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Les Quarante-Cinq — Tome 3

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LXXXVIII
CERTITUDE

Henri se glissa le long de la charmille par le côté sombre, en observant la précaution de ne point faire de bruit, soit sur le sable, soit le long des feuillages.

Obligé de marcher, et, tout en marchant, de veiller sur lui, il ne pouvait bien voir. Cependant, à la tournure, aux habits, à la démarche, il persistait à reconnaître Remy dans l'homme au surcot de laine.

De simples conjectures, plus effrayantes pour lui que des réalités, s'élevaient dans son esprit à l'égard du compagnon de cet homme.

Ce chemin de la charmille aboutissait à la grande haie d'épines et à la muraille de peupliers qui séparait du reste du parc le pavillon de M. le duc d'Anjou, et l'enveloppait d'un rideau de verdure au milieu duquel, comme nous l'avons dit, il disparaissait entièrement dans le coin isolé du château. Il y avait de belles pièces d'eau, des taillis sombres percés d'allées sinueuses, et des arbres séculaires sur le dôme desquels la lune versait les cascades de sa lumière argentée, tandis que, dessous, l'ombre était noire, opaque, impénétrable.

En approchant de cette haie, Henri sentit que le coeur allait lui manquer.

En effet, transgresser aussi audacieusement les ordres du prince et se livrer à des indiscrétions aussi téméraires, c'était le fait, non plus d'un loyal et probe gentilhomme, mais d'un lâche espion ou d'un jaloux décidé à toutes les extrémités.

Mais comme, en ouvrant la barrière qui séparait le grand parc du petit, l'homme fit un mouvement qui laissa son visage à découvert, et que ce visage était bien celui de Remy, le comte n'eut plus de scrupules et poussa résolument en avant, au risque de tout ce qui pouvait arriver.

La porte avait été refermée; Henri sauta par-dessus les traverses et se remit à suivre les deux étranges visiteurs du prince.

Ceux-ci se hâtaient.

D'ailleurs un autre sujet de terreur vint l'assaillir.

Le duc sortit du pavillon au bruit que firent sur le sable les pas de Remy et de son compagnon.

Henri se jeta derrière le plus gros des arbres, et attendit.

Il ne put rien voir, sinon que Remy avait salué très bas, que le compagnon de Remy avait fait une révérence de femme et non un salut d'homme, et que le duc, transporté, avait offert son bras à ce dernier comme il eût fait à une femme.

Puis tous trois, se dirigeant vers le pavillon, avaient disparu sous le vestibule, dont la porte s'était refermée derrière eux.

— Il faut en finir, dit Henri, et adopter un endroit plus commode d'où je puisse voir chaque signe sans être vu.

Il se décida pour un massif situé entre le pavillon et les espaliers, massif au centre duquel jaillissait une fontaine, asile impénétrable, car ce n'était pas la nuit, par la fraîcheur et l'humidité naturellement répandues autour de cette fontaine, que le prince affronterait l'eau et les buissons.

Caché derrière la statue qui surmontait la fontaine, se grandissant de toute la hauteur du piédestal, Henri put voir ce qui se passait dans le pavillon, dont la principale fenêtre s'ouvrait tout entière devant lui.

Comme nul ne pouvait, ou plutôt ne devait pénétrer jusque-là, aucune précaution n'avait été prise.

Une table était dressée, servie avec luxe et chargée de vins précieux enfermés dans des verres de Venise.

Deux sièges seulement à cette table attendaient deux convives.

Le duc se dirigea vers l'un, et quittant le bras du compagnon de Remy, en lui indiquant l'autre siège, il sembla l'inviter à se séparer de son manteau, qui, fort commode pour une course nocturne, devenait fort incommode lorsqu'on était arrivé au but de cette course, et que ce but était un souper.

Alors, la personne à laquelle l'invitation était faite jeta son manteau sur une chaise, et la lumière des flambeaux éclaira sans aucune ombre le visage pâle et majestueusement beau d'une femme que les yeux épouvantés de Henri reconnurent tout d'abord.

C'était la dame de la maison mystérieuse de la rue des Augustins, la voyageuse de Flandre: c'était cette Diane enfin dont les regards étaient mortels comme des coups de poignard.

Cette fois elle portait les habits de son sexe, était vêtue d'une robe de brocart; des diamants brillaient à son cou, dans ses cheveux et à ses poignets.

Sous cette parure, la pâleur de son visage ressortait encore davantage, et sans la flamme qui jaillissait de ses yeux, on eût pu croire que le duc, par l'emploi de quelque moyen magique, avait évoqué l'ombre de cette femme plutôt que la femme elle-même.

Sans l'appui de la statue sur laquelle il avait croisé ses bras plus froids que le marbre lui-même, Henri fût tombé à la renverse dans le bassin de la fontaine.

Le duc semblait ivre de joie; il couvait des yeux cette merveilleuse créature qui s'était assise en face de lui, et qui touchait à peine aux objets servis devant elle. De temps en temps François s'allongeait sur la table pour baiser une des mains de sa muette et pâle convive, qui semblait aussi insensible à ses baisers que si sa main eût été sculptée dans l'albâtre dont elle avait la transparence et la blancheur.

De temps en temps, Henri tressaillait, portait la main à son front, essuyait avec cette main la sueur glacée qui en dégouttait et se demandait:

— Est-elle vivante? est-elle morte?

Le duc faisait tous ses efforts et déployait toute son éloquence pour dérider ce front austère.

Remy, seul serviteur, car le duc avait éloigné tout le monde, servait ces deux personnes, et de temps en temps, frôlant avec le coude sa maîtresse lorsqu'il passait derrière elle, semblait la ranimer par ce contact, et la rappeler à la vie ou plutôt à la situation.

Alors un flot de vermillon montait au front de la jeune femme, ses yeux lançaient un éclair, elle souriait comme si quelque magicien avait touché un ressort inconnu de cet intelligent automate et avait opéré sur le mécanisme des yeux l'éclair, sur celui des joues le coloris, sur celui des lèvres le sourire.

Puis elle retombait dans son immobilité.

Le prince cependant se rapprocha, et par ses discours passionnés commença d'échauffer sa nouvelle conquête.

Alors Diane, qui, de temps en temps, regardait l'heure à la magnifique horloge accrochée au-dessus de la tête du prince, sur le mur opposé à elle, Diane parut faire un effort sur elle-même et, gardant le sourire sur les lèvres, prit une part plus active à la conversation.

Henri, sous son abri de feuillage, se déchirait les poings et maudissait toute la création, depuis les femmes que Dieu a faites, jusqu'à Dieu qui l'avait créé lui-même.

Il lui semblait monstrueux et inique que cette femme, si pure et si sévère, s'abandonnât ainsi vulgairement au prince, parce qu'il était doré en ce palais.

Son horreur pour Remy était telle, qu'il lui eût ouvert sans pitié les entrailles, afin de voir si un tel monstre avait le sang et le coeur d'un homme.

C'est dans ce paroxysme de rage et de mépris, que se passa pour Henri le temps de ce souper si délicieux pour le duc d'Anjou.

Diane sonna. Le prince, échauffé par le vin et par les galants propos, se leva de table pour aller embrasser Diane.

Tout le sang de Henri se figea dans ses veines. Il chercha à son côté s'il avait une épée, dans sa poitrine s'il avait un poignard.

Diane, avec un sourire étrange, et qui certes n'avait eu jusque-là son équivalent sur aucun visage, Diane l'arrêta en chemin.

— Monseigneur, dit-elle, permettez qu'avant de me lever de table, je partage avec Votre Altesse ce fruit qui me tente.

A ces mots, elle allongea la main vers la corbeille de filigrane d'or, qui contenait vingt pêches magnifiques, et en prit une.

Puis, détachant de sa ceinture un charmant petit couteau dont la lame était d'argent et le manche de malachite, elle sépara la pêche en deux parties et en offrit une au prince, qui la saisit et la porta avidement à ses lèvres, comme s'il eût baisé celles de Diane.

Cette action passionnée produisit une telle impression sur lui-même, qu'un nuage obscurcit sa vue au moment où il mordait dans le fruit.

Diane le regardait avec son oeil clair et son sourire immobile.

Remy, adossé à un pilier de bois sculpté, regardait aussi d'un air sombre.

Le prince passa une main sur son front, y essuya quelques gouttes de sueur qui venaient de perler sur son front, et avala le morceau qu'il avait mordu.

Cette sueur était sans doute le symptôme d'une indisposition subite; car, tandis que Diane mangeait l'autre moitié de la pêche, le prince laissa retomber ce qui restait de la sienne sur son assiette, et, se soulevant avec effort, il sembla inviter sa belle convive à prendre avec lui l'air dans le jardin.

Diane se leva, et sans prononcer une parole prit le bras que lui offrait le duc.

Remy les suivit des yeux, surtout le prince que l'air ranima tout à fait.

Tout en marchant, Diane essuyait la petite lame de son couteau à un mouchoir brodé d'or, et le remettait dans sa gaîne de chagrin.

Ils arrivèrent ainsi tout près du buisson où se cachait Henri.

Le prince serrait amoureusement sur son coeur le bras de la jeune femme.

— Je me sens mieux, dit-il, et pourtant je ne sais quelle pesanteur assiège mon cerveau; j'aime trop, je le vois, madame.

Diane arracha quelques fleurs à un jasmin, une branche à une clématite et deux belles roses qui tapissaient tout un côté du socle de la statue, derrière laquelle Henri se rapetissait effrayé.

 

— Que faites-vous, madame? demanda le prince.

— On m'a toujours assuré, monseigneur, dit-elle, que le parfum des fleurs était le meilleur remède aux étourdissements. Je cueille un bouquet dans l'espoir que, donné par moi, ce bouquet aura l'influence magique que je lui souhaite.

Mais, tout en réunissant les fleurs du bouquet, elle laissa tomber une rose, que le prince s'empressa de ramasser galamment.

Le mouvement de François fut rapide, mais point si rapide cependant qu'il ne donnât le temps à Diane de laisser tomber, sur l'autre rose, quelques gouttes d'une liqueur renfermée dans un flacon d'or qu'elle tira de son sein.

Puis elle prit la rose que le prince avait ramassée et la mettant à sa ceinture:

— Celle-là est pour moi, dit-elle, changeons.

Et, en échange de la rose qu'elle recevait des mains du prince, elle lui tendit le bouquet.

Le prince le prit avidement, le respira avec délices et passa son bras autour de la taille de Diane. Mais cette pression voluptueuse acheva sans doute de troubler les sens de François, car il fléchit sur ses genoux et fut forcé de s'asseoir sur un banc de gazon qui se trouvait là.

Henri ne perdait pas de vue ces deux personnages, et cependant il avait aussi un regard pour Remy, qui, dans le pavillon, attendait la fin de cette scène, ou plutôt semblait en dévorer chaque détail.

Lorsqu'il vit le prince fléchir, il s'approcha jusqu'au seuil du pavillon. Diane, de son côté, sentant François chanceler, s'assit près de lui sur le banc.

L'étourdissement de François dura cette fois plus long-temps que le premier; le prince avait la tête penchée sur la poitrine. Il paraissait avoir perdu le fil de ses idées et presque le sentiment de son existence, et cependant le mouvement convulsif de ses doigts sur la main de Diane indiquait que d'instinct il poursuivait sa chimère d'amour.

Enfin, il releva lentement la tête, et ses lèvres se trouvant à la hauteur du visage de Diane, il fit un effort pour toucher celles de sa belle convive; mais comme si elle n'eût point vu ce mouvement, la jeune femme se leva.

— Vous souffrez, monseigneur? dit-elle, mieux vaudrait rentrer.

— Oh! oui, rentrons! s'écria le prince dans un transport de joie; oui, venez, merci!

Et il se leva tout chancelant; alors, au lieu que ce fût Diane qui s'appuyât à son bras, ce fut lui qui s'appuya au bras de Diane; et grâce à ce soutien, marchant plus à l'aise, il parut oublier fièvre et étourdissement; se redressant tout à coup, il appuya, presque par surprise, ses lèvres sur le col de la jeune femme.

Celle-ci tressaillit comme si, au lieu d'un baiser, elle eût ressenti la morsure d'un fer rouge.

— Remy, un flambeau! s'écria-t-elle, un flambeau!

Aussitôt Remy rentra dans la salle à manger et alluma, aux bougies de la table, un flambeau isolé qu'il prit sur un guéridon; et, se rapprochant vivement de l'entrée du pavillon ce flambeau à la main:

— Voilà, madame, dit-il.

— Où va Votre Altesse? demanda Diane en saisissant le flambeau et détournant la tête.

— Oh! chez moi!.. chez moi!.. et vous me guiderez, n'est-ce pas, madame? répliqua le prince avec ivresse.

— Volontiers, monseigneur, répondit Diane.

Et elle leva le flambeau en l'air, en marchant devant le prince.

Remy alla ouvrir, au fond du pavillon, une fenêtre par où l'air s'engouffra de telle façon, que la bougie portée par Diane lança, comme furieuse, toute sa flamme et sa fumée sur le visage de François, placé précisément dans le courant d'air.

Les deux amants, Henri les jugea tels, arrivèrent ainsi, en traversant une galerie, jusqu'à la chambre du duc, et disparurent derrière la tenture de fleurs de lis qui lui servait de portière.

Henri avait vu tout ce qui s'était passé avec une fureur croissante, et cependant cette fureur était telle qu'elle touchait à l'anéantissement.

On eût dit qu'il ne lui restait de force que pour maudire le sort qui lui avait imposé une si cruelle épreuve.

Il était sorti de sa cachette, et, brisé, les bras pendants, l'oeil atone, il se préparait à regagner, demi-mort, son appartement dans le château.

Lorsque, soudain, la portière derrière laquelle il venait de voir disparaître Diane et le prince se rouvrit, et la jeune femme, se précipitant dans la salle à manger, entraîna Remy, qui, debout, immobile, semblait n'attendre que son retour.

— Viens!.. lui dit-elle, viens, tout est fini...

Et tous deux s'élancèrent comme ivres, fous ou furieux dans le jardin.

Mais, à leur vue, Henri avait retrouvé toute sa force; Henri s'élança au devant d'eux, et ils le trouvèrent tout à coup au milieu de l'allée, debout, les bras croisés, et plus terrible dans son silence, que nul ne le fut jamais dans ses menaces. Henri, en effet, en était arrivé à ce degré d'exaspération, qu'il eût tué quiconque se fût avisé de soutenir que les femmes n'étaient pas des monstres envoyés par l'enfer pour souiller le monde.

Il saisit Diane par le bras, et l'arrêta court, malgré le cri de terreur qu'elle poussa, malgré le couteau que Remy lui appuya sur la poitrine, et qui effleura les chairs.

— Oh! vous ne me reconnaissez pas, sans doute, dit-il avec un grincement de dents terrible, je suis ce neuf jeune homme qui vous aimait et à qui vous n'ayez pas voulu donner d'amour, parce que, pour vous, il n'y avait plus d'avenir, mais seulement un passé. Ah! belle hypocrite, et toi, lâche menteur, je vous connais enfin, je vous connais et vous maudis; à l'un je dis: je te méprise; à l'autre: tu me fais horreur!

— Passage! cria Remy, d'une voix étranglée, passage! jeune fou... ou sinon...

— Soit, répondit Henri, achève ton ouvrage, et tue mon corps, misérable, puisque tu as tué mon âme.

— Silence! murmura Remy furieux, en enfonçant de plus en plus sa lame sous laquelle criait déjà la poitrine du jeune homme.

Mais Diane repoussa violemment le bras de Remy, et saisissant celui de du Bouchage, elle l'amena en face d'elle.

Elle était d'une pâleur livide; ses beaux cheveux, raidis, flottaient sur ses épaules; le contact de sa main sur le poignet d'Henri faisait à ce dernier un froid pareil à celui d'un cadavre.

— Monsieur, dit-elle, ne jugez pas témérairement des choses de Dieu!.. Je suis Diane de Méridor, la maîtresse de M. de Bussy, que le duc d'Anjou laissa tuer misérablement quand il pouvait le sauver. Il y a huit jours que Remy a poignardé Aurilly, le complice du prince; et quant au prince, je viens de l'empoisonner avec un fruit, un bouquet, un flambeau. Place! monsieur, place à Diane de Méridor, qui, de ce pas, s'en va au couvent des Hospitalières.

Elle dit, et, quittant le bras de Henri, elle reprit celui de Remy, qui l'attendait.

Henri tomba agenouillé, puis renversé en arrière, suivant des yeux le groupe effrayant des assassins, qui disparurent dans la profondeur des taillis, comme eût fait une infernale vision.

Ce n'est qu'une heure après que le jeune homme, brisé de fatigue, écrasé de terreur et la tête en feu, réussit à trouver assez de force pour se traîner jusqu'à son appartement; encore fallut-il qu'il se reprît à dix fois pour escalader la fenêtre. Il fit quelques pas dans la chambre et s'en alla, tout trébuchant, tomber sur son lit.

Tout dormait dans le château.

LXXXIX
FATALITÉ

Le lendemain, vers neuf heures, un beau soleil poudrait d'or les allées sablées de Château-Thierry.

De nombreux travailleurs, commandés la veille, avaient, dès l'aube, commencé la toilette du parc et des appartements destinés à recevoir le roi qu'on attendait.

Rien encore ne remuait dans le pavillon où reposait le duc, car il avait défendu, la veille, à ses deux vieux serviteurs, de le réveiller. Ils devaient attendre qu'il appelât.

Vers neuf heures et demie, deux courriers, lancés à toute bride, entrèrent dans la ville, annonçant la prochaine arrivée de Sa Majesté.

Les échevins, le gouverneur et la garnison prirent rang pour faire haie sur le passage de ce cortège.

A dix heures le roi parut au bas de la colline. Il était monté à cheval depuis le dernier relais. C'était une occasion qu'il saisissait toujours, et principalement à son entrée dans les villes, étant beau cavalier.

La reine-mère le suivait en litière; cinquante gentilshommes, richement vêtus et bien montés, venaient à leur suite.

Une compagnie des gardes, commandée par Crillon lui-même, cent vingt Suisses, autant d'Écossais, commandés par Larchant, et toute la maison de plaisir du roi, mulets, coffres et valetaille, formaient une armée dont les files suivaient les sinuosités de la route qui monte de la rivière au sommet de la colline.

Enfin le cortège entra en ville au son des cloches, des canons et des musiques de tout genre.

Les acclamations des habitants furent vives; le roi était si rare en ce temps-là, que, vu de près, il semblait encore avoir gardé un reflet de la Divinité.

Le roi, en traversant la foule, chercha vainement son frère. Il ne trouva que Henri du Bouchage à la grille du château.

Une fois dans l'intérieur, Henri III s'informa de la santé du duc d'Anjou, à l'officier qui avait pris sur lui de recevoir Sa Majesté.

— Sire, répondit celui-ci, Son Altesse habite depuis quelques jours le pavillon du parc, et nous ne l'avons pas encore vue ce matin. Cependant il est probable que, se portant bien hier, elle se porte bien encore aujourd'hui.

— C'est un endroit bien retiré, à ce qu'il paraît, dit Henri, mécontent, que ce pavillon du parc, pour que le canon n'y soit pas entendu?

— Sire, se hasarda de dire un des deux serviteurs du duc, Son Altesse n'attendait peut-être pas si tôt Votre Majesté.

— Vieux fou, grommela Henri, crois-tu donc qu'un roi vienne comme cela chez les gens sans les prévenir? M. le duc d'Anjou sait mon arrivée depuis hier.

Puis, craignant d'attrister tout ce monde par une mine soucieuse, Henri, qui voulait paraître doux et bon aux dépens de François, s'écria:

— Puisqu'il ne vient pas au devant de nous, allons au devant de lui.

— Montrez-nous le chemin, dit Catherine du fond de sa litière.

Toute l'escorte prit la route du vieux parc.

Au moment où les premiers gardes touchaient la charmille, un cri déchirant et lugubre perça les airs.

— Qu'est cela? fit le roi se tournant vers sa mère.

— Mon Dieu! murmura Catherine essayant de lire sur tous les visages, c'est un cri de détresse ou de désespoir.

— Mon prince! mon pauvre duc! s'écria l'autre vieux serviteur de François en paraissant à une fenêtre avec les signes de la plus violente douleur.

Tous coururent vers le pavillon, le roi entraîné par les autres.

Il arriva au moment où l'on relevait le corps du duc d'Anjou, que son valet de chambre, entré sans ordre, pour annoncer l'arrivée du roi, venait d'apercevoir gisant sur le tapis de sa chambre à coucher.

Le prince était froid, raide, et ne donnait aucun signe d'existence qu'un mouvement étrange des paupières et une contraction grimaçante des lèvres.

Le roi s'arrêta sur le seuil de la porte, et tout le monde derrière lui.

— Voilà un vilain pronostic! murmura-t-il.

— Retirez-vous, mon fils, lui dit Catherine, je vous prie.

— Ce pauvre François! dit Henri, heureux d'être congédié et d'éviter ainsi le spectacle de cette agonie.

Toute la foule s'écoula sur les traces du roi.

— Étrange! étrange! murmura Catherine agenouillée près du prince ou plutôt du cadavre, sans autre compagnie que celle des deux vieux serviteurs; et, tandis qu'on courait toute la ville pour trouver le médecin du prince et qu'un courrier partait pour Paris afin de hâter la venue des médecins du roi restés à Meaux avec la reine, elle examinait avec moins de science sans doute, mais non moins de perspicacité que Miron lui-même aurait pu le faire, les diagnostics de cette étrange maladie à laquelle succombait son fils.

Elle avait de l'expérience, la Florentine; aussi avant toute chose, elle questionna froidement, et sans les embarrasser, les deux serviteurs, qui s'arrachaient les cheveux et se meurtrissaient le visage dans leur désespoir.

Tous deux répondirent que le prince était rentré la veille à la nuit, après avoir été dérangé fort inopportunément par M. Henri du Bouchage, venant de la part du roi.

 

Puis ils ajoutèrent qu'à la suite de cette audience, donnée au grand château, le prince avait commandé un souper délicat, ordonné que nul ne se présentât au pavillon sans être mandé; enfin, enjoint positivement qu'on ne le réveillât pas au matin, ou qu'on n'entrât pas chez lui avant un appel positif.

— Il attendait quelque maîtresse, sans doute? demanda la reine-mère.

— Nous le croyons, madame, répondirent humblement les valets, mais la discrétion nous a empêchés de nous en assurer.

— En desservant, cependant, vous avez dû voir si mon fils a soupé seul?

-Nous n'avons pas desservi encore, madame, puisque l'ordre de monseigneur était que nul n'entrât dans le pavillon.

— Bien, dit Catherine, personne n'a donc pénétré ici?

— Personne, madame.

— Retirez-vous.

Et Catherine, cette fois, demeura tout à fait seule.

Alors, laissant le prince sur le lit, comme on l'avait déposé, elle commença une minutieuse investigation de chacun des symptômes ou de chacune des traces qui surgissaient à ses yeux comme résultat de ses soupçons ou de ses craintes.

Elle avait vu le front de François chargé d'une teinte bistrée, ses yeux sanglants et cerclés de bleu, ses lèvres labourées par un sillon semblable à celui qu'imprimé le soufre brûlant sur des chairs vives.

Elle observa le même signe sur les narines et sur les ailes du nez.

— Voyons, dit-elle en regardant autour du prince.

Et la première chose qu'elle vit, ce fut le flambeau dans lequel s'était consumée toute la bougie allumée la veille au soir par Remy.

— Cette bougie a brûlé longtemps, dit-elle, donc il y a longtemps que François était dans cette chambre. Ah! voici un bouquet sur le tapis...

Catherine le saisit précipitamment, puis remarquant que toutes les fleurs étaient encore fraîches, à l'exception d'une rose qui était noircie et desséchée:

— Qu'est cela? murmura-t-elle, qu'a-t-on versé sur les feuilles de cette fleur?.. Je connais, il me semble, une liqueur qui fane ainsi les roses.

Elle éloigna le bouquet d'elle en frissonnant:

— Cela m'expliquerait les narines et la dissolution des chairs du front; mais les lèvres?

Catherine courut à la salle à manger. Les valets n'avaient pas menti, rien n'indiquait qu'on eût touché au couvert depuis la fin du repas.

Sur le bord de la table, une moitié de pêche, dans laquelle s'imprimait un demi-cercle de dents, fixa plus particulièrement les regards de Catherine.

Ce fruit, si vermeil au coeur, avait noirci comme la rose et s'était émaillé au dedans de marbrures violettes et brunes. L'action corrosive se distinguait plus particulièrement sur la tranche, à l'endroit où le couteau avait dû passer.

— Voilà pour les lèvres, dit-elle; mais François a mordu seulement une bouchée dans ce fruit. Il n'a pas tenu longtemps à sa main ce bouquet, dont les fleurs sont encore fraîches, le mal n'est pas sans remède, le poison ne peut avoir pénétré profondément.

Mais alors, s'il n'a agi que superficiellement, pourquoi donc cette paralysie si complète et ce travail si avancé de la décomposition! Il faut que je n'aie pas tout vu.

En disant ces mots, Catherine porta ses yeux autour d'elle, et vit suspendu à son bâton de bois de rose, par sa chaîne d'argent, le papegai rouge et bleu qu'affectionnait François.

L'oiseau était mort, raide, et les ailes hérissées.

Catherine ramena son visage anxieux sur le flambeau dont elle s'était déjà occupée une fois, pour s'assurer, à sa complète combustion, que le prince était rentré de bonne heure.

— La fumée! se dit Catherine, la fumée! La mèche du flambeau était empoisonnée; mon fils est mort!

Aussitôt elle appela. La chambre se remplit de serviteurs et d'officiers.

— Miron! Miron! disaient les uns.

— Un prêtre, disaient les autres.

Mais elle, pendant ce temps, approchait des lèvres de François un des flacons qu'elle portait toujours dans son aumônière, et interrogea les traits de son fils pour juger l'effet du contre-poison.

Le duc ouvrit encore les yeux et la bouche; mais dans ses yeux ne brillait plus un regard, à ce gosier ne montait plus la voix.

Catherine, sombre et muette, s'éloigna de la chambre en faisant signe aux deux serviteurs de la suivre avant qu'ils n'eussent encore communiqué avec personne.

Alors elle les conduisit dans un autre pavillon, où elle s'assit, les tenant l'un et l'autre sous son regard.

— M. le duc d'Anjou, dit-elle, a été empoisonné dans son souper, c'est vous qui avez servi ce souper?

A ces paroles on vit la pâleur de la mort envahir le visage des deux hommes.

— Qu'on nous donne la torture, dirent-ils; qu'on nous tue, mais qu'on ne nous accuse pas.

— Vous êtes des niais; croyez-vous que si je vous soupçonnais, la chose ne serait pas faite? Vous n'avez pas, je le sais bien, assassiné votre maître, mais d'autres l'ont tué, et il faut que je connaisse les meurtriers. Qui est entré au pavillon?

— Un vieil homme, vêtu misérablement, que monseigneur recevait depuis deux jours.

— Mais... la femme?

— Nous ne l'avons pas vue... De quelle femme Votre Majesté veut-elle parler?

— Il est venu une femme qui a fait un bouquet...

Les deux serviteurs se regardèrent avec tant de naïveté, que Catherine reconnut leur innocence à ce seul regard.

— Qu'on m'aille chercher, dit-elle alors, le gouverneur de la ville et le gouverneur du château.

Les deux valets se précipitèrent vers la porte.

— Un moment! dit Catherine, en les clouant par ce seul mot sur le seuil. Vous seuls et moi nous savons ce que je viens de vous dire; je ne le dirai pas, moi; si quelqu'un l'apprend, ce sera par l'un de vous; ce jour-là vous mourrez tous deux. Allez!

Catherine interrogea moins ouvertement les deux gouverneurs. Elle leur dit que le duc avait reçu de certaine personne une mauvaise nouvelle qui l'avait affecté profondément, que là était la cause de son mal, qu'en interrogeant de nouveau les personnes, le duc se remettrait sans doute de son alarme.

Les gouverneurs firent fouiller la ville, le parc, les environs, nul ne sut dire ce qu'étaient devenus Remy et Diane.

Henri seul connaissait le secret, et il n'y avait point danger qu'il le révélât.

Tout le jour, l'affreuse nouvelle, commentée, exagérée, tronquée, parcourut Château-Thierry et la province; chacun expliqua, selon son caractère et son penchant, l'accident survenu au duc.

Mais nul, excepté Catherine et du Bouchage, ne s'avoua que le duc était un homme mort.

Ce malheureux prince ne recouvra pas la voix ni le sentiment, ou, pour mieux dire, il ne donna plus aucun signe d'intelligence.

Le roi, frappé d'impressions lugubres, ce qu'il redoutait le plus au monde, eût bien voulu repartir pour Paris; mais la reine-mère s'opposa à ce départ, et force fut à la cour de demeurer au château.

Les médecins arrivèrent en foule; Miron seul devina la cause du mal, et jugea sa gravité; mais il était trop bon courtisan pour ne pas taire la vérité, surtout lorsqu'il eut consulté les regards de Catherine.

On l'interrogeait de toutes parts, et il répondait que certainement M. le duc d'Anjou avait éprouvé de grands chagrins et essuyé un violent choc.

Il ne se compromit donc pas, ce qui est fort difficile en pareil cas.

Lorsque Henri III lui demanda de répondre affirmativement ou négativement à cette question:

— Le duc vivra-t-il?

— Dans trois jours, je le dirai à Votre Majesté, répliqua le médecin.

— Et à moi, que me direz-vous? fit Catherine à voix basse.

— A vous, madame, c'est différent; je répondrai sans hésitation.

— Quoi?

— Que Votre Majesté m'interroge.

— Quel jour mon fils sera-t-il mort, Miron?

— Demain au soir, madame.

— Si tôt?

— Ah! madame, murmura le médecin, la dose était aussi par trop forte.