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UN DRAME BIEN PARISIEN

CHAPITRE PREMIER

Où l’on fait connaissance avec un monsieur et une dame qui auraient pu être heureux, sans leurs éternels malentendus.

0 qu’il ha bien sceu choisir, le challan !

RABELAIS.

À l’époque où commence cette histoire, Raoul et Marguerite (un joli nom pour les amours) étaient mariés depuis cinq mois environ.

Mariage d’inclination, bien entendu.

Raoul, un beau soir, en entendant Marguerite chanter la jolie romance du colonel Henry d’Erville :

L’averse, chère à la grenouille,

Parfume le bois rajeuni.

… Le bois, il est comme Nini.

Y sent bon quand y s’débarbouille.

Raoul, dis-je, s’était juré que la divine Marguerite (diva Margarita) n’appartiendrait jamais à un autre homme qu’à lui-même.

Le ménage eût été le plus heureux de tous les ménages, sans le fichu caractère des deux conjoints.

Pour un oui, pour un non, crac ! une assiette cassée, une gifle, un coup de pied dans le cul.

À ces bruits, Amour fuyait éploré, attendant, au coin du grand parc, l’heure toujours proche de la réconciliation.

Alors, des baisers sans nombre, des caresses sans fin, tendres et bien informées, des ardeurs d’enfer.

C’était à croire que ces deux cochons-là se disputaient pour s’offrir l’occasion de se raccommoder.

CHAPITRE II

Simple épisode qui, sans se rattacher directement à l’action, donnera à la clientèle une idée sur la façon de vivre de nos héros.

Amour en latin faict amor.

Or donc provient d’amour la mort

Et, par avant, soulcy qui mord,

Deuils Plours, Pièges, forfaitz, remord…

(Blason d’amour.)

Un jour, pourtant, ce fut plus grave que d’habitude.

Un soir, plutôt.

Ils étaient allés au Théâtre d’Application, où l’on jouait, entre autres pièces, L’Infidèle, de M. de Porto-Riche.

– Quand tu auras assez vu Grosclaude, grincha Raoul, tu me le diras.

– Et toi, vitupéra Marguerite, quand tu connaîtras Mlle Moreno par cœur, tu me passeras la lorgnette.

Inaugurée sur ce ton, la conversation ne pouvait se terminer que par les plus regrettables violences réciproques.

Dans le coupé qui les ramenait, Marguerite prit plaisir à gratter sur l’amour-propre de Raoul comme sur une vieille mandoline hors d’usage.

Aussi, pas plutôt rentrés chez eux, les belligérants prirent leurs positions respectives.

La main levée, l’œil dur, la moustache telle celle des chats furibonds, Raoul marcha sur Marguerite, qui commença, dès lors, à n’en pas mener large.

La pauvrette s’enfuit, furtive et rapide, comme fait la biche en les grands bois.

Raoul allait la rattraper.

Alors, l’éclair génial de la suprême angoisse fulgura le petit cerveau de Marguerite.

Se retournant brusquement, elle se jeta dans les bras de Raoul en s’écriant :

– Je t’en prie, mon petit Raoul, défends-moi !

CHAPITRE III

Où nos amis se réconcilient comme je vous souhaite de vous réconcilier souvent, vous qui faites vos malins.

“Hold your tongue, please !”

CHAPITRE IV

Comment l’on pourra constater que les gens qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas feraient beaucoup mieux de rester tranquilles.

C’est épatant ce que le monde devient rosse depuis quelque temps !

(Paroles de ma concierge dans la matinée de lundi dernier.)

Un matin, Raoul reçut le mot suivant :

« Si vous voulez, une fois par hasard, voir votre femme en belle humeur, allez donc, jeudi, au bal des Incohérents, au Moulin-Rouge. Elle y sera, masquée et déguisée en pirogue congolaise. À bon entendeur, salut ! »

UN AMI.

Le même matin, Marguerite reçut le mot suivant :

« Si vous voulez, une fois par hasard, voir votre mari en belle humeur, allez donc, jeudi, au bal des Incohérents, au Moulin-Rouge. Il y sera, masqué et déguisé en templier fin de siècle. À bonne entendeuse, salut ! »

UNE AMIE.

Ces billets ne tombèrent pas dans l’oreille de deux sourds.

Dissimulant admirablement leurs desseins, quand arriva le fatal jour :

– Ma chère amie, fit Raoul de son air le plus innocent, je vais être forcé de vous quitter jusqu’à demain. Des intérêts de la plus haute importance m’appellent à Dunkerque.

– Ça tombe bien, répondit Marguerite, délicieusement candide, je viens de recevoir un télégramme de ma tante Aspasie, laquelle, fort souffrante, me mande à son chevet.

CHAPITRE V

Où l’on voit la folle jeunesse d’aujourd’hui tournoyer dans les plus chimériques et passagers plaisirs au lieu de songer à l’éternité.

Mai vouéli vièure pamens :

La vida es tant bello !

AUGUSTE MARIN.

Les échos du Diable boiteux ont été unanimes à proclamer que le bal des Incohérents revêtit cette année un éclat inaccoutumé.

Beaucoup d’épaules et pas mal de jambes, sans compter les accessoires.

Deux assistants semblaient ne pas prendre part à la folie générale : un Templier fin de siècle et une Pirogue congolaise, tous deux hermétiquement masqués.

Sur le coup de trois heures du matin, le Templier s’approcha de la Pirogue et l’invita à venir souper avec lui.

Pour toute réponse, la Pirogue appuya sa petite main sur le robuste bras du Templier, et le couple s’éloigna.

CHAPITRE VI

Où la situation s’embrouille.

– I say, don’t you think

the rajah laughs at us ?

– Perhaps, sir.

HENRY O’MERCIER.

– Laisse-nous un instant, fit le Templier au garçon du restaurant, nous allons faire notre menu et nous vous sonnerons. Le garçon se retira et le Templier verrouilla soigneusement la porte du cabinet.

Puis, d’un mouvement brusque, après s’être débarrassé de son masque, il arracha le loup de la Pirogue.

Tous les deux poussèrent, en même temps, un cri de stupeur, en ne se reconnaissant ni l’un ni l’autre.

Lui, ce n’était pas Raoul.

Elle, ce n’était pas Marguerite.

Ils se présentèrent mutuellement leurs excuses, et ne tardèrent pas à lier connaissance à la faveur d’un petit souper, je ne vous dis que ça.

CHAPITRE VII

Dénouement heureux pour tout le monde, sauf pour les autres.

Buvons le vermouth grenadine,

Espoir de nos vieux bataillons.

GEORGE AURIOL.

Cette petite mésaventure servit de leçon à Raoul et à Marguerite.

À partir de ce moment, ils ne se disputèrent plus jamais et furent parfaitement heureux.

Ils n’ont pas encore beaucoup d’enfants, mais ça viendra.

MAM’ZELLE MISS

L’aînée des trois, miss Grace, était une grosse fille commune comme le sont les Anglaises quand elles se mettent à être communes.

La petit Lily, la plus jeune, faisait un effet comique avec ses cheveux flamboyants, mais flamboyants comme le sont les cheveux des Anglaises quand ils se mettent à être flamboyants.

Celle que j’aimais par-dessus tout le reste, c’était la moyenne, miss Emily, que j’appelais, pour m’amuser, Mam’zelle Miss.

À cette époque-là, miss Emily, pouvait avoir dans les quinze ans, mais elle avait quinze ans comme ont les Anglaises quand elles se mettent à avoir quinze ans.

Elle allait à la même pension que mes cousines, et il arrivait souvent que, le soir, j’accompagnais les fillettes.

Au moment de se séparer, elles s’embrassaient. Moi, de l’air le plus innocent, je faisais semblant d’être de la tournée, et j’embrassais tout ce joli petit monde-là.

Mam’zelle Miss se laissait gentiment faire, bien que je fusse déjà un grand garçon. Et je me souviens que la place de mes baisers apparaissait toute rouge sur ses joues, tant sa peau rose était délicate et fine.

Des fois je la pressais un peu trop fort, alors elle me faisait de gentils reproches, des reproches où son « britishisme » natif mettait comme un gazouillis d’oiseau.

Pour peu qu’elle rît, sa lèvre supérieure se retroussait et laissait apercevoir la nacre humide de ses affriolantes quenottes.

C’étaient surtout ses cheveux que j’aimais, des cheveux fins comme Lin, cheveux d’un or si pâle qu’on croyait rêver.

Leur père, un fort joli homme, joli comme le sont les Anglais quand ils se mettent à être jolis, adorait ces trois petites et remplaçait, à force de tendresse, la mère morte depuis longtemps.

Quand je partis pour Paris, j’eus, à travers la peine de quitter mon pays et mes parents, un grand serrement de cœur en pensant que je n’allais plus voir Mam’zelle Miss, et je ne l’oubliai jamais.

À mes premières vacances, je n’eus rien de plus pressé que de m’informer de ma petite amie.

Hélas ! que de changements dans la famille !

Le père mort noyé dans une partie en mer. (On ne put jamais retrouver la moindre trace de sa fortune et ce resta toujours un mystère de savoir comment il avait vécu, jusqu’à présent, dans une aisance relativement considérable.)

Miss Grace partie aux Indes, comme gouvernante dans la famille d’un major écossais ; Lily adoptée par un pasteur, qui rougissait d’avoir seulement quatorze filles sur dix-sept enfants.

Quant à Mam’zelle Miss, je ne voulus pas croire à sa nouvelle situation.

Et pourtant, c’était vrai.

Mam’zelle Miss, caissière chez un boucher.

Vingt fois dans la journée, je repassai devant la boutique. C’était Justement jour de marché.

Le magasin s’encombrait sans relâche de paysans, de cuisinières et de dames de la ville Les garçons, affairés, coupaient, taillaient dans les gros tas de viande, tapaient fort, livraient la marchandise avec des commentaires où ne reluisait pas toujours le bon goût. Et c’étaient des discussions sans fin à propos du choix des morceaux, du poids et des os.

 

Dans tout ce brouhaha, Mam’zelle Miss, tranquille, exécutait de petites factures vertigineusement rapides et sans nombre. Sévèrement vêtue de noir, un col droit, des manchettes blanches étroites, elle avait, malgré sa figure restée enfantine, un air, amusant comme tout, de petite femme raisonnable.

De temps en temps, elle s’interrompait de son travail pour lisser, d’un geste furtif, des frisons qui s’envolaient sur son front.

À la fin, elle leva la tête et jeta dans la rue un regard distrait. Elle m’aperçut planté là et me fixa pendant quelques secondes avec cette insolence candide, mais gênante, des jeunes filles myopes.

À son pâle sourire, je compris que j’étais reconnu et je fus tout à fait heureux.

Vers la fin des vacances, un jour, je ne l’aperçus plus dans la boutique.

Ni le lendemain.

Je m’informai d’elle, le soir, à un jeune garçon boucher, qui me dit :

– Depuis longtemps le patron se doutait de quelque chose. Avant-hier, la nuit, en revenant du marché de Beaumont, il est monté dans sa chambre, et il l’a trouvée couchée avec le premier garçon, tous les deux saouls comme des grives. Alors, il les a fichus à la porte.

LE BON PEINTRE

Il était à ce point préoccupé de l’harmonie des tons, que certaines couleurs mal arrangées dans des toilettes de provinciales ou sur des toiles de membres de l’Institut le faisaient grincer douloureusement, comme un musicien en proie à de faux accords.

À ce point que pour rien au monde il ne buvait de vin rouge en mangeant des œufs sur le plat, parce que ça lui aurait fait un sale ton dans l’estomac.

Une fois que, marchant vite, il avait poussé un jeune gommeux à pardessus mastic sur une devanture verte fraîchement peinte (Prenez garde à la peinture, S.V.P.) et que le jeune gommeux lui avait dit : « Vous pourriez faire attention… », il avait répondu en clignant, à la façon des peintres qui font de l’œil à la peinture

– De quoi vous plaignez-vous ?… C’est bien plus japonais comme ça.

L’autre jour, il a reçu de Java la carte d’un vieux camarade en train de chasser la panthère noire pour la Grande Maison de fauves de Trieste.

Un attendrissement lui vint que quelqu’un pensât à lui, si loin et de si longtemps, et il écrivit à son vieux camarade une bonne et longue lettre, une bonne lettre très lourde dans une grande enveloppe.

Comme Java est loin et que la lettre était lourde, l’affranchissement lui coûta les yeux de la tête.

L’employé des Postes et Télégraphes lui avança, hargneux, cinq ou six timbres dont la couleur variait avec le prix.

Alors, tranquillement, en prenant son temps, il colla les timbres sur la grande enveloppe, verticalement, en prenant grand soin que les tons s’arrangeassent – pour que ça ne gueule pas trop.

Presque content, il allait enfoncer sa lettre dans la fente béante de l’Étranger, quand un dernier regard cligné le fit rentrer précipitamment.

– Encore un timbre de trois sous.

– Voilà, monsieur.

Et il le colla sur l’enveloppe au bas des autres.

– Mais, monsieur, fit sympathiquement remarquer l’employé, votre correspondance était suffisamment affranchie.

– Ça ne fait rien, dit-il.

Puis, très complaisamment :

– C’est pour faire un rappel de bleu.

LES ZÈBRES

– Ça te ferait-il bien plaisir d’assister à un spectacle vraiment curieux et que tu ne peux pas te vanter d’avoir contemplé souvent, toi qui es du pays ?

Cette proposition m’était faite par mon ami Sapeck, sur la jetée de Honfleur, un après-midi d’été d’il y a quatre ou cinq ans.

Bien entendu, j’acceptai tout de suite.

– Où a lieu cette représentation extraordinaire, demandai-je, et quand ?

– Vers quatre ou cinq heures, à Villerville, sur la route.

– Diable ! nous n’avons que le temps !

– Nous l’avons… ma voiture nous attend devant le Cheval-Blanc.

Et nous voilà partis au galop de deux petits chevaux attelés en tandem.

Une heure après, tout Villerville, artistes, touristes, bourgeois, indigènes, averti qu’il allait se passer des choses peu coutumières, s’échelonnait sur la route qui mène de Honfleur à Trouville.

Les attentions se surexcitaient au plus haut point. Sapeck, vivement sollicité, se renfermait dans un mystérieux mutisme.

– Tenez, s’écria-t-il tout à coup, en voilà un !

Un quoi ? Tous les regards se dirigèrent, anxieux, vers le nuage de poussière que désignait le doigt fatidique de Sapeck, et l’on vit apparaître un tilbury monté par un monsieur et une dame, lequel tilbury traîné par un zèbre.

Un beau zèbre bien découplé, de haute taille, se rapprochant, par ses formes, plus du cheval que du mulet.

Le monsieur et la dame du tilbury semblèrent peu flattés de l’attention dont ils étaient l’objet. L’homme murmura des paroles, probablement désobligeantes, à l’égard de la population.

– En voilà un autre ! reprit Sapeck.

C’était en effet un autre zèbre, attelé à une carriole où s’entassait une petite famille.

Moins élégant de formes que le premier, le second zèbre faisait pourtant honneur à la réputation de rapidité qui honore ses congénères.

Les gens de la carriole eurent vis-à-vis des curieux une tenue presque insolente.

– On voit bien que c’est des Parisiens, s’écria une jeune campagnarde, ça n’a jamais rien vu !

– Encore un ! clama Sapeck.

Et les zèbres succédèrent aux zèbres, tous différents d’allure et de forme.

Il y en avait de grands comme de grands chevaux, et d’autres, petits comme de petits ânes.

La caravane comptait même un curé, grimpé dans une petite voiture verte et traîné par un tout joli petit zèbre qui galopait comme un fou.

Notre attitude fit lever les épaules au digne prêtre, onctueusement. Sa gouvernante nous appela tas de voyous.

Et puis, à la fin, la route reprit sa physionomie ordinaire : les zèbres étaient passés.

– Maintenant, dit Sapeck, je vais vous expliquer le phénomène. Les gens que vous venez de voir sont des habitants de Grailly-sur-Toucque, et sont réputés pour leur humeur acariâtre. On cite même, chez eux, des cas de férocité inouïe. Depuis les temps les plus reculés, ils emploient, pour la traction et les travaux des champs, les zèbres dont il vous a été donné de contempler quelques échantillons. Ils se montrent très jaloux de leurs bêtes, et n’ont jamais voulu en vendre une seule aux gens des autres communes. On suppose que Grailly-sur-Toucque est une ancienne colonie africaine, amenée en Normandie par Jules César. Les savants ne sont pas bien d’accord sur ce cas très curieux d’ethnographie.

Le lendemain, j’eus du phénomène une explication moins ethnographique, mais plus plausible.

Je rencontrai la bonne mère Toutain, l’hôtesse de la ferme Siméon, où logeait Sapeck.

La mère Toutain était dans tous ses états

– Ah ! il m’en a fait des histoires, votre ami Sapeck ! Imaginez-vous qu’il est venu hier des gens de la paroisse de Grailly en pèlerinage à Notre-Dame-de-Grâce. Ces gens ont mis leurs chevaux et leurs ânes à notre écurie. M. Sapeck a envoyé tout mon monde lui faire des commissions en ville. Moi, j’étais à mon marché. Pendant ce temps-là, M. Sapeck a été emprunter des pots de peinture aux peintres qui travaillent à la maison de M. Dufay, et il a fait des raies à tous les chevaux et à tous les bourris des gens de Grailly. Quand on s’en est aperçu, la peinture était sèche. Pas moyen de l’enlever ! Ah ! ils en ont fait une vie, les gens de Grailly ! Ils parlent de me faire un procès. Sacré M. Sapeck, va !

Sapeck répara noblement sa faute, le lendemain même.

Il recruta une dizaine de ces lascars oisifs et mal tenus, qui sont l’ornement des ports de mer.

Il empila ce joli monde dans un immense char à bancs, avec une provision de brosses, d’étrilles et quelques bidons d’essence.

À son de trompe, il pria les habitants de Grailly, détenteurs de zèbres provisoires, d’amener leurs bêtes sur la place de la mairie.

Et les lascars mal tenus se mirent à dézébrer ferme.

Quelques heures plus tard, il n’y avait pas plus de zèbres dans l’ancienne colonie africaine que sur ma main.

J’ai voulu raconter cette innocente, véridique et amusante farce du pauvre Sapeck, parce qu’on lui en a mis une quantité sur le dos, d’idiotes et auxquelles il n’a jamais songé.

Et puis, je ne suis pas fâché de détromper les quelques touristes ingénus qui pourraient croire au fourmillement du zèbre sur certains points de la côte normande.

SIMPLE MALENTENDU

Angéline (vous ai-je dit qu’elle se nommait Angéline ?) rappelait d’une façon frappante la Vierge à la chaise de Raphaël, moins la chaise, mais avec quelque chose de plus réservé dans la physionomie.

Grande, blonde, distinguée, Angéline ne descendait pourtant pas d’une famille cataloguée au Gotha, ni même au Bottin.

Son père, un bien brave Badois, ma foi ! balayait municipalement les rues de la ville de Paris (Fluctuat nec mergitur). Sa mère, une rougeaude et courtaude Auvergnate, était attachée, en qualité de porteuse de pain, à l’une des plus importantes boulangeries du boulevard de Ménilmontant.

Quant à Angéline, au moment où je la connus, elle utilisait ses talents chez une grande modiste de la rue de Charonne.

Son teint pétri de lis et de roses m’alla droit au cœur.

(Je supplie mes lecteurs de ne pas prendre au pied de la lettre ce pétrissage de fleurs. Un jour de l’été dernier, pour me rendre compte, j’ai pétri dans ma cuvette des lis et des roses. C’est ignoble ! et si l’on rencontrait dans la rue une femme lotie de ce teint-là, on n’aurait pas assez de voitures d’ambulance urbaine pour l’envoyer à l’hôpital Saint-Louis.)

Comment ce balayeur et cette panetière s’y prirent-ils pour engendrer un objet aussi joliment délicat qu’Angéline ? Mystère de la génération !

Peut-être l’Auvergnate trompa-t-elle un jour le Badois avec un peintre anglais ?

(Les peintres anglais, comme chacun sait, sont réputés dans l’univers entier pour leur extrême beauté.)

Il était vraiment temps que je fisse d’Angéline ma maîtresse, car, le lendemain même, elle allait mal tourner.

Son ravissement de n’avoir plus à confectionner les chapeaux des élégantes du XIe arrondissement ne connut pas de bornes, et elle manifesta à mon égard les sentiments les plus flatteurs, sentiments que j’attribuai à mes seuls charmes.

Je n’eus rien de plus pressé (pauvre idiot) que d’exhiber ma nouvelle conquête aux yeux éblouis de mes camarades.

– Charmante ! fit le chœur. Heureux coquin !

Un seul de mes amis, fils d’un richissime pharmacien d’Amsterdam, Van Deyck-Lister, crut devoir me blaguer, avec l’accent de son pays, ce qui aggravait l’offense :

– Oui, cette petite, elle n’est pas mal, mais je ne vous conseille pas de vous y habituer.

– Pourquoi cela ?

– Parce que j’ai idée qu’elle ne moisira pas dans vos bras.

– Allons donc ! je la conserverai aussi longtemps que je voudrai ! Fat !

– Je vous parie cinquante louis qu’elle sera ma maîtresse avant la fin de l’année.

(Nous étions alors au commencement de décembre.)

Cinquante louis, c’était une somme pour moi, à cette époque ! Mais que risque-t-on quand on est sûr ?

Je tins le pari.

Sûr ? Oui, je croyais bien être sûr, mais avec les femmes est-on jamais sûr ? Donna è mobile.

Je ne manquai pas de rapporter à mon Angéline les propos impertinents de Van Deyck-Lister.

– Eh bien ! il a du toupet, ton ami !

Après un silence :

– Cinquante louis, combien que ça fait ?

– Ça fait mille francs.

– Mâtin !

Nous ne reparlâmes plus de cette ridicule gageure, mais moi je ne cessai de penser aux cinquante beaux louis que j’allais palper fin courant.

Un soir je ne trouvai pas Angéline à la maison comme d’habitude. Elle ne rentra que fort tard.

Plus câline que jamais, elle me jeta ses bras autour du cou, m’embrassa à un endroit qu’elle savait bien et de sa voix la plus sirénéenne :

– Mon chéri, dit-elle, jure-moi de ne pas te fâcher de ce que je vais te dire…

– Ça dépend.

– Non, ça ne dépend pas. Il faut jurer.

– Pourtant…

– Non, pas de pourtant ! Jure.

– Je jure.

– Eh bien ! tu sais que nous ne sommes pas riches, en ce moment…

– Dis plutôt que nous sommes dans une purée visqueuse.

– Justement. Eh bien ! j’ai pensé que lorsqu’on peut gagner cinquante louis si facilement, on serait bien bête de se gêner…

– Comprends pas.

– Alors, je suis allée chez ton ami Van Deyck-Lister, et comme ça, il te doit cinquante louis.

La malheureuse ! Voilà comment elle comprenait les paris !

 

Était-ce jalousie ! Était-ce la fureur de perdre mille francs aussi bêtement ? Je ne me souviens pas, mais toujours est-il qu’à ce moment, je ressemblai beaucoup plus à un obus en fonction qu’à un être doué de raison.

– Tu n’as donc pas compris, espèce de dinde, hurlai-je, que puisque ce sale Hollandais a couché avec toi, c’est moi qui lui dois cinquante louis ?

– Mon Dieu, mon Dieu ! Faut-il que je sois bête ! éclata-t-elle en sanglots.

Et afin qu’elle ne gémît pas pour rien, je lui administrai une paire de calottes ou deux.

Il y a des gens qui rient jaune ; Angéline, elle, pleurait bleu, car je vis bientôt luire à travers l’onde mourante de ses larmes l’arc-en-ciel de son sourire.

– Veux-tu que je te parle, mon chéri ?

– …

– J’ai une idée. Tu verras, tu ne perdras pas ton argent.

– …

– Demain je retournerai chez Van Deyck-Lister, et je lui dirai de ne rien te dire. Comme ça, c’est lui qui te devra les cinquante louis.

J’acquiesçai de grand cœur à cette ingénieuse proposition.

(Je dois dire, pour mon excuse, que ces faits se passaient dans le courant d’une année où, à la suite d’une chute de cheval, j’avais perdu tout sens moral.)

Très loyalement, Van Deyck-Lister, le 31 décembre, à minuit, me remit la somme convenue.

J’empochai ce numéraire sans qu’un muscle de mon visage tressaillît, et j’offris même un bock au perdant.

Souvent, par la suite, Angéline retourna chez Van Deyck-Lister. Chaque fois, elle en revenait munie de petites sommes qui, sans constituer une fortune importante, mettaient quelque aisance dans notre humble ménage.