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Le vicomte de Bragelonne, Tome II.

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– Oui, cela s'appelle l'instinct: parfaite sensibilité, exquise recherche de sentiments, montre perpétuelle d'élans passionnés qui n'aboutissent jamais. Oh! c'est fort habile aussi et très efficace. J'eusse même, maintenant que j'y réfléchis, préféré cette tactique à ma fierté pour combattre les hommes, parce qu'elle offre l'avantage de faire croire parfois à la conviction; mais, dès à présent, sans passer condamnation tout à fait pour moi-même, je la déclare supérieure à la simple coquetterie de Montalais.

Les deux jeunes filles se mirent à rire.

La Vallière seule garda le silence et secoua la tête.

Puis, après un instant:

– Si vous me disiez le quart de ce que vous venez de me dire devant un homme, fit-elle, ou même que je fusse persuadée que vous le pensez, je mourrais de honte et de douleur sur cette place.

– Eh bien! mourez, tendre petite, répondit Mlle de Tonnay- Charente: car, s'il n'y a pas d'hommes ici, il y a au moins deux femmes, vos amies, qui vous déclarent atteinte et convaincue d'être une coquette d'instinct, une coquette naïve; c'est-à-dire la plus dangereuse espèce de coquette qui existe au monde.

– Oh! mesdemoiselles! répondit La Vallière rougissante et près de pleurer.

Les deux compagnes éclatèrent de rire sur de nouveaux frais.

– Eh bien! je demanderai des renseignements à Bragelonne.

– À Bragelonne? fit Athénaïs.

– Eh! oui, à ce grand garçon courageux comme César, fin et spirituel comme M. Fouquet, à ce pauvre garçon qui depuis douze ans te connaît, t'aime, et qui cependant, s'il faut t'en croire, n'a jamais baisé le bout de tes doigts.

– Expliquez-nous cette cruauté, vous la femme de coeur? dit

Athénaïs à La Vallière.

– Je l'expliquerai par un seul mot: la vertu. Nierez-vous la vertu, par hasard?

– Voyons, Louise, ne mens pas, dit Aure en lui prenant la main.

– Mais que voulez-vous donc que je vous dise? s'écria La

Vallière.

– Ce que vous voudrez. Mais vous aurez beau dire, je persiste dans mon opinion sur vous. Coquette d'instinct, coquette naïve, c'est-à-dire, je l'ai dit et je le redis, la plus dangereuse de toutes les coquettes.

– Oh! non, non, par grâce! ne croyez pas cela.

– Comment! douze ans de rigueur absolue!

– Oh! il y a douze ans, j'en avais cinq. L'abandon d'un enfant ne peut pas être compté à la jeune fille.

– Eh bien! vous avez dix-sept ans; trois ans au lieu de douze. Depuis trois ans, vous avez été constamment et entièrement cruelle. Vous avez contre vous les muets ombrages de Blois, les rendez-vous où l'on compte les étoiles, les séances nocturnes sous les platanes, ses vingt ans parlant à vos quatorze ans, le feu de ses yeux vous parlant à vous-même.

– Soit, soit; mais il en est ainsi!

– Allons donc, impossible!

– Mais, mon Dieu, pourquoi donc impossible!

– Dis-nous des choses croyables, ma chère, et nous te croirons.

– Mais enfin, supposez une chose.

– Laquelle? Voyons.

– Achevez, ou nous supposerons bien plus que vous ne voudrez.

– Supposons, alors; supposons que je croyais aimer, et que je n'aime pas.

– Comment, tu n'aimes pas?

– Que voulez-vous! si j'ai été autrement que ne sont les autres quand elles aiment, c'est que je n'aime pas; c'est que mon heure n'est pas encore venue.

– Louise! Louise! dit Montalais, prends garde, je vais te retourner ton mot de tout à l'heure. Raoul n'est pas là, ne l'accable pas en son absence; sois charitable, et si, en y regardant de bien près, tu penses ne pas l'aimer, dis-le lui à lui-même. Pauvre garçon!

Et elle se mit à rire.

– Mademoiselle plaignait tout à l'heure M. de Guiche, dit Athénaïs; ne pourrait-on pas trouver l'explication de cette indifférence pour l'un dans cette compassion pour l'autre?

– Accablez-moi, mesdemoiselles, fit tristement La Vallière, accablez-moi, puisque vous ne me comprenez pas.

– Oh! oh! répondit Montalais, de l'humeur, du chagrin, des larmes; nous rions, Louise, et ne sommes pas, je t'assure, tout à fait les monstres que tu crois; regarde Athénaïs la fière, comme on l'appelle, elle n'aime pas M. de Montespan, c'est vrai, mais elle serait au désespoir que M. de Montespan ne l'aimât pas… Regarde-moi, je ris de M. Malicorne, mais ce pauvre Malicorne dont je ris sait bien quand il veut faire aller ma main sur ses lèvres. Et puis la plus âgée de nous n'a pas vingt ans… quel avenir!

– Folles! folles que vous êtes! murmura Louise.

– C'est vrai, fit Montalais, et toi seule as dit des paroles de sagesse.

– Certes!

– Accordé, répondit Athénaïs. Ainsi, décidément, vous n'aimez pas ce pauvre M. de Bragelonne?

– Peut-être! dit Montalais; elle n'en est pas encore bien sûre. Mais, en tout cas, écoute, Athénaïs: si M. de Bragelonne devient libre, je te donne un conseil d'amie.

– Lequel?

– C'est de bien le regarder avant de te décider pour

M. de Montespan.

– Oh! si vous le prenez par là, ma chère, M. de Bragelonne n'est pas le seul que l'on puisse trouver du plaisir à regarder. Et, par exemple, M. de Guiche a bien son prix.

– Il n'a pas brillé ce soir, dit Montalais, et je sais de bonne part que Madame l'a trouvé odieux.

– Mais M. de Saint-Aignan, il a brillé, lui, et, j'en suis certaine, plus d'une de celles qui l'ont vu danser ne l'oublieront pas de sitôt. N'est-ce pas, La Vallière?

– Pourquoi m'adressez-vous cette question, à moi? Je ne l'ai pas vu, je ne le connais pas.

– Vous n'avez pas vu M. de Saint-Aignan? Vous ne le connaissez pas?

– Non.

– Voyons, voyons, n'affectez pas cette vertu plus farouche que nos fiertés; vous avez des yeux, n'est-ce pas?

– Excellents.

– Alors vous avez vu tous nos danseurs ce soir?

– Oui, à peu près.

– Voilà un à-peu-près bien impertinent pour eux.

– Je vous le donne pour ce qu'il est.

– Eh bien! voyons, parmi tous ces gentilshommes que vous avez à peu près vus, lequel préférez-vous?

– Oui, dit Montalais, oui, de M. de Saint-Aignan, de

M. de Guiche, de M…

– Je ne préfère personne, mesdemoiselles, je les trouve également bien.

– Alors dans toute cette brillante assemblée, au milieu de cette cour, la première du monde, personne ne vous a plu?

– Je ne dis pas cela.

– Parlez donc, alors. Voyons, faites-nous part de votre idéal.

– Ce n'est pas un idéal.

– Alors, cela existe?

– En vérité, mesdemoiselles, s'écria La Vallière poussée à bout, je n'y comprends rien. Quoi! comme moi vous avez un coeur, comme moi vous avez des yeux, et vous parlez de M. de Guiche, de M. de Saint-Aignan, de M… qui sais-je? quand le roi était là.

Ces mots, jetés avec précipitation par une voix troublée, ardente, firent à l'instant même éclater aux deux côtés de la jeune fille une exclamation dont elle eut peur.

– Le roi! s'écrièrent à la fois Montalais et Athénaïs.

La Vallière laissa tomber sa tête dans ses deux mains.

– Oh! oui, le roi! le roi! murmura-t-elle; avez-vous donc jamais vu quelque chose de pareil au roi?

– Vous aviez raison de dire tout à l'heure que vous aviez des yeux excellents, mademoiselle; car vous voyez loin, trop loin. Hélas! le roi n'est pas de ceux sur lesquels nos pauvres yeux, à nous, ont le droit de se fixer.

– Oh! c'est vrai, c'est vrai! s'écria La Vallière; il n'est pas donné à tous les yeux de regarder en face le soleil; mais je le regarderai, moi, dussé-je en être aveuglée.

En ce moment, et comme s'il eût été causé par les paroles qui venaient de s'échapper de la bouche de La Vallière, un bruit de feuilles et de froissements soyeux retentit derrière le buisson voisin.

Les jeunes filles se levèrent effrayées. Elles virent distinctement remuer les feuilles, mais sans voir l'objet qui les faisait remuer.

– Oh! un loup ou un sanglier! s'écria Montalais. Fuyons, mesdemoiselles, fuyons!

Et les trois jeunes filles se levèrent en proie à une terreur indicible, et s'enfuirent par la première allée qui s'offrit à elles, et ne s'arrêtèrent qu'à la lisière du bois.

Là, hors d'haleine, appuyées les unes aux autres, sentant mutuellement palpiter leurs coeurs, elles essayèrent de se remettre, mais elles n'y réussirent qu'au bout de quelques instants. Enfin, apercevant des lumières du côté du château, elles se décidèrent à marcher vers les lumières.

La Vallière était épuisée de fatigue.

– Oh! nous l'avons échappé belle, dit Montalais.

– Mesdemoiselles! Mesdemoiselles! dit La Vallière, j'ai bien peur que ce ne soit pis qu'un loup. Quant à moi, je le dis comme je le pense, j'aimerais mieux avoir couru le risque d'être dévorée toute vive par un animal féroce, que d'avoir été écoutée et entendue. Oh! folle! folle que je suis! Comment ai-je pu penser, comment ai- je pu dire de pareilles choses!

Et là-dessus son front plia comme la tête d'un roseau; elle sentit ses jambes fléchir, et, toutes ses forces l'abandonnant, elle glissa, presque inanimée, des bras de ses compagnes sur l'herbe de l'allée.

Chapitre CXVI – L'inquiétude du roi

Laissons la pauvre La Vallière à moitié évanouie entre ses deux compagnes, et revenons aux environs du chêne royal.

Les trois jeunes filles n'avaient pas fait vingt pas en fuyant, que le bruit qui les avait si fort épouvantées redoubla dans le feuillage.

La forme, se dessinant plus distincte en écartant les branches du massif, apparut sur la lisière du bois, et, voyant la place vide, partit d'un éclat de rire.

Il est inutile de dire que cette forme était celle d'un jeune et beau gentilhomme, lequel incontinent fit signe à un autre qui parut à son tour.

– Eh bien! Sire, dit la seconde forme en s'avançant avec timidité, est-ce que Votre Majesté aurait fait fuir nos jeunes amoureuses?

 

– Eh! mon Dieu, oui, dit le roi; tu peux te montrer en toute liberté, Saint Aignan.

– Mais, Sire, prenez garde, vous serez reconnu.

– Puisque je te dis qu'elles ont fui.

– Voilà une rencontre heureuse, Sire, et, si j'osais donner un conseil à Votre Majesté, nous devrions les poursuivre.

– Elles sont loin.

– Bah! elles se laisseraient facilement rejoindre, surtout si elles savent quels sont ceux qui les poursuivent.

– Comment cela, monsieur le fat?

– Dame! il y en a une qui me trouve de son goût, et l'autre qui vous a comparé au soleil.

– Raison de plus pour que nous demeurions cachés, Saint-Aignan.

Le soleil ne se montre pas la nuit.

– Par ma foi! Sire, Votre Majesté n'est pas curieuse. À sa place, moi, je voudrais connaître quelles sont les deux nymphes, les deux dryades, les deux hamadryades qui ont si bonne opinion de nous.

– Oh! je les reconnaîtrai bien sans courir après elles, je t'en réponds.

– Et comment cela?

– Parbleu! à la voix. Elles sont de la cour; et celle qui parlait de moi avait une voix charmante.

– Ah! voilà Votre Majesté qui se laisse influencer par la flatterie.

– On ne dira pas que c'est le moyen que tu emploies, toi.

– Oh! pardon, Sire, je suis un niais.

– Voyons, viens, et cherchons où je t'ai dit…

– Et cette passion dont vous m'aviez fait confidence, Sire, est- elle donc déjà oubliée?

– Oh! par exemple, non. Comment veux-tu qu'on oublie des yeux comme ceux de Mlle de La Vallière?

– Oh! l'autre a une si charmante voix!

– Laquelle?

– Celle qui aime le soleil.

– Monsieur de Saint-Aignan!

– Pardon, Sire.

– D'ailleurs, je ne suis pas fâché que tu croies que j'aime autant les douces voix que les beaux yeux. Je te connais, tu es un affreux bavard, et demain je paierai la confiance que j'ai eue en toi.

– Comment cela?

– Je dis que demain tout le monde saura que j'ai des idées sur cette petite La Vallière; mais, prends garde, Saint-Aignan, je n'ai confié mon secret qu'à toi, et, si une seule personne m'en parle, je saurai qui a trahi mon secret.

– Oh! quelle chaleur, Sire!

– Non, mais, tu comprends, je ne veux pas compromettre cette pauvre fille.

– Sire, ne craignez rien.

– Tu me promets?

– Sire, je vous engage ma parole.

«Bon! pensa le roi riant en lui-même, tout le monde saura demain que j'ai couru cette nuit après La Vallière.»

Puis, essayant de s'orienter:

– Ah! ça, mais nous sommes perdus, dit-il.

– Oh! pas bien dangereusement.

– Où va-t-on par cette porte?

– Au Rond-Point, Sire.

– Où nous nous rendions quand nous avons entendu des voix de femmes?

– Oui, Sire, et cette fin de conversation où j'ai eu l'honneur d'entendre prononcer mon nom à côté du nom de Votre Majesté.

– Tu reviens bien souvent là-dessus, Saint-Aignan.

– Que Votre Majesté me pardonne, mais je suis enchanté de savoir qu'il y a une femme occupée de moi, sans que je le sache et sans que j'aie rien fait pour cela. Votre Majesté ne comprend pas cette satisfaction, elle dont le rang et le mérite attirent l'attention et forcent l'amour.

– Eh bien! non, Saint-Aignan, tu me croiras si tu veux, dit le roi en s'appuyant familièrement sur le bras de Saint-Aignan, et prenant le chemin qu'il croyait devoir le conduire du côté du château, mais cette naïve confidence, cette préférence toute désintéressée d'une femme qui peut-être n'attirera jamais mes yeux… en un mot, le mystère de cette aventure me pique, et, en vérité, si je n'étais pas si occupé de La Vallière…

– Oh! que cela n'arrête point Votre Majesté, elle a du temps devant elle.

– Comment cela?

– On dit La Vallière fort rigoureuse.

– Tu me piques, Saint-Aignan, il me tarde de la retrouver.

Allons, allons.

Le roi mentait, rien au contraire ne lui tardait moins; mais il avait un rôle à jouer.

Et il se mit à marcher vivement. Saint-Aignan le suivit en conservant une légère distance.

Tout à coup, le roi s'arrêtant, le courtisan imita son exemple.

– Saint-Aignan, dit-il, n'entends-tu pas des soupirs?

– Moi?

– Oui, écoute.

– En effet, et même des cris, ce me semble.

– C'est de ce côté, dit le roi en indiquant une direction.

– On dirait des larmes, des sanglots de femme, fit M. de Saint-

Aignan.

– Courons!

Et le roi et le favori, prenant un petit chemin de traverse, coururent dans l'herbe.

À mesure qu'ils avançaient, les cris devenaient plus distincts.

– Au secours! au secours! disaient deux voix.

Les deux jeunes gens redoublèrent de vitesse.

Au fur et à mesure qu'ils approchaient, les soupirs devenaient des cris.

– Au secours! au secours! répétait-on.

Et ces cris doublaient la rapidité de la course du roi et de son compagnon.

Tout à coup, au revers d'un fossé, sous des saules aux branches échevelées, ils aperçurent une femme à genoux tenant une autre femme évanouie.

À quelques pas de là, une troisième appelait au secours au milieu du chemin.

En apercevant les deux gentilshommes dont elle ignorait la qualité, les cris de la femme qui appelait au secours redoublèrent.

Le roi devança son compagnon, franchit le fossé, et se trouva auprès du groupe au moment où, par l'extrémité de l'allée qui donnait du côté du château, s'avançaient une douzaine de personnes attirées par les mêmes cris qui avaient attiré le roi et M. de Saint-Aignan.

– Qu'y a-t-il donc, mesdemoiselles? demanda Louis.

– Le roi! s'écria Mlle de Montalais en abandonnant dans son étonnement la tête de La Vallière, qui tomba entièrement couchée sur le gazon.

– Oui, le roi. Mais ce n'est pas une raison pour abandonner votre compagne. Qui est-elle?

– C'est Mlle de La Vallière, Sire.

– Mlle de La Vallière!

– Qui vient de s'évanouir…

– Ah! mon Dieu, dit le roi, pauvre enfant! Et vite, vite un chirurgien!

Mais, avec quelque empressement que le roi eût prononcé ces paroles, il n'avait pas si bien veillé sur lui-même qu'elles ne dussent paraître, ainsi que le geste qui les accompagnait, un peu froides à M. de Saint-Aignan, qui avait reçu la confidence de ce grand amour dont le roi était atteint.

– Saint-Aignan, continua le roi, veillez sur Mlle de La Vallière, je vous prie. Appelez un chirurgien. Moi, je cours prévenir Madame de l'accident qui vient d'arriver à sa demoiselle d'honneur.

En effet, tandis que M. de Saint-Aignan s'occupait de faire transporter Mlle de La Vallière au château, le roi s'élançait en avant, heureux de trouver cette occasion de se rapprocher de Madame et d'avoir à lui parler sous un prétexte spécieux.

Heureusement, un carrosse passait; on fit arrêter le cocher, et les personnes qui le montaient, ayant appris l'accident, s'empressèrent de céder la place à Mlle de La Vallière.

Le courant d'air provoqué par la rapidité de la course rappela promptement la malade à l'existence.

Arrivée au château, elle put, quoique très faible, descendre du carrosse, et gagner, avec l'aide d'Athénaïs et de Montalais, l'intérieur des appartements.

On la fit asseoir dans une chambre attenante aux salons du rez-de- chaussée.

Ensuite, comme cet accident n'avait pas produit beaucoup d'effet sur les promeneurs, la promenade fut reprise.

Pendant ce temps, le roi avait retrouvé Madame sous un quinconce; il s'était assis près d'elle, et son pied cherchait doucement celui de la princesse sous la chaise de celle-ci.

– Prenez garde, Sire, lui dit Henriette tout bas, vous ne paraissez pas un homme indifférent.

– Hélas! répondit Louis XIV sur le même diapason, j'ai bien peur que nous n'ayons fait une convention au-dessus de nos forces.

Puis, tout haut:

– Savez-vous l'accident? dit-il.

– Quel accident?

– Oh! mon Dieu! en vous voyant, j'oubliais que j'étais venu tout exprès pour vous le raconter. J'en suis pourtant affecté douloureusement; une de vos demoiselles d'honneur, la pauvre La Vallière, vient de perdre connaissance.

– Ah! pauvre enfant, dit tranquillement la princesse; et à quel propos?

Puis, tout bas:

– Mais vous n'y pensez pas, Sire, vous prétendez faire croire à une passion pour cette fille, et vous demeurez ici quand elle se meurt là-bas.

– Ah! madame, madame, dit en soupirant le roi, que vous êtes bien mieux que moi dans votre rôle, et comme vous pensez à tout!

Et il se leva.

– Madame, dit-il assez haut pour que tout le monde l'entendît, permettez que je vous quitte; mon inquiétude est grande, et je veux m'assurer par moi même si les soins ont été donnés convenablement.

Et le roi partit pour se rendre de nouveau près de La Vallière, tandis que tous les assistants commentaient ce mot du roi: «Mon inquiétude est grande.»

Chapitre CXVII – Le secret du roi

En chemin, Louis rencontra le comte de Saint-Aignan.

– Eh bien! Saint-Aignan, demanda-t-il avec affectation, comment se trouve la malade?

– Mais, Sire, balbutia Saint-Aignan, j'avoue à ma honte que je l'ignore.

– Comment, vous l'ignorez? fit le roi feignant de prendre au sérieux ce manque d'égards pour l'objet de sa prédilection.

– Sire, pardonnez-moi; mais je venais de rencontrer une de nos trois causeuses, et j'avoue que cela m'a distrait.

– Ah! vous avez trouvé? dit vivement le roi.

– Celle qui daignait parler si avantageusement de moi, et, ayant trouvé la mienne, je cherchais la vôtre, Sire, lorsque j'ai eu le bonheur de rencontrer Votre Majesté.

– C'est bien; mais, avant tout, Mlle de La Vallière, dit le roi, fidèle à son rôle.

– Oh! que voilà une belle intéressante, dit Saint-Aignan, et comme son évanouissement était de luxe, puisque Votre Majesté s'occupait d'elle avant cela.

– Et le nom de votre belle, à vous, Saint-Aignan, est-ce un secret?

– Sire, ce devrait être un secret, et un très grand même; mais pour vous, Votre Majesté sait bien qu'il n'existe pas de secrets.

– Son nom alors?

– C'est Mlle de Tonnay-Charente.

– Elle est belle?

– Par-dessus tout, oui, Sire, et j'ai reconnu la voix qui disait si tendrement mon nom. Alors je l'ai abordée, questionnée autant que j'ai pu le faire au milieu de la foule, et elle m'a dit, sans se douter de rien, que tout à l'heure elle était au grand chêne avec deux amies, lorsque l'apparition d'un loup ou d'un voleur les avait épouvantées et mises en fuite.

– Mais, demanda vivement le roi, le nom de ses deux amies?

– Sire, dit Saint-Aignan, que Votre Majesté me fasse mettre à la

Bastille.

– Pourquoi cela?

– Parce que je suis un égoïste et un sot. Ma surprise était si grande d'une pareille conquête et d'une si heureuse découverte, que j'en suis resté là. D'ailleurs, je n'ai pas cru que, préoccupée comme elle l'était de Mlle de La Vallière, Votre Majesté attachât une très grande importance à ce qu'elle avait entendu; puis Mlle de Tonnay-Charente m'a quitté précipitamment pour retourner près de Mlle de La Vallière.

– Allons, espérons que j'aurai une chance égale à la tienne.

Viens, Saint Aignan.

– Mon roi a de l'ambition, à ce que je vois, et il ne veut permettre à aucune conquête de lui échapper. Eh bien! je lui promets que je vais chercher consciencieusement, et, d'ailleurs, par l'une des trois grâces, on saura le nom des autres, et, par le nom, le secret.

– Oh! moi aussi, dit le roi; je n'ai besoin que d'entendre sa voix pour la reconnaître. Allons, brisons là-dessus et conduis-moi près de cette pauvre La Vallière.

«Eh! mais, pensa Saint-Aignan, voilà en vérité une passion qui se dessine, et pour cette petite fille, c'est extraordinaire; je ne l'eusse jamais cru.»

Et comme, en pensant cela, il avait montré au roi la salle dans laquelle on avait conduit La Vallière, le roi était entré.

Saint-Aignan le suivit.

Dans une salle basse, auprès d'une grande fenêtre donnant sur les parterres, La Vallière, placée dans un vaste fauteuil, aspirait à longs traits l'air embaumé de la nuit.

De sa poitrine desserrée, les dentelles tombaient froissées parmi les boucles de ses beaux cheveux blonds épars sur ses épaules.

L'oeil languissant, chargé de feux mal éteints, noyé dans de grosses larmes, elle ne vivait plus que comme ces belles visions de nos rêves qui passent toutes pâles et toutes poétiques devant les yeux fermés du dormeur, entrouvrant leurs ailes sans les mouvoir, leurs lèvres sans faire entendre un son.

Cette pâleur nacrée de La Vallière avait un charme que rien ne saurait rendre; la souffrance d'esprit et du corps avait fait à cette douce physionomie une harmonie de noble douleur; l'inertie absolue de ses bras et de son buste la rendait plus semblable à une trépassée qu'à un être vivant; elle semblait n'entendre ni les chuchotements de ses compagnes ni le bruit lointain qui montait des environs. Elle s'entretenait avec elle-même, et ses belles mains longues et fines tressaillaient de temps en temps comme au contact d'invisibles pressions. Le roi entra sans qu'elle s'aperçût de son arrivée, tant elle était absorbée dans sa rêverie.

 

Il vit de loin cette figure adorable sur laquelle la lune ardente versait la pure lumière de sa lampe d'argent.

– Mon Dieu! s'écria-t-il avec un involontaire effroi, elle est morte!

– Non, non, Sire, dit tout bas Montalais, elle va mieux, au contraire. N'est ce pas, Louise, que tu vas mieux?

La Vallière ne répondit point.

– Louise, continua Montalais, c'est le roi qui daigne s'inquiéter de ta santé.

– Le roi! s'écria Louise en se redressant soudain, comme si une source de flamme eût remonté des extrémités à son coeur, le roi s'inquiète de ma santé?

– Oui, dit Montalais.

– Le roi est donc ici? dit La Vallière sans oser regarder autour d'elle.

– Cette voix! cette voix! dit vivement Louis à l'oreille de

Saint-Aignan.

– Eh! mais, répliqua Saint-Aignan, Votre Majesté a raison, c'est l'amoureuse du soleil.

– Chut! dit le roi.

Puis, s'approchant de La Vallière:

– Vous êtes indisposée, mademoiselle? Tout à l'heure, dans le parc, je vous ai même vue évanouie. Comment cela vous a-t-il pris?

– Sire, balbutia la pauvre enfant tremblante et sans couleur, en vérité, je ne saurais le dire.

– Vous avez trop marché, dit le roi, et peut-être la fatigue…

– Non, Sire, répliqua vivement Montalais répondant pour son amie, ce ne peut être la fatigue, car nous avons passé une partie de la soirée assises sous le chêne royal.

– Sous le chêne royal? reprit le roi en tressaillant. Je ne m'étais pas trompé, et c'est bien cela.

Et il adressa au comte un coup d'oeil d'intelligence.

– Ah! oui, dit Saint-Aignan, sous le chêne royal, avec

Mlle de Tonnay Charente.

– Comment savez-vous cela? demanda Montalais.

– Mais je le sais d'une façon bien simple; Mlle de Tonnay-

Charente me l'a dit.

– Alors elle a dû vous apprendre aussi la cause de l'évanouissement de La Vallière?

– Dame! elle m'a parlé d'un loup ou d'un voleur, je ne sais plus trop.

La Vallière écoutait les yeux fixes, la poitrine haletante comme si elle eût pressenti une partie de la vérité, grâce à un redoublement d'intelligence. Louis prit cette attitude et cette agitation pour la suite d'un effroi mal éteint.

– Ne craignez rien, mademoiselle, dit-il avec un commencement d'émotion qu'il ne pouvait cacher; ce loup qui vous a fait si grand-peur était tout simplement un loup à deux pieds.

– C'était un homme! c'était un homme! s'écria Louise; il y avait là un homme aux écoutes?

– Eh bien! mademoiselle, quel grand mal voyez-vous donc à avoir été écoutée? Auriez-vous dit, selon vous, des choses qui ne pouvaient être entendues?

La Vallière frappa ses deux mains l'une contre l'autre et les porta vivement à son front dont elle essaya de cacher ainsi la rougeur.

– Oh! demanda-t-elle, au nom du Ciel, qui donc était caché? qui donc a entendu?

Le roi s'avança pour prendre une de ses mains.

– C'était moi, mademoiselle, dit-il en s'inclinant avec un doux respect; vous ferais-je peur, par hasard?

La Vallière poussa un grand cri; pour la seconde fois, ses forces l'abandonnèrent, et froide, gémissante, désespérée, elle retomba tout d'une pièce dans son fauteuil.

Le roi eut le temps d'étendre le bras, de sorte qu'elle se trouva à moitié soutenue par lui.

À deux pas du roi et de La Vallière, Mlles de Tonnay-Charente et de Montalais, immobiles et comme pétrifiées au souvenir de leur conversation avec La Vallière, ne songeaient même pas à lui porter secours, retenues qu'elles étaient par la présence du roi, qui, un genou en terre, tenait La Vallière à bras-le-corps.

– Vous avez entendu, Sire? murmura Athénaïs.

Mais le roi ne répondit pas; il avait les yeux fixés sur les yeux à moitié fermés de La Vallière; il tenait sa main pendante dans sa main.

– Parbleu! répliqua Saint-Aignan, qui espérait de son côté l'évanouissement de Mlle de Tonnay-Charente, et qui s'avançait les bras ouverts, nous n'en avons même pas perdu un mot.

Mais la fière Athénaïs n'était pas femme à s'évanouir ainsi; elle lança un regard terrible à Saint-Aignan et s'enfuit.

Montalais, plus courageuse, s'avança vivement vers Louise et la reçut des mains du roi, qui déjà perdait la tête en se sentant le visage inondé des cheveux parfumés de la mourante.

– À la bonne heure, dit Saint-Aignan, voilà une aventure, et, si je ne suis pas le premier à la raconter, j'aurai du malheur.

Le roi s'approcha de lui, la voix tremblante, la main furieuse.

– Comte, dit-il, pas un mot.

Le pauvre roi oubliait qu'une heure auparavant il faisait au même homme la même recommandation, avec le désir tout opposé, c'est-à- dire que cet homme fût indiscret.

Aussi cette recommandation fut-elle aussi superflue que la première.

Une demi-heure après, tout Fontainebleau savait que Mlle de La

Vallière avait eu sous le chêne royal une conversation avec

Montalais et Tonnay-Charente, et que dans cette conversation elle avait avoué son amour pour le roi.

On savait aussi que le roi, après avoir manifesté toute l'inquiétude que lui inspirait l'état de Mlle de La Vallière, avait pâli et tremblé en recevant dans ses bras la belle évanouie; de sorte qu'il fut bien arrêté, chez tous les courtisans, que le plus grand événement de l'époque venait de se révéler; que Sa Majesté aimait Mlle de La Vallière, et que, par conséquent, Monsieur pouvait dormir parfaitement tranquille.

C'est, au reste, ce que la reine mère, aussi surprise que les autres de ce brusque revirement, se hâta de déclarer à la jeune reine et à Philippe d'Orléans.

Seulement, elle opéra d'une façon bien différente en s'attaquant à ces deux intérêts.

À sa bru:

– Voyez, Thérèse, dit-elle, si vous n'aviez pas grandement tort d'accuser le roi; voilà qu'on lui donne aujourd'hui une nouvelle maîtresse; pourquoi celle d'aujourd'hui serait-elle plus vraie que celle d'hier, et celle d'hier que celle d'aujourd'hui?

Et à Monsieur, en lui racontant l'aventure du chêne royal:

– Êtes-vous absurde dans vos jalousies, mon cher Philippe? Il est avéré que le roi perd la tête pour cette petite La Vallière. N'allez pas en parler à votre femme: la reine le saurait tout de suite.

Cette dernière confidence eut son ricochet immédiat.

Monsieur, rasséréné, triomphant, vint retrouver sa femme, et, comme il n'était pas encore minuit et que la fête devait durer jusqu'à deux heures du matin, il lui offrit la main pour la promenade.

Mais, au bout de quelques pas, la première chose qu'il fit fut de désobéir à sa mère.

– N'allez pas dire à la reine, au moins, tout ce que l'on raconte du roi, fit-il mystérieusement.

– Et que raconte-t-on? demanda Madame.

– Que mon frère s'était épris tout à coup d'une passion étrange.

– Pour qui?

– Pour cette petite La Vallière.

Il faisait nuit, Madame put sourire à son aise.

– Ah! dit-elle, et depuis quand cela le tient-il?

– Depuis quelques jours, à ce qu'il paraît. Mais ce n'était que fumée, et c'est seulement ce soir que la flamme s'est révélée.

– Le roi a bon goût, dit Madame, et à mon avis la petite est charmante.

– Vous m'avez l'air de vous moquer, ma toute chère.

– Moi! et comment cela?

– En tout cas, cette passion fera toujours le bonheur de quelqu'un, ne fût-ce que celui de La Vallière.

– Mais, reprit la princesse, en vérité, vous parlez, monsieur, comme si vous aviez lu au fond de l'âme de ma fille d'honneur. Qui vous a dit qu'elle consent à répondre à la passion du roi?

– Et qui vous dit, à vous, qu'elle n'y répondra pas?

– Elle aime le vicomte de Bragelonne.

– Ah! vous croyez?

– Elle est même sa fiancée.

– Elle l'était.

– Comment cela?

– Mais, quand on est venu demander au roi la permission de conclure le mariage, il a refusé cette permission.

– Refusé?

– Oui, quoique ce fût au comte de La Fère lui-même, que le roi honore, vous le savez, d'une grande estime pour le rôle qu'il a joué dans la restauration de votre frère, et dans quelques autres événements encore, arrivés depuis longtemps.

– Eh bien! les pauvres amoureux attendront qu'il plaise au roi de changer d'avis; ils sont jeunes, ils ont le temps.

– Ah! ma mie, dit Philippe en riant à son tour, je vois que vous ne savez pas le plus beau de l'affaire.

– Non.

– Ce qui a le plus profondément touché le roi.

– Le roi a été profondément touché?

– Au coeur.

– Mais de quoi? Dites vite, voyons!