Za darmo

Deux et deux font cinq

Tekst
0
Recenzje
Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

PROPOSITION INGÉNIEUSE

Que le correspondant dont je publie ici la lettre ne s'y trompe pas une minute! Je sais parfaitement quelle personnalité cache sa modeste signature.

Mais aussi, qu'il se rassure! je ne la dévoilerai point, cette personnalité.

Détenteur d'une haute situation dans l'État (on peut dire, sans crainte d'être taxé d'exagération, qu'il est chef de service), mon correspondant ne relève pas, comme on dit, du domaine de la petite bière.

Sa lettre est l'aimable délassement d'un esprit d'élite et digne, en tous points, du poste important qu'on lui a confié.

Le sort que je fais à sa fantaisie pourra peut-être le déterminer à—si la conversation vient à tomber là-dessus—m'offrir un bureau de tabac ou deux.

Ce que j'en dis, c'est pour les amis, car je ne fume pas, et, ne répondant jamais aux lettres que je reçois, les timbres-poste m'indiffèrent.

«Monsieur le rédacteur,

»Vous êtes certainement un des hommes les plus remarquables de ce temps. Vos articles sont des lumières.

»C'est ce qui m'incite à vous soumettre une idée qui m'est venue et dont je souhaiterais que vous vous fissiez l'ardent zélateur.

»N'êtes-vous pas frappé comme moi—oui, n'est-ce pas?—du profond discrédit dans lequel est tombée la croix de commandeur de la Légion d'honneur?

»Ce discrédit, je voudrais le voir disparaître.

»Comment? En attachant à cette haute distinction une faveur qui la rendrait plus désirable.

»Je voudrais qu'une loi intervînt aux termes de laquelle tout haut dignitaire de la Légion d'honneur ne pourrait plus jamais être cocu.

»Entendons-nous, les femmes de ces dignitaires pourraient continuer de brancher l'os frontal de leur époux; mais cela ne compterait pas.

»Qui pourrait faire obstacle à ma proposition? Assurément pas les femmes de ces derniers. Elles recouvreraient ainsi plus de liberté pour donner cours aux élans de leur cœur et faire un plus grand nombre d'heureux. Quant aux maris, puisque la loi les déclarerait indemnes, ils auraient la double satisfaction de faire plaisir à leurs femmes, et de trouver là, avec un surcroît d'honneur, un surcroît de profits.

»Car d'où leur viendrait, je vous prie, le scrupule qui arrête encore un petit nombre d'entre eux à tirer des charmes de leurs épouses de nouvelles ressources, toujours les bienvenues dans tous les ménages, quels qu'ils soient?

»Comme la question économique prime tout aujourd'hui, j'ai tenu à prendre l'avis des deux représentants les plus autorisés des écoles actuellement aux prises.

»M. Leroy-Beaulieu craint qu'une pareille loi ne nous attire encore des représailles de l'étranger.

»M. Domergue, à qui j'ai confié les craintes de son éminent adversaire, m'a répondu textuellement:

«Les représailles de l'étranger? Je m'en f…! Mais, comme dans tout pays civilisé il faut, pour la bonne tenue des statistiques, qu'il y ait une moyenne de cocus déterminée, assez imposante pour que nous ne soyons pas dans une situation inférieure vis-à-vis des autres nations, je vous conseillerais de compléter votre proposition en disant que, pour parfaire les manquants, le titre de cocu serait attribué d'office à tous les membres de l'Académie des sciences morales et politiques, et, si cela ne suffit pas, à tous les membres de la Société d'économie politique.»

»Comme j'ai infiniment plus de confiance dans le porte-parole de M. Méline que dans le représentant des vieilles doctrines économiques, j'incline à croire que M. Leroy-Beaulieu est hanté de craintes déraisonnablement chimériques.

»Ce qui me courbe à cette conclusion, c'est que toutes les hautes personnalités politiques et sociales consultées par moi approuvent chaudement ma proposition. Le moindre avantage qu'elles y trouvent, c'est d'augmenter les joies du foyer et le bien-être national, ce à quoi tous les bons esprits doivent tendre et s'employer.

»Mais voilà! Tant vaut l'homme qui lance une idée, tant vaut cette idée; et, dans toute la presse, je ne vois que vous de capable de donner à la mienne assez de relief et d'autorité pour l'imposer à l'attention d'un Parlement qui a tant de votes inutiles à se faire pardonner.

»Veuillez agréer, Monsieur et cher Maître, l'expression de mes sentiments les plus cordialement formulés.

»Félix.»

Et voilà!

Merci, mon vieux Félix, et à la revoyure!

(Plaisanterie d'un ordre plutôt intime, étant donné le rang social de mon correspondant.)

SIX HISTOIRES DANS LE MÊME CORNET

OU TOUJOURS LE SOURIRE SUR LES LÈVRES

Mœurs américaines.

Dans le parc de Rouse's point. Le soir, assez tard. On entend au loin les accords entraînants de Washington Post.

(Washington Post est une new dance qui fera fureur à Paris cet hiver, vous pouvez m'en croire. Pour s'en procurer la musique avec les instructions, s'adresser à mon vieux camarade Whaley Royce, 158, Yonge street, Toronto. Les personnes qui voudraient éviter les frais de poste toujours coûteux, peuvent aller se procurer elles-mêmes ce morceau. En ce cas, ne pas quitter Toronto sans jeter un coup d'œil sur les chutes d'eau du Niagara, un assez curieux phénomène naturel situé non loin de là.)

Fermons la parenthèse.

–Et vous, miss, vous ne dansez pas, ce soir?

–Non, pas ce soir.

–Pourquoi cela, miss?

–Parce que j'ai des chaussettes et pas de pantalon.

–Quelle blague!

–Voyez plutôt, répondit-elle en souriant.

Toulouse-Lautrec, le jeune peintre bien connu, a prêté un pantalon à M. Pascalis, le monarchiste célèbre, momentanément gêné.

Bien que le sol fût totalement anhydre et Phœbus aveuglant, Pascalis a relevé le bas du pantalon.

–Pourquoi? fis-je.

–Pour qu'on ne s'aperçoive pas qu'il est trop court, répondit-il en souriant.

Sa femme est gentille comme tout et, pourtant, il la trompe avec une grande bringue d'Anglaise, miss Aline, pas jolie pour un sou, mais dont le nom seul indique assez l'irréductible tendance à la luxure et à la sensualité.

(Miss Aline pourrait arborer la devise de sa vieille homonyme romaine, Lassata non satiata, en supprimant, toutefois, lassata, car, au contraire, ça la repose, elle.)

Il a pu découcher, l'autre jour (l'autre nuit serait plus exact, mais le temps me manque pour rectifier).

Sous le fallacieux prétexte qu'il est vélocipédiste territorial, il a prétendu devoir assister à une manœuvre de nuit du côté de Vaujours, blague infecte dans laquelle sa pauvre petite femme a coupé comme dans du beurre.

Inutile de révéler en quoi consistèrent ces manœuvres de nuit dont la rue Bernouilli fut le théâtre. (Elle en a vu bien d'autres, la rue Bernouilli.)

Et, au retour, la petite femme:

–Ça s'est bien passé?

–On ne peut mieux.

–Ton pneu ne s'est pas dégonflé?

–Si, huit fois! répondit-il en souriant.

Lune de miel.

–Dis-moi, ma chérie, à quel moment t'es-tu aperçue, pour la première fois, que tu m'aimais?

–C'est quand je me suis sentie toute chagrine chaque fois qu'on te traitait d'idiot devant moi, répondit-elle en souriant.

Autre lune de miel.

Lui, ardent et tendre.

Elle, bébête.

Elle.—Alors, c'est bien vrai? Son petit Jujules aime bien sa petite Nini?

Lui.—Mais oui, je t'aime bien!

–Beaucoup, beaucoup?

–Beaucoup, beaucoup!

–Encore plus beaucoup que ça?

–Encore plus beaucoup que ça!

–Alors, comme quoi qu'il l'aime, sa petite Nini?

–Comme un carme! répondit-il en souriant.

Parisienne à bord.

Après un flirt assez écourté, elle a consenti à le venir voir en sa cabine.

–Tiens, vous ne tirez pas le rideau sur votre hublot?

–À quoi bon! Ce hublot donne sur la mer immense. Nous sommes à pas mal de milles de la plus prochaine terre. Dieu seul nous voit et ce ne serait pas un pauvre petit rideau qui arrêterait le regard du Tout-Puissant.

Après cette tirade, il enlaça la jeune personne.

Mais elle:

–Non, je vous en prie, tirez le rideau.

–Pourquoi?

–Quelquefois qu'il passerait des canotiers! répondit-elle en souriant.

LE FERRAGE DES CHEVAUX

DANS LES PAMPAS D'AUSTRALIE
(Si tant est qu'il soit des Pampas en Australie)

—Et vous, Cap, qu'est-ce que vous pensez de tout ça?

–Tout ça… quoi?

–Tout ça, tout ça…

–Ah oui, tout ça! Eh bien, je ne pense qu'une chose, une seule!

–Laquelle?

–Oh! rien.

Le dialogue dura longtemps sur ce ton. Moi, je me sentais un peu déprimé, cependant que le d'habitude vaillant Captain Cap était totalement aboli.

Cap bâilla, s'étira comme un grand chat fatigué, et je devinai tout de suite ce qu'il allait me proposer: l'inévitable corpse reviver en quelque bar saxon du voisinage. Je répondis par ces deux monosyllabes froidement émises:

–Non, Cap!

Cap aurait reçu sur la tête tout le Mont-Valérien, lancé d'une main sûre, qu'il ne se serait pas plus formellement écroulé.

–Comment, bégaya-t-il, avez-vous dit?

–J'ai dit: Non, Cap.

–Alors, je ne comprends plus.

–C'est pourtant bien simple, Cap. Désormais, la débauche, sous quelque forme qu'elle se présente, me cause une indicible horreur. J'ai trouvé mon chemin de Damas. Plus d'excès! À nous, la norme! Vivons à même la nature! Or, la nature ne comporte ni breuvages fermentés, ni spiritueux. Si on n'avait pas inventé l'alcool, mon bien cher Captain, on n'aurait pas été contraint d'imaginer la douche.

Ce pauvre Cap m'affligeait positivement. Ces propos le déconcertaient tant, émis par moi!

 

De désespoir, il crut à une plaisanterie.

–Non, Cap, vraiment! insistai-je de pied ferme.

Pauvre Cap!

Je perçus qu'il éprouva la sensation froide et noire que lui échappait un camarade.

Rassurez-vous, Cap! Si vous évade le camarade, l'ami vous demeure et pour jamais, car, moi, j'ai su voir derrière la soi-disant inextricable barrière de votre extériorisation le cœur d'or pur qui frissonne en vous.

Et, timidement, Cap reprit:

–Vous n'avez rien à faire cet après-midi?

–Rien, jusqu'à six heures.

–Qu'est-ce que vous diriez qu'on aille faire un tour jusqu'au tourne-bride de la Celle-Saint-Cloud?

–Pourquoi non?

Cap et moi, nous avons tout un passé dans ce tourne-bride.

Que de fois le petit vin tout clair et tout léger qu'on y dégustait trancha drôlement et gaiement sur les redoutables American drinks de la veille!

Comme c'est loin, tout ça! et à jamais parti! Et tant mieux!

Il régnait tout le froid sec désirable pour une excursion dans les environs Ouest de Paris.

Notre petit tricycle à pétrole de la maison X… (case à louer) roulait crânement sur la route.

Nous avions à peine franchi les fortifications qu'au cours de je ne sais quelle causerie, le Captain Cap crut devoir comparer son gosier à une râpe, à une râpe digne de ce nom.

J'eus pitié.

Le caboulot où nous stoppâmes s'avoisinait d'une ferrante maréchalerie.

Des odeurs de corne brûlée nous venaient aux narines, et nos tympans s'affligeaient des trop proches et trop vacarmeuses enclumes.

Il y avait trop longtemps que Cap n'avait piétiné l'Europe. Je le laissai dire:

–Il faut vraiment venir dans ce sale pays pour voir ferrer les chevaux aussi ridiculement.

–Vous connaissez d'autres moyens, vous, Cap?

–D'autres moyens?… Mille autres moyens, plus expéditifs, plus pratiques et plus élégants.

–Entre autres?

–Entre autres, celui-ci, couramment employé dans les prairies du centre d'Australie, quand il s'agit de ferrer des chevaux sauvages, des chevaux tellement sauvages qu'il est impossible de les approcher.

–Vous avez vu ferrer des chevaux à distance?

–Mais, mon pauvre ami, c'est là un jeu d'enfant.

–Je ne suis pas curieux, mais…

–Rien de moins compliqué pourtant. Les maréchaux-ferrants de ce pays se servent d'un petit canon à tir rapide (assez semblable au canon Canet dont on devrait bien armer plus vite notre flotte, entre parenthèses). Au lieu d'un obus, ces armes sont chargées de fers à cheval garnis de leurs clous. Avec un peu d'entraînement, quelque application, un coup d'œil sûr, c'est simple comme bonjour. Vous attendez que le cheval galope dans votre axe et vous montre les talons, si j'ose m'exprimer ainsi… À ce moment, pan, pan, pan, pan! vous tirez vos quatre coups, si j'ose encore m'exprimer ainsi, et voilà votre mustang ferré. Alors, il est tellement épaté, ce pauvre animal, qu'il se laisse approcher aussi facilement que le ferait un gigot de mouton aux haricots.

Pauvre Cap! Dire que je ne le verrai plus qu'à des intervalles séculaires!

À MONSIEUR OUSQUÉMONT-HYATT,

À GAND

Votre lettre, cher monsieur, m'a touché aux larmes, dirais-je, si je ne craignais de me faire railler par mes sceptiques lecteurs et mes gausseuses lectrices.

Et puis, je mentirais en parlant de mes larmes. Votre lettre m'a fait plaisir, bien plaisir, et c'est encore très gentil.

Vous avez la bonté de vous informer de mes travaux, de mes amours, de mes espoirs.

Les Confessions d'un enfant du cycle vont-elles bientôt paraître? demandez-vous.

Et ma fameuse Légende des cycles, à quand sa mise en vente? Entre parenthèses, j'ai ajouté à cette publication le sous-titre suivant, à la portée des plus humbles méninges: ou le Vélo à travers les âges.

Car le vélo, cher monsieur, n'est pas d'invention aussi récente que vous semblez le croire.

Des morceaux de silex me tombèrent sous la main dernièrement qui sont les fragments de vélocipèdes préhistoriques.

Sans remonter si haut, le tandem, ce fameux tandem dont vous faites votre Dieu, était une machine courante (courante est le mot) à l'époque de la vieille Rome.

Une des marques les plus appréciées alors était le Quousque tandem dont se servait, à l'exclusion de tout autre, l'équipe des frères Catilina.

Quand Cicéron (voyez la première Catilinaire) avait parlé du Quousque tandem aux Catilina, il avait tout dit.

Et il ajoutait, ce Marcus Tullius, abutere patientia nostra, ce qui signifiait: Est-ce que l'équipe des frères Catilina ne nous fichera pas bientôt la paix avec leur dangereux Quousque tandem?

Allusion transparente au recordium Roma-Tusculum établi, la veille, par les frères Catilina, recordium fertile en accidents de toute sorte: écrasement d'un puer en train d'abiger muscas, le cheval effrayé d'un vieux magister equitum, fraîchement débarqué des guerres puniques, etc., etc.

(De ces frères Catilina, l'histoire a conservé le nom d'un seul, Lucien, que les courtisanes appelaient familièrement Lulu.)

Cicéron, d'ailleurs, se couvrit de ridicule dans cette affaire. Il y mêla des noms qui n'avaient rien à y voir. Ô Tempora! Ô Mores!

Le marquis de Morès—est-il nécessaire de l'ajouter?—ne connaissait même pas Catilina de vue.

Le plus comique, c'est que Cicéron invectivait ainsi le Quousque tandem des frères Catilina… en hémicycle, lequel, ainsi que l'indique son nom, était une sorte de vélocipède composé de la moitié d'une roue. (Comme ça devait être commode de rouler là-dessus!)

Je travaille également à la reconstitution du célèbre Pôdâsocus Akilleus, d'Homère, et je compte bien démontrer que si cet Akilleus était, à ce point, pôdâsocus, c'est qu'il avait une bonne bécane entre les jambes.

De là, je remonterai aux ailes, dont la mythologie grecque affublait les pieds de Mercure.

Ce sera un jeu d'enfant pour moi d'établir que ces ailes sont la représentation symbolique de la pédale.

Rude tâche, monsieur, que de dissiper ces brumes!

J'y travaille sans relâche, ne m'interrompant que pour prier.

Au revoir, cher Ousquémont-Hyatt, et bon appétit.

Si vous avez l'heur de rencontrer, par les rues de Gand, notre excellent Maurice Maeterlinck, décrochez-lui, de ma part, mille marques d'estime et de cordialité.

LES ARBRES QUI ONT PEUR DES MOUTONS

Du ponant, du couchant, du septentrion, du midi, du zénith et du nadir m'adviennent mille sanglants reproches pour le lâche abandon que j'ai commis envers la question si poignante de ces pèlerins passionnés que sont les végétaux.

Certes, quand Mirbeau écrivit l'histoire de son Concombre fugitif, il n'espérait point faire couler tant d'encre, susciter d'incomptables correspondances, inquiéter tant d'âmes frétillantes.

Et de toutes parts me pleuvent des communications touchant la sensibilité, l'ambulativité des plantes et la part réellement psychique qu'elles prennent à la vie.

Dans le lot des aimables lecteurs (et aussi lectrices) qui s'intéressent à la question, se trouvent d'agréables fantaisistes, d'effrénés convaincus et d'autres plus difficiles à classer.

Un lieutenant d'infanterie qui signe Guy de Surlaligne (très probablement un pseudonyme) m'affirme que dans les environs de sa garnison, à Tulle, pousse une espèce de violette, à laquelle on peut, sans sourciller, attribuer le record de la modestie.

«Vous cueillez, assure ce militaire, un bouquet de violettes, vous le posez sur une feuille de papier blanc, et vous vous reculez en fixant indiscrètement les pauvres fleurettes.

»Aussitôt, et de lui-même, le bouquet s'enroule dans le papier blanc, comme ferait un mort dans son linceul, et aussi rapidement (car on sait que les morts vont vite).

»Si vous avez laissé quelques épingles à la portée du bouquet, ces menus ustensiles se trouvent immédiatement attirés et fichés dans le papier, comme pompés par la force vive de l'incoercible pudeur.»

Quelle leçon pour les jeunes filles américaines qui se trouvaient cet été à Burlington!

À la Faculté de droit de Paris, immeuble qui ne passe certainement pas pour le refuge des rigolades fin de siècle, fut, le mois dernier, abordée la question des forêts baladeuses.

M. Ducrocq, le très aimable professeur de droit administratif, proféra ces paroles textuelles:

«À cette époque, messieurs (vers 1872, 1873), les forêts nationales se sont promenées de ministère en ministère, de l'Agriculture aux Finances, des Finances à l'Agriculture, etc., etc.»

Hein, mon vieux Shakespeare, les voilà bien les forêts qui marchent, les voilà bien!

Sans nous arrêter à la légitime stupeur du flâneur rencontrant la forêt de Compiègne dans la rue de Rivoli, passons à une troisième communication qui ne fut pas sans me bouleverser:

«Il y a des arbres, m'écrit M. le vicomte de Maleyssie, notamment les bouleaux et les chênes, qui éprouvent un trac abominable quand passe, non loin d'eux, un troupeau de moutons. Et cette frayeur se traduit par un retrait immédiat de la sève dans l'arbre, au point qu'il n'est plus possible de détacher l'écorce de l'aubier.»

Un peu, ce me semble, comme lorsque nous éprouvons un sentiment de constriction à la gorge.

Et, à l'appui de son dire, M. le vicomte de Maleyssie m'adressa des documents, dont quelques-uns assez précieux; entre autres, le numéro d'avril 1833 du Cultivateur.

À la page 210 de ce vieil organe, je trouve le récit suivant dû à la plume du grand-père même de M. de Maleyssie:

«Des ouvriers étaient employés à écorcer des chênes sur l'un des penchants d'un coteau situé entre deux vallées, dans la propriété que j'habite. Le temps était très favorable à ce genre de travail; aussi avançait-il assez vite, lorsque peu à peu il devint moins aisé. L'écorce ne se souleva plus qu'avec peine, et bientôt il fut impossible de l'enlever autrement que par petits morceaux.

»Les ouvriers, n'ayant aperçu aucune variation dans l'état de l'atmosphère, attribuèrent unanimement ce phénomène au voisinage de quelque troupeau de moutons.

»En effet, j'avais donné l'ordre au berger d'amener le sien sur le revers du coteau où travaillaient les ouvriers.

»Cela bien constaté, je fis retirer les moutons, et à mesure qu'ils s'éloignaient, le pelage des arbres devenait plus aisé. Néanmoins, la sève, pendant toute la journée, ne reprit pas sa circulation avec la même activité qu'auparavant.

»Cette expérience, répétée deux années de suite, a produit le même effet.»

Les Annales de la Société d'Horticulture de Paris (tome XII, page 322), s'occupent également de cet étrange phénomène et citent un cas analogue constaté dans les pépinières royales de Versailles en 1817.

L'auteur de la communication conclut ainsi:

«Quoique je sois très porté à chercher une explication, bonne ou mauvaise, à tous les phénomènes de la végétation, je ne suis jamais arrivé à expliquer celui-là. C'est sans doute le plus délicat de tous ceux que nous offrent les végétaux. M. de Candolle n'en a rien dit dans sa Physiologie générale

Vous pensez bien que si M. de Candolle n'a rien trouvé à dire sur cette question, ce n'est pas un pauvre petit gas comme moi qui éclairera les masses botanisantes.

Seulement, je pense que si le roseau apprenait la frousse énorme qu'un simple mouton peut infliger à

 
Celui de qui la tête au ciel était voisine
Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts,
 

il rirait bien, le souple et charmant roseau.