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Au bord de la Bièvre

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II

J'ai voulu revoir, il y a quelques années, la maison paternelle. La cour n'existait plus, on avait bâti des ateliers dessus. Le splendide peuplier, – planté au milieu de cette cour le jour de ma naissance, – coupé, déraciné et transformé en bûches! Un voisin a réchauffé ses vieux tibias avec mon acte de naissance! Le petit appentis de gauche, à deux compartiments, – le bureau de mon père et la petite salle où je recevais le premier baiser de ma mère en revenant du collége, – changé aussi, et en quoi, mon Dieu! en loge de portier… Là où il y avait des bruits sérieux et des jasements d'enfants, il y a maintenant des bruits de marmite et des parfums de savate! Ubi troja fuit!… Voilà où fut mon enfance! Voilà où se trouva mon bonheur!

Si la maison paternelle, – le nid où nous fûmes couvés cinq et d'où nous prîmes notre vol, dispersés par les orages vulgaires de l'existence, les plumes à peine poussées, – si cette chère maison n'est plus, chère patrie de nos premiers jours et cher témoin de nos premières joies comme de nos premières douleurs, il me reste au moins son souvenir où je puis me réfugier de temps en temps, quand il fait froid et noir dans ma vie de tous les jours. Aux secousses et aux gros temps de l'heure présente, j'ai à opposer le calme et le ciel bleu des premières heures de ma vie. Dante a eu tort de dire «qu'il n'est pas de douleur plus vive que celle de se rappeler dans les malheurs les jours de la félicité,» – et surtout de mettre ces paroles amères dans la bouche de Francesca di Rimini et dans le chant V; car l'aurore égaie le crépuscule de ses reflets, le printemps réchauffe l'automne de ses tièdes et doux rayons. Bonne et ravissante chose, au contraire, que ces souvenirs-là. Ils vous font millionnaire au milieu de la misère!..

Je n'ai point encore terminé ce speech auquel je pourrais donner le même titre que celui donné à sa harangue par Cicéron, bourgeois d'Arpinum, panégyriste de Marius, puis de Sylla, avocat bavard, roturier infidèle à son origine. C'est, en effet, un discours pro domo meâ!

Pour ma maison! pour ma pauvre et chère rivière de Bièvre, – qui baignait son escalier!

Ah! cette rivière roule une eau fangeuse, noire, rouge, impossible, je le sais. Ses bords sont garnis de détritus et de débris d'animaux, c'est un égoût découvert, je le sais toujours! Mais ce que je sais aussi c'est que, pour moi, cette petite rivière a toute la poésie et le charme d'un ruisselet à l'onde cristalline, se jouant sous le soleil à travers les roseaux. C'est que, pour moi, qui l'aime, elle vaut la Voulzie qu'aimait tant Hégésippe Moreau.

Mme de Staël ne préférait-elle pas son ruisseau de la rue du Bac au splendide lac de Genève?..

Je me souviens qu'enfant je passais des heures entières, assis les jambes pendantes, sur la berge, à écouter le fracas des marteaux et des fouloirs et à regarder les rats nombreux sortir de leurs trous, traverser l'eau et se livrer, sur l'un et l'autre bord, des combats très-intéressants. Je n'avais pas lu encore la Batrachomyomachie du vieil Homère, et je devinais qu'il y avait à faire un poëme burlesque, plein d'attrait, avec un combat de rats et de grenouilles.

Je me souviens aussi que tous les ans, aux vacances, je construisais une petite galiote en carton, je la bourrais de friandises et de fleurs et je la livrais tout joyeux et tout haletant aux caprices de l'eau de la Bièvre. Pourquoi? Je n'en sais rien. Les habitants des îles Maldives lancent tous les ans un petit vaisseau chargé de parfums, de gomme et de fleurs, comme une offrande à la mer. Je faisais peut-être mon offrande à la Bièvre. Les enfants sont aussi superstitieux que les sauvages.

Je me souviens encore que, – toujours sur les bords de cette affreuse rivière que j'aime tant, – il y avait un grand chantier qui aboutissait là d'un côté et de l'autre à la rue Fer-à-Moulin, à deux pas du cimetière Sainte-Catherine, qui est aujourd'hui l'amphithéâtre de Clamart.

Ce grand chantier était, à l'époque dont je parle, – complétement abandonné, chose rare dans une ville où il n'y a pas un pouce de terrain inoccupé, où l'on plante des maisons lorsqu'on devrait planter des arbres, et surtout dans un quartier industriel où l'usine et les métiers ont besoin de toutes les places disponibles, et même de celles qui ne le sont pas.

Quoi qu'il en soit, à cette époque, ce vaste chantier était complétement abandonné. L'herbe y croissait, épaisse et drue en beaucoup d'endroits, rare et pelée en beaucoup d'autres où broutaient deux ou trois chèvres. Parmi ces herbes, tapis charmants pour les ébats printaniers, plancher facile aux rondes enfantines, – croissaient en abondance toutes ces plantes parasites qui poussent n'importe où et entre n'importe quoi, la folle avoine, la bardane, les chardons et la laitue que les anciens appelaient la viande des morts, parce qu'elle croît en effet très-volontiers dans les cimetières.

L'été, c'était un endroit charmant, à peine clos, où, – pendant le jour, – venaient s'ébattre, comme des moineaux-francs, des nuées de gamins tapageurs, et où l'on voyait

 
«Bien des couples rêveurs qui le soir, à la brune,
Se baisaient sur la bouche en regardant la lune…»
 

Il y a peut-être des gens qui s'imaginent qu'on ne sait pas aimer, pas être jeune, pas être beau dans ce plébéien quartier Saint-Marceau. L'ubi amor, la patrie des cœurs, est partout, sous toutes les zônes, sous toutes les latitudes, sous tous les costumes. Le pays où l'on s'aime – pour recueillir des enfants, – ce pays adoré est tout coin de terre où il y a un brin de soleil, un brin de verdure, un brin de jeunesse et un brin de beauté.

La chanson de Mignon est d'une mélancolie et d'une poésie touchantes:

«Connais-tu la terre où les citronniers fleurissent —Kennst du das Land wo die citronen bluhen?– où, dans leur sombre feuillage, mûrissent les oranges dorées?..»

Eh bien! cette chanson de Mignon se chante en français, en parisien, avec un accent faubourien même, sur les bords de la Bièvre! Seulement il n'y est plus question de citronniers ni d'oranges… Les amoureux qui la chantent parlent du pays empourpré, radieux, plein de promesses, où ils veulent aller, et ils y vont… Il est donc naturel qu'une fois de retour de ce pays des rêves – et des réalités, – ils le regrettent, comme Mignon; et y aspirent de nouveau, comme elle…

Je te raconterai tout à l'heure mes premières amours avec une petite ouvrière de la filature des Cent-Filles, – amours chastes, innocentes et éphémères qui n'ont laissé dans mon cœur d'autre trace que celle laissée par certains parfums précieux au fond du vase qui les a contenus, même durant l'espace d'un éclair. On peut briser mon cœur en mille morceaux, – c'est aux trois quarts fait, puisqu'il est fêlé, – chacun de ses morceaux sentira encore l'amour, liqueur divine, que le ciel y a versée il y a seize ans!..

Je n'en ai pas encore fini avec les puérilités de ce qu'on est convenu d'appeler le golden age, – un âge dont je voudrais bien avoir la monnaie aujourd'hui. Je n'en ai pas encore fini avec lui, et je ne m'en plains pas. Ces souvenirs-là, ridicules et ennuyeux pour les autres, me refont une jeunesse de quelques heures, me repeuplent la bouche de ses dents blanches, la tête de ses cheveux blonds, l'esprit de ses papillons, le cœur de ses niaiseries adorables. Que veux-tu? je m'arrête avec complaisance et tendresse sur ce temps où je n'étais encore qu'un petit bambin aux cheveux ébouriffés, où je faisais des ronds dans les puits, où je dénichais des oiseaux, où je faisais des accrocs à tous les endroits défendus de ma culotte, où je me faisais un nez postiche avec des gousses de tilleul, où je faisais des cocottes, où je jouais aux barres, au cheval fondu, à saute-mouton, à la bloquette, à la marelle…

Ah! la marelle! T'en souviens-tu? Moi, je m'en souviens beaucoup.

Toutes les fois que je jouais à la marelle, – dans ce vaste chantier si hospitalier à tous nos ébats, je ne sais plus trop comment je m'y prenais, mais je ramenais toujours mon palet dans l'espace réservé à l'enfer. Le moins qu'il pouvait m'arriver était d'entrer dans le purgatoire. Jamais je ne suis entré dans le paradis

Je l'ai bien gagné pourtant.

III

Une histoire intéressante et triste à écrire, ce serait l'histoire de certaines phrases, la Genèse de certaines pensées qu'on rencontre dans certains livres.

Souvent un mot est une larme cristallisée, une phrase est un sanglot figé. Un récit n'est souvent qu'un rideau derrière lequel se joue un drame, – le drame de la vie et des passions du poëte… On se demande rarement, – quand on lit, – pourquoi telle pensée vous a remué, pourquoi elle vous remue encore de temps en temps quand elle traverse votre souvenir. On ne sait pas quels chemins ont dû prendre le cœur et l'esprit d'un écrivain pour arriver à certaines conclusions. On ne le sait pas, on ne tient pas même à le savoir, parce qu'il faudrait lui en tenir compte. Et de fait le poëte, qui se respecte un peu, ne doit pas mettre ainsi les indifférents dans les secrets de sa vie, – ouvrir ainsi aux simples passants l'alcôve de ses sentiments.

Souvent, au milieu d'une raillerie, – masque grimaçant qui cache un visage en larmes, – il y a un mot de jeté qui vient révéler l'immensité de cette douleur, comme une pierre jetée dans un abîme en révèle la profondeur.

Lorsque le poëte vous dit: « – Triste comme un sourire d'adieu!» – «Menteur comme une promesse de retour!» c'est qu'il a éprouvé les navrantes douleurs d'une séparation et les amères déceptions d'une promesse qui n'a pas été tenue.

Lorsqu'il vous parle des âcres voluptés qu'on éprouve à battre les pavés de la ville, ou à courir dans les chemins inondés de pluie, battus par l'orage, – c'est que lui-même, – un jour que la misère de son cœur et les tortures de son esprit l'avaient poussé hors de son logis, – il avait ressenti une sorte de joie sauvage à errer ainsi au hasard, à se jeter ainsi au milieu d'un ouragan furieux, – il avait éprouvé une volupté amère à sentir la pluie souffleter ses joues, tremper ses vêtements, glacer ses os, et ses larmes s'étaient mêlées à celles du ciel, et il avait jeté des cris et des blasphèmes qui s'étaient perdus dans les clameurs furieuses de l'ouragan!..

 

On ne sait pas ces choses. On n'a pas besoin de les connaître. Pourquoi les connaîtrait-on? Le métier de poëte est un apostolat. Qu'importent la vie et les douleurs de l'apôtre si le résultat de sa mission a été obtenu? Qu'importe son cri suprême de désespoir, – son Lamma sabactani, – ses roidissements, ses convulsions, son agonie, – si tout cela a servi à rendre son œuvre éloquente, émouvante, humaine!..

Rude métier, lamentable histoire, pénible labeur! Être le propre charpentier de son échafaud, – se traîner, de gaieté de cœur, à son Golgotha, – se présenter à soi-même l'éponge pleine de fiel et le calice d'absinthe, – retourner dans les sentiers empierrés où l'on a laissé des lambeaux de sa vie, – refaire les stations douloureuses de son douloureux Calvaire, – tout cela pour intéresser le premier venu et émouvoir la dernière venue!

Pauvres hommes de génie! Pourquoi et pour qui donc écrivez-vous? Quelles séductions ont donc pour vous des applaudissements que l'on vous marchande et des sarcasmes que l'on ne vous épargne pas? Quelle attraction vertigineuse a donc pour vous cette grande impudique qu'on appelle la gloire? Avec quels yeux éblouis entrevoyez-vous donc cette froide justicière qui se nomme la postérité?

La gloire! la postérité! En quoi les avez-vous méritées? A quoi avez-vous été utiles?

Ces réflexions me venaient l'autre jour en voyant ouvert sur ma table un roman de M. de Senancour, —Obermann; – ce livre si peu lu sur lequel George Sand a écrit d'admirables lignes qui le résument autant que peut être résumée cette œuvre qui ne conclue pas, où il y a une telle lassitude de la vie, où il y a un tel mépris du bonheur, que l'esprit s'arrête troublé, remué, épouvanté… Le cri, le blasphème d'Obermann, c'est, – avec une intonation différente, – le cri poussé par tous les rêveurs, par tous les chercheurs, par tous les Prométhées de ce monde. C'est le doute de l'Académie d'Athènes, le non liquet des Romains, le peut-être de Rabelais, le que sais-je de Montaigne, le qui en sabe de Camoëns, le chi lo sa de Dante, le wie weet de Bilderdyk, le wer weisz de Klopstock, le who knows de Milton…

J'ai lu ce livre à différentes époques de ma vie. La première fois que je le lus, j'étais jeune, très-jeune et amoureux, très-amoureux. Je ne compris pas le superbe dédain, le sublime oubli d'Obermann à l'endroit de la femme; – et je jetai le livre, – scandalisé.

Je viens de le relire. Je comprends un peu mieux.

Il arrive un moment où l'amour ne compte plus dans l'existence de l'homme, où il le rejette comme un manteau trop lourd, pour marcher plus vite et plus sûrement à son but, pour n'avoir point à le rejeter plus tard comme la robe brûlante et empoisonnée du Centaure.

L'heure où s'accomplit ce sacrifice est solennelle dans la vie d'un homme. Il sent en lui, – à ce moment, – des tressaillements et des déchirements inéprouvés jusque-là. Les parfums des coupes brisées et des roses effeuillées lui montent au cœur et l'enivrent encore. Les chansons de fête et les bruits de baisers résonnent à son oreille, mais pour la dernière fois… Ces parfums et ces bruits vont s'évanouir et s'éteindre. On ne les sent presque plus, on les entend à peine; tout à l'heure tout sera dit. La métamorphose sera complète. Les rubans roses de l'amour ne peuvent plus cacher les cheveux blancs qui viennent d'apparaître au milieu de vos cheveux noirs comme des prophètes de désastres et de ruines au milieu d'une fête joyeuse… Votre démission de jeune homme, s'il vous plaît, monsieur?

Avant de la donner, je veux rester quelques instants encore à écouter les grelots d'argent du souvenir, et noyer mon regard dans une image flottante à l'horizon du rêve.

Je ne fais pas impunément ce voyage sur les bords de la Bièvre, d'où chacun de mes pas fait partir des nichées de souvenirs. Je ne m'arrête pas impunément dans ce grand chantier où broutaient les chèvres attachées à un piquet, – où séchaient quelques linges attachés à une longue corde, – où poussaient les chardons, les giroflées de murailles, les pariétaires, les mousses, les saxifrages, – où couraient les beaux lézards et les orvets aux yeux d'or le loug des vieilles pierres, – où nous nous réunissions pour jouer à la marelle et aussi pour montrer et voir la comédie pour une épingle.

La comédie pour une épingle! aucun drame, aucun opéra-comique, aucun vaudeville, aucune tragédie, ne m'a donné les émotions que me donnait la comédie pour une épingle! Il faut avoir été jeune pour savoir ce qu'il y avait de joyeuses attentes et de manifestations de bonheur dans cette simple comédie pour une épingle! Trois morceaux de cartons fermés par un rideau de papier bleu, avec des rainures où l'on passait des bonshommes en papier chargés de représenter et de dire quelque chose!.. Voilà le théâtre, voilà les acteurs, voilà les pièces!.. Quand je songe qu'un jour je pleurai toutes les larmes de ma tête parce qu'il m'était impossible de payer mon entrée!

Je n'avais ni une épingle, ni un clou, ni quoi que ce soit. Je n'avais rien. J'avais tout donné à Louisette pour qu'elle pût voir, – et je croyais que cela ne m'empêcherait pas de voir, moi aussi. Mais le contrôleur fut impitoyable, mes larmes furent impuissantes, et Louisette ne se dérangea même pas de toute la représentation pour venir me consoler.

Elle ne me consola que longtemps après.

Ah! Louisette! Louisette!..

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