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Deux et deux font cinq

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UN PEU DE MÉCANIQUE

Ah! on ne s'embête pas à l'Académie des sciences!

Je vous donne en mille à quoi ces bougres-là passent leur temps, au lieu de travailler!

D'ailleurs, lisez vous-mêmes.

J'aime autant ça, parce que vous me traiteriez encore de blagueur.

L'extrait suivant est soigneusement découpé dans le Journal Officiel du 25 octobre, et je n'y change pas un traître mot:

ACADÉMIE DES SCIENCES

Présidence de M. Marey, vice-président
Séance du 22 Octobre

«M. Marey place sous les yeux de l'Académie une série d'images chronophotographiques (soixante à la minute) représentant les diverses positions que prend un chat lorsque, placé sur le dos, on le laisse tomber d'une hauteur de 1 m. 50 sur le sol. Le chat se retourne pendant la chute et retombe sur ses quatre pattes. Comment s'effectue cette rotation? Au point de vue mécanique, quand un corps inerte tombe et qu'aucune force extérieure n'agit, il est impossible qu'il change d'orientation en route. Et cependant, le chat retombe sur ses pattes. Il est vrai que ce n'est pas un corps inerte. Cependant, M. Marey soumet le cas à ses confrères de la section de mécanique.

»M. le commandant Guyon explique la rotation du chat par un changement du moment d'inertie dû au déplacement des membres pendant la chute.

»M. Bertrand dit: C'est peut-être cela, parce que l'animal n'est pas un corps inerte, mais c'est à revoir.

»M Marcel Deprez: Il y a impossibilité mécanique à ce mouvement spontané; un corps qui tombe ne peut se retourner en chemin sans une force adjuvante. Peut-être l'intestin du chat en se déplaçant joue-t-il un rôle.

»MM. Lœwy, Maurice Lévy, Bertrand, sont d'avis que c'est le chat lui-même qui prend un point d'appui sur la main qui le lâche dans l'espace et imprime à son corps un mouvement de rotation. Il y a en jeu une force initiale.

»M. Marey: On n'en aperçoit pas trace sur les figures. Au premier temps de la chute, les positions du chat n'indiquent aucun commencement de rotation.

»M. Marcel Deprez en revient au déplacement des intestins qui crée une variation du moment d'inertie. «Est-ce que vous savez ce qui se passe dans l'intérieur de l'animal?» dit-il à M. Marey.

»On rit, et il est entendu que le problème vaut la peine d'être élucidé. Pour se mettre en garde contre une impulsion primitive du chat contre la main de l'opérateur, on prie M. Marey de recommencer l'étude chronophotographique en supprimant l'intermédiaire des mains. On attachera le chat à une ficelle que l'on coupera. Et l'on verra bien s'il retombe sur ses pattes.»

Eh bien! et la Société protectrice des animaux!

Je n'assistais pas à cette séance, et je le regrette, car ce devait être follement cocasse de contempler tous ces vieux types se demandant gravement comment les chats font pour retomber sur leurs pattes, quand on les laisse choir de 1 m. 50.

Puisque nous nous occupons de mécanique, je me permettrai de soumettre à M. Marey et autres savants une question qui relève de leur compétence.

Nos lecteurs—surtout ceux qui se trouvaient dans le train—doivent se souvenir de l'effroyable catastrophe d'Appilly.

On apprit, non sans stupeur, que l'accident était dû à une économie peut-être excessive de personnel.

Un seul, en effet, et unique pauvre bonhomme devait accomplir le total fourbi de la station.

Un seul!

Beaucoup de personnes, et vous les premiers, aviez pensé que le record de l'économie était détenu par la Compagnie du Nord.

Eh bien, pas du tout!

Il y a une gare du réseau de l'Ouest où on n'occupe même pas un homme, mais trois quarts d'homme.

Trois quarts d'homme! Vous avez bien lu.

Et n'allez pas croire à une blague plus ou moins drôle de votre serviteur. Je tiens à la disposition des incrédules (surtout si elles sont très gentilles) la pièce comptable qui m'a révélé cette vive parcimonie.

Le fait se passe à la gare de Touffreville-Criel.

La feuille qu'un de mes lecteurs m'a envoyée avec une lettre trop aimable, est intitulée:

ÉTAT DE SITUATION DU PERSONNEL

(Journée du 25 octobre à 9 h. au 25 octobre à 9 h.)

Et dans une des colonnes, on lit:

MANUTENTION ET MANŒUVRES


2 83 pour 3/4 d'homme, cela fait, si je sais encore compter, pour un homme tout entier, 3 fr. 50, somme probablement trop énorme pour la caisse de la Compagnie de l'Ouest.

Quand l'Académie des sciences en aura fini avec la palpitante question du chat qui tombe (oh! n'insultez jamais un chat qui tombe!), je lui serai vivement reconnaissant d'étudier ce problème:

Quand travaillent les 3/4 d'un homme, que fait l'autre 1/4 pendant ce temps-là?

Et après de telles révélations, vous verrez qu'il se trouvera encore des gens pour défendre les monopoles!

PAUVRE GARÇON!

OU LA VIE PAS DRÔLE

—Y a qu'à moi que ça arrive, ces machines-là!

Mon respect bien connu pour la vérité m'oblige à confirmer l'exactitude du dire de mon ami.

Véritablement, il n'y a qu'à lui que ça arrive, ces machines-là!

Des catastrophes? Non, pas des catastrophes; mais un bombardement sans cesse ni trêve de petites mistoufles comiques, pittoresques et jusqu'alors invues.

Il a fini par en prendre son parti, le pauvre mésaventurier, et lui-même nous conte ses plus récentes histoires avec un bon sourire ahuri, mais résigné.

–Y a qu'à moi que ça arrive, ces machines-là! conclut-il sagement.

Ça m'est toujours une bonne fortune de le rencontrer, certain que ma soif de nouveau trouvera son compte—un peu cruel, peut-être—au récit d'infortunes inédites.

–Quoi de nouveau, mon vieux? fais-je hypocritement. Toujours content?

–Content?… Tu te moques de moi, dis? Content!… Enfin, je me fais une raison! Et toi?

–Parfaitement heureux, merci, plus heureux même que je mérite.

–Ça ne se mérite pas, le bonheur… malheureusement!… Car ça commencerait bien à être mon tour.

–Encore embêté?

–Bien sûr!… Imagine-toi que j'ai couché au poste, lundi dernier.

–Couché au poste, toi! le plus tranquille des hommes!

–Parfaitement! Moi, le plus tranquille des hommes!… j'ai couché au poste!

–Et pour quelle cause?

–Pour cause de soûlographie.

–Pour cause de soûlographie, toi! Le plus sobre des hommes!

–Parfaitement! Moi, le plus sobre des hommes! Couché au poste!… Pour cause de soûlographie!

–Mais, enfin…

–Oh! ça n'est pas bien compliqué, va!… Lundi dernier, je rencontre rue Royale, vers six heures, Cap (Martin), le cousin du Captain. Il me fait entrer à l'Irish Bar, et commande un gin-soda. Moi, qui ai la profonde horreur de toutes ces saloperies anglo-saxonnes, je demande un simple vermout-cassis… Une heure après, j'étais couché, ivre-mort au poste de l'Opéra.

–Ivre-mort? Avec un vermout-cassis?

–Parfaitement!… Y a qu'à moi que ça arrive, ces machines-là! Voici ce qui s'était passé: Tu sais que chez Reynolds, on sert le gin dans de grandes carafes qu'on pose devant le client… Moi, prenant ça pour de l'eau, j'ai gorgé mon vermout de ce spiritueux.

–Tu ne t'es pas aperçu en buvant?

–Si… Je me disais: Voilà un vermout-cassis qui a un drôle de goût!… Ça doit être un vermout-cassis américain!… Tu vois ça d'ici!… En sortant, je me suis mis à sauter sur les bancs du boulevard, à embrasser les bonnes femmes dans les kiosques à journaux, et à raconter aux sergots que j'avais connu Félix Faure à la tête d'une maison mal famée de Châtellerault! Tu devines bien qu'à ce train je n'ai pas moisi à l'air libre!

–Mon pauvre vieux!

–Y a qu'à moi que ça arrive, ces machines-là!… Et la semaine dernière, donc!

–Quoi encore?

–Je me commande un complet chez un petit tailleur qu'on m'avait recommandé… Un complet à carreaux épatant! J'étrenne mon costume par une pluie torrentielle, sans parapluie, bien entendu (y a qu'à moi que ça arrive, ces machines-là!). Bon! je vais me sécher à la Bibliothèque nationale, près d'un poêle. Voilà-t-il pas que mon complet, en séchant, se rétrécit, se rétrécit, au point que je semblait m'être vêtu avec le costume volé d'un petit garçon d'une douzaine d'années!

–Ça, ça peut arriver à tout le monde.

–Oui, mais ce qui ne peut arriver qu'à moi, c'est le raisonnement que m'a tenu le tailleur quand je suis allé lui faire des reproches. Comme cet industriel le prenait de haut, assurant que les waterproofs n'étaient pas sa spécialité et que, moi, je lui disais simplement et souriant: «Pardon, monsieur, votre marchandise a perdu, sous l'averse, environ vingt pour cent de sa superficie, il serait de toute justice que vous tinssiez compte de cet incontestable déchet,» il me répondit, avec un toupet d'enfer: «Pardon, monsieur, si ma marchandise, au lieu de rétrécir, s'était allongée et élargie, seriez-vous venu de votre plein gré m'apporter une somme proportionnelle et supplémentaire?» Qu'est-ce que tu veux objecter à ça?

–Rien, mon pauvre ami.

–Je te le disais bien, mon vieux, y a qu'à moi que ça arrive, ces machines-là!

–Et du côté du cœur, au moins, es-tu plus heureux?

–Ah! oui, parlons-en, il est chouette, mon cœur!… Jeudi dernier, je vais dîner dans la famille Crauck, et je tombe éperdument amoureux d'Odile, l'aînée des jeunes filles…

–Je la connais, la petite Crauck (Odile), charmante!

–Éperdument amoureux! Le lendemain, je la rencontre dans une soirée, et je lui annonce ma visite pour le lendemain. Elle semble un peu étonnée et me demande la cause de cette démarche… Tu sais comme on est bête quand on est très amoureux?

 

–Je sais.

–Alors, je lui dis: «Mademoiselle, c'est que j'ai laissé quelque chose chez vous.—Quoi donc? demande-t-elle.—Mon cœur!…» Ça n'était pas, évidemment, très spirituel, mais quand on est sincère…

–Et que t'a-t-elle répondu?

–Jamais tu ne t'en douterais, et si froidement: «Monsieur, a-t-elle dit, je n'ai pas trouvé l'objet dont vous parlez, mais ce soir, en rentrant, je dirai à la bonne de regarder… Il est peut-être dans les balayures!»

–Mon pauvre garçon!

–Y a qu'à moi que ça arrive, ces machines-là!

HOMMAGE À UN GÉNÉRAL FRANÇAIS

Je viens de recevoir le Temps, un numéro du Temps, vieux pour vous, ô Parisiens altérés d'actualité, mais frais encore pour le relégué que je suis en une sorte de Thébaïde lointaine et méridionale.

Vais-je lire le Temps?

Ma foi, non! Pourquoi lirais-je le Temps?

Et je jette sur les massives colonnes de cet organe crépusculaire un regard distrait.

Mais soudain mon œil s'allume et voilà qu'une vive liesse embrasse mon vieux cœur.

C'est que j'ai aperçu le nom prestigieux de notre brave général Poilloüe de Saint-Mars, commandant en chef le 12e corps, à Limoges.

Il s'agit cette fois d'une circulaire de ce guerrier pittoresque sur les droits et les devoirs des gardes d'écurie.

Je commence par déclarer, très sérieusement et sans permettre à personne d'en douter, que j'adore le général Poilloüe de Saint-Mars. Il est un des rares généraux français qui mêlent profondément aux choses du service un tout paternel souci d'humanité.

On peut dire de lui que c'est un littérateur rigolo, mais on ne saura jamais prétendre qu'il ne soit pas un brave homme.

Et puis, littérateur rigolo, pourquoi?

Allons, mettons qu'il soit un poète bien personnel, et nous serons dans le vrai.

Est-ce pas d'un poète exquis, ce mot: LA GUÉRITE, CET ÉCRIN DE LA SENTINELLE!

Sa sollicitude pour ses troupes amène, parfois, des épisodes réjouissants, témoin cette histoire que me contait, récemment, un officier du 12e corps.

L'année dernière, le général Poilloüe, entre mille autres circulaires, en consacrait une aux droits et aux devoirs des plantons aux cuisines.

Les plantons devaient s'occuper de ceci et de cela; mais, par contre, ils avaient droit à ceci et à cela. Principalement, le cuisinier en pied devait remettre au planton, à chaque repas, une large tartine de moelle.

Or, il arriva qu'un planton éprouvait pour la moelle une aversion insurmontable. Mais, fort de la circulaire du général en chef, le cuisinier força l'infortuné à ingurgiter l'horrible corps gras.

Voyez-vous d'ici la scène racontée par Courteline?

Cette fois, comme je l'ai dit, il s'agit des gardes d'écurie.

Je ne puis publier intégralement cette page magistrale, mais je vais en détacher les deux phrases types, celle du brave homme et celle du poète pittoresque.

Celle du brave homme:

«Les écuries doivent être aménagées pour le plus grand bien-être des chevaux, mais avant tout, il faut organiser dans ces écuries l'installation confortable des soldats chargés de les surveiller et dont l'existence est plus précieuse que celle de tous les animaux réunis.»

Bravo, mon général, et très chic!

Combien différent ce langage de celui que tint (historique) un colonel de chasseurs, lors des dernières manœuvres:

Un médecin du régiment avait obtenu une permission de quarante-huit heures. Fort de cet exemple, un vétérinaire demanda audit colonel la même faveur qu'on lui refusa avec un entrain non dissimulé.

Et sur l'insistance du vétérinaire:

–Pardon, riposta le colonel, un médecin, ça, on peut toujours s'en passer; tandis qu'un vétérinaire!…

Pour clore cette série d'exercices, lisons, relisons, méditons et apprenons par cœur cette phrase, dans la même circulaire du général Poilloüe, qui fera tressaillir d'aise en sa tombe notre vieux Buffon:

«Les chevaux sont intelligents et observateurs. Quand ils voient leurs gardes d'écurie déguenillés et grelottants, ils savent que les coups vont pleuvoir sur leur dos et que leurs pauvres couvertures vont leur être dérobées par ceux-là mêmes qui ont mission de les soigner. Ils sont craintifs, ne se reposent pas, dépérissent et maudissent avec raison le numéro de leur régiment.»

Ah! si l'esprit militaire disparaît, même de l'âme des chevaux!

Pauvre France!

L'ANTIFILTRE DU CAPTAIN CAP

OU UN NOUVEAU MOYEN DE TRAITER LES MICROBES COMME ILS LE MÉRITENT

—Y aurait-il indiscrétion, mon cher Cap, à vous demander en quoi consiste le paquet que vous tenez sous le bras?

–Nullement, cher ami, nullement.

Et avec une complaisance digne des temps chevaleresques, Cap déballa son petit paquet et m'en présenta le contenu, un objet cylindrique, composé de cristal et de nickel, recélant quelques détails assez ténébreux.

–Que pensez-vous que ce soit? interrogea Cap.

–Ça, c'est un filtre dans le genre du filtre Pasteur.

–Bravo! s'écria Cap! vous avez deviné! vous avez parfaitement deviné, à part ce léger détail, toutefois, qu'au lieu d'être un filtre, cet objet est un antifiltre.

Une vive stupeur muette se peignit sur ma face, et c'est à grand'peine que je pus articuler:

–Un antifiltre, Cap! Un antifiltre!

–Oui, répondit froidement le Captain, un antifiltre.

–Qu'ès aco?

–Oh! mon Dieu, c'est bien simple! Grâce à cet appareil, vous pouvez immédiatement muer l'onde la plus pure en un liquide jaunâtre et saturé de microbes. Vous voyez d'ici les avantages de mon ustensile?

–Je les vois, Cap, mais je ne les distingue pas bien.

–Enfant que vous êtes! Vous croyez à l'antiseptie?

–Dame!

–Et à l'aseptie?

–Dame aussi!

–Pauvre niais! Vous êtes de la force du major Heitner, lequel ne considère potable que l'eau d'abord transformée en glace, puis longuement bouillie dans une marmite autoclave, cela dans l'espoir que tous les microbes disponibles seront morts d'un chaud et froid.

–D'un froid et chaud, vous voulez plutôt dire, Captain?

–Tiens, c'est vrai, je n'y avais point songé. Ce major Heitner est encore plus inconséquent que je ne croyais.

Et pour chasser la mauvaise impression de l'inconséquence excessive du major, nous pénétrâmes, Cap et moi, dans un de ces petits american bars, qui sont le plus bel ornement de la baie de Villefranche.

Cap reprit:

–La guerre stupide que l'homme fait aux microbes va, d'ici peu de temps, coûter cher à l'humanité.

–Dieu nous garde, Cap!

–On tue les microbes, c'est vrai, mais on ne les tue pas tous! Et comment appelez-vous ceux qui résistent?

–Je ne les appelle pas, Cap; ils viennent bien tout seuls.

–Ah! vous ne les appelez pas? Eh bien, moi, je les appelle de rudes lapins! Ceux-là sortent de leurs épreuves plus vigoureux qu'avant et terriblement trempés pour la lutte. Dans la bataille pour la vie, les individus qui ne succombent pas gagnent un entraînement et une vigueur qu'ils transmettent à leur espèce. Gare à nous, bientôt!

–À genoux, Cap, et prions!

–Laissons la prière aux enfants et aux femmes. Nous autres, hommes, colletons-nous avec la vérité. Voici ma théorie relative aux microbes: au lieu de combattre ces petits êtres, endormons-les dans l'oisiveté et le bien-être. Offrons-leur des milieux de culture favorables et charmants. Que notre corps devienne la Capoue de ces Annibaux microscopiques.

–Très drôle ça, Cap, les Annibaux microscopiques!

–Alors, qu'arrivera-t-il? Les microbes s'habitueront à cette fausse sécurité. Ils pulluleront à l'envi; mais plus ils seront nombreux moins ils seront dangereux. Bientôt, ils tomberont en pleine dégénérescence…

–Et Max Nordau fera un livre sur eux. Ce sera très rigolo.

–Hein! Que dites-vous de ma théorie?

–Épatante, Cap! Paix à tous les microbes de bonne volonté! Et, pour commencer la mise en pratique de votre idée, les microbes aiment-ils l'irish whiskey cock tail?

–Ils l'adorent, Alphonse, n'en doutez point!

–Alors, garçon, deux irish whishey cock tails! Et préparez-nous-les, carefully, vous savez?

–Et largefully, ajouta le Captain Cap avec son bon sourire.

Si, vraiment, les microbes adorent les boissons américaines, ce fut une bonne journée pour eux.

PATRIOTISME ÉCONOMIQUE

Lettre à Paul Déroulède

Mon cher Paul,

Vous permettez, n'est-ce pas, que je vous appelle Mon cher Paul, bien que je n'aie jamais eu l'honneur de vous être présenté, pas plus que vous n'eûtes l'avantage de faire ma connaissance?

Je vous ai rencontré plusieurs fois, drapé d'espérance (laissez-moi poétiser ainsi votre longue redingote verte). Les pans de cette redingote claquaient au vent, tel un drapeau, et vous me plûtes.

Et puis, qu'importent les présentations? Entre certaines natures, on se comprend tout de suite; on essuie une larme furtive, on réprime un geste d'espérance et on s'appelle Mon cher Paul.

Comme vous, mon cher Paul, je n'ai rien oublié. Comme vous, je ronge le frein de l'espoir.

J'ai les yeux constamment tournés vers l'Est, au point que cela est très ennuyeux quand je dîne en ville.

Si la maîtresse de la maison n'a pas eu la bonne idée de me donner une place exposée à l'Est, je me sens extrêmement gêné.

Passe encore si la place est au Nord ou au Midi; j'en suis quitte pour diriger mes yeux à droite ou à gauche.

Mais quand on me place en plein Ouest, me voilà contraint de regarder derrière moi, comme si mes voisins me dégoûtaient!

Ah! c'est une virile attitude que d'avoir les yeux tournés vers l'Est, mais c'est bien gênant, des fois!

Enfin, et pour que vous n'ayez aucun doute à mon égard, j'ajouterai que, selon la prescription du grand Patriote, je n'EN parle jamais, mais j'Y pense toujours.

Cela posé, entrons dans le vif de la question.

Vous devez bien comprendre, mon cher Paul, qu'avec le caractère ci-dessus décrit, j'ai la plus vive impatience de voir Français et Allemands se tuer, s'étriper, s'égueuler comme il sied à la dignité nationale de deux grands peuples voisins.

Il n'y a qu'une chose qui m'embête dans la guerre, c'est sa cherté vraiment incroyable.

On n'a pas idée des milliards dépensés depuis vingt-cinq ans, à nourrir, à armer, à équiper les militaires, à construire des casernes, à blinder des forts, à brûler des poudres avec ou sans fumée.

Tenez, moi qui vous parle, j'ai vu dernièrement, à Toulon, un canon de marine dont chaque coup représente la modique somme de 1,800 fr. (dix-huit cents francs). Il faut que le peuple français soit un miché bougrement sérieux pour se payer de pareils coups.

Vous l'avouerai-je, mon cher Paul, ces dépenses me déchirent le cœur!

Pauvre France, j'aimerais tant la voir riche et victorieuse à la fois!

Et l'idée m'est venue d'utiliser la science moderne pour faire la guerre dans des conditions plus économiques.

Pourquoi employer la poudre sans fumée, qui coûte un prix fou, quand on a le microbe pour rien?

Intelligent comme je vous sais, vous avez déjà compris.

On licencierait l'armée, on ferait des casinos dans les casernes, on vendrait les canons à la ferraille. On liquiderait, quoi!

Au lieu de tout cet attirail coûteux et tumultueux, on installerait discrètement de petits laboratoires où l'on cultiverait les microbes les plus virulents, les plus pathogènes, dans des milieux appropriés.

À nous les bacilles virgule, à nous les microbes point d'exclamation, sans oublier les spirilles de la fièvre récurrente!

Et allez donc!… Le jour où l'Allemagne nous embêtera, au lieu de lui déclarer la guerre, on lui déclarera le choléra, ou la variole, ou toutes ces maladies à la fois.

Le ministère de la guerre sera remplacé, bien entendu, par le ministère des maladies infectieuses.

Comme ce sera simple! Des gens sûrs se répandront sur tous les points de la nation abhorrée et distribueront, aux meilleurs endroits, le contenu de leurs tubes.

Ce procédé, mon cher Paul, a l'avantage de s'adresser à toutes les classes de la société, à tous les âges, à tous les sexes.

L'ancienne guerre était une bonne chose, mais un peu spéciale, malheureusement: car on n'avait l'occasion que de tuer des hommes de vingt à quarante-cinq ans.

Les gens à qui cela suffit sont de bien étranges patriotes.

 

Moi, je hais les Allemands; mais je les hais tous, tous, tous!

Je hais la petite Bavaroise de huit mois et demi, le centenaire Poméranien, la vieille dame de Francfort-sur-le-Mein et le galopin de Kœnigsberg.

Avec mon système, tous y passeront. Quel rêve!

Voyez-vous enfin les chères sœurs reconquises?

Peut-être que, grâce à mes microbes, les chères sœurs seront dénudées de leurs habitants?

Qu'importe! Le résultat important sera obtenu: On n'EN parlera jamais et on n'Y pensera plus!

Enchanté, mon cher Paul, d'avoir fait votre connaissance, et bien du mieux chez vous.