Za darmo

Deux et deux font cinq

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MAUVAIS VERNIS

—Comment, vous saluez ce type-là? me demanda le personnage sérieux qui m'accompagnait.

–Mais parfaitement! Je salue ce type-là, qui est un de nos bons amis.

–Eh bien! vous n'avez pas la trouille!

(La trouille sera l'objet, sur l'instigation d'un de nos lecteurs, d'une prochaine causerie.)

–La trouille! Pourquoi aurais-je la trouille? Ce type-là, comme vous le traitez un peu dédaigneusement, est mon camarade Henry Bryois, que je connus au quartier Latin, où nous faisons partie de la vacarmeuse jeunesse des Écoles, voilà une belle pièce de quinze ans.

–Ce type-là, je vais vous dire qui c'est.

Et après un léger silence, assez analogue au recul de l'acrobate pour mieux sauter, le personnage sérieux ajouta:

–Ce type-là, c'est un individu payé par l'Angleterre pour jeter un mauvais vernis sur les hautes sphères diplomatiques françaises!

–Allons donc! m'atterrai-je.

–C'est comme je vous le dis.

Et je demeurai là, fou d'épouvante et muet d'horreur.

Au jour d'aujourd'hui, comme dit ma femme de ménage, l'homme ne doit s'effrayer de rien, même des pires délations… Mais Bryois, mon vieux Bryois, à la solde de l'Angleterre! Proh pudor lui-même s'en serait voilé la face!

… C'est avec Bryois que, jadis, nous organisâmes, rue Cujas, une grande représentation au bénéfice des rimes pauvres du poète X…

Encore avec Bryois, nous fondâmes la Société protectrice des minéraux, en vue d'assurer une petite situation aux cailloux, lesquels, ainsi que chacun sait, sont malheureux comme les pierres.

Toujours avec Bryois, nous menâmes à bien le fameux concours de circonstances qui se tint, bien entendu, dans le champ des Conjectures, et avec, on s'en souvient, quel éclat!

Renier un tel passé pour un peu d'or anglais! Shame!

Et durant ma stupeur, le personnage sérieux semblait se gargariser encore des derniers glouglous de sa révélation.

–Alors vraiment, me cramponnai-je, Bryois est payé par l'Angleterre…

–… Pour jeter un mauvais vernis…

–… Sur les hautes sphères…

–… Diplomatiques.

–… Françaises… Ah, la crapule!

Sur mon geste pourtant de vague dénégation, le personnage sérieux insista:

–Demain, trouvez-vous, à neuf heures, au Horse-Shoe, près de la gare du Nord, et vous serez fixé sur la complexion de votre ami.

Je n'eus garde de manquer un tel rendez vous.

Muni d'une fausse barbe et d'un manteau couleur muraille, à l'heure et à l'endroit indiqués, je dégustais un soigneux John Collins.

Un couple pénétra.

Je reconnus tout de suite les étranges personnages dont il me fut donné l'occasion de causer naguère:

Miss Jane Dark et Henry Katt.

Puis, peu après, l'incriminé Bryois.

Tous les trois, ils eurent une conversation de fantômes en un grand parc solitaire et glacé.

Et Bryois sortit.

Nous le suivîmes.

Il se dirigea vers l'enclos bien parisien où gît la douane de la gare du Nord.

Familièrement et comme d'habitude, il tendit un petit papier, une menue somme convenue d'avance; alors, un employé lui délivra une bonbonne jaugeant deux ou trois gallons et dont l'étiquette portait ces mots: English Bad Varnish (mauvais vernis anglais).

Deux heures après, nous étions quai d'Orsay, au ministère des affaires étrangères.

À la suite de Bryois (qui ne s'en doutait guère), nous gravissions des degrés sans nombre et nous arrivions jusqu'en un vaste hall, situé sous les combles, entièrement garni d'assez gros ballons à tendances ambassadrices.

–Les voilà bien, nos hautes sphères diplomatiques! ricana le personnage sérieux.

Cependant Bryois, se croyant seul, aspergeait, grâce à une sorte de vaporisateur, le contenu de sa dame-jeanne sur les ballons tricolores.

Quand nous redescendîmes, mon ancien camarade du quartier Latin était attablé à je ne sais quelle terrasse de marchand de vins, sur le quai, en compagnie de Jane Dark et de Henry Katt qui le gorgeaient d'or.

Je ne crus point devoir saluer ces gens.

LA QUESTION DES OURS BLANCS
DEVANT LE CAPTAIN CAP

Il faudrait le crayon de Callot, doublé de la plume de Pierre Maël, pour donner une faible idée de l'émotion qui nous étreignit tous deux, le Captain Cap et moi, en nous retrouvant, après ces trois longs mois de séparation.

Nos mains s'abattirent l'une dans l'autre, mutuel étau, et demeurèrent enserrées longtemps. Nous avions peine à contenir nos larmes.

Cap rompit le silence, et sa première phrase fut pour me plaindre de revenir en cette bureaucrateuse et méphitique Europe, surtout dans cette burlesque France où, selon la forte parole du Captain, il est interdit d'être soi-même.

Cap parlait, parlait autant pour cacher sa très réelle émotion que pour exprimer, en verbes définitifs, ses légitimes revendications.

C'est ainsi que nous arrivâmes tout doucement devant l'Australian Wine Store, de l'avenue d'Eylau; là, où il y a une petite patronne qui ressemble à un gros et frais baby anglais.

Notre émotion devait avoir laissé des traces visibles sur notre physionomie, car le garçon du bar nous prépara, sans qu'il fût besoin de lui en intimer l'ordre, deux Corpse revivers, breuvage qui s'indiqua de lui-même en ces circonstances.

Un gentleman se trouvait déjà installé au bar devant une copieuse rasade d'irish wiskey, arrosé d'un tout petit peu d'eau. (L'irish wiskey avec trop d'eau n'a presque plus de goût.)

Cap connaissait ce gentleman: il me le présenta:

–Monsieur le baron Labitte de Montripier.

J'adore les différentes relations de Cap. Presque toujours, avec elles, j'éprouve une sensation de pittoresque, rarement trouvée ailleurs.

Je dois à Cap la connaissance du chef de musique du Goubet, de l'aumônier de la Tour Eiffel, d'un fabricant de trombones à coulisse en osier, etc.

Le baron Labitte de Montripier est digne à tous points de vue de figurer dans une collection aussi flatteuse.

Le baron vient, paraît-il, de prendre un brevet sur lequel il compte édifier une fortune princière.

Grâce à des procédés tenus secrets jusqu'à présent, le baron a réussi à enlever au caoutchouc cette élasticité qui le fait impropre à tant d'usages. Au besoin, il le rend fragile comme du verre. Où l'industrie moderne s'arrêtera-t-elle, mon Dieu? Où s'arrêtera-t-elle?

Quand nous eûmes épuisé la question du caoutchouc cassant, la conversation roula sur le tapis de l'hygiène.

Le baron contempla notre corpse reviver et fit cette réflexion, qui projeta Cap dans une soudaine et sombre ire:

–Vous savez, Captain, c'est très mauvais pour l'estomac, de boire tant de glace que ça.

–Mauvais pour l'estomac, la glace? Mais vous êtes ivre-mort, baron, ou dénué de tout sens moral, pour avancer une telle absurdité, aussi blasphématoire qu'irrationnelle!

–Mais…

–Mais… rien du tout! Connaissez vous dans la nature un animal aussi vigoureux et aussi bien portant que l'ours blanc des régions polaires?

–???

–Non, n'est-ce pas, vous n'en connaissez pas? Eh bien, croyez-vous que l'ours blanc s'abreuve trois fois par jour de thé bouillant?… Du thé bouillant sur les banquises? Mais vous êtes fou, mon cher baron!

–Pardon, Captain, je n'ai jamais dit…

–Et vous avez bien fait, car vous seriez la risée de tous les gens de bon sens. Les ours blancs des régions polaires ne boivent que de l'eau frappée et il s'en trouvent admirablement, puisque leur robustesse est passée à l'état de légende. Ne dit-on point: Fort comme un ours blanc?

–Évidemment.

–Et, puisque nous en sommes sur cette question des ours blancs, voulez-vous me permettre, mon cher Allais, et vous aussi, mon cher Labitte de Montripier, de vous révéler un fait d'autant moins connu des naturalistes que je n'en ai encore fait part à personne?

–C'est une bonne fortune pour nous, Captain, et un honneur.

–Savez-vous pourquoi les ours blancs sont blancs?

–Dam!

–Les ours blancs sont blancs parce que ce sont de vieux ours.

–Mais, pourtant, les jeunes?

–Il n'y a pas de jeunes ours blancs! Tous les ours blancs sont de vieux ours, comme les hommes qui ont les cheveux blancs sont de vieux hommes.

–Êtes-vous bien sûr, Captain?

–Je l'ai expérimenté moi-même. L'ours, en général, est un plantigrade extrêmement avisé et fort entendu pour tout ce qui concerne l'hygiène et la santé. Dès qu'un ours quelconque, brun, noir, gris, se sent veillir, dès qu'il aperçoit dans sa fourrure les premiers poils blancs, oh! alors, il ne fait ni une, ni deux: il file dans la direction du Nord, sachant parfaitement qu'il n'y a qu'un procédé pour allonger ses jours, c'est l'eau frappée. Vous entendez bien, Montripier, l'eau frappée!

–C'est très curieux ce que vous nous contez là, Captain!

–Et cela est si vrai, qu'on ne rencontre jamais de vieux ours, ou des squelettes d'ours dans aucun pays du monde. Vous êtes-vous parfois promené dans les Pyrénées?

–Assez souvent.

–Eh bien! la main sur la conscience, avez-vous jamais rencontré un vieux ours ou un cadavre d'ours sur votre chemin?

–Jamais.

–Ah! vous voyez bien. Tous les ours viennent vieillir et mourir doucement dans les régions arctiques.

–De sorte qu'on aurait droit d'appeler ce pays l'arctique de la mort.

–Montripier, vous êtes très bête!… On pourrait élever une objection à ma théorie de l'ours blanc: c'est la forme de ces animaux, différente de celle des autres ours.

–Ah! oui.

–Cette objection n'en est pas une. L'ours blanc ne prend cette forme allongée que grâce à son régime exclusivement ichtyophagique.

À ce moment, Cap affecta une attitude si triomphale, que nous tînmes pour parole d'Évangile cette dernière assertion, d'une logique pourtant peu aveuglante.

 

Et nous reprîmes un autre corpse reviver, avec énormément de glace dedans, pour nous assurer une vieillesse vigoureuse.

NOUVEAU SYSTÈME DE PÉDAGOGIE

PAR VOIE SIMULTANÉMENT OPTIQUE ET PHONÉTIQUE

Le record de la paresse ingénieuse (pour champions âgés de moins de sept ans) peut se vanter d'être détenu par mon jeune et nouvel ami Alfred, plus connu sous le nom de Freddy, et même, simplement, de Fred.

Voyez plutôt cette performance:

Moi.—Pourquoi, mon petit Fred, te coupes-tu les ongles avant de te laver les mains?

Fred.—Parce que… je vais te dire… toutes ces petites rognures que j'enlève… eh bien…

Moi.—Eh bien?

Fred.—Eh bien… c'est autant de moins à nettoyer!

Fred apporte un égal parti pris de non-effort aux choses de l'éducation.

Bien qu'il commence déjà à être un grand garçon, il ne connaissait pas encore ses lettres, voilà quinze jours.

Sa sœur aînée, qui s'est chargée de ce début d'éducation, dissimulait mal ses déboires et son imminente désespérance.

La pauvre jeune fille avait épuisé tous les moyens pédagogiques connus jusqu'à ce jour. En vain!

Sa dernière tentative consistait en un alphabet merveilleusement illustré dans lequel chaque lettre coïncidait avec une image.

La lettre L, par exemple, était au coin d'une petite vignette représentant un lapin.

Cet aimable système n'a pu prévaloir contre l'incoercible indolence du jeune Fred.

–Quelle est cette lettre?

–Q.

–Pourquoi Q?

–Parce que c'est un curé dans l'image.

–Non, ce n'est pas un curé; c'est un prêtre, et la lettre est un P.

–Ah! zut, alors! Un curé, un prêtre… Comment qu'tu veux que je m'y reconnaisse?

–D'ailleurs, alors même que l'image représenterait un curé, la lettre serait un C, et non pas un Q.

–Pourquoi ça?

–Parce que le mot curé commence par un C.

–Ah ben, zut! Si le mot curé commence par un C, qu'est-ce qui commencera par un Q alors?… Tiens, veux-tu que je te dise?… Si tu continues à m'embêter avec ces histoires-là, je sens que je vais attraper la scarlatine!

–Mets-y encore un peu de patience, mon chéri. Quelle est cette lettre?

–Un B.

–Pourquoi un B, puisque l'image représente un vélocipède? C'est un V.

–C'est grand'mère qu'appelle ça un vélocipède. Moi, j'appelle ça une bicyclette.

Devant l'impuissance notoire de l'album éducateur, et géniale par nécessité, la sœur de Fred imagina de composer, elle-même, un autre album où, selon l'esthétique de Fred, l'oreille jouât un rôle équivalent à celui de l'œil, où, par exemple, le mot curé répondît à la lettre Q.

La photographie, comme dans la plupart des industries modernes, vint apporter son précieux appoint à cette entreprise.

Et bientôt, on put assister à ce triomphe:

–Quelle est cette lettre, Fred?

Fred contemple la photo, reconnaît sa petite amie Emma, et répond sans hésiter:

–C'est un M!

–Très bien, Fred! Et celle-là?

Fred reconnaît sa petite amie Ernestine et répond, tout joyeux:

–C'est un R!

Car l'album est surtout composé d'instantanés de petites filles du pays, pour lesquelles le jeune Fred nourrit déjà une jolie passion d'amateur.

L'album ne s'est pas fait tout seul, bien entendu.

Pour certaines lettres, il y a eu du tirage.

Et, même, on a dû monter le coup à ce pauvre Fred, par exemple pour l'F, pour l'N.

Pour l'F, on lui a désigné une petite fille inconnue comme la propre fille de M. Eiffel, le touriste bien connu. Il apprit ainsi du même coup l'F et l'L.

Pour l'N, on a abusé du nom de M. Hennessy, et ainsi de suite.

La notion de l'X a été inculquée à Fred, grâce au portrait d'une petite fille voilée. Ce fut l'occasion d'ouvrir la jeune âme de notre héros au frisson de l'inconnu.

Et comme le comique se mêle toujours aux drames les plus lugubres, le W fut révélé à Fred par la photographie de la petite fille de la dame qui tient les Water-Closet.

PROPOSITION D'UN MALIN POLONAIS

M. Maurice Curnonsky, un jeune fantaisiste qui commence à se faire une place au soleil de la Littérature Souriante et qui publie de très vraiment réussies chroniques dans le Chat-Noir (un journal dont je fus le directeur, au temps où ma situation dans le monde m'autorisait encore à tremper dans la confection des petits canards; comme c'est loin, tout ça!), m'adresse une lettre dont l'intégrale publication me paraît imposée par la plus élémentaire humanité.

Seulement, voulez-vous faire un pari avec moi?

Je gage que l'idée—si simple, pourtant, et si pratique du jeune Curnonsky—sera en pleine application chez les Anglais et les Américains, cependant que nous autres, fourneaux de Français, en serons encore à ricaner bêtement.

Parlez, mon petit Maurice, et soyez poli:

«Mon cher Maître,

»Tous ceux qui portent des chemises, et s'honorent d'être vos humbles admirateurs, s'accordent à reconnaître qu'un de vos plus grands titres de gloire aux yeux d'une postérité enthousiaste sera d'avoir continué la tradition de ces immortels génies auxquels rien d'humain ne reste étranger.

»Comme celle de Victor Hugo, votre âme

 
»Mise au centre de tout comme un écho sonore,
 

a vibré au diapason de tous les sentiments généreux, et Pascal eût salué en vous un de ceux qui cherchent en gémissant.

»Je suis donc sûr que vous serez heureux et fier de me prêter le concours de votre immense tribune pour révéler à la France, la solution d'un des grands problèmes qui intéressent l'humanité: je veux parler de la suppression des tempêtes.

»Quelque temps après Renan, vous êtes né au bord d'une mer sombre, hérissée de rochers, toujours battue par les orages, et vous avez pu constater la fâcheuse influence des tempêtes sur la mortalité des navigateurs. Vous savez combien de marins, combien de capitaines, qui sont partis joyeux pour des courses lointaines, dans le morne horizon se sont évanouis, et vous n'hésiteriez pas à offrir une absinthe-grenadine au monsieur qui viendrait vous dire: «J'ai trouvé le moyen d'en faire une bien bonne à tous les océans, en les forçant à se tenir tranquilles.»

»Eh bien! mon cher Maître, vous pouvez sans crainte commander un cocktail pour le Captain Cap et une absinthe-grenadine pour moi: car j'ai trouvé le moyen de supprimer les tempêtes ou plutôt, comme on dit dans le grand monde, je suis tout simplement

 
»Celui qui met un frein à la fureur des flots.
 

»L'idée de ce frein, aussi pratique qu'imprévu, m'est venue l'autre jour en écoutant notre illustre ami le docteur Pelet discuter, avec son habituelle autorité, la question de l'apaisement des tempêtes par le filage de l'huile. Le savant praticien, qu'aucun Boucher n'attendait ce jour-là, expliquait à deux jeunes demi-vierges qu'il suffit de répandre quelques litres d'huile sur la mer, autour d'un bâtiment en détresse, pour voir les plus fortes lames se changer en petites vagues inoffensives qui enveloppent de caresses très douces les flancs du navire naguère désemparé…

»L'idée avait germé en moi, et j'en vins à me demander s'il ne serait pas possible, non seulement d'apaiser les tempêtes, mais de les prévenir en répandant dans tous les océans assez d'huile pour recouvrir la surface des flots de la très mince couche oléagineuse qui suffit à les rendre inoffensifs… Et, après trois jours de réflexions, je viens vous poser cette question, dont il me semble, comme dirait M. Brunetière, que la poser c'est la résoudre.

»Puisqu'il est reconnu et prouvé par l'expérience que les tempêtes, ces coliques de la mer, ne résistent pas à l'application du plus mince cataplasme à base d'huile, pourquoi ne pas les traiter par la méthode préventive, et assurer pour jamais le calme aux océans, grâce à une très simple application de la pisciculture… en les peuplant de sardines à l'huile???

»Je vous laisse, mon cher Maître, le soin de développer cette idée géniale, mais féconde, et, certain que vous serez touché pur le ton (mariné) de ma requête, je vous prie de me croire,

»Increvablement,

»Votre fidèle Maurice Curnonsky.»

Pourquoi, mon cher Curnonsky, développerais-je votre idée, puisque vous vous en êtes si magistralement chargé?

Et puis, l'heure est l'heure. Il est moins le quart et j'avais promis d'être rue Lauriston à la demie.

UN BIEN BRAVE HOMME

C'était un homme bon, mais bon dans toute l'énergie du terme.

Je dirais presque qu'il était bon comme la lune, si la mansuétude de ce pâle satellite ne se panachait d'une candeur—pour ne dire plus,—bien en passe de devenir légendaire.

Il était aussi bon que la lune, mais plus intelligent.

Chose étrange, les somptueuses catastrophes le remuaient moins profondément que les petites misères courantes.

Le rapide de Nice aurait rencontré l'express du Havre, au grand écrabouillement de tous ces messieurs et dames, que notre ami se fût moins ému qu'au spectacle champs-élyséens de chèvres traînant, en leur minuscule voiture, une potée de trop lourds gosses.

En ce dernier cas, et avec un air de rien, il poussait, de sa canne ou de son parapluie, le petit attelage, soulageant ainsi les maigres biques de quelques kilogrammètres.

À Yves Guédon, l'infatigable apôtre des voitures automobiles, qui lui disait:

–Vous devez être content! Avec la nouvelle locomotion, les canassons pourront se reposer!

–Oui, répondit-il, mais tout cet infortuné pétrole qu'il faudra brûler! Et tout ce malheureux coke!

Un individu qui chérit à ce point les chèvres des Champs-Elysées et la gazoline ne peut demeurer indifférent, vous le devinez sans peine, au sort des pêcheurs à la ligne.

Il n'osait plus passer sur les quais, tellement la contemplation de ces pauvres êtres l'affligeait au plus creux du cœur.

Au fond, il en voulait beaucoup aux poissons de ne pas mettre plus d'entrain à mordre à la ligne des pêcheurs parisiens.

Il aimait mieux les pêcheurs que les poissons, voilà tout.

Un beau jour, n'y pouvant tenir, il alla trouver le Captain Cap.

–Captain, j'ai un gros service à vous demander?

–C'est déjà fait, répondit Cap avec sa bonne grâce coutumière.

–Prêtez-moi un scaphandre?

–Mousse, clama Cap de sa voix de commandement, apporte un scaphandre à monsieur.

(Le Captain Cap, qui fut longtemps président du conseil d'administration de la Société métropolitaine des scaphandriers du Cantal, détient encore un grand nombre de scaphandres, provenant sans doute de détournements.)

Et depuis ce moment, chaque matin, notre ami se rend aux Halles, acquiert une forte provision de poissons de toutes sortes, qu'il insère en un vaste bac, lesté de pierres.

Il revêt son scaphandre, et le voilà parti, passant sa journée à accrocher des carpes, des tanches, des brochets aux hameçons des pêcheurs étonnés et ravis.

Parfois, à l'idée du plaisir qu'il cause là-haut, des larmes de bonheur lui viennent aux yeux. Il s'essuie avec son mouchoir, sans réfléchir qu'on n'a pas besoin d'essuyer ses yeux quand on est au fond de l'eau.

L'autre jour, il connut le désappointement de ne trouver aux Halles aucune sorte de poisson ni d'eau douce, ni d'eau de mer.

Il en fut réduit à accrocher aux lignes de ses amis des sardines à l'huile et des harengs saurs, et détermina ainsi une pêche qui plongea tous les ichthyographes du quai de la Mégisserie dans une vive stupeur.