, etc.
 
 
Enfin, je fus avec Curtis, parmi les batteries flottantes419,
Et j'y laissai en témoignage un bras et une jambe.
Pourtant, si mon pays me réclamait, avec Elliot pour chef,
Je partirais sur mes moignons, au son du tambour420.
Lal de daudle, etc.
 
 
Maintenant, bien qu'il faille mendier, avec un bras et une jambe en bois,
Et des haillons déchirés pendant sur mon derrière,
Je suis aussi heureux, avec ma besace, ma bouteille, et ma gourgande,
Que quand je marchais, en écarlate, derrière un tambour.
Lal de daudle, etc.
 
 
La belle affaire parce qu'en cheveux gris, je dois résister aux chocs de l'hiver,
Sous les bois et les rochers, souvent pour toute maison;
Tant que j'aurai un sac à vendre et une bouteille à boire,
Je ferai face à une troupe d'enfer, au son du tambour.
Lal de daudle, etc.
 
Récitatif
 
Il s'arrêta et les solives tremblèrent,
Au-dessus du refrain beuglé;
Tandis que les rats effrayés, regardant en arrière,
Cherchaient le plus profond de leur trou.
Un violoneux divin, de son coin
Piailla: «Encore!»
Mais la poulette du soldat se leva,
Et le grand tumulte se calma.
 
Chanson
 
Je fus jadis pucelle, mais je ne sais plus quand,
Mon plaisir est encore en des jeunes gens convenables
Quelqu'un d'un escadron de dragons fut mon père,
Rien d'étonnant si j'aime un soldat.
Chantons: Lal de dal, etc.
 
 
Le premier de mes amoureux fut un crâne gaillard,
Battre le tambour tonnant était son métier;
Sa jambe était si bien prise, sa joue était si rouge,
Que je fus transportée de passion pour mon soldat.
Chantons: Lal de dal, etc.
 
 
Mais le bon vieux chapelain lui coupa l'herbe sous le pied;
J'abandonnai l'épée par amour de l'église;
Il risque l'âme, et moi je risquai le corps,
C'est alors que je fus fausse à mon soldat.
Chantons: Lal de dal, etc.
 
 
J'en eus bientôt assez de mon saint imbécile,
Et je pris pour époux le régiment en bloc;
De l'esponton doré, au fifre j'étais prête,
Je ne demandais rien, sauf que ce fût un soldat.
Chantons: Lal de dal, etc.
 
 
Mais la paix me réduisit à mendier dans le désespoir,
Tant qu'à la foie de Cunningham, je rencontrai mon vieux
Ses haillons d'uniforme flottaient si brillants,
Que mon cœur se réjouit de trouver un soldat.
Chantons: Lal de dal, etc.
 
 
Maintenant, j'ai vécu, je ne sais plus combien,
Je tiens encore ma place à boire ou à chanter;
Et tant que des deux mains je tiendrai ferme un verre,
À ta santé, mon héros! mon soldat!
Chantons: Lal de dal, etc.
 
Récitatif
 
Un pauvre paillasse, dans un coin,
Était assis à boire avec une chaudronnière;
Ils s'inquiétaient peu qui reprenait le refrain,
Tant ils étaient affairés pour eux-mêmes.
À la fin, soûl de boisson et d'amour,
Il se leva en trébuchant, tordit son visage,
Puis se retourna, mit un baiser sur sa Griselidis,
Et alors ajusta ses flûtes avec une grave grimace.
 
Chanson
 
Messire le Grave est un sot quand il est gris;
Messire Gredin est un sot quand on le juge;
Mais ce ne sont là que des apprentis,
Moi, je suis un sot par profession.
 
 
Ma grand'mère m'acheta un livre,
Et je m'en allai à l'école;
J'ai peur de m'être mépris sur mes talents,
Mais que voulez-vous attendre d'un sot?
 
 
Pour boire, je risquerais mon cou,
Une catin est la moitié de mon travail;
Mais que voulez-vous attendre d'autre,
De quelqu'un qui fait métier d'être fou?
 
 
Une fois, je fus attaché comme un jeune bœuf421,
Pour avoir juré poliment et avoir bu;
Une fois, je fus insulté dans l'église,
Pour avoir chiffonné une fille en riant.
 
 
Le pauvre Jocrisse qui fait des tours pour amuser,
Que personne ne le nomme en se moquant;
Il y a même à la Cour, m'a-t-on dit,
Un sauteur nommé le premier ministre.
 
 
Avez-vous observé ce très Révérend
Faire des grimaces pour amuser la foule;
Il se moque de notre escadron de charlatans;
Ce n'est qu'un peu de rivalité.
 
 
Et, maintenant, voici ma conclusion,
Car, ma foi, je suis bougrement à sec:
Le gars qui est sot pour son propre usage,
Sacrebleu! est diantrement plus bête que moi.
 
Récitatif
 
Après lui, parla une rude luronne,
Qui savait s'y prendre pour agripper l'argent,
Car elle avait décroché plus d'une bourse,
Et été plongée dans plus d'un puits422.
Son amoureux avait été un gars des Hautes-Terres,
Mais maudit soit le triste nœud coulant!
Avec soupirs et sanglots, elle commença ainsi
À pleurer son beau John des Hautes-Terres:
 
Chanson
 
Mon amour naquit gars des Hautes-Terres,
Il avait en mépris les lois des Basses-Terres;
Mais toujours il fut fidèle à son clan,
Mon brave et mon beau John des Hautes-Terres.
 
 
Refrain.– Chantez, hey, mon beau John des Hautes-Terres!
Chantez, ho, mon beau John des Hautes-Terres!
Il n'y a pas un gars dans tout le pays
Qui pût lutter avec mon John des Hautes-Terres.
 
 
Avec son philabeg, son plaid de tartan,
Et sa bonne claymore pendue à son flanc,
Il prenait les cœurs de toutes les dames,
Mon vaillant et beau John des Hautes-Terres.
Chantez, hey, etc.
 
 
Nous errions partout de la Tweed à la Spey,
Nous vivions gaîment comme lords et ladies;
Car il n'en craignait pas un des Basses-Terres,
Mon vaillant et beau John des Hautes-Terres.
Chantez, hey, etc.
 
 
Ils l'exilèrent par delà les mers,
Mais, avant que les bourgeons parussent aux arbres,
Le long de mes joues, les perles roulaient,
En embrassant mon John des Hautes-Terres.
Chantez, hey, etc.
 
 
Mais, oh! ils le saisirent enfin,
Et ils l'ont lié au fond d'un donjon;
Ma malédiction sur chacun d'eux,
Ils ont pendu mon beau John des Hautes-Terres!
Chantez, hey, etc.
 
 
Veuve maintenant, il me faut pleurer
Des plaisirs qui ne reviendront plus;
Je ne me console qu'avec un bon broc,
Quand je pense à mon John des Hautes-Terres.
 
 
Refrain.– Chantez, hey, mon beau John des Hautes-Terres!
Chantez, ho, mon beau John des Hautes-Terres!
Il n'y a pas un gars dans tout le pays
Qui pût lutter avec mon John des Hautes-Terres.
 
Récitatif
 
Il y avait là un pigmée de violoneux qui, avec son violon,
Se trémoussait aux marchés et aux foires;
Cette jambe bien prise et cette taille superbe
(Il n'arrivait pas plus haut.)
Lui trouèrent son petit cœur comme une passoire,
Et l'avaient mis en feu.
 
 
La main sur la hanche, et l'œil en l'air,
Il roucoula sa gamme, un, deux, trois,
Puis, sur un ton arioso,
L'Apollon gringalet
Commença, avec un couplet allegretto,
Son solo en trémolo.
 
Chanson
 
Laissez-moi me hausser pour essuyer cette larme,
Et venez avec moi et soyez ma chérie,
Alors tous vos soucis et vos craintes
Pourront siffler sur le reste.
 
 
Refrain.– Je suis violoneux par métier,
Et de tous les airs que j'ai jamais joués,
Le plus cher aux femmes et aux filles
Fut toujours: Sifflez sur le reste.
 
 
Aux soupers de moissons, aux noces, nous irons,
Et, oh! fameusement, nous vivrons!
Nous bambocherons partout, tant que Papa Souci
Chante: Sifflez sur le reste.
Je suis, etc.
 
 
Très gaiement nous rongerons les os,
Assis au soleil, au bord des fossés;
Et tout à notre aise, quand il nous plaira,
Nous pourrons siffler sur le reste.
Je suis, etc.
 
 
Accordez-moi seulement le ciel de vos charmes,
Et tant que je gratterai crins sur boyaux,
La faim, le froid et tous ces maux-là
Pourront siffler sur le reste.
 
 
Refrain.– Je suis violoneux par métier,
Et de tous les airs que j'ai jamais joués,
Le plus cher aux femmes et aux filles
Fut toujours: Sifflez sur le reste.
 
Récitatif
 
Les charmes de la gaillarde avaient frappé un robuste rétameur,
Aussi bien que le pauvre gratteur de boyaux;
Il prend le violoneux par la barbe
Et tire une rapière rouillée.
Puis il jura, par tout ce qui vaut un juron,
De l'embrocher comme un pluvier,
À moins qu'à partir de ce moment-là
Il ne renonçât à elle pour toujours.
 
 
L'œil effaré, le pauvre Crincrin
S'affaissa sur ses jambons,
Et implora grâce d'un air tout piteux;
Et ainsi finit la querelle.
Mais, bien que son petit cœur souffrît,
Quand le rétameur la prit par la taille,
Il affecta de rire sous cape,
Quand le rude gars parla ainsi à la belle.
 
Chanson
 
Ma jolie fille, je travaille dans le cuivre,
Chaudronnier, voilà mon métier;
J'ai voyagé partout sur le sol chrétien,
En suivant ma profession.
J'ai accepté la prime, je me suis enrôlé
Dans maint vaillant escadron;
Ils m'ont en vain cherché, quand je les ai plantés là,
Pour aller rétamer des chaudrons.
J'ai accepté la prime, etc.
 
 
Dédaigne cette crevette, ce nain racorni,
Avec son bruit et ses entrechats;
Et viens partager avec ceux qui portent
Le sac à outils et le tablier!
Et par ce flacon, ma foi et mon espoir.
Et par ce cher Kilbagie423,
Si jamais tu manques, si tu rencontres le besoin,
Puissé-je ne jamais m'humecter la gorge.
Et par ce flacon, etc.
 
Récitatif
 
Le chaudronnier l'emporta; sans rougir, la belle
Sombra dans ses embrassements,
En partie vaincue si tristement par l'amour,
En partie parce qu'elle était soûle.
Messire Violino, avec un air
Qui montrait un homme de nerf,
Souhaita union au nouveau couple,
Et fit tinter la bouteille,
À leur santé, cette nuit-là.
 
 
Mais le gamin Cupidon décocha une flèche,
Qui joua à une autre dame un vilain tour;
Le violon la ratissa de prône en poupe,
Derrière la cage à poulets.
Son seigneur, un gars du métier d'Homère,
Quoique boitant d'un éparvin,
S'avança en clochant et en sautant follement
Et offrit de chanter: «Le joyeux Davie»,
Par dessus le marché cette nuit-là.
 
 
C'était un gaillard qui défiait le souci,
Autant que ceux qu'enrôla jamais Bacchus,
Bien que la Fortune eût durement pesé sur lui,
Elle n'avait jamais atteint son cœur.
Il n'avait pas de souhait, – sinon d'être gai,
Pas de besoin, – sinon la soif,
Il ne haïssait rien, – sinon d'être triste;
Et ainsi la Muse lui suggéra
Sa chanson, cette nuit-là.
 
Chanson
 
Je suis un barde de peu de renom
Chez les honnêtes gens et tout ça;
Mais, comme Homère, la foule ébahie
De ville en ville, j'attire ça.
 
 
Refrain.– Malgré tout ça et tout ça,
Et deux fois autant que tout ça;
J'en ai perdu une, il m'en reste deux,
J'ai femme assez, malgré tout ça.
 
 
Je n'ai jamais bu à la mare des Muses,
Au ruisseau de Castalie et tout ça;
C'est ici qu'il coule et richement fume,
Mon Hélicon, comme j'appelle ça.
Malgré tout ça, etc.
 
 
J'ai pour les belles beaucoup d'amour,
Leur humble esclave et tout ça;
Leur volonté est ma loi, j'ai toujours estimé
Péché mortel de s'opposer à ça.
Malgré tout ça, etc.
 
 
En suaves extases, cette heure-ci, nous nous unissons
Avec un amour mutuel et tout ça;
Mais combien de temps, la mouche piquera?
Que l'inclination règle ça.
Malgré tout ça, etc.
 
 
Leurs tours et leur malice m'ont rendu fou,
Elles m'ont joué et tout ça;
Mais déblayez le pont! et voici au Sexe!
J'aime les garces malgré ça.
 
 
Refrain.– Malgré tout ça, malgré tout ça,
Et deux fois autant que tout ça;
Mon plus cher sang, pour leur faire plaisir,
Je le leur offre, malgré tout ça.
 
Récitatif
 
Ainsi chanta le barde, et les murs de Nansie
Furent secoués d'un tonnerre d'applaudissements,
Répercutés de toutes les bouches;
Ils vidèrent leurs poches, engagèrent leurs guenilles,
En gardant à peine pour couvrir leurs derrières,
Afin d'étancher leur soif brûlante.
Puis, de nouveau, la bande joyeuse
Fit requête au poète
D'ouvrir son sac et de choisir une chanson,
Une ballade des meilleures.
Lui, se dressant, tout réjoui,
Entre ses deux Déboras,
Jette un regard autour de lui, et les trouve tous
Impatients de chanter en chœur.
 
Chœur
 
Voyez le bol fumant devant nous,
Voyez notre gai cercle en haillons!
Tous en rond, reprenez le chœur,
Et avec transports chantons:
 
 
Refrain.– Une figue pour ceux protégés par la loi!
La liberté est un glorieux banquet!
Les tribunaux furent érigés pour les lâches,
Les églises bâties pour plaire aux prêtres.
 
 
Qu'est un titre et qu'est un trésor?
Qu'est le soin de sa renommée?
Si nous menons vie de plaisir,
Qu'importe et comment, et où?
Une figue, etc.
 
 
Avec un tour, un conte toujours prêts,
Nous errons çà et là, le jour;
Et la nuit, en étable ou grange,
Caressons nos femmes sur le foin.
Une figue, etc.
 
 
Le carrosse, suivi de laquais,
Va-t-il plus léger, à travers pays?
Le sobre lit du mariage
Voit-il de plus brillantes scènes d'amour?
Une figue, etc.
 
 
La vie est un tohu-bohu,
Nous ne regardons pas comment elle marche;
Que ceux-là parlent du décorum,
Qui ont une renommée à perdre.
Une figue, etc.
 
 
Voici aux sacs, bissacs, et besaces!
Voici à toute la bande errante!
À nos marmots, à nos femmes en loques!
Chacun et tous, criez: «Amen!»
 
 
Refrain.– Une figue pour ceux protégés par la loi,
La Liberté est un glorieux banquet!
Les tribunaux furent érigés pour les lâches.
Les églises bâties pour plaire aux prêtres424.
 

Telle est cette pièce, étonnante de couleur et de verve. C'est une chose assez curieuse qu'un certain nombre de critiques écossais hésitent devant elle. M. Shairp dit que «la matière en est si vile et le sentiment si grossier que, en dépit de sa puissance dramatique, ils rendent la pièce décidément répugnante425». Le jugement de Carlyle, plus large, n'est pas sans quelques réticences. «Peut-être pouvons-nous nous aventurer à dire que le plus poétique de tous ses poèmes est celui qui a été imprimé sous l'humble titre des Joyeux Mendiants. À la vérité, le sujet est parmi les plus bas que présente la nature, mais cela montre d'autant plus le don du poète qui a su relever dans le domaine de l'art. À notre esprit, cette pièce semble tout à fait compacte, fondue ensemble, achevée et déversée en un flot de vraie harmonie liquide. Elle est légère, aérienne, douce de mouvement, cependant aiguë et précise dans ses détails; chaque visage est un portrait… Outre la sympathie universelle pour l'homme, dont ceci est une nouvelle preuve chez Burns, une inspiration sincère et une habileté technique assez considérable s'y manifestent. Il serait étrange sans doute d'appeler ceci le meilleur des écrits de Burns, nous voulons seulement dire qu'il nous paraît le plus parfait de son genre, en tant que morceau de composition poétique, à proprement parler426». Il nous semble que Carlyle n'est pas assez frappé de la vigueur extraordinaire de cette pièce. À nos yeux c'est le plus haut effort de Burns et le plus surprenant témoignage des aptitudes et des énergies qu'il y avait en lui. Il n'y a rien de cette vitalité, de ce mouvement, rien d'aussi dru dans la littérature anglaise, depuis Shakspeare, rien qui approche de cette vigueur ramassée. Tout à l'heure, nous comparions Tam de Shanter à John Gilpin; il y a dans la poésie anglaise, deux œuvres qui font penser à celle-ci: le Beggar's Bush de Beaumont, le collaborateur de Fletcher427, et le Beggar's Opera de Gay428. Mais quelle différence entre la poésie semi-pastorale et qui sent le masque et la représentation de cour du premier, entre les habiles refrains d'opéra-comique du second, et cette vie comprimée qui éclate et fume. «Dans le Beggar's Opera, dans le Beggar's Bush, dit Carlyle, il n'y a rien qui en réelle vigueur poétique égale cette cantate; rien qui, à ce que nous pensons, en approche même de très loin». Nous parlions des qualités dramatiques dont ce morceau est l'indice; nous ne voulons qu'en indiquer une autre, qu'il nous semble aussi révéler. Il se passe pour l'auteur dramatique un peu ce qui se passe chez l'homme de science qui a fait une hypothèse et qui, la suivant, est étonné de ce qu'elle contient, et conduit par elle vers la vérité. Quand un créateur de théâtre a perçu, d'un coup d'œil, en raccourci, parfois dans un geste, un personnage vivant et qu'il le reprend, le développe, le continue, il est surpris de ce qu'il a découvert et fait peu à peu connaissance avec lui. Il semble que le personnage ait à son tour une existence propre qui entraîne l'esprit du poète. Cette impression est ici très forte. Quand on lit cette cantate, on sent que la vie a passé de l'auteur à ses personnages, que ce sont eux qui l'ont pris par la main et l'emmènent. Il ne lui a manqué que de les suivre. En vérité, au delà d'une pièce pareille, il n'y a plus que le théâtre.

 
 

Burns y fut entraîné toute sa vie; c'eût été l'aboutissement naturel de sa carrière poétique, si elle avait été complète. Étant tout jeune, il avait commencé une tragédie:

«Dans mes jeunes années, je ne me contentais de rien moins que de courtiser la Muse tragique. J'avais, je crois, dix-huit ou dix-neuf ans, quand je traçai l'esquisse d'une Tragédie, rien de moins. Mais un nuage d'infortunes de famille, qui nous menaçait depuis quelque temps, étant venu à crever, m'empêcha d'aller plus loin. À cette époque, je n'écrivais jamais rien, aussi, sauf un discours ou deux, le reste s'est échappé de ma mémoire. Le suivant, que je me rappelle très distinctement, était une exclamation d'un haut personnage, grand, par instants, dans des exemples de générosité, et par moments, audacieux dans le crime429.

C'était évidemment une conception romantique, et il est curieux de voir germer, dans la tête de ce jeune paysan, un type de héros byronien, qui fait penser, par ce mélange de magnanimité et d'audace dans le vice, aux Brigands de Schiller. Il y a, dans les quelques vers qui en ont été conservés, un souffle de révolte sociale, de haine contre les oppresseurs, de pitié pour les malheureux, et, en même temps, je ne sais quel aveu orgueilleux de forfaits, qui semble rattacher ce héros inconnu à la race maudite et indomptable des Manfred. Le morceau d'ailleurs ne manque pas de grandeur.

 
Tout criminel que je sois, misérable et maudit,
Pécheur entêté, endurci et inflexible,
Cependant mon cœur se fond devant la misère humaine,
Et, avec des soupirs sincères, mais inutiles,
Je contemple les tristes fils de la détresse;
Avec des larmes indignées, je vois l'oppresseur
Se réjouir de la destruction de l'honnête homme,
Dont le cœur fier est le seul crime.
Même vous, ô troupe infortunée, je vous plains,
Vous, que les faux vertueux regardent comme un péché de plaindre,
Vous, pauvres vagabonds, méprisés, abandonnés,
Que le vice, comme toujours, a livrés à la Ruine.
Oh! sans mes amis et l'aide du Ciel,
J'aurais été chassé comme vous, délaissé,
Le plus détesté, le plus indigne misérable parmi vous!
Ô Dieu, envers qui je fus injuste! Ta bonté m'a doué
De talents qui surpassent ceux de presque tous mes frères,
Et j'en ai abusé en proportion,
Surpassant d'autant les criminels vulgaires,
Que je les surpasse par les facultés que tu m'as données430.
 

Après cette tentative, toute d'imagination comme on le voit, était venu le contact de la vie, et, avec lui, l'observation, la riche production de Mossgiel, dans laquelle la pièce des Joyeux Mendiants. Lorsqu'il eut quitté Édimbourg et qu'il voulut se remettre à produire, Burns songea de nouveau au théâtre. Il avait, nous pensons l'avoir assez prouvé, tout ce qu'il faut pour cette entreprise. Il lui manquait seulement la pratique, le maniement des scènes, l'habitude de la composition théâtrale. Il est probable que sa puissante intelligence aurait maîtrisé cette difficulté. Elle y aurait été aidée par son don de mouvement, et le besoin de clarté rapide qui était dans son esprit. Il pensa à étudier les maîtres du théâtre, avec qui il pourrait apprendre ce qui lui manquait encore. Au commencement de 1790, il écrivait à Peter Hill, son libraire à Édimbourg, pour lui demander de lui expédier tous les auteurs dramatiques sur lesquels il pourrait mettre la main à bon compte. Il ne faut pas oublier que, pour les finances de Burns, c'était là une lourde dépense, et qui se justifiait seulement par un besoin sérieux et pressant d'avoir ces ouvrages. La liste en est curieuse:

«Je désire également pour moi-même, selon que vous pourrez les trouver d'occasion ou à bon marché, des exemplaires des œuvres dramatiques d'Otway, de Ben Jonson, de Dryden, de Congreve, de Wycherley, de Vanbrugh, de Cibber, ou n'importe quelles œuvres dramatiques des plus modernes, Macklin, Garrick, Foote, Colman ou Sheridan. J'ai aussi grand besoin d'une bonne copie de Molière, en français. N'importe quels autres bons auteurs dramatiques français dans leur langage natif, j'en ai besoin: je veux dire les auteurs comiques principalement, bien que je désire Racine, Corneille, et aussi Voltaire431

On voit que c'était une bibliothèque dramatique tout entière qu'il demandait et d'un seul coup. En même temps, ses amis l'encourageaient à entreprendre quelque chose pour le théâtre. Ils sentaient qu'il y avait de ce côté une issue pour sa puissance de création. Déjà, pendant le voyage des Hautes-Terres, Ramsay d'Ochtertyre, connu comme grand amateur de classiques, lui avait conseillé «d'écrire une pièce semblable au Noble Berger, qualem decet esse sororem432». On trouve dans une des lettres de Thomson un passage intéressant, parce qu'il fournit plus clairement encore la preuve de la conviction que la voie de Burns se trouvait dans cette direction. «En vérité, je suis parfaitement étonné et charmé par l'infinie variété de votre imagination. Laissez-moi ici vous demander si vous n'avez jamais sérieusement tourné vos pensées vers la production dramatique? C'est là un champ digne de votre génie, dans lequel il pourrait se montrer et briller dans toute sa splendeur. Une ou deux pièces, réussissant sur la scène de Londres, feraient votre fortune. Je crois que les recommandations et les intrigues sont souvent nécessaires pour faire jouer un drame. Cela peut être pour la tribu ridicule des écrivailleurs fleuris. Mais si vous vous adressiez à M. Sheridan lui-même, par lettre, en lui envoyant une pièce, je suis persuadé que, pour l'honneur du génie, il l'essayerait franchement et loyalement433». C'était un bon conseil et Thomson avait vu juste.

Burns avait, cela est clair, le désir secret de créer, en Écosse, un théâtre national. Il sentait, avec sa justesse d'esprit, qu'il est inutile d'aller chercher bien loin des sujets de drame ou de comédie, et que l'histoire ou les mœurs d'un pays en fournissent assez, pour l'une ou pour l'autre. Sauf la tragédie de Douglas, de Home, qui était toute récente puisqu'elle datait de 1756, et la pastorale du Noble Berger, d'Allan Ramsay, qui n'est pas très faite pour la scène, l'Écosse n'avait pas produit d'œuvres dramatiques. Burns voyait qu'il y avait pourtant, et dans l'histoire écossaise si pleine d'événements, et dans les manières si pittoresques et si marquées de son pays, les éléments d'un théâtre auquel n'auraient manqué ni la grandeur des péripéties, ni la variété des situations comiques. Avec une grande sagacité, il avait discerné ces deux sources d'inspiration. Une de ses pièces de vers est bien significative sur ce sujet. C'est un prologue, composé pour la représentation à bénéfice d'un acteur nommé Sutherland, directeur du théâtre de Dumfries que Burns fréquentait assidûment. Ces vers sont du commencement de 1790, vers la même époque que la lettre à Peter Hill. Ils montrent qu'il avait réfléchi à cette question, et ils laissent sentir l'ambition d'être le poète dont ils parlent.

 
À quoi bon tout ce bruit sur la ville de Londres,
Comment cette nouvelle pièce et cette nouvelle chanson vont nous arriver?
Pourquoi courtiser tellement ce qui vient du dehors?
La sottise s'améliore-t-elle, comme le cognac, quand elle est importée?
N'y a-t-il pas de poète qui, brûlant pour la renommée,
Essayera de nous donner des chansons et des pièces de chez nous?
Nous n'avons pas besoin de chercher la comédie au loin,
Un sot et un coquin sont des plantes de tous les sols;
Nous n'avons pas besoin d'explorer Rome et la Grèce,
Pour trouver la matière d'une pièce sérieuse;
Il y a assez de thèmes, dans l'histoire Calédonienne,
Qui montreraient la Muse tragique dans toute sa gloire.
 
 
N'y a-t-il pas de barde audacieux qui se lève et dise
Comment le glorieux Wallace résista, puis tomba malheureux?
Où sont réfugiées les Muses qui produiraient
Un drame digne du nom de Bruce?
Comment ici, ici même, il tira d'abord l'épée,
Contre la puissante Angleterre et son monarque coupable;
Et, après maint exploit sanglant, immortel,
Retira son cher pays de la mâchoire de la Ruine?
Oh! la scène d'un Shakspeare ou d'un Otway
Qui montrerait l'aimable, la malheureuse reine d'Écosse!
Vaine fut la toute puissance des charmes féminins
Contre les armes d'une Rébellion furieuse, impitoyable, insensée.
Elle tomba, mais tomba avec une âme vraiment romaine,
Pour satisfaire le plus cruel des ennemis, une femme irritée,
Une femme, (bien que la phrase puisse paraître rude)
Aussi profonde et aussi méchante que le démon!
Un des Douglas vit dans la page immortelle de Home434,
Mais les Douglas ont été des héros à toutes les époques…
Si, comme vous l'avez fait généreusement, si toute la contrée
Prenait les serviteurs des Muses par la main,
Non-seulement les écoutait, mais les patronnait, les accueillait…
Si tout le pays faisait cela, je m'en porte caution,
Vous auriez bientôt des poètes de la patrie écossaise,
Qui feraient sonner à la Renommée sa trompette jusqu'à la craquer,
Et lutteraient contre le Temps et le mettraient sur le dos435.
 

Entre les deux directions, l'une tragique, l'autre comique, qu'il indique dans ce prologue, Burns paraît avoir hésité. Il fut quelque temps attiré vers le drame national et historique. Il avait, du premier coup, choisi quelques-uns des plus beaux sujets que l'histoire puisse fournir. Il y a un drame héroïque dans la vie de William Wallace, depuis le moment où sa femme est mise à mort par les Anglais pour l'avoir fait évader, depuis ses premières tentatives de vengeance et de lutte, jusqu'à sa fameuse victoire du pont de Stirling; sa défaite, sa disparition mystérieuse, son retour, sa capture, son voyage à Londres à travers un grand concours de peuple, son jugement, et la sentence horrible portant qu'il aurait les entrailles arrachées et que sa tête serait fichée sur le pont de Londres et ses membres dispersés entre quatre villes436. Quel drame historique plus riche en événements et en scènes de tous genres que la vie de Robert Bruce?437 De sang royal, retenu à la cour d'Édouard Ier qui le craint, il reçoit un jour une bourse d'argent et une paire d'éperons. Il comprend l'avertissement; il s'éloigne le même soir, après avoir ferré ses chevaux à l'envers pour dépister ses ennemis. Arrivé en Écosse, il a une entrevue dans un cloître avec son compétiteur Comyns, lui offre de défendre ensemble la liberté du pays, et, sur son refus, le tue d'un coup de dague. Il est couronné roi d'Écosse. Mais c'est un roi sans royaume. Alors commence une vie de périls, de fuites, de combats, d'embûches, où sa force prodigieuse et son sang-froid le sauvent à chaque instant. Déguisé en montagnard, traqué par des dogues, errant dans les montagnes et sur les bords des lacs, couchant dans les rochers, vivant de pêches et de chasses, il accomplit des exploits qui tiennent de la légende. D'ailleurs, toujours de belle humeur, plein de plaisanteries dans le péril, courtois envers les femmes, et, dans les cavernes sauvages, distrayant ses compagnons par des récits de romans chevaleresques. Enfin le succès cède à cette indomptable énergie. C'est le siège de Stirling. C'est la bataille de Bannockburn, dont le nom fait encore tressaillir les cœurs écossais. Le pays est délivré, la guerre transportée chez l'ennemi. C'est une existence de grand roi qui se termine dans la gloire. Quel contraste avec le sort de Wallace dont Bruce est pourtant le continuateur! Et quels épisodes à grouper autour de cette histoire! D'admirables héroïsmes de femmes: c'était l'office du clan Macduff de placer la couronne sur la tête du roi; le chef de la maison ne put venir au sacre de Bruce; sa sœur, qui avait épousé le comte de Buchan, un des partisans du roi Édouard, part à cheval, traverse le pays et arrive à temps pour accomplir ce rite mystique. Édouard l'ayant saisie fit construire une cage qui fut suspendue à une des tours de Berwick, et y fit enfermer la vaillante femme, de façon à ce que les passants pussent la voir. Plus tard, c'est la femme de Bruce qui le suit dans sa vie d'outlaw et en partage tous les périls. Et quelle figure grandiose que celle du roi Édouard, le vieux et terrible conquérant! Il fait jurer à son fils que, s'il meurt, son corps continuera à accompagner l'armée et ne sera pas enseveli avant la soumission de l'Écosse. Il meurt, en effet, au moment d'y pénétrer; il ordonne que la chair soit détachée de ses os, et que son squelette soit porté en tête de l'armée, comme un étendard. Les siens n'osèrent pas exécuter ce dernier vœu438. Mais cette farouche puissance de haine est presque sublime. On comprend que ce sujet ait attiré Burns, et la preuve existe qu'il y avait particulièrement songé. «Nous nous mîmes à causer, écrivait Ramsay d'Ochtertyre, et nous fûmes bientôt lancés sur la mare magnum de la poésie. Il me dit qu'il avait trouvé une histoire pour un drame qu'il appellerait L'alène de Rab Macquechan, et qui était emprunté à une histoire populaire de Robert Bruce. Ayant été défait près du lac de Caern, et sentant que le talon de sa botte s'était détaché dans sa fuite, il demanda à Robert Macquechan de le fixer. Celui-ci, pour être plus sûr, enfonça son alène de neuf pouces dans le talon du roi439». C'était évidemment une aventure empruntée à la vie pourchassée de Robert Bruce qui aurait fait le fond de ce drame. Quant à Marie Stuart, quelle plus touchante légende de beauté, d'aventures, d'infortunes et de fautes peut-on rencontrer? Elle semble faite à souhait pour éveiller toutes les émotions et, depuis tant d'années, elle n'a lassé l'intérêt ni du roman, ni du drame, ni de l'histoire. De nos jours encore, deux des plus grands poètes de l'Angleterre, Tennyson et Swinburne, ont repris le sujet qui avait tenté Burns. Peut-être peut-on rapporter la romance qu'il a composée sur les plaintes de Marie Stuart au drame qu'il entrevoyait.

415Régnier, Satire II, vers 56.
416Les mendiants écossais avaient une large écuelle en bois pour recevoir l'aumône, qui leur était souvent donnée sous forme de nourriture.
417Le champ de bataille devant Québec où Wolf tomba au moment de sa victoire, septembre 1759.
418El Moro était le château qui défendait l'entrée du port de Santiago ou St-Iago, petite île près de la côte méridionale de Cuba. En 1762 le château fut attaqué et pris d'assaut par les Anglais, ce qui amena la prise de la Havane.
419C'est une allusion à la destruction des batteries flottantes espagnoles pendant le fameux siège de 1782. Le capitaine Curtis s'y était distingué.
420George-Augustin Elliot, créé Lord Heathfield, pour sa défense de Gibraltar pendant un siège de trois années.
421Allusion à la peine des Jougs, dans laquelle le condamné était exposé dans un endroit public, avec un collier de fer autour du cou.
422C'était un châtiment en usage pour les femmes méchantes, querelleuses. On les attachait dans un grossier fauteuil en bois, le ducking stool, fixé à l'extrémité d'une poutre horizontale, qui se mouvait sur un poteau planté en terre, un peu à la façon des appareils primitifs pour puiser l'eau dans les puits. On plongeait la mégère assez de fois pour qu'elle fût calmée. On trouve des anecdotes sur ce châtiment, et des gravures représentant les ducking stools, dans The Book of Days de Chambers, tom I, p. 209 et suivantes.
423Une espèce de whiskey renommé, distillé dans un endroit du même nom dans le Clackmannanshire.
424Il y a dans Cervantès sur la vie des gueux espagnols, des gitanos, un passage qui fait penser à la fin de la pièce de Burns. «Notre vie est agile, libre, curieuse, large, fainéante; rien ne lui manque, nous savons tout trouver ou mendier. La terre nous donne un lit de gazon; le ciel une tente; le soleil ne nous brûle pas; le froid ne saurait nous atteindre. Le verger le mieux clos nous offre ses primeurs. À peine voit-on paraître l'alvilla et le muscat, nous l'avons sous la main, nous autres audacieux gitanos, avides du bien d'autrui, pleins d'esprit et d'adresse, prestes, déliés, et bien portants. Nous jouissons de nos amours, libres de tous soucis de rivalité, nous nous chauffons à ce feu sans crainte, ni jalousie.» Cervantès. Théâtre. Pedro de Urde Malas, 1re journée. (Traduction de Alphonse Royer.)
425Shairp. Burns, page 201.
426Carlyle, Essay on Burns.
427The Beggar's Bush est des quinze premières années du XVIIe siècle (1600 à 1616).
428The Beggar's Opera est de 1727.
429Cromek's Reliques, p. 405.
430Tragic Fragment.
431To Peter Hill, 2nd March 1790.
432Lettre de Ramsay d'Ochtertyre au Dr Currie. Currie's Life of Burns, p. 44.
433Thomson to Robert Burns, Oct. 1794.
434Allusion à la tragédie de Douglas.
435Scots Prologue for Mr Sutherland, on his benefit-night, at the theater, Dumfries.
436Sur la vie légendaire de Wallace, voir le poème de Henry l'Aveugle ou Henry le Ménestrel. – Pour l'histoire, lire le chapitre vii, the Story of Sir William Wallace, dans les Tales of a Grand Father, de Walter Scott, – le chapitre ii du tom I de the History of Scotland de Tytler, p. 48-82, – les chapitres XX, XXI, XXII, de Hill Burton. – Voir aussi une vie populaire, Wallace, the hero of Scotland, par James Paterson. C'est une lecture intéressante et assez nourrie de citations.
437On trouvera les aventures de Robert Bruce dans le poème de John Barbour, – dans les chapitres VIII, IX, X, XI des Tales of a Grand Father de Walter Scott, – dans les chapitres III et iv du tom I de l'histoire de Tytler, – dans les chapitres XXII, XXIII et XXIV de Hill Burton.
438Son fils Édouard II le fit ensevelir à Westminster et fit écrire sur sa tombe: «Edwardus longus Scotorom Malleus hic est». (Walter Scott, Tales of a Grand Father, chap. IX).
439Extrait d'une lettre de Ramsay of Ochtertyre au Dr Currie.