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APHASIE

Celle-là, par exemple, dépassait tout ce que le capitaine Lemballeur avait vu de plus raide, et, mille pétards de Dieu ! il en avait vu de raides, le capitaine Lemballeur, dans toutes ses campagnes, en Crimée, au Mexique et partout, et partout, mille pétards de Dieu !

Le médecin, un jeune major frais émoulu du Val-de-Grâce, ne se démontait pas.

– Mais enfin, docteur, tonitruait le capitaine, vous ne me ferez jamais croire que ce pétard de Dieu de clairon ne s’est pas f… de moi dans les grandes largeurs !

– Je ne le crois pas pour ma part, capitaine, car j’ai vu dans les hôpitaux des cas d’aphasie encore plus curieux que celui-là.

– Aphasie… aphasie ! Je t’en f…. moi, de l’aphasie… avec huit jours de boîte !

– Ma conscience de médecin m’interdit de laisser violenter cet homme, que je considère provisoirement comme un malade, et même un malade très intéressant. Je l’envoie aujourd’hui en observation à l’hôpital.

L’excellent capitaine Lemballeur s’inclina devant l’homme de science ; mais, c’est égal, mille pétards de Dieu ! elle était raide, celle-là !

Pendant ce colloque, il y avait, dans une des chambres de la 3e du 4, deux hommes qui ne s’étaient jamais tant amusés.

Quand je dis deux hommes, je devrais dire un homme et un clairon.

L’homme était un soldat de deuxième classe, de fort élégante tournure, répondant au nom de Guy de La Hurlotte.

À la suite de quelques frasques dépassant les dimensions ordinaires des frasques admises, le vieux comte de La Hurlotte avait invité son fils à contracter un engagement de cinq ans dans l’infanterie française, et voilà comment le jeune Guy se trouvait l’honneur et la joie du 145, de ligne à L…

Le clairon qui partageait en ce moment la bonne humeur du vicomte n’était autre que son brosseur et fidèle ami, le nommé Jumet.

Et ils avaient de quoi rire doublement, les drilles !

D’abord, parce que l’aventure de la veille était en elle-même tout à fait drôle, et ensuite parce que, pouvant tourner très mal, elle avait un dénouement qu’ils n’auraient pas osé rêver.

La veille, un dimanche, Guy se trouvait consigné, ce qui lui arrivait plus souvent qu’à son tour.

Il faisait un temps superbe. Sur le coup de quatre heures, Guy n’y put résister ; il se mit en tenue et sortit de la caserne.

Justement, c’était le clairon Jumet, le dévoué Jumet, qui était de garde.

– Dis donc, Jumet, fit Guy, je suis consigné, mais je sors tout de même.

– Prends bien garde de te faire piger, mon vieux vicomte.

– Pas de danger, je vais dîner chez une femme adultère.

– Amuse-toi bien.

– Si l’adjudant fait sonner aux consignés, tu ne sonneras pas, hein ?

– Diable ! ça n’est pas commode, ça.

– Tu sonneras autre chose, voilà tout.

Et Jumet, qui, à l’instar de son ami Guy, n’avait jamais douté de rien, répondit simplement :

– Entendu, vicomte ; rapporte-moi un bon cigare.

– Je t’en rapporterai deux, mais je n’aime pas qu’on me mette le marché en main.

Et, sur un cordial shake-hand, l’homme et le clairon se séparèrent.

Malheureusement pour l’homme, il n’avait pas fait cent mètres hors de la caserne qu’il rencontra le terrible capitaine Lemballeur, celui-là même qui l’avait consigné.

Avec une admirable prestesse, Guy s’introduisit dans la première boutique qui lui tomba sous la main, mais pas assez vite pour que le capitaine ne l’eût reconnu.

Ravi de prendre La Hurlotte en défaut, le capitaine Lemballeur gagna la caserne à grands pas.

– Clairon, cria-t-il, sonnez aux consignés, mille pétards de Dieu ! et pas de gymnastique !

Pauvre Jumet, en voilà une tuile !

Il essaya de parlementer.

– Mon capitaine, l’adjudant vient d’y faire rappeler.

– Je m’en fous ! Rappelez-les encore, mille pétards de Dieu !

Lentement, tristement, penaudement, Jumet saisit son instrument et gagna le milieu de la cour.

Tarata… ta ! Tarata… ta ! Tarata… ta

– Mais, espèce de brute ! s’écria Lemballeur, je vous dis de sonner aux consignés, mille pétards de Dieu ! Et vous sonnez aux caporaux.

– Ah ! pardon, capitaine, je vous demande bien pardon. Tarata… tatata ! Tarata… tatata ! …

– Voilà qu’il sonne aux sergents, maintenant ! Mais il est saoul comme un cochon, ce pétard de Dieu-là !

Jumet s’excusa encore, et sonna successivement la soupe, la distribution, les malades, les lettres, le rapport, etc., mais pas du tout les consignés.

Toute la caserne était sens dessus dessous.

Le capitaine Lemballeur consistait en une explosion de pétards de Dieu !

Il empoigna Jumet au collet :

– Mille pétards de Dieu ! voulez-vous sonner aux consignés, oui ou non ?

Jumet se dégagea doucement, et, sur un ton à la fois ferme et désolé

– Je regrette beaucoup, mon capitaine, dit-il, mais JE NE ME RAPPELLE PLUS L’AIR.

Et il rentra au poste, très simplement.

Les menaces les plus terribles, la lecture du code militaire, rien n’y fit.

– Quand vous me fusilleriez, répondait-il avec la plus grande mansuétude, qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? Je ne me rappelle plus l’air.

Le lendemain matin, sur les conseils de Guy de La Hurlotte, Jumet se fit porter malade, et raconta son cas au docteur.

– C’est très curieux, ce qui m’a pris hier. Le capitaine Lemballeur m’a commandé de sonner aux consignés, et je n’ai pas été foutu de me rappeler l’air. Je dois avoir quelque chose de cassé dans la tête.

Le médecin l’interrogea sur ses antécédents, sa famille.

– J’ai une sœur un peu maboul, répondit Jumet, et un oncle complètement loufoque.

– Parfaitement, c’est un cas très curieux d’aphasie.

Jumet fut soumis à la visite de tous les gros bonnets de la médecine militaire, qui furent unanimes à reconnaître l’aphasie, avec un commencement de paralysie.

Et le clairon Jumet fut réformé à la première inspection générale.

Guy de La Hurlotte perdit à cette aventure la crème des brosseurs et la perle des amis, mais la société civile y gagna, raram avem, un citoyen qui n’a qu’une parole.

UNE MORT BIZARRE

La plus forte marée du siècle (c’est la quinzième que je vois et j’espère bien que cette jolie série ne se clora pas de sitôt) s’est accomplie mardi dernier, 6 novembre.

Joli spectacle, que je n’aurais pas donné pour un boulet de canon, ni même deux boulets de canon, ni trois.

Favorisée par une forte brise S.-O., la mer clapotante affleurait les quais du Havre, et s’engouffrait dans les égouts de ladite ville, se mélangeant avec les eaux ménagères, qu’elle rejetait dans les caves des habitants.

Les médecins se frottaient les mains : « Bon, cela ! se disaient-ils, à nous les petites typhoïdes ! »

Car – le croirait-on ? – Le Havre-de-Grâce est bâti de telle façon que ses égouts sont au-dessus du niveau de la mer. Aussi, à la moindre petite marée, malgré l’énergique résistance de M. Rispal, les ordures des Havrais s’épanouissent, cyniques, dans les plus luxueuses artères de la cité.

Ne vous semble-t-il pas, par parenthèse, que ce saligaud  de François Ier, au lieu de traîner une existence oisive dans les brasseries à femmes du carrefour Buci, n’aurait pas mieux fait de surveiller un peu les ponts et chaussées de son royaume ?

N’importe ! c’était un beau spectacle.

Je passai la plus importante partie de ma journée sur la jetée, à voir entrer des bateaux et à en voir sortir d’autres.

Comme la brise fraîchissait, je relevai le collet de mon pardessus. Je m’apprêtais à en faire autant pour le bas de mon pantalon (je suis extrêmement soigneux de mes effets), quand apparut mon ami Axelsen.

Mon ami Axelsen est un jeune peintre norvégien, plein de talent et de sentimentalité.

Il a du talent à jeun et de la sentimentalité le reste du temps.

À ce moment, la sentimentalité dominait.

Était-ce la brise un peu vive ? Était-ce le trop-plein de son cœur ?… Ses yeux se remplissaient de larmes.

– Eh bien ! fis-je, cordial, ça ne va donc pas, Axelsen ?

– Si, ça va. Spectacle superbe, mais douloureux souvenir. Toutes les plus fortes marées du siècle brisent mon pauvre cœur.

– Contez-moi ça.

– Volontiers, mais pas là.

Et il m’entraîna dans la petite arrière-boutique d’un bureau de tabac où une jeune femme anglaise, plutôt jolie, nous servit un swenskapunch de derrière les fagots.

Axelsen étancha ses larmes, et voici la navrante histoire qu’il me narra :

– Il y a cinq ans de cela. J’habitais Bergen (Norvège) et je débutais dans les arts. Un jour, un soir plutôt, à un bal chez M. Isdahl, le grand marchand de rogues, je tombai amoureux d’une jeune fille charmante à laquelle, du premier coup, je ne fus pas complètement indifférent. Je me fis présenter à son père et devins familier de la maison. C’était bientôt sa fête. J’eus l’idée de lui faire un cadeau, mais quel cadeau ?… Tu ne connais pas la baie de Vaagen ?

– Pas encore.

– Eh bien, c’est une fort jolie baie dont mon amie raffolait, surtout en un petit coin. Je me dis : « Je vais lui faire une jolie aquarelle de ce petit coin, elle sera bien contente. » Et un beau matin me voilà parti avec mon attirail d’aquarelliste. Je n’avais oublié qu’une chose, mon pauvre ami : de l’eau. Or tu sais que si le mouillage est interdit aux marchands de vins, il est presque indispensable aux aquarellistes. Pas d’eau ! Ma foi, me dis-je, je vais faire mon aquarelle à l’eau de mer, je verrai ce que ça donnera.

« Ça donna une fort jolie aquarelle que j’offris à mon amie et qu’elle accrocha tout de suite dans sa chambre. Seulement… tu ne sais pas ce qui arriva ?

– Je le saurai quand tu me l’auras dit.

– Eh bien, il arriva que la mer de mon aquarelle, peinte avec de l’eau de mer, fut sensible aux attractions lunaires, et sujette aux marées. Rien n’était plus bizarre, mon pauvre ami, que de voir, dans mon tableau, cette petite mer monter, monter, monter, couvrant les rochers, puis baisser, baisser, baisser, les laissant à nu, graduellement.

 

– Ah !

– Oui… Une nuit, c’était comme aujourd’hui la plus forte marée du siècle, il y eut sur la côte une tempête épouvantable. Orage, tonnerre, ouragan !

Dès le matin, je montai à la villa où demeurait mon amante. Je trouvai tout le monde dans le désespoir le plus fou.

Mon aquarelle avait débordé : la jeune fille était noyée dans son lit.

– Pauvre ami !

Axelsen pleurait comme un veau marin. Je lui serrai la main.

– Et, tu sais, ajouta-t-il, c’est absolument vrai ce que je viens de te raconter là. Demande plutôt à Johanson.

Le soir même, je vis Johanson qui me dit que c’était de la blague.

LE RAILLEUR PUNI

J’ai voulu conter cette histoire, à l’occasion de l’année qui vient, pour prouver aux jeunes gens disposés à la raillerie qu’il est toujours malséant et parfois dangereux de se gausser des malheureux. Fasse le ciel que ce récit produise son effet et que la nouvelle année soit exempte de déplorables plaisanteries et de méchants brocards !

C’était le 31 décembre 1826.

Il avait beaucoup neigé depuis quelques jours sur la petite ville de Potinbourg-sur-Bec, mais le dégel était survenu, et la neige tournait en boue noire.

Au coin de la rue Saint-Gaspard et de la place du Marché-aux-Veaux se dressait la boutique du sieur Hume-Mabrize, maître apothicaire, car, à cette époque, les pharmaciens n’étaient pas encore éclos.

On vendait non point des médicaments, mais des drogues, et, entre nous, le pauvre monde ne s’en trouvait pas plus mal.

Il pouvait être cinq heures du soir ;

Hume-Mabrize, dans son laboratoire, élaborait je ne sais quel bienfaisant électuaire. La boutique était sous la garde du jeune Athanase, garçon apothicaire de beaucoup d’avenir, mais, malheureusement, doué d’un esprit caustique et railleur.

En ce moment, inoccupé, Athanase regardait, sur le seuil de la porte, les gens patauger dans la boue, prenant grande joie à cette contemplation cruelle.

Une grande voiture de coquetier arrivait par la rue Saint-Gaspard, à fond de train, éclaboussant les passants qui criaient et montraient le poing à cette brute de charretier.

Justement, devant la boutique de l’apothicaire, s’étendait une large et profonde flaque de boue.

Un monsieur, étranger à la localité, n’eut que le temps, pour ne pas être écrasé, de sauter sur le trottoir. Mais la roue de la voiture entra violemment dans la flaque et en projeta le contenu tout alentour.

Le monsieur étranger à la localité fut littéralement inondé de fange. Il en avait plein ses culottes, plein sa houppelande, sur le visage et jusque dans les cheveux.

Athanase conçut la plus vive allégresse de ce malheur. Il éclata de rire et, comme le monsieur s’éloignait en grommelant, il le rappela pour lui demander ironiquement :

– Voulez-vous une brosse ?

Le lendemain, c’était le premier jour de l’an.

La boutique de M. Hume-Mabrize était à peine ouverte qu’un garçon de l’auberge du Roi-Maure vint demander un lavement émollient pour un client qui se tordait dans les plus pénibles coliques.

– Bien, répondit l’apothicaire ; aussitôt préparé, Athanase ira l’administrer lui-même.

En ce temps, vous savez, le grand Eguisier n’avait pas accompli sa géniale invention et, presque toujours, les lavements étaient administrés par les apothicaires eux-mêmes ou par leurs garçons.

Comme une invention modifie les mœurs !

Hume-Mabrize prépara, avec son soin ordinaire, un bon liquide émollient, sédatif et mucilagineux, l’introduisit bouillant dans le cylindre d’étain que vous savez, et voilà mon Athanase parti pour accomplir sa mission.

La clef du voyageur était sur la porte. Athanase entra.

Sans mot dire, le voyageur découvrit la partie intéressée.

Athanase, avec une attention et une précision professionnelles, fit son devoir.

Doucement, sans précipitation, le piston s’enfonça dans le cylindre, poussant devant lui le bon liquide, tel un docile troupeau, doux et tiède.

Là… ça y est

Il n’y avait plus qu’à se retirer et à s’en aller.

Mais, tout à coup, comme un volcan, comme une explosion, il se produisit un phénomène inattendu.

Projeté violemment dehors, le bon liquide venait de sortir, comme déshonoré d’avoir été amené en tel endroit.

Le visage d’Athanase était là, tout près, à bout portant. Il n’en perdit pas une goutte.

Alors le voyageur tourna son autre face vers le jeune apothicaire et lui demanda sur le ton de la politesse empressée :

– Voulez-vous une brosse ?

EXCENTRIC’S

We are told that the sultan Mahrnoud

by his perpetual wars…

SIR CORDON SONNETT.

Par un phénomène bizarre d’association d’idées (assez commun aux jeunes hommes de mon époque), l’Exposition de 1889 me rappelle celle de 1878.

À cette époque, dix printemps de moins fleurissaient mon front. C’est effrayant ce qu’on vieillit entre deux Expositions universelles, surtout lorsqu’elles sont séparées par un laps considérable.

Ma bonne amie d’alors, une petite brunette à qui l’ecclésiastique le plus roublard aurait donné le bon Dieu sans confession (or une nuit d’orgie, pour elle, n’était qu’un jeu), me dit un jour à déjeuner :

– Qu’est-ce que tu vas faire, pour l’Exposition ?

– Que ferais-je bien pour l’Exposition ?

– Expose.

– Expose ?… Quoi ?

– N’importe quoi.

– Mais je n’ai rien inventé !

(À ce moment, je n’avais pas encore inventé mon aquarium en verre dépoli, pour poissons timides. S.G.D.G.)

– Alors, reprit-elle, achète une baraque et montre un phénomène.

– Quel phénomène ? … Toi ?

Terrible, elle fronça son sourcil pour me répondre :

– Un phénomène, moi !

Et peut-être qu’elle allait me fiche des calottes, quand je m’écriai, sur un ton d’amoureuse conciliation :

– Oui, tu es un phénomène, chère âme ! un phénomène de grâce, de charme et de fraîcheur !

Ce en quoi je ne mentais pas, car elle était bigrement gentille, ce petit chameau-là.

Un coquet nez, une bouche un peu grande (mais si bien meublée), des cheveux de soie innombrables et une de ces peaux tendrement blanc-rosées, comme seules en portent les dames qui se servent de crème.

Certes, je ne me serais pas jeté pour elle dans le bassin de la place Pigalle, mais je l’aimais bien tout de même.

Pour avoir la paix, je conclus :

– C’est bon ! puisque ça te fait plaisir, je montrerai un phénomène.

– Et moi, je serai à la caisse ?

– Tu seras à la caisse.

– Si je me trompe en rendant la monnaie, tu ne me ficheras pas des coups ?

– Est-ce que je t’ai jamais fichu des coups ?

– Je n’ai jamais rendu de monnaie, alors je ne sais pas…

Si je rapporte ce dialogue tout au long, c’est pour donner à ma clientèle une idée des conversations que j’avais avec Eugénie (c’est peut-être Berthe qu’elle s’appelait).

Huit jours après, je recevais de Londres un nain, un joli petit nain.

Quand les nains anglais, chacun sait ça, se mêlent d’être petits, ils le sont à défier les plus puissants microscopes ; mais quand ils se mêlent d’être méchants, détail moins connu, ils le sont jusqu’à la témérité.

C’était le cas du mien. Oh ! la petite teigne !

Il me prit en grippe tout de suite, et sa seule préoccupation fut de me causer sans relâche de vifs déboires et des afflictions de toutes sortes.

Au moment de l’exhibition, il se haussait sur la pointe des pieds avec tant d’adresse, qu’il paraissait aussi grand que vous et moi.

Alors, quand mes amis me blaguaient, disant : « Il n’est pas si épatant que ça, ton nain ! » et que je lui transmettais ces propos désobligeants, lui, cynique, me répondait en anglais :

– Qu’est-ce que vous voulez… il y a des jours où on n’est pas en train.

Un soir, je rentrai chez moi deux heures plus tôt que ne semblait l’indiquer mon occupation de ce jour-là.

Devinez qui je trouvai, partageant la couche de Clara (je me rappelle maintenant, elle s’appelait Clara) !

Inutile de chercher, vous ne devineriez jamais.

Mon nain ! Oui, mesdames et messieurs, Clara me trompait avec ce British minuscule !

J’entrai dans une de ces colères

Heureusement pour le traître, je levai les bras au ciel avant de songer à le calotter. Il profita du temps que mes mains mirent à descendre jusqu’à sa hauteur pour filer.

Je ne le revis plus.

Quant à Clara, elle se tordait littéralement sous les couvertures.

– Il n’y a pas de quoi rire, fis-je sévèrement.

– Comment, pas de quoi rire ? Eh ben, qu’est-ce qu’il te faut à toi ?… Grosse bête, tu ne vas pas être jaloux d’un nain anglais ? C’était pour voir, voilà tout. Tu n’as pas idée…

Et elle se reprit à rire de plus belle, après quoi elle me donna quelques détails, réellement comiques, qui achevèrent de me désarmer.

C’est égal, dorénavant, je me méfiai des nains et, pour utiliser le local que j’avais loué, je me procurai un géant japonais.

Vous rappelez-vous le géant japonais de 1878 ? Eh bien ! c’est moi qui le montrais. Mon géant japonais ne ressemblait en rien à mon nain anglais. D’une taille plus élevée, il était bon, serviable et chaste.

Ou, du moins, il semblait doué de ces qualités. J’ai raison de dire il semblait, car, à la suite de peu de jours, je fis une découverte qui me terrassa.

Un soir, rentrant inopinément dans la chambre de Camille (oui, c’est bien Camille, je me souviens), je trouvai, jonchant le sol, l’orientale défroque de mon géant, et dans le lit Camille… devinez avec qui !

Inutile de chercher, vous ne trouveriez jamais.

Camille, avec mon ancien nain !

C’était mon espèce de petit cochon de nain anglais, qui n’avait rien trouvé de mieux, pour rester près de Camille, que de se déguiser en géant japonais.

Cette aventure me dégoûta à tout jamais du métier de barnum.

C’est vers cette époque qu’entièrement ruiné par les prodigalités de ma maîtresse j’entrai en qualité de valet de chambre, 59, rue de Douai, chez un nommé Sarcey.

LE VEAU. CONTE DE NOËL POUR SARA SALIS

Il y avait une fois un petit garçon qui avait été bien sage, bien sage. Alors, pour son petit Noël, son papa lui avait donné un veau.

– Un vrai ?

– Oui, Sara, un vrai.

– En viande et en peau ?

– Oui, Sara, en viande et en peau.

– Qui marchait avec ses pattes ?

– Puisque je te dis un vrai veau

– Alors ?

– Alors, le petit garçon était bien content d’avoir un veau seulement, comme il faisait des saletés dans le salon…

– Le petit garçon ?

– Non, le veau… Comme il faisait des saletés et du bruit, et qu’il cassait les joujoux de ses petites sœurs…

– Il avait des petites sœurs, le veau ?

Mais non, les petites sœurs du petit garçon… Alors on lui bâtit une petite cabane dans le jardin, une jolie petite cabane en bois…

– Avec des petites fenêtres ?

– Oui, Sara, des tas de petites fenêtres et des carreaux de toutes couleurs… Le soir, c’était le réveillon. Le papa et la maman du petit garçon étaient invités à souper chez une dame. Après dîner, on endort le petit garçon et ses parents s’en vont…

– On l’a laissé tout seul à la maison ?

– Non, il y avait sa bonne… Seulement, le petit garçon ne dormait pas. Il faisait semblant. Quand la bonne a été couchée, le petit garçon s’est levé et il a été trouver des petits camarades qui demeuraient à côté…

– Tout nu ?

– Oh ! non, il était habillé. Alors tous ces petits polissons, qui voulaient faire réveillon comme des grandes personnes, sont entrés dans la maison, mais ils ont été attrapés, la salle à manger et la cuisine étaient fermées. Alors, qu’est-ce qu’ils ont fait ?…

– Qu’est-ce qu’ils ont fait, dis ?

– Ils sont descendus dans le jardin et ils ont mangé le veau…

– Tout cru ?

– Tout cru, tout cru.

– Oh ! les vilains !

– Comme le veau cru est très difficile à digérer, tous ces petits polissons ont été très malades le lendemain. Heureusement que le médecin est venu ! On leur a fait boire beaucoup de tisane, et ils ont été guéris… Seulement, depuis ce moment-là, on n’a plus jamais donné de veau au petit garçon.

– Alors, qu’est-ce qu’il a dit, le petit garçon ?

– Le petit garçon…, il s’en fiche pas mal.