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Au bord de la Bièvre

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VIII

A cette époque j'avais toutes sortes de raisons – des meilleures – pour fuir le mariage.

J'étais un grand jeune homme maigre – comme je ne le serai plus jamais, – j'avais beaucoup de romans en tête et en vue, des romans d'aventures, des histoires de cape et d'épée, dans le goût des choses de la Calprenède, et, platoniquement amoureux de la muse, je n'aurais point voulu faire divorce avec elle, – au prix de n'importe quoi. Je ressemblais alors beaucoup au chevalier Guillan le Pensif, – et cela me paraît étrange aujourd'hui que je me regarde et que je me trouve des faux airs de Falstaff.

Je haïssais alors profondément le mariage. Non que j'appréhendasse les conséquences ordinaires de cet acte civil et religieux. Mais, malgré moi, je me rappelais l'interrogation de Panurge:

«Qui me fera coquu?»

et la réponse éloquente et satanique de Trouillogan, philosophe pyrrhonien:

«Quelcqu'un…»»

Et je préférais, à tout prendre, le rôle du «quelcqu'un» au rôle de l'autre.

Je suis toujours dans ces sentiments-là. Quand on me demande par hasard si je n'ai jamais eu l'intention de me marier, je réponds comme Chapelle à la duchesse de Bouillon: —Quelquefois, le matin…

Seulement alors ils étaient plus chevaleresques. J'avais l'âge où l'on gonfle ses voiles avec le vent de son orgueil et où l'on abandonne ensuite son esquif aux caprices de la mer, sans pilote, sans gouvernail, sans rien.

J'avais l'âge qu'on n'a qu'une fois. L'âge où l'on est brave, téméraire, imprudent, fou; – où le danger a ses ivresses, – où le péril grise comme un verre de vin vieux ou comme un sourire de jeune vierge; – où, mourir en face du soleil, à coups d'épée, sur un champ de bataille, avec l'odeur de la poudre, semble meilleur que mourir dans son lit, à coups de tisane, en face d'une garde-malade, avec une atmosphère d'hôpital…

Aujourd'hui je partage encore mon opinion à l'endroit de toutes ces choses. Je n'ai plus les mêmes raisons de le faire, je le sais bien, mais qu'importe? Cela prouve tout simplement que si les années m'ont enlevé les raisons que j'avais alors, elles ne m'ont pas apporté la raison que je n'aurai jamais.

J'y compte bien. Le meilleur moyen de ne pas vieillir est de rester jeune le plus longtemps possible – si c'est possible.

A l'époque dont je parle j'étais tourmenté de passions voyageuses. Je brûlais de marcher sur les traces des Chardin, des Tavernier, des Chandler, des Mungo Park, des Humboldt, des Levaillant, et je m'écriais, vingt fois la journée, comme Alexandre:

– Donnez-moi d'autres univers, celui-ci est trop étroit pour moi!..

Aujourd'hui je dis, comme Horace:

– Ce petit coin de terre vaut pour moi tous les mondes!..

Mais alors j'avais vingt ans et j'étais tourmenté par les aspirations et les ardeurs de la vingtième année…

Alors je ne voyais que deux routes d'ouvertes devant mes yeux, mes pas et mes désirs.

L'une, étroite, rocailleuse, malaisée, avec un soleil ardent, sans ombrages, – un steppe aride, une sierra maudite, un terrain effrité, pelé, brûlé, sordide, – une voie antique bordée de tombeaux et de débris, – les tombeaux des voyageurs morts avant d'arriver, les débris des obstacles qu'ils ont brisés pour arriver…

C'est la route du labeur obstiné, de l'intelligence vaillante, du courage surhumain!.. C'est le chemin que prennent les grands esprits et les grands cœurs. Quand on y tombe, épuisé et découragé, c'est sur un roc aigu, – sur la calomnie ou sur l'indifférence; on s'en relève brisé, désenchanté, en lambeaux, pour aller expirer plus loin de fatigue, de douleur, de soif, de faim, et plus cruellement, car, de cette pierre où l'on tombe sans pouvoir s'en relever, on entrevoit le but à atteindre avant de fermer pour jamais des yeux désespérés…

Ne tombez jamais, vous qui vous êtes engagés dans cette âpre voie; ne tombez jamais! Il y a là, – derrière ces tombeaux, ces ruines, ces broussailles, – des hyènes hideuses qui n'attendent que votre chute pour se ruer sur vous!..

Cette noble route, – ce calvaire! – c'est la route de la gloire et du succès!..

Il y en a une autre.

Celle-là on ne l'indique à personne, car tout le monde la prend. C'est la grande route! Elle a de la poussière qui aveugle, mais elle a aussi des cabarets à enseigne de gui où l'on se désaltère. Il y a des bornes de distance en distance pour faire plaisir aux gens qui tiennent à savoir combien de lieues ils ont faites, – pour se reposer, – et quelle heure il est, – pour manger.

C'est une route royale! c'est le pavé du roi, des bourgeois et des manants; il y a peu ou point d'ornières, et quand par hasard il y a un petit trou où l'on courrait risque de tomber et de s'y enfoncer une côte, il y a, – à côté – un garde-fou, ou un garde champêtre qui vous arrête au nom de la loi, et vous empêche, – au nom de cette paternelle loi – de vous faire aucun mal.

Cette route battue, cette route facile, – où le bien vous vient presque en dormant, – où le bonheur vous arrive sans secousse, – cette grande route battue par la foule me semblait insupportable, odieuse, fâcheuse.

Elle a des séductions, pourtant, auxquelles beaucoup, – qu'on croyait robustes et vaillants, – se sont laissés entraîner. Je sais que des cerveaux intelligents se sont habitués sans trop d'efforts à cette existence charmante où le bonheur pousse sous vos pas avec les fraises et les asperges… Je sais que, parmi les meilleurs esprits, un certain nombre qui, – dans leur jeunesse, – avaient crié avec férocité contre le bourgeois, se sont un jour laissés marier à de jolis yeux en or et à une superbe gorge matelassée de billets de banque; – qu'ils ont pris un établissement, puis du ventre, ainsi que leurs femmes!.. Je sais que là où, où il y a cinq ou six ans, on avait laissé un esprit fort, un poëte fier et pauvre, on retrouve un bon gros homme tout fleuri, tout rond, tout idiot, qui songe aux dents de lait de son dernier et aux frais de trousseau de son premier, et qui, – s'il vous rencontre, – vous reconnaît très-difficilement et murmure, en vous quittant, avec un mépris de bonne foi: «Peuh! ces artistes, ces écrivains… ça ne sait pas se ranger!..»

Ah! mes amis! mes amis inconnus! défiez-vous de cette fâcheuse idée qui mène droit à l'abâtardissement du cœur, à la mort prématurée de l'intelligence!.. Servez-vous de votre divin flambeau pour éclairer – ou pour incendier, même! – Servez-vous-en! mais ne l'éteignez pas ainsi, volontairement, – vous ne sauriez plus le rallumer!..

Voilà ce que je disais il y a dix ans.

Entre le tableau de Salvator Rosa, si sombre, si morne, si désolé, où il y a des cris de blasphèmes et des appels furieux à une divinité qui s'est voilé la face et bouché les oreilles, – où l'on respire la vapeur âcre et brûlante du sang humain qui vient de couler là comme du vin dans un banquet; – entre ce tableau si plein d'une sublime horreur, et le tableau de Miéris, si doux, si frais, si limpide, où l'on boit la vie comme une liqueur bénie, je n'hésitais pas; – je préférais le Salvator Rosa. Je voulais prendre la route glorieuse, – le Calvaire…

C'est dans ces dispositions que j'entrai un matin d'avril dans la maison de la veuve dont j'ai parlé.

Une belle matinée d'avril, – une splendide avrilée! La nature était toute réjouie, et elle secouait sa neige odorante sur les arbres et sur les fleurs. Les marges des sentiers commençaient à rougir et à envoyer des parfums de fraise au nez des promeneurs. Les oiseaux chantaient leurs petites chansons charmantes, – sans faire de couacs, – perchés sur leurs buissons, dans les haies, sur les arbres.

Une splendide avrilée, en vérité!..

La veuve était dans son jardin.

La présentation se fit. Ma mère, qui la connaissait, causa avec elle de tout ce qu'elle voulut, – je n'entendis pas un mot de leur conversation, occupé que j'étais du jardin. Astreint à la politesse ordinaire en pareil cas, j'avais le corps incliné en avant, de manière à décrire un angle de quatre-vingt-cinq degrés et demi sur le plan de l'horizon, – un angle d'incidence. Je devais être très-ridicule, – comme on l'est toujours dans ces moments-là – quand on est mal élevé.

Heureusement que Mme veuve R*** était la sœur – ou plutôt la petite-nièce de Mme de Warens. Elle avait le même âge, le même visage et la même bonté que la maman de Jean-Jacques Rousseau, à son arrivée chez elle, à Annecy.

Je regardais de son côté, inclinant poliment ma tête en signe d'assentiment à son discours, mais en réalité tout entier à l'admiration que me causaient le jardin et la petite maisonnette. Un vrai nid de passereaux, d'amoureux et de poëtes, – une maisonnette faite comme à souhait pour le plaisir des yeux, pour la joie de l'oreille et le ravissement du cœur.

Le lierre de l'année précédente, – qui avait résisté aux neiges et aux pluies de la mauvaise saison, – grimpait joyeusement le long de la façade en briques, se tordait, s'allongeait en mille caprices, mordant ici la pierre d'appui d'une croisée, et allant s'accrocher là au zinc de la gouttière. De temps en temps, des moineaux francs sortaient de cette épaisse couverture de lierre et voletaient à l'entour, en pépiant d'une façon tendre, – pleine d'intérêt pour moi.

Les contrevents verts étaient à moitié fermés à cause du soleil, et laissaient mon regard curieux fouiller les rideaux blancs, à moitié tirés, sous lesquels je devinais un intérieur propre, calme et chaste – qui me faisait battre le cœur.

Il y a trois vertus à exiger d'une femme: la jeunesse, la bonté et la propreté. L'hygiène du corps est un peu l'hygiène du cœur. Les corps malades et malsains font les esprits inquiets et les cœurs atrophiés.

Des fraîches et riantes couleurs de la façade de la maisonnette, mes regards se portèrent sur l'ensemble du jardin.

 

Il n'était pas très-grand, mais il n'était pas très-petit.

L'été, lorsque tout était en fleurs, lorsque la vigne courait le long des murs, – mêlée aux giroflées jaunes, – lorsque les chèvrefeuilles emplissaient, avec les cobéas, les interstices du treillage des tonnelles et des berceaux, – lorsque tous les arbres étaient chargés de fruits, toutes les plantes de fleurs, – ce devait être une admirable chose que ce concert d'odeurs et de couleurs, marié au concert de voix et de bruits de toutes sortes que l'on entend toujours l'été, – et le jardin devait paraître très-vaste.

Mais à ce moment de l'année où je le voyais pour la première fois, il paraissait beaucoup moins grand. On s'apercevait, çà et là, – à travers les déchirures et les éclaircies, – que l'hiver avait soufflé ses tempêtes sur ce petit coin de terre; et, à le considérer de près, on remarquait aisément que les accrocs et les avaries qu'il avait subis n'étaient pas encore réparés. Cependant, çà et là aussi, – le travail réparateur du printemps apparaissait. A côté des endroits pelés par le froid, brûlés par les gelées, – excoriés et effondrés par les pluies, – se montraient des aigrettes de fleurs et des panaches de gazon. L'herbe était rare, – mais elle était semée de muguets et émaillée de jacinthes. Les taillis étaient éclaircis, – mais on n'en voyait que mieux les massifs de lilas cachés derrière eux.

Et puis – et puis! – ces pommiers, ces abricotiers, ces amandiers en fleurs! Ces fleurs roses, ces fleurs blanches, ces fleurs parfumées!

 
«Neige odorante du printemps!..»
 

Touchante poésie! Doux enivrements de l'esprit et de l'âme! Tableaux faits pour rasséréner! spectacles faits pour verser la paix dans les cœurs troublés, pour verser la bonté dans les cerveaux aigris!

Le printemps est une promesse, – la promesse de l'été, – comme la jeune fille est la promesse de la femme! Ces beaux arbres verts donnent leurs fleurs roses, comme la jeune fille donne ses pudeurs charmantes; plus tard ils donneront leurs fruits savoureux, comme elle ses maternelles amours… Si le printemps s'éternisait, – on croirait aisément à Dieu, à l'amour, au bonheur et à la vie!

Malheureusement il paraît que cela n'est pas possible. On a essayé de me prouver qu'un printemps éternel, qu'une éternelle jeunesse et qu'un éternel bonheur deviendraient vite monotones et fatigants. Je l'ai cru – ne pouvant faire autrement. Ce qui fait que je ne crois plus aujourd'hui ni à l'éternité des fleurs, ni à l'éternité du cœur, ni à l'éternité du bonheur, – ni, enfin, et surtout, à l'éternité de l'éternité!..

En me promenant j'aperçus, – dans quelques niches pratiquées dans les murs, entre deux touffes de lierre, ou de chèvrefeuille, ou de clématite, – des groupes de terre cuite, des figurines d'argile. – C'étaient des dieux lares, sans doute, dont la présence, dans ce jardin, révélait le séjour d'un amateur des beaux-arts, – avec des traditions de l'Empire. Il y avait, entre autres petits dieux, —Dii minorum gentium– un Priape écorné, tout grelotant et tout honteux dans son coin obscur, qui avait l'air d'implorer une feuille de figuier, – pour dissimuler les cicatrices injurieuses du temps. Il semblait tout dépaysé dans ce chaste jardin de veuve, dans cette calme retraite de femme, fermée aux mauvaises passions et sourde aux bruits grossiers. J'arrachai une bandelette de lierre et je la lui offris. Je crus apercevoir dans ses yeux morts, comme un sourire à deux tranchants. Remerciait-il ou se moquait-il?.. Vieux dieu d'argile, va!..

J'avais oublié ma mère et son amie. J'étais perdu dans la douce atmosphère de souvenirs qui m'entourait. Je me croyais bien loin, et je peuplais ce jardin de figures bien chères…

Tout à coup j'entendis les sons d'un piano, – d'abord vagues comme des préludes, doux comme les lueurs de l'aube, tendres comme des soupirs de brises lointaines. Puis ces sons s'élevèrent, il y eut des cris, des larmes, des sanglots, des douleurs, – l'instrument semblait avoir une voix humaine et raconter une de ces histoires banales où il n'y a ni poignard, ni sang, ni poison, – mais où l'on souffre atrocement.

Je n'ai pas, – pour le piano, – la répulsion que beaucoup de gens manifestent à son endroit. Je l'aime, non pas en artiste, – je ne suis pas digne de ce nom, – je l'aime comme l'aime le premier venu qui a des oreilles et qui est disposé à se laisser aller à toutes les impressions mélancoliques. Je l'aime comme j'aime l'orgue de Barbarie. C'est ainsi!..

Si mes moyens me le permettent, quand je me sentirai mourir, dans mon lit, – si je n'ai pas le suprême bonheur de mourir debout, en face du soleil, – je veux payer des musiciens pour qu'ils me chantent et jouent les airs que j'ai le mieux aimés dans ma vie, afin de passer de la lumière éclatante à la nuit funèbre sans brusquerie, sans secousse, sans révolte. Je veux commencer dans la vie le rêve de la mort sans être importuné par des obsessions mesquines, – ni interrompu par des accents vulgaires…

Mais mes moyens ne me permettront jamais cette suprême fantaisie… Il faut m'y résigner. C'est fait!..

Ainsi, cette veuve ne se contentait pas d'être encore jeune, d'être encore belle, d'être encore fraîche, d'être bienveillante, affectueuse et hospitalière. Elle était intelligente et artiste, – par-dessus le marché.

C'était trop de bonheur pour un homme seul… Et, en descendant en moi-même, je reconnus que j'en étais indigne.

D'ailleurs des voix inconnues m'appelaient dans d'autres chemins, – des bras invisibles m'attiraient vers d'autres horizons. Ce jardin en fleurs, si gai, si riant, si prometteur, me séduisait bien et me retenait bien; mais le mariage m'éloignait. J'avais envie de serrer la main de cette veuve affable, avenante et gracieuse, et de lui dire:

– Madame, permettez-moi de vous demander la main de votre jardin – que je désire épouser.

Et en effet, ce jardin-là, – sans la femme, – aurait fait la joie de toute ma vie. Je serais resté pour l'aimer et le cultiver, l'orner et l'arroser, – et j'aurais vieilli ainsi sans m'en apercevoir…

Mme R*** et ma mère descendirent.

Je compris, – à certain regard que cette dernière me lança, – qu'il y avait eu une conversation fort longue dont j'avais été un peu l'objet, et qu'il fallait me déclarer.

Je m'avançai, je saluai humblement et courtoisement. Puis, – avec un sourire:

– Madame, – demandai-je, – avez-vous lu Tristram Shandy de Sterne?

– Mais… non… – me répondit-on avec le même sourire.

– C'est fâcheux, madame… Car, outre que c'est un livre amusant, vous y auriez lu, au chapitre III du second volume, une phrase qui exprime parfaitement ma pensée et rend à merveille mon sentiment à l'endroit du mariage…

– Et… cette phrase? – demanda Mme R*** avec un sourire moins franc, mais toujours poli.

– Cette phrase, madame? – répliquai-je toujours en souriant, comme pour dissimuler mon impolitesse, – cette phrase? c'est celle que prononce le père de Tristram Shandy après sa conversation avec l'oncle Tobie et le docteur Slop, à propos de l'entêtement de sa femme… «La femme a, – dit-on, – été faite pour le bonheur de l'homme… Je veux bien le croire; mais ce n'est pas pour le mien!..»

Et, là-dessus, je m'inclinai profondément – et…je sortis.

Le soir même de ce jour, je prenais le bâton du touriste, j'endossais le havre-sac du voyageur, – j'empruntais à la bourse de ma mère les écus les plus disposés à courir le monde, – comme moi, – et, chargé de sa bénédiction comme d'une égide, je partais…

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