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Le vicomte de Bragelonne, Tome II.

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Chapitre CXII – Ce que l'on prend en chassant aux papillons

Les deux jeunes gens restèrent un instant la tête inclinée sous cette double pensée d'amour naissant qui fait naître tant de fleurs dans les imaginations de vingt ans.

Madame Henriette regardait Louis de côté. C'était une de ces natures bien organisées qui savent à la fois regarder en elles- mêmes et dans les autres. Elle voyait l'amour au fond du coeur de Louis, comme un plongeur habile voit une perle au fond de la mer.

Elle comprit que Louis était dans l'hésitation, sinon dans le doute, et qu'il fallait pousser en avant ce coeur paresseux ou timide.

– Ainsi?.. dit-elle, interrogeant en même temps qu'elle rompait le silence.

– Que voulez-vous dire? demanda Louis après avoir attendu un instant.

– Je veux dire qu'il me faudra revenir à la résolution que j'avais prise.

– À laquelle?

– À celle que j'avais déjà soumise à Votre Majesté.

– Quand cela?

– Le jour où nous nous expliquâmes à propos des jalousies de

Monsieur.

– Que me disiez-vous donc ce jour-là? demanda Louis, inquiet.

– Vous ne vous en souvenez plus, Sire?

– Hélas! si c'est un malheur encore, je m'en souviendrai toujours assez tôt.

– Oh! ce n'est un malheur que pour moi, Sire, répondit Madame

Henriette; mais c'est un malheur nécessaire.

– Mon Dieu!

– Et je le subirai.

– Enfin, dites, quel est ce malheur?

– L'absence!

– Oh! encore cette méchante résolution?

– Sire, croyez que je ne l'ai point prise sans lutter violemment contre moi même… Sire, il me faut, croyez-moi, retourner en Angleterre.

– Oh! jamais, jamais, je ne permettrai que vous quittiez la

France! s'écria le roi.

– Et cependant, dit Madame en affectant une douce et triste fermeté, cependant, Sire, rien n'est plus urgent; et, il y a plus, je suis persuadée que telle est la volonté de votre mère.

– La volonté! s'écria le roi. Oh! oh! chère soeur, vous avez dit là un singulier mot devant moi.

– Mais, répondit en souriant Madame Henriette, n'êtes-vous pas heureux de subir les volontés d'une bonne mère?

– Assez, je vous en conjure; vous me déchirez le coeur.

– Moi?

– Sans doute, vous parlez de ce départ avec une tranquillité.

– Je ne suis pas née pour être heureuse, Sire, répondit mélancoliquement la princesse, et j'ai pris, toute jeune, l'habitude de voir mes plus chères pensées contrariées.

– Dites-vous vrai? Et votre départ contrarierait-il une pensée qui vous soit chère?

– Si je vous répondais oui, n'est-il pas vrai, Sire, que vous prendriez déjà votre mal en patience?

– Cruelle!

– Prenez garde, Sire, on se rapproche de nous.

Le roi regarda autour de lui.

– Non, dit-il.

Puis, revenant à Madame:

– Voyons, Henriette, au lieu de chercher à combattre la jalousie de Monsieur par un départ qui me tuerait…

Henriette haussa légèrement les épaules, en femme qui doute.

– Oui, qui me tuerait, répondit Louis. Voyons, au lieu de vous arrêter à ce départ, est-ce que votre imagination… Ou plutôt est-ce que votre coeur ne vous suggérerait rien?

– Et que voulez-vous que mon coeur me suggère, mon Dieu?

– Mais enfin, dites, comment prouve-t-on à quelqu'un qu'il a tort d'être jaloux?

– D'abord, Sire, en ne lui donnant aucun motif de jalousie, c'est-à-dire en n'aimant que lui.

– Oh! j'attendais mieux.

– Qu'attendiez-vous?

– Que vous répondiez tout simplement qu'on tranquillise les jaloux en dissimulant l'affection que l'on porte à l'objet de leur jalousie.

– Dissimuler est difficile, Sire.

– C'est pourtant par les difficultés vaincues qu'on arrive à tout bonheur. Quant à moi, je vous jure que je démentirai mes jaloux, s'il le faut, en affectant de vous traiter comme toutes les autres femmes.

– Mauvais moyen, faible moyen, dit la jeune femme en secouant sa charmante tête.

– Vous trouvez tout mauvais, chère Henriette, dit Louis mécontent. Vous détruisez tout ce que je propose. Mettez donc au moins quelque chose à la place. Voyons, cherchez. Je me fie beaucoup aux inventions des femmes. Inventez à votre tour.

– Eh bien! je trouve ceci. Écoutez-vous, Sire?

– Vous me le demandez! Vous parlez de ma vie ou de ma mort, et vous me demandez si j'écoute!

– Eh bien! j'en juge par moi-même. S'il s'agissait de me donner le change sur les intentions de mon mari à l'égard d'une autre femme, une chose me rassurerait par-dessus tout.

– Laquelle?

– Ce serait de voir, d'abord, qu'il ne s'occupe pas de cette femme.

– Eh bien! voilà précisément ce que je vous disais tout à l'heure.

– Soit. Mais je voudrais, pour être pleinement rassurée, le voir encore s'occuper d'une autre.

– Ah! je vous comprends, répondit Louis en souriant. Mais, dites- moi, chère Henriette…

– Quoi?

– Si le moyen est ingénieux, il n'est guère charitable.

– Pourquoi?

– En guérissant l'appréhension de la blessure dans l'esprit du jaloux, vous lui en faites une au coeur. Il n'a plus la peur, c'est vrai; mais il a le mal, ce qui me semble bien pis.

– D'accord; mais au moins il ne surprend pas, il ne soupçonne pas l'ennemi réel, il ne nuit pas à l'amour; il concentre toutes ses forces du côté où ses forces ne feront tort à rien ni à personne. En un mot, Sire, mon système, que je m'étonne de vous voir combattre, je l'avoue, fait du mal aux jaloux, c'est vrai, mais fait du bien aux amants. Or, je vous le demande, Sire, excepté vous peut-être, qui a jamais songé à plaindre les jaloux? Ne sont- ce pas des bêtes mélancoliques, toujours aussi malheureuses sans sujet qu'avec sujet? Ôtez le sujet, vous ne détruirez pas leur affliction. Cette maladie gît dans l'imagination, et, comme toutes les maladies imaginaires, elle est incurable. Tenez, il me souvient à ce propos, très cher Sire, d'un aphorisme de mon pauvre médecin Dawley, savant et spirituel docteur, que, sans mon frère, qui ne peut se passer de lui, j'aurais maintenant près de moi: «Lorsque vous souffrirez de deux affections, me disait-il, choisissez celle qui vous gêne le moins, je vous laisserai celle- là; car, par Dieu! disait-il, celle-là m'est souverainement utile pour que j'arrive à vous extirper l'autre.»

– Bien dit, bien jugé, chère Henriette, répondit le roi en souriant.

– Oh! nous avons d'habiles gens à Londres, Sire.

– Et ces habiles gens font d'adorables élèves; ce Daley,

Darley… comment l'appelez-vous?

– Dawley.

– Eh bien! je lui ferai pension dès demain pour son aphorisme; vous, Henriette, commencez, je vous prie, par choisir le moindre de vos maux. Vous ne répondez pas, vous souriez; je devine, le moindre de vos maux, n'est-ce pas, c'est votre séjour en France? Je vous laisserai ce mal-là, et, pour débuter dans la cure de l'autre, je veux chercher dès aujourd'hui un sujet de divagation pour les jaloux de tout sexe qui nous persécutent.

– Chut! cette fois-ci, on vient bien réellement, dit Madame.

Et elle se baissa pour cueillir une pervenche dans le gazon touffu.

On venait, en effet, car soudain se précipitèrent, par le sommet du monticule, une foule de jeunes femmes que suivaient les cavaliers; la cause de toute cette irruption était un magnifique sphinx des vignes aux ailes supérieures semblables au plumage du chat-huant, aux ailes inférieures pareilles à des feuilles de rose.

Cette proie opime était tombée dans les filets de Mlle de Tonnay- Charente, qui la montrait avec fierté à ses rivales, moins bonnes chercheuses qu'elle.

La reine de la chasse s'assit à vingt pas à peu près du banc où se tenaient Louis et Madame Henriette, s'adossa à un magnifique chêne enlacé de lierres, et piqua le papillon sur le jonc de sa longue canne.

Mlle de Tonnay-Charente était fort belle; aussi les hommes désertèrent-ils les autres femmes pour venir, sous prétexte de lui faire compliment sur son adresse, se presser en cercle autour d'elle.

Le roi et la princesse regardaient sournoisement cette scène comme les spectateurs d'un autre âge regardent les jeux des petits enfants.

– On s'amuse là-bas, dit le roi.

– Beaucoup, Sire; j'ai toujours remarqué qu'on s'amusait là où étaient la jeunesse et la beauté.

– Que dites-vous de Mlle de Tonnay-Charente, Henriette? demanda le roi.

– Je dis qu'elle est un peu blonde, répondit Madame, tombant du premier coup sur le seul défaut que l'on pût reprocher à la beauté presque parfaite de la future Mme de Montespan.

– Un peu blonde, soit! mais belle, ce me semble, malgré cela.

– Est-ce votre avis, Sire?

– Mais oui.

– Eh bien! alors, c'est le mien aussi.

– Et recherchée, vous voyez.

– Oh! pour cela, oui: les amants voltigent. Si nous faisions la chasse aux amants, au lieu de faire la chasse aux papillons, voyez donc la belle capture que nous ferions autour d'elle.

– Voyons, Henriette, que dirait-on si le roi se mêlait à tous ces amants et laissait tomber son regard de ce côté? Serait-on encore jaloux là-bas?

– Oh! Sire, Mlle de Tonnay-Charente est un remède bien efficace, dit Madame avec un soupir; elle guérirait le jaloux, c'est vrai, mais elle pourrait bien faire une jalouse.

– Henriette! Henriette! s'écria Louis, vous m'emplissez le coeur de joie! Oui, oui, vous avez raison, Mlle de Tonnay-Charente est trop belle pour servir de manteau.

– Manteau de roi, dit en souriant Madame Henriette; manteau de roi doit être beau.

– Me le conseillez-vous? demanda Louis.

– Oh! moi, que vous dirais-je, Sire, sinon que donner un pareil conseil serait donner des armes contre moi? Ce serait folie ou orgueil que vous conseiller de prendre pour héroïne d'un faux amour une femme plus belle que celle pour laquelle vous prétendez éprouver un amour vrai.

 

Le roi chercha la main de Madame avec la main, les yeux avec les yeux, puis il balbutia quelques mots si tendres, mais en même temps prononcés si bas, que l'historien, qui doit tout entendre, ne les entendit point.

Puis tout haut:

– Eh bien! dit-il, choisissez-moi vous-même celle qui devra guérir nos jaloux. À celle-là tous mes soins, toutes mes attentions, tout le temps que je vole aux affaires; à celle-là, Henriette, la fleur que je cueillerai pour vous, les pensées de tendresse que vous ferez naître en moi; à celle-là le regard que je n'oserai vous adresser, et qui devrait aller vous éveiller dans votre insouciance. Mais choisissez-la bien, de peur qu'en voulant songer à elle, de peur qu'en lui offrant la rose détachée par mes doigts, je ne me trouve vaincu par vous-même, et que l'oeil, la main, les lèvres ne retournent sur-le champ à vous, dût l'univers tout entier deviner mon secret.

Pendant que ces paroles s'échappaient de la bouche du roi, comme un flot d'amour, Madame rougissait, palpitait, heureuse, fière, enivrée; elle ne trouva rien à répondre, son orgueil et sa soif des hommages étaient satisfaits.

– J'échouerai, dit-elle en relevant ses beaux yeux, mais non pas comme vous m'en priez, car tout cet encens que vous voulez brûler sur l'autel d'une autre déesse, ah! Sire, j'en suis jalouse aussi et je veux qu'il me revienne, et je ne veux pas qu'il s'en égare un atome en chemin. Donc, Sire, je choisirai, avec votre royale permission, ce qui me paraîtra le moins capable de vous distraire, et qui laissera mon image bien intacte dans votre âme.

– Heureusement, dit le roi, que votre coeur n'est point mal composé, sans cela je frémirais de la menace que vous me faites; nous avons pris sur ce point nos précautions, et autour de vous, comme autour de moi, il serait difficile de rencontrer un fâcheux visage.

Pendant que le roi parlait ainsi, Madame s'était levée, avait parcouru des yeux toute la pelouse, et, après un examen détaillé et silencieux, appelant à elle le roi:

– Tenez, Sire, dit-elle, voyez-vous sur le penchant de la colline, près de ce massif de boules-de-neige, cette belle arriérée qui va seule, tête baissée, bras pendants, cherchant dans les fleurs qu'elle foule aux pieds, comme tous ceux qui ont perdu leur pensée.

– Mlle de La Vallière? fit le roi.

– Oui.

– Oh!

– Ne vous convient-elle pas, Sire?

– Mais voyez donc la pauvre enfant, elle est maigre, presque décharnée!

– Bon! suis-je grasse, moi?

– Mais elle est triste à mourir!

– Cela fera contraste avec moi, que l'on accuse d'être trop gaie.

– Mais elle boite!

– Vous croyez?

– Sans doute. Voyez donc, elle a laissé passer tout le monde de peur que sa disgrâce ne soit remarquée.

– Eh bien! elle courra moins vite que Daphné et ne pourra pas fuir Apollon.

– Henriette! Henriette! fit le roi tout maussade, vous avez été justement me chercher la plus défectueuse de vos filles d'honneur.

– Oui, mais c'est une de mes filles d'honneur, notez cela.

– Sans doute. Que voulez-vous dire?

– Je veux dire que, pour visiter cette divinité nouvelle, vous ne pourrez vous dispenser de venir chez moi, et que, la décence interdisant à votre flamme d'entretenir particulièrement la déesse, vous serez contraint de la voir à mon cercle, de me parler en lui parlant. Je veux dire, enfin, que les jaloux auront tort s'ils croient que vous venez chez moi pour moi, puisque vous y viendrez pour Mlle de La Vallière.

– Qui boite.

– À peine.

– Qui n'ouvre jamais la bouche.

– Mais qui, quand elle l'ouvre, montre des dents charmantes.

– Qui peut servir de modèle aux ostéologistes.

– Votre faveur l'engraissera.

– Henriette!

– Enfin, vous m'avez laissée maîtresse?

– Hélas! oui.

– Eh bien! c'est mon choix; je vous l'impose. Subissez-le.

– Oh! je subirais une des Furies, si vous me l'imposiez.

– La Vallière est douce comme un agneau; ne craignez pas qu'elle vous contredise jamais quand vous lui direz que vous l'aimez.

Et Madame se mit à rire.

– Oh! vous n'avez pas peur que je lui en dise trop, n'est-ce pas?

– C'était dans mon droit.

– Soit.

– C'est donc un traité fait?

– Signé.

– Vous me conserverez une amitié de frère, une assiduité de frère, une galanterie de roi, n'est-ce pas?

– Je vous conserverai un coeur qui n'a déjà plus l'habitude de battre qu'à votre commandement.

– Eh bien! voyez-vous l'avenir assuré de cette façon?

– Je l'espère.

– Votre mère cessera-t-elle de me regarder en ennemie?

– Oui.

– Marie-Thérèse cessera-t-elle de parler en espagnol devant Monsieur, qui a horreur des colloques faits en langue étrangère, parce qu'il croit toujours qu'on l'y maltraite?

– Hélas! a-t-il tort? murmura le roi tendrement.

– Et pour terminer, fit la princesse, accusera-t-on encore le roi de songer à des affections illégitimes, quand il est vrai que nous n'éprouvons rien l'un pour l'autre, si ce n'est des sympathies pures de toute arrière-pensée?

– Oui, oui, balbutia le roi. Mais on dira encore autre chose.

– Et que dira-t-on, Sire? En vérité, nous ne serons donc jamais en repos?

– On dira, continua le roi, que j'ai bien mauvais goût; mais qu'est-ce que mon amour-propre auprès de votre tranquillité?

– De mon honneur, Sire, et de celui de notre famille, voulez-vous dire. D'ailleurs, croyez-moi, ne vous hâtez point ainsi de vous piquer contre La Vallière; elle boite, c'est vrai, mais elle ne manque pas d'un certain bon sens. Tout ce que le roi touche, d'ailleurs, se convertit en or.

– Enfin, madame, soyez certaine d'une chose, c'est que je vous suis encore reconnaissant; vous pouviez me faire payer plus cher encore votre séjour en France.

– Sire, on vient à nous.

– Eh bien?

– Un dernier mot.

– Lequel?

– Vous êtes prudent et sage, Sire, mais c'est ici qu'il faudra appeler à votre secours toute votre prudence, toute votre sagesse.

– Oh! s'écria Louis en riant, je commence dès ce soir à jouer mon rôle, et vous verrez si j'ai de la vocation pour représenter les bergers. Nous avons grande promenade dans la forêt après le goûter, puis nous avons souper et ballet à dix heures.

– Je le sais bien.

– Or, ma flamme va ce soir même éclater plus haut que les feux

d'artifice, briller plus clairement que les lampions de notre ami

Colbert; cela resplendira de telle sorte que les reines et

Monsieur auront les yeux brûlés.

– Prenez garde, Sire, prenez garde!

– Eh! mon Dieu, qu'ai-je donc fait?

– Voilà que je vais rentrer mes compliments de tout à l'heure… Vous, prudent! vous, sage! ai-je dit… Mais vous débutez par d'abominables folies! Est-ce qu'une passion s'allume ainsi, comme une torche, en une seconde? Est-ce que, sans préparation aucune, un roi fait comme vous tombe aux pieds d'une fille comme La Vallière?

– Oh! Henriette! Henriette! Henriette! je vous y prends… Nous n'avons pas encore commencé la campagne et vous me pillez!

– Non, mais je vous rappelle aux idées saines. Allumez progressivement votre flamme, au lieu de la faire éclater ainsi tout à coup. Jupiter tonne et fait briller l'éclair avant d'incendier les palais. Toute chose a son prélude. Si vous vous échauffez ainsi, nul ne vous croira épris, et tout le monde vous croira fou. À moins toutefois qu'on ne vous devine. Les gens sont moins sots parfois qu'ils n'en ont l'air.

Le roi fut obligé de convenir que Madame était un ange de savoir et un diable d'esprit.

– Eh bien! soit, dit-il, je ruminerai mon plan d'attaque; les généraux, mon cousin de Condé, par exemple, pâlissent sur leurs cartes stratégiques avant de faire mouvoir un seul de ces pions qu'on appelle des corps d'armée; moi, je veux dresser tout un plan d'attaque. Vous savez que le Tendre est subdivisé en toutes sortes de circonscriptions. Eh bien! je m'arrêterai au village de Petits- Soins, au hameau de Billets-Doux, avant de prendre la route de Visible-Amour; le chemin est tout tracé, vous le savez, et cette pauvre Mlle de Scudéry ne me pardonnerait point de brûler ainsi les étapes.

– Nous voilà revenus en bon chemin, Sire. Maintenant, vous plaît- il que nous nous séparions?

– Hélas! il le faut bien; car, tenez, on nous sépare.

– Ah! dit Madame Henriette, en effet, voilà qu'on nous apporte le sphinx de Mlle de Tonnay-Charente, avec les sons de trompe en usage chez les grands veneurs.

– C'est donc bien entendu: ce soir, pendant la promenade, je me glisserai dans la forêt, et trouvant La Vallière sans vous…

– Je l'éloignerai. Cela me regarde.

– Très bien! Je l'aborderai au milieu de ses compagnes, et lancerai le premier trait.

– Soyez adroit, dit Madame en riant, ne manquez pas le coeur.

Et la princesse prit congé du roi pour aller au-devant de la troupe joyeuse, qui accourait avec force cérémonies et fanfares de chasse entonnées par toutes les bouches.

Chapitre CXIII – Le ballet des Saisons

Après la collation, qui eut lieu vers cinq heures, le roi entra dans son cabinet, où l'attendaient les tailleurs.

Il s'agissait d'essayer enfin ce fameux habit du Printemps qui avait coûté tant d'imagination, tant d'efforts de pensée aux dessinateurs et aux ornementistes de la cour.

Quant au ballet lui-même, tout le monde savait son pas et pouvait figurer.

Le roi avait résolu d'en faire l'objet d'une surprise. Aussi à peine eut-il terminé sa conférence et fut-il rentré chez lui, qu'il manda ses deux maîtres de cérémonies, Villeroy et Saint- Aignan.

Tous deux lui répondirent qu'on n'attendait que son ordre, et qu'on était prêt à commencer; mais cet ordre, pour qu'il le donnât, il fallait du beau temps et une nuit propice.

Le roi ouvrit sa fenêtre; la poudre d'or du soir tombait à l'horizon par les déchirures du bois; blanche comme une neige, la lune se dessinait déjà au ciel.

Pas un pli sur la surface des eaux vertes; les cygnes eux-mêmes, reposant sur leurs ailes fermées comme des navires à l'ancre, semblaient se pénétrer de la chaleur de l'air, de la fraîcheur de l'eau, et du silence d'une admirable soirée.

Le roi, ayant vu toutes ces choses, contemplé ce magnifique tableau, donna l'ordre que demandaient MM. de Villeroy et de Saint-Aignan.

Pour que cet ordre fût exécuté royalement, une dernière question était nécessaire; Louis XIV la posa à ces deux gentilshommes.

La question avait quatre mots:

– Avez-vous de l'argent?

– Sire, répondit Saint-Aignan, nous nous sommes entendus avec

M. Colbert.

– Ah! fort bien.

– Oui, Sire, et M. Colbert a dit qu'il serait auprès de Votre Majesté aussitôt que Votre Majesté manifesterait l'intention de donner suite aux fêtes dont elle a donné le programme.

– Qu'il vienne alors.

Comme si Colbert eût écouté aux portes pour se maintenir au courant de la conversation, il entra dès que le roi eut prononcé son nom devant les deux courtisans.

– Ah! fort bien, monsieur Colbert, dit Sa Majesté. À vos postes donc, messieurs!

Saint-Aignan et Villeroy prirent congé.

Le roi s'assit dans un fauteuil près de la fenêtre.

– Je danse ce soir mon ballet, monsieur Colbert, dit-il.

– Alors, Sire, c'est demain que je paie les notes?

– Comment cela?

– J'ai promis aux fournisseurs de solder leurs comptes le lendemain du jour où le ballet aurait eu lieu.

– Soit, monsieur Colbert, vous avez promis, payez.

– Très bien, Sire; mais, pour payer, comme disait

M. de Lesdiguières, il faut de l'argent.

– Quoi! les quatre millions promis par M. Fouquet n'ont-ils donc pas été remis? J'avais oublié de vous en demander compte.

– Sire, ils étaient chez Votre Majesté à l'heure dite.

– Eh bien?

– Eh bien! Sire, les verres de couleur, les feux d'artifice, les violons et les cuisiniers ont mangé quatre millions en huit jours.

– Entièrement?

– Jusqu'au dernier sou. Chaque fois que Votre Majesté a ordonné d'illuminer les bords du grand canal, cela a brûlé autant d'huile qu'il y a d'eau dans les bassins.

– Bien, bien, monsieur Colbert. Enfin, vous n'avez plus d'argent?

– Oh! je n'en ai plus, mais M. Fouquet en a.

Et le visage de Colbert s'éclaira d'une joie sinistre.

– Que voulez-vous dire? demanda Louis.

– Sire, nous avons déjà fait donner six millions à M. Fouquet. Il les a donnés de trop bonne grâce pour n'en pas donner encore d'autres si besoin était. Besoin est aujourd'hui; donc, il faut qu'il s'exécute.

 

Le roi fronça le sourcil.

– Monsieur Colbert, dit-il en accentuant le nom du financier, ce n'est point ainsi que je l'entends, je ne veux pas employer contre un de mes serviteurs des moyens de pression qui le gênent et qui entravent son service. M. Fouquet a donné six millions en huit jours, c'est une somme.

Colbert pâlit.

– Cependant, fit-il, Votre Majesté ne parlait pas ce langage il y a quelque temps; lorsque les nouvelles de Belle-Île arrivèrent, par exemple.

– Vous avez raison, monsieur Colbert.

– Rien n'est changé depuis cependant, bien au contraire.

– Dans ma pensée, monsieur, tout est changé.

– Comment, Sire, Votre Majesté ne croit plus aux tentatives?

– Mes affaires me regardent, monsieur le sous-intendant, et je vous ai déjà dit que je les faisais moi-même.

– Alors, je vois que j'ai eu le malheur, dit Colbert en tremblant de rage et de peur, de tomber dans la disgrâce de Votre Majesté.

– Nullement; vous m'êtes, au contraire, fort agréable.

– Eh! Sire, dit le ministre avec cette brusquerie affectée et habile quand il s'agissait de flatter l'amour-propre de Louis, à quoi bon être agréable à Votre Majesté si on ne lui est plus utile?

– Je réserve vos services pour une occasion meilleure, et, croyez-moi, ils n'en vaudront que mieux.

– Ainsi le plan de Votre Majesté en cette affaire?..

– Vous avez besoin d'argent, monsieur Colbert?

– De sept cent mille livres, Sire.

– Vous les prendrez dans mon trésor particulier.

Colbert s'inclina.

– Et, ajouta Louis, comme il me paraît difficile que, malgré votre économie, vous satisfassiez avec une somme aussi exiguë aux dépenses que je veux faire, je vais vous signer une cédule de trois millions.

Le roi prit une plume et signa aussitôt. Puis, remettant le papier à Colbert:

– Soyez tranquille, dit-il, le plan que j'ai adopté est un plan de roi, monsieur Colbert.

Et sur ces mots, prononcés avec toute la majesté que le jeune prince savait prendre dans ces circonstances, il congédia Colbert pour donner audience aux tailleurs.

L'ordre donné par le roi était connu dans tout Fontainebleau; on savait déjà que le roi essayait son habit et que le ballet serait dansé le soir.

Cette nouvelle courut avec la rapidité de l'éclair, et sur son passage elle alluma toutes les coquetteries, tous les désirs, toutes les folles ambitions.

À l'instant même, et comme par enchantement, tout ce qui savait tenir une aiguille, tout ce qui savait distinguer un pourpoint d'avec un haut-de-chausses, comme dit Molière, fut convoqué pour servir d'auxiliaire aux élégants et aux dames.

Le roi eut achevé sa toilette à neuf heures; il parut dans son carrosse découvert et orné de feuillages et de fleurs.

Les reines avaient pris place sur une magnifique estrade disposée, sur les bords de l'étang, dans un théâtre d'une merveilleuse élégance.

En cinq heures, les ouvriers charpentiers avaient assemblé toutes les pièces de rapport de ce théâtre; les tapissiers avaient tendu leurs tapisseries, dressé leurs sièges, et, comme au signal d'une baguette d'enchanteur, mille bras, s'aidant les uns les autres au lieu de se gêner, avaient construit l'édifice dans ce lieu au son des musiques, pendant que déjà les artificiers illuminaient le théâtre et les bords de l'étang par un nombre incalculable de bougies.

Comme le ciel s'étoilait et n'avait pas un nuage, comme on n'entendait pas un souffle d'air dans les grands bois, comme si la nature elle-même s'était accommodée à la fantaisie du prince, on avait laissé ouvert le fond de ce théâtre. En sorte que, derrière les premiers plans du décor, on apercevait pour fond ce beau ciel ruisselant d'étoiles cette nappe d'eau embrasée de feux qui s'y réfléchissaient, et les silhouettes bleuâtres des grandes masses de bois aux cimes arrondies.

Quand le roi parut, toute la salle était pleine, et présentait un groupe étincelant de pierreries et d'or, dans lequel le premier regard ne pouvait distinguer aucune physionomie.

Peu à peu, quand la vue s'accoutumait à tant d'éclat, les plus rares beautés apparaissaient, comme dans le ciel du soir les étoiles, une à une, pour celui qui a fermé les yeux et qui les rouvre.

Le théâtre représentait un bocage; quelques faunes levant leurs pieds fourchus sautillaient çà et là; une dryade, apparaissant, les excitait à la poursuite; d'autres se joignaient à elle pour la défendre, et l'on se querellait en dansant.

Soudain devaient paraître, pour ramener l'ordre et la paix, le

Printemps et toute sa cour.

Les éléments, les puissances subalternes et la mythologie avec leurs attributs, se précipitaient sur les traces de leur gracieux souverain.

Les Saisons, alliées du Printemps, venaient à ses côtés former un quadrille, qui, sur des paroles plus ou moins flatteuses, entamait la danse. La musique, hautbois, flûtes et violes, peignait les plaisirs champêtres.

Déjà le roi entrait au milieu d'un tonnerre d'applaudissements.

Il était vêtu d'une tunique de fleurs, qui dégageait, au lieu de l'alourdir, sa taille svelte et bien prise. Sa jambe, une des plus élégantes de la cour, paraissait avec avantage dans un bas de soie couleur chair, soie si fine et si transparente que l'on eût dit la chair elle-même.

Les plus charmants souliers de satin lilas clair, à bouffettes de fleurs et de feuilles, emprisonnaient son petit pied.

Le buste était en harmonie avec cette base; de beaux cheveux ondoyants, un air de fraîcheur rehaussé par l'éclat de beaux yeux bleus qui brûlaient doucement les coeurs, une bouche aux lèvres appétissantes, qui daignait s'ouvrir pour sourire: tel était le prince de l'année, qu'on eût, et à juste titre ce soir-là, nommé le roi de tous les Amours.

Il y avait dans sa démarche quelque chose de la légère majesté d'un dieu. Il ne dansait pas, il planait.

Cette entrée fit donc l'effet le plus brillant. Soudain, comme nous l'avons dit, on aperçut le comte de Saint-Aignan qui cherchait à s'approcher du roi ou de Madame.

La princesse, vêtue d'une robe longue, diaphane et légère comme les plus fines résilles que tissent les savantes Malinoises, le genou parfois dessiné sous les plis de la tunique, son petit pied chaussé de soie, s'avançait radieuse avec son cortège de bacchantes, et touchait déjà la place qui lui était assignée pour danser.

Les applaudissements durèrent si longtemps, que le comte eut tout le loisir de joindre le roi arrêté sur une pointe.

– Qu'y a-t-il, Saint-Aignan? fit le Printemps.

– Mon Dieu, Sire, répliqua le courtisan tout pâle, il y a que

Votre Majesté n'a pas songé au pas des Fruits.

– Si fait; il est supprimé.

– Non pas, Sire. Votre Majesté n'en a point donné l'ordre, et la musique l'a conservé.

– Voilà qui est fâcheux! murmura le roi. Ce pas n'est point exécutable, puisque M. de Guiche est absent. Il faudra le supprimer.

– Oh! Sire, un quart d'heure de musique sans danses, ce sera froid à tuer le ballet.

– Mais, comte, alors…

– Oh! Sire, le grand malheur n'est pas là; car, après tout, l'orchestre couperait encore tant bien que mal, s'il était nécessaire; mais…

– Mais quoi?

– C'est que M. de Guiche est ici.

– Ici? répliqua le roi en fronçant le sourcil, ici?.. Vous êtes sûr?..

– Tout habillé pour le ballet, Sire.

Le roi sentit le rouge lui monter au visage.

– Vous vous serez trompé, dit-il.

– Si peu, Sire, que Votre Majesté peut regarder à sa droite. Le comte attend.

Louis se tourna vivement de ce côté; et, en effet, à sa droite, éclatant de beauté sous son habit de Vertumne, de Guiche attendait que le roi le regardât pour lui adresser la parole.

Dire la stupéfaction du roi, celle de Monsieur qui s'agita dans sa loge, dire les chuchotements, l'oscillation des têtes dans la salle, dire l'étrange saisissement de Madame à la vue de son partner, c'est une tâche que nous laissons à de plus habiles.

Le roi était resté bouche béante et regardait le comte.

Celui-ci s'approcha, respectueux, courbé:

– Sire, dit-il, le plus humble serviteur de Votre Majesté vient lui faire service en ce jour, comme il a fait au jour de bataille. Le roi, en manquant ce pas des Fruits, perdait la plus belle scène de son ballet. Je n'ai pas voulu qu'un semblable dommage résultât par moi, pour la beauté, l'adresse et la bonne grâce du roi; j'ai quitté mes fermiers, afin devenir en aide à mon prince.

Chacun de ces mots tombait, mesuré, harmonieux, éloquent, dans l'oreille de Louis XIV. La flatterie lui plut autant que le courage l'étonna. Il se contenta de répondre:

– Je ne vous avais pas dit de revenir, comte.

– Assurément, Sire; mais Votre Majesté ne m'avait pas dit de rester.

Le roi sentait le temps courir. La scène, en se prolongeant, pouvait tout brouiller. Une seule ombre à ce tableau le gâtait sans ressource.