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Robert Burns

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Mais à notre histoire! Un soir de marché,
Tam s'était planté bien ferme,
Au coin d'un bon feu qui flambait joliment,
Avec de l'ale mousseuse qui se buvait divinement;
À son coude, le savetier Johnny,
Son camarade ancien, fidèle, et toujours altéré;
Tam l'aimait comme un vrai frère!
Ils s'étaient grisés ensemble pendant des semaines!
La nuit s'avançait dans les chansons et le bruit;
Et toujours l'ale devenait meilleure
L'hôtesse et Tam se faisaient des gracieusetés,
Avec des faveurs secrètes, douces, et précieuses;
Le savetier disait ses plus drôles histoires,
Le rire de l'hôte était un chœur tout prêt.
Dehors, l'orage pouvait rugir et bruire,
Tam se moquait de l'orage comme d'un sifflet.
Le Souci, furieux de voir un homme si heureux,
S'était noyé dans la bière!
Comme les abeilles s'envolent chargées de trésors,
Les minutes passaient chargées de plaisir.
Les Rois peuvent être heureux, mais Tam était glorieux,
De tous les maux de la vie il était victorieux.
 

La façon plus noble, dont est exprimé le passage du bonheur au-dessus de ce quatuor grotesque, était admirée de Wordsworth. Sans doute la scène est vulgaire, mais une minute de joie, d'oubli des maux, est une chose si précieuse qu'il convient d'en parler gravement. Il faut être indulgent pour ceux qui la cherchent même dans l'ivresse. Ils essaient, après tout, de l'emporter pour un moment sur le malheur. Il y a là quelque chose de grave et de profond: «Je plains celui qui ne peut pas comprendre que, dans tout ceci, bien qu'il n'y ait pas eu d'intention morale, il y a un effet moral,» dit Wordsworth, en citant les deux vers:

 
«Les rois peuvent être heureux, mais Tam était glorieux,
De tous les maux de la vie il était victorieux.»
 

Il explique quel est cet effet moral: «Quelle leçon ces mots apportent d'indulgence charitable pour les habitudes vicieuses du principal acteur de la scène, et de ceux qui lui ressemblent… Le poète, pénétrant les laides et répugnantes surfaces des choses, a révélé, avec une habileté exquise, les liens plus délicats d'imagination et de sentiment, qui souvent attachent ces hommes à des pratiques si pleines de malheur pour eux et pour ceux qu'ils doivent chérir; et en tant qu'il communique au lecteur cette sympathie intelligente, il le rend capable d'exercer une influence sur l'esprit de ceux qui sont dans cette déplorable servitude338.» C'est bien sermonnaire, à propos d'une scène aussi joyeuse. Cependant, il y a, dans le ton qui change et qui s'élève pour parler de cette victoire passagère de l'homme sur les soucis, quelque chose qui explique le commentaire de Wordsworth. Il a finement saisi qu'il y avait là une leçon involontaire de sympathie.

Hélas! Les meilleures choses ne peuvent durer. Les vers où les plaisirs sont comparés à toutes choses fugitives et insaisissables s'élèvent d'un coup à la haute poésie. Quelle étonnante souplesse et, pour employer l'expression de Pascal, quelle étonnante agilité de génie possédait l'homme capable de pareils contrastes! Et cela est fait sans effort, sans heurt, par un flot de l'inspiration, qui s'enfle, monte, et redescend avec une égale aisance.

 
Mais les plaisirs sont comme les coquelicots ouverts,
Vous prenez la fleur, les pétales tombent!
Ou comme la chute de la neige dans la rivière,
Un instant blanche, puis fondue pour jamais;
Ou comme les éphémères des régions boréales,
Disparus avant que vous puissiez montrer leur place;
Ou comme la forme gracieuse de l'arc-en-ciel,
Qui s'évanouit dans l'orage.
Aucun homme ne peut attacher le temps ni la marée;
L'heure approche où Tam doit partir;
Cette heure, la clef de la voûte noire de la nuit,
C'est l'heure funeste où il monte à cheval.
Et il se met en route par une nuit telle
Que jamais pauvre pécheur ne fut dehors par une nuit pire.
 

En effet le temps est affreux et la nuit menaçante. La description de la tempête est faite en deux ou trois traits puissants. La bonhomie et la raillerie reparaissent avec la bataille de Tam contre les éléments.

 
Le vent soufflait comme si c'eût été son dernier souffle;
Les averses bruissantes montaient sur les rafales;
Les ténèbres avalaient les rapides éclairs;
Bruyant, profond et prolongé, le tonnerre beuglait:
Cette nuit-là un enfant aurait pu comprendre
Que le diable avait pris une affaire en main.
 
 
Bien monté sur sa jument grise, Meg,
Une meilleure ne leva jamais la jambe,
Tam trottait à travers flaque et boue,
Dédaignant vent, et pluie, et feu;
Tantôt tenant bien son bon bonnet bleu,
Tantôt fredonnant un vieux refrain écossais,
Tantôt regardant autour de lui avec prudence,
De peur que les esprits ne le surprissent soudain:
L'église d'Alloway n'était plus loin,
Où spectres et hiboux crient chaque nuit.
 

Comme les sentiments du brave Tam sont bien indiqués! Il est d'abord tout en courage, et il se rit de ces éclairs et de ces bourrasques. Celles-ci le secouent cependant, et déjà le voici à ce commencement de peur où on se chante quelque chose pour se rassurer. Il regarde autour de lui; c'est mauvais signe. Il ne peut faire un pas sans rencontrer la place d'un crime ou d'un accident. Ces lugubres souvenirs le hantent; l'orage augmente; et tout à coup il aperçoit quelque chose d'étrange.

 
À ce moment, il avait traversé le gué,
Où le colporteur périt étouffé dans la neige;
Il avait dépassé les bouleaux et la grosse pierre,
Où Charlie l'ivrogne se cassa le cou;
Il avait passé par les ajoncs et près du tas de pierres,
Où les chasseurs trouvèrent l'enfant assassiné,
Il était près de l'épine, au-dessus du puits,
Où la mère de Mungo se pendit.
Devant lui, le Doon roule ses déluges;
L'orage redoublant rugit à travers les bois;
Les éclairs jaillissent d'un pôle à l'autre;
Près et plus près les tonnerres roulent;
Quand, flamboyante, à travers les arbres gémissants,
L'église d'Alloway apparut toute illuminée,
À travers chaque ouverture, des rayons s'échappaient,
Et bruyantes résonnaient la joie et la danse.
 

En d'autres temps, Tam eût été peu rassuré. Mais Jean Grain d'Orge, père du courage, lui soutient le cœur. Ce qu'il voyait était pourtant fait pour le faire trembler. Il n'y a pas ailleurs de description de sabbat comparable à celle-ci. L'horreur des accessoires fait penser à la cuisine des sorcières de Macbeth. Cela ressemble à une de ces scènes de sabbat du vieux Téniers; c'est plus infernal encore, car il n'y a pas cette fraîcheur et cette gaîté de couleurs qui ôte à ces charmantes toiles toute leur épouvante. Ici la lumière est noire, inquiète, comme le reste. On dirait qu'une de ces visions, si étranges par l'invention des détails, a été placée, pour la compléter, dans la lueur fantastique d'un Rembrandt.

 
Hardi Jean Grain d'Orge, tu inspires le courage!
Quels dangers tu nous fais mépriser!
Avec de l'ale à quatre sous, nous ne redoutons aucun mal;
Avec du whiskey, nous bravons le diable!
L'ale moussait si bien dans la boule de Tam
Que, à jeu égal, il se souciait des diables comme d'un liard.
Mais Maggie s'arrêta, étrangement effarée,
Jusqu'à ce qu'avertie du talon et de la main,
Elle s'aventura en avant vers la lumière.
Et, voilà! Tam aperçut un singulier tableau!
 
 
Les sorciers et les sorcières étaient en danse;
Pas de cotillon tout flambant neuf, venu de France,
Mais des hornpipes, des jigs, des strathspeys, des reels,
Leur mettaient de la vie et du nerf dans les talons:
Sur l'appui d'une fenêtre, à l'est,
Était assis le vieux Nick, sous la forme d'une bête,
D'un chien griffon, noir, farouche et gros.
Leur faire de la musique était son office;
H soufflait dans sa cornemuse et la faisait piailler;
Tant que le toit et les poutres en tremblaient.
Des cercueils se dressaient tout autour comme des armoires ouvertes,
Montrant les morts dans leur dernière toilette;
Et, par un sortilège et un maléfice diaboliques,
Chacun d'eux, dans sa main, tenait une chandelle.
Grâce à cette lumière, l'héroïque Tam put
Apercevoir, sur la table sainte,
Les os d'un assassin avec les ferrailles du gibet;
Deux bébés non baptisés, longs d'une coudée;
Un voleur récemment détaché de la corde,
La bouche béante du dernier spasme;
Cinq tomahawks, avec une rouille rouge de sang;
Cinq cimeterres, avec leur croûte de meurtre;
Une jarretière qui avait étranglé un enfant;
Un couteau qui avait scié la gorge d'un père
Que son propre fils avait privé de vie,
Des cheveux gris collaient encore au manche;
Et beaucoup d'autres choses horribles et affreuses,
Que ce serait un crime de nommer seulement.
 

On est allé assez loin dans l'horrible. Avec la même aisance, l'histoire redescend vers le risible. Le spectacle des vieilles sorcières, en proie à une frénésie de danse, nous ramène à la réalité et prépare cette fameuse exclamation sur les culottes en peluche bleue qui éclate tout à coup, avec un irrésistible comique.

 
Comme Tam écarquillait les yeux, surpris et curieux,
La joie et le jeu devenaient vifs et furieux;
Le joueur de cornemuse soufflait de plus en plus fort,
Les danseurs sautaient de plus en plus vite,
Ils tournaient, traversaient, faisaient la chaîne,
Tant que les vieilles sorcières, suantes et fumantes
Jetèrent leurs habits pour mieux travailler,
Et se mirent à se trémousser en chemise.
 
 
Ah! Tam! Ah! Tam! Si ç'avaient été des fillettes,
Grassouillettes et bien faites, de quinze ans,
Si leurs chemises, au lieu de flanelles graisseuses,
Avaient été de linge fin, blanc comme la neige,
Ces bonnes culottes, ma seule paire,
Qui jadis furent en peluche d'un beau poil bleu,
Je les aurais données de dessus mes fesses,
Pour un coup d'œil à ces jolis oiseaux.
 
 
Mais des mégères, fanées, vieilles et grotesques,
Des sorcières de potences, qui sèvreraient un poulain,
Sautant et dansant sur un manche à balai,
Je m'étonne que ça ne t'ait pas tourné le cœur.
 

Nous nous inquiétons à tort; Tam n'est pas aussi à plaindre qu'il paraît; ce n'est pas un gaillard à s'attarder autour de telles choses; il est plus difficile. S'il reste l'œil allumé, c'est qu'il y a là quelque chose qui est à son goût.

 
 
Mais Tam savait quoi, autant que quiconque:
Il y avait là une fille, avenante et fraîche,
Qui s'était, cette nuit-là, engagée dans la bande.
(Plus tard, elle fut connue longtemps sur le rivage de Carrick,
Car elle frappa de mort maint animal,
Et naufragea maint bateau,
Et versa maint champ de blé et d'orge,
Et tint tout le pays en terreur.)
Sa chemise courte, en toile de Paisley,
Qu'elle avait portée, étant fillette,
Manquait tristement de longueur;
C'était sa meilleure; elle en était fière.
Ah! Ta respectable grand'mère ne savait guère
Que la chemise qu'elle acheta pour sa petite Nannie,
Avec deux livres écossaises, (c'était toute sa fortune),
Ornerait un jour une danse de sorcières.
 

Nous nous expliquons pourquoi Tam restait là cloué. Ce qu'il voyait n'était pas pour lui donner la nausée, et la culotte de peluche bleue aurait pour le coup changé de propriétaire. Rien n'est plus gaiement et plus joliment mouvementé que le spectacle qui le transit d'admiration: cette jolie fille à chemise trop courte qui se démène dans la lumière; Satan qui joue plus fort; elle qui danse plus vite; la musique qui a peine à suivre ses membres agiles dans une accélération de cabrioles; et, dans l'ombre, la figure de Tam, qui s'épanouit à vue d'œil, à ce savoureux tableau, jusqu'au moment où n'y tenant plus, il éclate; tout cela est parfait.

 
Mais il faut qu'ici ma Muse abaisse son vol,
De pareils essors sont bien au delà de son pouvoir,
De chanter comment Nannie sautait et jetait la jambe,
(C'était une garce souple et forte),
Et comment Tam se tenait comme ensorcelé,
Et pensait que ses yeux recevaient un trésor;
Satan lui-même ouvrait les yeux et fortement se démenait,
Et se trémoussait, et soufflait avec force et vigueur,
Jusqu'à ce que, cabriole après cabriole,
Tam perdit tout à fait sa raison,
Et rugit: «Bravo! la chemise courte!»
 

Qu'a-t-il fait? Un seau d'eau bénite, tombant au milieu de la fête et éclaboussant tout ce sabbat, n'aurait pas produit un plus grand tumulte. La lumière s'éteint; la cornemuse diabolique s'arrête; un brouhaha s'entend. Vite, Tam! tu n'as que le temps d'enlever Maggie! Tu avais bien besoin de parler, vieux bavard! Sans compter que tu as perdu la suite de ces cabrioles, intéressantes de plus en plus. Tam, au galop! De toutes parts, les sorcières furieuses se précipitent hors de la ruine.

 
En un instant, tout fut noir:
Et à peine avait-il rassemblé Maggie,
Que la légion infernale s'élança dehors.
Comme les abeilles sortent en bourdonnant, agitées et colères,
Quand les troupeaux ravageurs attaquent leur ruche;
Comme s'élancent les ennemis mortels du lièvre,
Quand, crac! il part à leur nez;
Comme la foule court follement un jour de marché,
Quand: «Arrêtez le voleur!» résonne et retentit;
Ainsi Maggie court, et les sorcières la suivent,
Avec des criaillements étranges et rauques.
 

La course est furibonde. La route que suivait Tam remontait la rive droite du Doon, passant entre la rivière et l'église. Un peu plus haut, se trouve le vieux pont en dos d'âne, d'une seule arche, sous lequel mugissait l'eau. Si Tam atteint l'arête du pont avant les sorcières, il est sauvé. C'est un fait connu que les sorcières, les revenants, et aucun des esprit méchants n'ont le pouvoir de poursuivre un malheureux plus loin que le milieu du plus proche cours d'eau. Aussi Tam, effaré, hagard, le visage dans la crinière de Maggie, éperdument galope; la horde des sorcières, hurlante, piaillante dans les ténèbres, le poursuit. En avant des autres, Nannie, furieuse d'avoir été vue et brûlant de se venger de l'imprudent, bondit. La clef de voûte est à quelques centaines de pas.

 
Ah, Tam! Ah, Tam! Tu auras ce que tu mérites!
Ils te rôtiront en enfer comme un hareng!
En vain Kate attend que tu rentres!
Kate sera bientôt une femme éplorée!
Allons! Fais ton possible! cours vite, Meg,
Et gagne la clef de voûte du pont.
Là, tu pourras secouer ta queue à leur nez,
Elles n'osent pas traverser un ruisseau courant.
Mais avant qu'elle eût atteint la clef de voûte,
Du diable si elle avait encore une queue à secouer!
Car Nannie, bien avant les autres,
Serrait de près la noble Maggie,
Et se précipitait sur Tam, avec un dessein furieux.
Mais elle connaissait mal le fond de Maggie,
Celle-ci d'un bond mit son maître en sûreté;
Quant à elle-même, elle perdit sa queue grise:
La sorcière la saisit par le croupion,
Et laissa à Maggie à peine un moignon.
 

Sauvé, Tam! Mais rien ne le ferait s'arrêter. Il sent toujours sur ses épaules la bande infernale. Il continue à galoper sans tourner la tête. Il se perd dans la nuit. La jolie courte chemise agite furieusement la queue de Maggie. Elle trouve cette vengeance insuffisante. L'histoire s'arrête sur ce tableau et se termine par cette morale.

 
Maintenant, vous qui lirez cette histoire vraie,
Hommes et fils de bonnes Mères, prenez garde:
Chaque fois que vous serez enclin à boire,
Ou que de courtes chemises vous passeront par la tête,
Réfléchissez! Vous pouvez payer vos joies trop cher:
Rappelez-vous la jument de Tam de Shanter!
 

À la vérité, l'histoire ressemble à la jument de Tam. Elle a aussi perdu sa queue. Elle est coupée trop brusquement. L'esprit n'est pas satisfait: involontairement, on accompagne Tam jusqu'à sa ferme; on s'attend à le voir paraître devant sa femme Kate, qui a eu le temps, pendant ces aventures, de tenir sa colère au chaud. Il y a là place pour une scène qui semblait annoncée au début et qui aurait fait un joli pendant à celle du cabaret et de la cabaretière. On imagine l'accueil de la fermière, les excuses de Tam, et son air penaud quand la lanterne lui révèle tout à coup l'étrange condition de Maggie. La morale aurait été mieux à cet endroit, car la punition aurait été plus complète. Perdre la queue de sa jument est sans doute quelque chose, mais s'en justifier à sa femme est bien plus terrible. Peut-être Tam aurait-il volontiers donné avec la queue la crinière, pour voir ce qu'il avait vu. Le moment pénible était l'explication à Kate. C'est cela vraiment qui peut garder les gredins comme Tam de boire, et leur purger la cervelle de chemises courtes pour le reste de leurs jours.

Au sujet de cette pièce, si remarquable dans l'œuvre de Burns, les critiques diffèrent. Les uns la considèrent comme son chef-d'œuvre. C'est l'avis de Lockhart et de beaucoup d'autres339. Carlyle, au contraire, s'étonne de la haute faveur dont elle jouit: «C'est moins un poème, dit-il, qu'un morceau d'étincelante rhétorique, le cœur et le corps de l'histoire reste dur et mort.» Il reproche au poète de n'être pas remonté, de ne pas nous avoir emportés dans cet âge sombre, sérieux, étonné, où on croyait à la tradition, et où elle avait pris naissance, de n'avoir pas touché «cette corde mystérieuse et profonde de la nature humaine qui jadis répondait à ces choses, qui vit encore en nous, et qui y vivra à jamais.» Il incline à croire que cette pièce aurait pu être écrite par un homme qui, en place de génie, n'aurait eu que du talent. Il ajoute qu'il lui préfère le poème des Joyeux Mendiants dont nous allons parler un peu plus loin340. Sur ce dernier point, nous serions d'accord avec lui. Pour le reste, il nous semble qu'il reproche injustement à Burns de n'avoir pas fait autre chose que ce qu'il a voulu faire. Il aurait désiré une reconstitution de l'état d'esprit, superstitieux et toujours surpris, du temps jadis, faite avec sérieux et respect. Burns n'y pouvait pas songer. Lui qui n'a jamais vu que la vie contemporaine, et dont le mérite est de l'avoir vue nettement, a rendu la superstition comme elle existait autour de lui: ni tout à fait maîtresse, ni tout à fait morte. C'est ainsi qu'elle se montrait par moments en lui-même. Parlant des contes de revenants et d'esprits qu'une vieille femme lui avait faits dans son enfance, il ajoutait: «Cela eut un effet si fort sur mon imagination que, même à présent, dans mes promenades nocturnes, je suis parfois sur le qui-vive dans les lieux suspects; et bien que personne ne puisse être plus sceptique que moi en pareille matière, j'ai besoin d'un effort de philosophie pour secouer ces vaines terreurs.341» Cet effort de philosophie n'était pas à la portée de tous les paysans. La nuit, dans un orage, il suffisait d'une lumière inexpliquée, d'un bruit étrange, pour qu'ils fussent repris des anciennes terreurs. Dans une tête, où les facultés de contrôle sont désemparées et les facultés d'imagination surexcitées par la boisson, l'hallucination pouvait devenir complète; et on a vu avec quel art Burns a accumulé toutes les circonstances, orage, souvenirs lugubres, qui pouvaient la préparer. Le lendemain, au grand soleil, on se moquait des frayeurs de la veille. C'est par là que la raillerie entrait. Burns a donc saisi le point exact où en était la superstition à son époque. Il a su mêler ce qu'elle conservait d'épouvante et ce qu'elle excitait de moquerie. Cet effort que lui demande Carlyle, pour reconstituer la crédulité dans ce qu'elle a de profond et de religieux, était hors de sa route. C'était un de ces essais de sympathie rétrospective qui ont intéressé notre temps, mais qui n'ont jamais fourni d'œuvre de premier ordre. C'était demander à Burns de faire du Walter Scott. Et que serait devenue la gaîté de ce morceau, qui est, après tout, un éclat de rire? Quant à Burns lui-même il estimait que Tam de Shanter était son chef-d'œuvre, et il s'en expliquait franchement. Dans une lettre à Mrs Dunlop, où il lui parlait du fils aîné dont elle avait été la marraine, il disait: «En vérité, je considère votre petit filleul comme mon chef-d'œuvre dans cette espèce de manufacture, de même que je considère Tam de Shanter comme ma meilleure production en fait de poésie. Il est vrai que l'un aussi bien que l'autre trahissent un assaisonnement de friponnerie malicieuse dont on aurait bien pu se passer peut-être; mais ils montrent aussi, selon moi, une originalité, un fini, un poli, que je désespère de surpasser.342»

 

Quoi qu'il en soit, c'est une œuvre de premier ordre, si solide, si pleine de matière en un si petit volume, et de quelle variété, et de quel mouvement! Il semble impossible de rassembler plus de tableaux et de scènes en moins d'espace. La pièce ne compte que deux cent vingt-quatre vers; voyez que de sujets un dessinateur y peut trouver, et dans combien de genres différents: la fin du marché, les bonnes figures de Tam et de son camarade le savetier, cette charmante description de l'auberge qui est à elle seule toute une toile de Wilkie, l'orage, la route, Tam chevauchant à travers la pluie; puis, la vieille église fantastiquement illuminée, toute cette fantasmagorie du sabbat si puissante et si riche, Satan avec sa cornemuse à la fenêtre, la tête de Tam dans l'obscurité, les gambades de Nannie, la fuite, la poursuite, le vieux pont, la catastrophe; c'est une série de peintures, familières, terribles, féeriques, toujours pittoresques, faites pour épuiser le talent d'un artiste. Et comme nous retrouvons bien marqués les deux traits de l'humour: la raillerie qui court à travers toute la pièce, qui s'attaque aussi bien aux gentillesses de Tam avec l'hôtelière qu'à la courte chemise de Nannie, et une observation constante, directe, concrète, autant qu'il est possible! Et quel mouvement! La diversité des situations et des décors ferait croire à de la fantaisie, si tout n'était si bien calculé, si enchaîné, si bien proportionné, si indispensable à la marche de l'histoire, que c'est plutôt de la variété que de la fantaisie, et que, même là, nous retrouvons le caractère de mesure et de raison, qui est au fond de l'humour de Burns.

On ne peut s'empêcher de comparer la chevauchée de Tam de Shanter à une autre chevauchée, fameuse dans la littérature anglaise, celle de John Gilpin d'amusante mémoire. Sans doute, l'aventure du marchand drapier, cramponné à la crinière de son cheval, perdant son chapeau, perdant sa perruque, perdant son manteau rouge, cassant ses bouteilles, traversant les villages comme un éclair, passant et repassant sans pouvoir arrêter sa monture devant le balcon où sa femme l'attend, est d'une charmante et franche drôlerie. Mais ce n'est que le développement habile et tout littéraire d'une situation ridicule. Cela semble mince et vite épuisé auprès de l'histoire de Tam de Shanter. Celle-ci est autrement riche, variée, profonde. Elle a surtout une sève de vie réelle, qui se renouvelle et jaillit de toutes parts. C'est John Gilpin qui aurait pu être écrit par un homme de talent. L'immortel Tam, quoi qu'en dise Carlyle, est la création d'un homme de génie. Et, ici encore, on rencontre le regret que la vie de Burns n'ait pas donné tout ce qu'elle contenait. Il écrivait à un de ses amis, en lui envoyant le poème: «Je viens d'achever un poème, Tam de Shanter, que vous recevrez ci-inclus. C'est mon premier essai en fait de contes.343» Qu'on imagine ce qu'aurait été un volume d'histoires de ce genre, diverses, prises de tous côtés, et écrites avec cette puissance de vie, de comique et de poésie. C'eût été un livre à mettre à côté des admirables Contes de Canterbury du vieux Chaucer.

Cet humour de Burns éclata parmi les Écossais comme une révélation. Ils ignoraient que leur sol pût produire un fruit aussi savoureux. Dans le no 83 du Mirror, journal périodique à la façon du Spectator, publié à Édimbourg, à la date du 22 février 1780, c'est-à-dire un peu avant l'arrivée de Burns dans cette ville, on trouve un article intitulé: Recherche sur les causes de la rareté d'écrivains humoristiques en Écosse344. L'auteur, après avoir constaté que son pays produit sur les autres sujets des écrivains d'un mérite considérable, s'étonne que la Tweed établisse pour l'humour, une si frappante ligne de démarcation.

«Dans une branche de l'art d'écrire, dans les ouvrages et compositions d'humour, il est hors de doute que les Anglais n'ont à redouter aucune rivalité de leurs voisins du Nord. Les Anglais excellent dans la comédie; plusieurs de leurs romans sont pleins des plus humoristiques représentations de vie et de caractères, et maints de leurs autres ouvrages sont pleins d'un excellent comique. Mais en Écosse, nous avons à peine des livres qui visent à l'humour, et des quelques-uns qui y visent, peu ont aucun degré de mérite. Bien que nous ayions des tragédies écrites par des Écossais, nous n'avons pas de comédie, excepté le Noble Berger de Ramsay; et bien que nous ayons des romans de sentiment, nous n'en avons pas d'humour.»

L'auteur de l'article avait raison en ce qui concernait la littérature savante de son pays. Il n'était pas étonnant qu'elle manquât de l'élément concret et direct dont vit l'humour. Elle était générale, abstraite, et cosmopolite. «Il est curieux de remarquer, écrit Carlyle, que l'Écosse, si pleine d'écrivains, n'avait pas de culture écossaise, pas même de culture anglaise. Notre culture était presque exclusivement française. C'était en étudiant Racine et Voltaire, Batteux et Boileau, que Kames s'était exercé à être un critique et un philosophe. C'était la lumière de Montesquieu et de Mably qui guidait Robertson dans ses spéculations politiques; c'était la lampe de Quesnay qui avait allumé la lampe d'Adam Smith… Jamais peut-être il n'y eut une classe d'écrivains si clairs et si bien ordonnés, et cependant si totalement dénués, selon toute apparence, de toute affection patriotique, bien plus, de toute affection humaine quelle qu'elle fut.345» Quoi d'étonnant à ce qu'on ne trouvât pas d'humour dans leurs écrits? C'était une littérature qui ne se particularisait pas. Elle n'avait rien d'indigène, aucun goût de terroir. Elle manquait de pittoresque et de vie.

De là vient l'opinion que les Écossais étaient incapables d'humour. Charles Lamb l'a appuyée dans un essai charmant où il oppose l'esprit calédonien, affirmatif et absolu, à l'esprit qu'il appelle anti-calédonien, esprit de fantaisie, qui se contente d'aperçus, de germes, de doutes, de crépuscules de vérités. «Avant tout, défiez-vous de toute expression indirecte devant un Calédonien. Mettez un éteignoir sur votre ironie, si malheureusement il vous en a été accordé une veine.» Il rapporte comme exemple qu'il se trouvait un jour dans une réunion d'Écossais où un des fils de Burns était attendu. «Je laissai tomber une sotte expression que j'aurais bien voulu que ce fut le père au lieu du fils. Sur quoi quatre d'entre eux se dressèrent en même temps, pour m'informer que c'était impossible puisqu'il était mort.346» Cette réputation des Écossais s'est propagée. Elle a fini par trouver une formule définitive dans le célèbre mot de Sydney Smith «que, pour faire entrer une plaisanterie dans la tête d'un Écossais, il faut une opération chirurgicale.»

Si on ne trouvait pas l'humour, c'est qu'on le cherchait là où il ne saurait exister, dans une littérature raréfiée et dépouillée de pittoresque. Il suffit de lire Ramsay et Fergusson, le Noble Berger du premier et Caller Water du second, par exemple, pour en rencontrer d'excellent. Il se trouve en abondance dans les chansons, et plus encore dans les petits poèmes populaires, à commencer par le fameux Gaberlunzie Man de Jacques V. Plus récemment, les recueils du doyen Ramsay, du Dr. Rogers, de Mr Baxton Hood347, formés de bons mots, d'anecdotes, de souvenirs, en ont réuni d'amples provisions. Ils n'ont eu qu'à laisser tomber les filets dans la conversation et la poésie du peuple, pour les ramener pleins de traits humoristiques. Les recueils de proverbes en contiennent aussi beaucoup348. En réalité, peu de pays ont produit plus et de plus grands humoristes: Smollet, Arbuthnot, Burns, Carlyle; sans parler de l'humour épars dans Walter Scott, dans ce délicieux livre des Annales de la Paroisse de John Galt, qui, pour l'humour attendri, est un digne compagnon du Vicaire de Wakefield, ou dans la charmante Autobiographie de Mansie Wauch. Il y a eu, au contraire, de tous temps, un riche fonds d'humour en Écosse. Le Dr Alexander Carlyle d'Inveresk, que sa vie active et son séjour dans une petite paroisse mettaient plus en rapport avec le peuple, avait, il est vrai, protesté contre ce jugement. Il disait, en faisant précisément allusion à l'article du Mirror:

«Je prendrai cette occasion de rectifier une erreur dans laquelle les auteurs anglais sont tombés et dans laquelle ils sont soutenus par beaucoup des écrivains écossais particulièrement par ceux du Mirror, qui est que les gens d'Écosse n'ont pas d'humour. Que cela soit une grosse erreur peut être prouvé par d'innombrables chansons, ballades et histoires, qui circulent dans le sud de l'Écosse, et aussi par les personnes assez âgées pour se rappeler le temps où le dialecte écossais était parlé avec pureté dans la Basse Contrée, et par celles qui ont eu des rapports avec le peuple. Depuis que nous avons commencé à parler une langue étrangère, ce que l'anglais est pour nous, l'humour, il faut le confesser, est moins apparent dans la conversation.349»

Le Dr Carlyle et l'écrivain du Mirror sont d'accord pour attribuer l'un l'absence, l'autre l'affaiblissement de l'humour à l'abandon du dialecte indigène. Remarquons combien ce fait corrobore l'importance de l'élément concret dans la composition de l'humour. Le passage du Mirror surtout est curieux; il est à lire avec soin, tant il est instructif à cet égard:

«Le fait qu'un auteur écossais n'écrit pas dans son dialecte naturel doit avoir une influence considérable sur la nature de ses productions littéraires. Quand il s'emploie à quelque composition grave et digne, quand il écrit de l'histoire, de la politique ou de la poésie, la peine qu'il prend, pour écrire d'une façon différente de celle dont il parle, n'affecte pas beaucoup ses productions. Le langage de ces compositions est, dans tous ces cas, élevé au-dessus de la vie ordinaire, et partant la déviation qu'un auteur écossais est obligé de faire de la langue commune du pays ne peut guère lui faire de tort. Mais si un écrivain doit descendre aux peintures communes et risibles de la vie, si en un mot il veut se donner à des compositions humoristiques, il faut que son langage soit aussi près que possible de celui de la vie ordinaire… Pour confirmer ces remarques, on peut observer que les seuls ouvrages d'humour que nous ayons dans ce pays sont en dialecte écossais, et que la plupart d'entre eux ont été écrits avant l'union des deux royaumes, quand l'écossais était la langue écrite du pays aussi bien que la langue parlée. Le Noble Berger qui est plein de représentations naturelles et comiques de vie vulgaire est écrit en écossais vulgaire. Beaucoup de nos anciennes ballades sont pleines d'humour.350»

Ainsi, dès qu'on passe à la littérature abstraite, l'humour s'éteint; dès qu'on revient au langage populaire, concret, vivant, pittoresque, dès qu'on se rapproche de la réalité, dès qu'on se remet par le langage qu'elle parle en contact avec elle, alors l'humour renaît. Les seules compositions qui en contiennent sont celles qui contiennent également de la vie ordinaire, vécue, observée. Tant il est certain que, sans cet élément, l'humour dépérit et disparaît. C'était ce langage que Burns avait repris, et dont il se servait pour donner un si éclatant démenti à ceux qui refusaient au génie écossais la faculté de l'humour.

338Wordsworth. A Letter to a Friend of Robert Burns, 1816.
339Lockhart. Life of Burns, p. 209.
340Carlyle. Essay on Burns.
341Autobiographical Letter to Dr Moore.
342To Mrs Dunlop, 11th April 1791.
343To Alex. Cunningham, 23rd Jan 1791.
344The Mirror, a periodical paper, published at Edinburgh, in the Years 1779 et 80.
345Carlyle. Essay on Burns.
346Charles Lamb. Essay on imperfect Sympathies. Swift avait fait une remarque analogue sur la conversation des Écossais, voir ses Hints towards an Essay on Conversation.
347Dean Ramsay. Reminiscences of Scottish Life and Character.– Charles Rogers, Traits and Stories of the Scottish People. – Baxton Hood. Scottish Characteristics.
348Voir Scottish Proverbs, collected and arranged by Andrew Henderson. —The Proverbs of Scotland by Alexander Hislop.
349Dr Alexander Carlyle. Autobiography, p. 222-23.
350The Mirror, No 83.