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Le vicomte de Bragelonne, Tome II.

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– Qu'appelez-vous vous faire justice vous-même? demanda Anne d'Autriche avec un certain effroi.

– Je veux que M. de Buckingham quitte Madame; je veux que M. de Buckingham quitte la France, et je lui ferai signifier ma volonté.

– Vous ne ferez rien signifier du tout, Philippe, dit la reine; car si vous agissiez de la sorte, si vous violiez à ce point l'hospitalité, j'invoquerais contre vous la sévérité du roi.

– Vous me menacez, ma mère! s'écria Philippe éploré; vous me menacez quand je me plains!

– Non, je ne vous menace pas, je mets une digue à votre emportement. Je vous dis que prendre contre M. de Buckingham ou tout autre Anglais un moyen rigoureux, qu'employer même un procédé peu civil, c'est entraîner la France et l'Angleterre dans des divisions fort douloureuses. Quoi! un prince, le frère du roi de France, ne saurait pas dissimuler une injure, même réelle, devant une nécessité politique!

Philippe fit un mouvement.

– D'ailleurs, continua la reine, l'injure n'est ni vraie ni possible, et il ne s'agit que d'une jalousie ridicule.

– Madame, je sais ce que je sais.

– Et moi, quelque chose que vous sachiez, je vous exhorte à la patience.

– Je ne suis point patient, madame.

La reine se leva pleine de roideur et de cérémonie glacée.

– Alors expliquez vos volontés, dit-elle.

– Je n'ai point de volonté, madame; mais j'exprime des désirs. Si, de lui-même, M. de Buckingham ne s'écarte point de ma maison, je la lui interdirai.

– Ceci est une question dont nous référerons au roi, dit Anne d'Autriche le coeur gonflé, la voix émue.

– Mais, madame, s'écria Philippe en frappant ses mains l'une contre l'autre, soyez ma mère et non la reine, puisque je vous parle en fils; entre M. de Buckingham et moi, c'est l'affaire d'un entretien de quatre minutes.

– C'est justement cet entretien que je vous interdis, monsieur, dit la reine reprenant son autorité; ce n'est pas digne de vous.

– Eh bien! soit! je ne paraîtrai pas, mais j'intimerai mes volontés à Madame.

– Oh! fit Anne d'Autriche avec la mélancolie du souvenir, ne tyrannisez jamais une femme, mon fils; ne commandez jamais trop haut impérativement à la vôtre. Femme vaincue n'est pas toujours convaincue.

– Que faire alors?.. Je consulterai autour de moi.

– Oui, vos conseillers hypocrites, votre chevalier de Lorraine, votre de Wardes… Laissez-moi le soin de cette affaire, Philippe; vous désirez que le duc de Buckingham s'éloigne, n'est-ce pas?

– Au plus tôt, madame.

– Eh bien! envoyez-moi le duc, mon fils! Souriez-lui, ne témoignez rien à votre femme, au roi, à personne. Des conseils, n'en recevez que de moi. Hélas! je sais ce que c'est qu'un ménage troublé par des conseillers.

– J'obéirai, ma mère.

– Et vous serez satisfait, Philippe. Trouvez-moi le duc.

– Oh! ce ne sera point difficile.

– Où croyez-vous qu'il soit?

– Pardieu! à la porte de Madame, dont il attend le lever: c'est hors de doute.

– Bien! fit Anne d'Autriche avec calme. Veuillez dire au duc que je le prie de me venir voir.

Philippe baisa la main de sa mère et partit à la recherche de

M. de Buckingham.

Chapitre XCII – For ever!

Milord Buckingham, soumis à l'invitation de la reine mère, se présenta chez elle une demi-heure après le départ du duc d'Orléans. Lorsque son nom fut prononcé par l'huissier, la reine, qui s'était accoudée sur sa table, la tête dans ses mains, se releva et reçut avec un sourire le salut plein de grâce et de respect que le duc lui adressait. Anne d'Autriche était belle encore. On sait qu'à cet âge déjà avancé ses longs cheveux cendrés, ses belles mains, ses lèvres vermeilles faisaient encore l'admiration de tous ceux qui la voyaient. En ce moment, tout entière à un souvenir qui remuait le passé dans son coeur, elle était aussi belle qu'aux jours de la jeunesse, alors que son palais s'ouvrait pour recevoir, jeune et passionné, le père de ce Buckingham, cet infortuné qui avait vécu pour elle, qui était mort en prononçant son nom.

Anne d'Autriche attacha donc sur Buckingham un regard si tendre, que l'on y découvrait à la fois la complaisance d'une affection maternelle et quelque chose de doux comme une coquetterie d'amante.

– Votre Majesté, dit Buckingham avec respect, a désiré me parler?

– Oui, duc, répliqua la reine en anglais. Veuillez vous asseoir.

Cette faveur que faisait Anne d'Autriche au jeune homme, cette caresse de la langue du pays dont le duc était sevré depuis son séjour en France, remuèrent profondément son âme. Il devina sur- le-champ que la reine avait quelque chose à lui demander.

Après avoir donné les premiers moments à l'oppression insurmontable qu'elle avait ressentie, la reine reprit son air riant.

– Monsieur, dit-elle en français, comment trouvez-vous la France?

– Un beau pays, madame, répliqua le duc.

– L'aviez-vous déjà vue?

– Déjà une fois, oui, madame.

– Mais, comme tout bon Anglais, vous préférez l'Angleterre?

– J'aime mieux ma patrie que la patrie d'un Français, répondit le duc; mais si Votre Majesté me demande lequel des deux séjours je préfère, Londres ou Paris, je répondrai Paris.

Anne d'Autriche remarqua le ton plein de chaleur avec lequel ces paroles avaient été prononcées.

– Vous avez, m'a-t-on dit, milord, de beaux biens chez vous; vous habitez un palais riche et ancien?

– Le palais de mon père, répliqua Buckingham en baissant les yeux.

– Ce sont là des avantages précieux et des souvenirs, répliqua la reine en touchant malgré elle des souvenirs dont on ne se sépare pas volontiers.

– En effet, dit le duc subissant l'influence mélancolique de ce préambule, les gens de coeur rêvent autant par le passé ou par l'avenir que par le présent.

– C'est vrai, dit la reine à voix basse. Il en résulte, ajouta-t- elle, que vous, milord, qui êtes un homme de coeur… vous quitterez bientôt la France… pour vous renfermer dans vos richesses, dans vos reliques.

Buckingham leva la tête.

– Je ne crois pas, dit-il, madame.

– Comment?

– Je pense, au contraire, que je quitterai l'Angleterre pour venir habiter la France.

Ce fut au tour d'Anne d'Autriche à manifester son étonnement.

– Quoi! dit-elle, vous ne vous trouvez donc pas dans la faveur du nouveau roi?

– Au contraire, madame, Sa Majesté m'honore d'une bienveillance sans bornes.

– Il ne se peut, dit la reine, que votre fortune soit diminuée; on la disait considérable.

– Ma fortune, madame, n'a jamais été plus florissante.

– Il faut alors que ce soit quelque cause secrète?

– Non, madame, dit vivement Buckingham, il n'est rien dans la cause de ma détermination qui soit secret. J'aime le séjour de France, j'aime une cour pleine de goût et de politesse; j'aime enfin, madame, ces plaisirs un peu sérieux qui ne sont pas les plaisirs de mon pays et qu'on trouve en France.

Anne d'Autriche sourit avec finesse.

– Les plaisirs sérieux! dit-elle; avez-vous bien réfléchi, monsieur de Buckingham, à ce sérieux-là?

Le duc balbutia.

– Il n'est pas de plaisir si sérieux, continua la reine, qui doive empêcher un homme de votre rang…

– Madame, interrompit le duc, Votre Majesté insiste beaucoup sur ce point, ce me semble.

– Vous trouvez, duc?

– C'est, n'en déplaise à Votre Majesté, la deuxième fois qu'elle vante les attraits de l'Angleterre aux dépens du charme qu'on éprouve à vivre en France.

Anne d'Autriche s'approcha du jeune homme, et, posant sa belle main sur son épaule qui tressaillit au contact:

– Monsieur, dit-elle, croyez-moi, rien ne vaut le séjour du pays natal. Il m'est arrivé, à moi, bien souvent, de regretter l'Espagne. J'ai vécu longtemps, milord, bien longtemps pour une femme, et je vous avoue qu'il ne s'est point passé d'année que je n'aie regretté l'Espagne.

– Pas une année, madame! dit froidement le jeune duc; pas une de ces années où vous étiez reine de beauté, comme vous l'êtes encore, du reste?

– Oh! pas de flatterie, duc; je suis une femme qui serait votre mère!

Elle mit, sur ces derniers mots, un accent, une douceur qui pénétrèrent le coeur de Buckingham.

– Oui, dit-elle, je serais votre mère, et voilà pourquoi je vous donne un bon conseil.

– Le conseil de m'en retourner à Londres? s'écria-t-il.

– Oui, milord, dit-elle.

Le duc joignit les mains d'un air effrayé, qui ne pouvait manquer son effet sur cette femme disposée à des sentiments tendres par de tendres souvenirs.

– Il le faut, ajouta la reine.

– Comment! s'écria-t-il encore, l'on me dit sérieusement qu'il faut que je parte, qu'il faut que je m'exile, qu'il faut que je me sauve!

– Que vous vous exiliez, avez-vous dit? Ah! milord, on croirait que la France est votre patrie.

– Madame, le pays des gens qui aiment, c'est le pays de ceux qu'ils aiment.

– Pas un mot de plus, milord, dit la reine, vous oubliez à qui vous parlez!

Buckingham se mit à deux genoux.

– Madame, madame, vous êtes une source d'esprit, de bonté, de clémence; madame, vous n'êtes pas seulement la première de ce royaume par le rang, vous êtes la première du monde par les qualités qui vous font divine; je n'ai rien dit, madame. Ai-je dit quelque chose à quoi vous puissiez me répondre une aussi cruelle parole? Est-ce que je me suis trahi, madame?

– Vous vous êtes trahi, dit la reine à voix basse.

– Je n'ai rien dit! je ne sais rien!

– Vous oubliez que vous avez parlé, pensé devant une femme, et d'ailleurs…

– D'ailleurs, interrompit-il vivement, nul ne sait que vous m'écoutez.

– On le sait, au contraire, duc; vous avez les défauts et les qualités de la jeunesse.

– On m'a trahi! on m'a dénoncé!

 

– Qui cela?

– Ceux qui déjà, au Havre, avaient, avec une infernale perspicacité, lu dans mon coeur à livre ouvert.

– Je ne sais de qui vous entendez parler.

– Mais M. de Bragelonne, par exemple.

– C'est un nom que je connais sans connaître celui qui le porte.

Non, M. de Bragelonne n'a rien dit.

– Qui donc, alors? oh, madame, si quelqu'un avait eu l'audace de voir en moi ce que je n'y veux point voir moi-même…

– Que feriez-vous, duc?

– Il est des secrets qui tuent ceux qui les trouvent.

– Celui qui a trouvé votre secret, fou que vous êtes, celui-là n'est pas tué encore; il y a plus, vous ne le tuerez pas; celui-là est armé de tous droits: c'est un mari, c'est un jaloux, c'est le second gentilhomme de France, c'est mon fils, le duc d'Orléans.

Le duc pâlit.

– Que vous êtes cruelle, madame! dit-il.

– Vous voilà bien, Buckingham, dit Anne d'Autriche avec mélancolie, passant par tous les extrêmes et combattant les nuages, quand il vous serait si facile de demeurer en paix avec vous-même.

– Si nous guerroyons, madame; nous mourrons sur le champ de bataille, répliqua doucement le jeune homme en se laissant aller au plus douloureux abattement.

Anne courut à lui et lui prit la main.

– Villiers, dit-elle en anglais avec une véhémence à laquelle nul n'eût pu résister, que demandez-vous? À une mère, de sacrifier son fils; à une reine, de consentir au déshonneur de sa maison! Vous êtes un enfant, n'y pensez pas! Quoi! pour vous épargner une larme, je commettrais ces deux crimes, Villiers? Vous parlez des morts; les morts du moins furent respectueux et soumis; les morts s'inclinaient devant un ordre d'exil; ils emportaient leur désespoir comme une richesse en leur coeur, parce que le désespoir venait de la femme aimée, parce que la mort, ainsi trompeuse, était comme un don, comme une faveur.

Buckingham se leva les traits altérés, les mains sur le coeur.

– Vous avez raison, madame, dit-il; mais ceux dont vous parlez avaient reçu l'ordre d'exil d'une bouche aimée; on ne les chassait point: on les priait de partir, on ne riait pas d'eux.

– Non, l'on se souvenait! murmura Anne d'Autriche. Mais qui vous dit qu'on vous chasse, qu'on vous exile? Qui vous dit qu'on ne se souvienne pas de votre dévouement? Je ne parle pour personne, Villiers, je parle pour moi, partez! Rendez-moi ce service, faites-moi cette grâce; que je doive cela encore à quelqu'un de votre nom.

– C'est donc pour vous, madame?

– Pour moi seule.

– Il n'y aura derrière moi aucun homme qui rira, aucun prince qui dira: «J'ai voulu!»

– Duc, écoutez-moi.

Et ici la figure auguste de la vieille reine prit une expression solennelle.

– Je vous jure que nul ici ne commande, si ce n'est moi; je vous jure que non seulement personne ne rira, ne se vantera, mais que personne même ne manquera au devoir que votre rang impose. Comptez sur moi, duc, comme j'ai compté sur vous.

– Vous ne vous expliquez point, madame; je suis ulcéré, je suis au désespoir; la consolation, si douce et si complète qu'elle soit, ne me paraîtra pas suffisante.

– Ami, avez-vous connu votre mère? répliqua la reine avec un caressant sourire.

– Oh! bien peu, madame, mais je me rappelle que cette noble dame me couvrait de baisers et de pleurs quand je pleurais.

– Villiers! murmura la reine en passant son bras au cou du jeune homme, je suis une mère pour vous, et, croyez-moi bien, jamais personne ne fera pleurer mon fils.

– Merci, madame, merci! dit le jeune homme attendri et suffoquant d'émotion; je sens qu'il y avait place encore dans mon coeur pour un sentiment plus doux, plus noble que l'amour. La reine mère le regarda et lui serra la main.

– Allez, dit-elle.

– Quand faut-il que je parte? ordonnez!

– Mettez le temps convenable, milord, reprit la reine; vous partez, mais vous choisissez votre jour… Ainsi, au lieu de partir aujourd'hui, comme vous le désireriez sans doute; demain, comme on s'y attendait, partez après demain au soir; seulement, annoncez dès aujourd'hui votre volonté.

– Ma volonté? murmura le jeune homme.

– Oui, duc.

– Et… je ne reviendrai jamais en France?

Anne d'Autriche réfléchit un moment, et s'absorba dans la douloureuse gravité de cette méditation.

– Il me sera doux, dit-elle, que vous reveniez le jour où j'irai dormir éternellement à Saint-Denis près du roi mon époux.

– Qui vous fit tant souffrir! dit Buckingham.

– Qui était roi de France, répliqua la reine.

– Madame, vous êtes pleine de bonté, vous entrez dans la prospérité, vous nagez dans la joie; de longues années vous sont promises.

– Eh bien! vous viendrez tard alors, dit la reine en essayant de sourire.

– Je ne reviendrai pas, dit tristement Buckingham, moi qui suis jeune.

– Oh! Dieu merci…

– La mort, madame, ne compte pas les années; elle est impartiale; on meurt quoique jeune, on vit quoique vieillard.

– Duc, pas de sombres idées; je vais vous égayer. Venez dans deux ans. Je vois sur votre charmante figure que les idées qui vous font si lugubre aujourd'hui seront des idées décrépites avant six mois; donc, elles seront mortes et oubliées dans le délai que je vous assigne.

– Je crois que vous me jugiez mieux tout à l'heure, madame, répliqua le jeune homme, quand vous disiez que, sur nous autres de la maison de Buckingham, le temps n'a pas de prise.

– Silence! oh! silence! fit la reine en embrassant le duc sur le front avec une tendresse qu'elle ne put réprimer; allez! allez! ne m'attendrissez point, ne vous oubliez plus! Je suis la reine, vous êtes sujet du roi d'Angleterre; le roi Charles vous attend; adieu, Villiers! farewell, Villiers!

– For ever! répliqua le jeune homme.

Et il s'enfuit en dévorant ses larmes. Anne appuya ses mains sur son front; puis, se regardant au miroir:

– On a beau dire, murmura-t-elle, la femme est toujours jeune; on a toujours vingt ans dans quelque coin du coeur.

Chapitre XCIII – Où sa Majesté Louis XIV ne trouve Melle de La Vallière ni assez riche, ni assez jolie pour un gentilhomme du rang du vicomte de Bragelonne

Raoul et le comte de La Fère arrivèrent à Paris le soir du jour ou Buckingham avait eu cet entretien avec la reine mère. À peine arrivé, le comte fit demander par Raoul une audience au roi.

Le roi avait passé une partie de la journée à regarder avec Madame et les dames de la cour des étoffes de Lyon dont il faisait présent à sa belle-soeur. Il y avait eu ensuite dîner à la cour, puis jeu, et, selon son habitude, le roi, quittant le jeu à huit heures, avait passé dans son cabinet pour travailler avec M. Colbert et M. Fouquet.

Raoul était dans l'antichambre au moment où les deux ministres sortirent, et le roi l'aperçut par la porte entrebâillée.

– Que veut M. de Bragelonne? demanda-t-il.

Le jeune homme s'approcha.

– Sire, répliqua-t-il, une audience pour M. le comte de La Fère, qui arrive de Blois avec grand désir d'entretenir Votre Majesté.

– J'ai une heure avant le jeu et mon souper, dit le roi. M. de La

Fère est-il prêt?

– M. le comte est en bas, aux ordres de Votre Majesté.

– Qu'il monte.

Cinq minutes après, Athos entrait chez Louis XIV, accueilli par le maître avec cette gracieuse bienveillance que Louis, avec un tact au-dessus de son âge, réservait pour s'acquérir les hommes que l'on ne conquiert point avec des faveurs ordinaires.

– Comte, dit le roi, laissez-moi espérer que vous venez me demander quelque chose.

– Je ne le cacherai point à Votre Majesté, répliqua le comte; je viens en effet solliciter.

– Voyons! dit le roi d'un air joyeux.

– Ce n'est pas pour moi, Sire.

– Tant pis! mais enfin, pour votre protégé, comte, je ferai ce que vous me refusez de faire pour vous.

– Votre Majesté me console… Je viens parler au roi pour le vicomte de Bragelonne.

– Comte, c'est comme si vous parliez pour vous.

– Pas tout à fait, Sire… Ce que je désire obtenir de vous, je ne le puis pour moi-même. Le vicomte pense à se marier.

– Il est jeune encore; mais qu'importe… C'est un homme distingué, je lui veux trouver une femme.

– Il l'a trouvée, Sire, et ne cherche que l'assentiment de Votre

Majesté.

– Ah! il ne s'agit que de signer un contrat de mariage?

Athos s'inclina.

– A-t-il choisi sa fiancée riche et d'une qualité qui vous agrée?

Athos hésita un moment.

– La fiancée est demoiselle, répliqua-t-il; mais pour riche, elle ne l'est pas.

– C'est un mal auquel nous voyons remède.

– Votre Majesté me pénètre de reconnaissance; toutefois, elle me permettra de lui faire une observation.

– Faites, comte.

– Votre Majesté semble annoncer l'intention de doter cette jeune fille?

– Oui, certes.

– Et ma démarche au Louvre aurait eu ce résultat? J'en serais chagrin, Sire.

– Pas de fausse délicatesse, comte; comment s'appelle la fiancée?

– C'est, dit Athos froidement, Mlle de La Vallière de La Baume Le

Blanc.

– Ah! fit le roi en cherchant dans sa mémoire; je connais ce nom; un marquis de La Vallière…

– Oui, Sire, c'est sa fille.

– Il est mort?

– Oui, Sire.

– Et la veuve s'est remariée à M. de Saint-Remy, maître d'hôtel de Madame douairière?

– Votre Majesté est bien informée.

– C'est cela, c'est cela!.. Il y a plus: la demoiselle est entrée dans les filles d'honneur de Madame la jeune.

– Votre Majesté sait mieux que moi toute l'histoire.

Le roi réfléchit encore, et regardant à la dérobée le visage assez soucieux d'Athos:

– Comte, dit-il, elle n'est pas fort jolie, cette demoiselle, il me semble?

– Je ne sais trop, répondit Athos.

– Moi, je l'ai regardée: elle ne m'a point frappé.

– C'est un air de douceur et de modestie, mais peu de beauté,

Sire.

– De beaux cheveux blonds, cependant.

– Je crois que oui.

– Et d'assez beaux yeux bleus.

– C'est cela même.

– Donc, sous le rapport de la beauté, le parti est ordinaire.

Passons à l'argent.

– Quinze à vingt mille livres de dot au plus, Sire; mais les amoureux sont désintéressés; moi-même, je fais peu de cas de l'argent.

– Le superflu, voulez-vous dire; mais le nécessaire, c'est urgent. Avec quinze mille livres de dot, sans apanages, une femme ne peut aborder la cour. Nous y suppléerons; je veux faire cela pour Bragelonne.

Athos s'inclina. Le roi remarqua encore sa froideur.

– Passons de l'argent à la qualité, dit Louis XIV; fille du marquis de La Vallière, c'est bien; mais nous avons ce bon Saint- Remy qui gâte un peu la maison… par les femmes, je le sais, enfin cela gâte; et vous, comte, vous tenez fort, je crois, à votre maison.

– Moi, Sire, je ne tiens plus à rien du tout qu'à mon dévouement pour Votre Majesté.

Le roi s'arrêta encore.

– Tenez, dit-il, monsieur, vous me surprenez beaucoup depuis le commencement de votre entretien. Vous venez me faire une demande en mariage, et vous paraissez fort affligé de faire cette demande. Oh! je me trompe rarement, tout jeune que je suis, car avec les uns, je mets mon amitié au service de l'intelligence; avec les autres, je mets ma défiance que double la perspicacité. Je le répète, vous ne faites point cette demande de bon coeur.

– Eh bien! Sire, c'est vrai.

– Alors, je ne vous comprends point; refusez.

– Non, Sire: j'aime Bragelonne de tout mon amour; il est épris de Mlle de La Vallière, il se forge des paradis pour l'avenir; je ne suis pas de ceux qui veulent briser les illusions de la jeunesse. Ce mariage me déplaît, mais je supplie Votre Majesté d'y consentir au plus vite, et de faire ainsi le bonheur de Raoul.

– Voyons, voyons, comte, l'aime-t-elle?

– Si Votre Majesté veut que je lui dise la vérité, je ne crois pas à l'amour de Mlle de La Vallière; elle est jeune, elle est enfant, elle est enivrée; le plaisir de voir la cour, l'honneur d'être au service de Madame, balanceront dans sa tête ce qu'elle pourrait avoir de tendresse dans le coeur, ce sera donc un mariage comme Votre Majesté en voit beaucoup à la cour; mais Bragelonne le veut; que cela soit ainsi.

– Vous ne ressemblez cependant pas à ces pères faciles qui se font esclaves de leurs enfants? dit le roi.

– Sire, j'ai de la volonté contre les méchants, je n'en ai point contre les gens de coeur. Raoul souffre, il prend du chagrin; son esprit, libre d'ordinaire, est devenu lourd et sombre; je ne veux pas priver Votre Majesté des services qu'il peut rendre.

– Je vous comprends, dit le roi, et je comprends surtout votre coeur.

 

– Alors, répliqua le comte, je n'ai pas besoin de dire à Votre Majesté que mon but est de faire le bonheur de ces enfants ou plutôt de cet enfant.

– Et moi, je veux, comme vous, le bonheur de M. de Bragelonne.

– Je n'attends plus, Sire, que la signature de Votre Majesté. Raoul aura l'honneur de se présenter devant vous, et recevra votre consentement.

– Vous vous trompez, comte, dit fermement le roi; je viens de vous dire que je voulais le bonheur du vicomte; aussi m'opposé-je en ce moment à son mariage.

– Mais, Sire, s'écria Athos, Votre Majesté m'a promis…

– Non pas cela, comte; je ne vous l'ai point promis, car cela est opposé à mes vues.

– Je comprends tout ce que l'initiative de Votre Majesté a de bienveillant et de généreux pour moi; mais je prends la liberté de vous rappeler que j'ai pris l'engagement de venir en ambassadeur.

– Un ambassadeur, comte, demande souvent et n'obtient pas toujours.

– Ah! Sire, quel coup pour Bragelonne!

– Je donnerai le coup, je parlerai au vicomte.

– L'amour, Sire, c'est une force irrésistible.

– On résiste à l'amour; je vous le certifie, comte.

– Lorsqu'on a l'âme d'un roi, votre âme, Sire.

– Ne vous inquiétez plus à ce sujet. J'ai des vues sur Bragelonne; je ne dis pas qu'il n'épousera pas Mlle de La Vallière; mais je ne veux point qu'il se marie si jeune; je ne veux point qu'il épouse avant qu'il ait fait fortune, et lui, de son côté, mérite mes bonnes grâces, telles que je veux les lui donner. En un mot, je veux qu'on attende.

– Sire, encore une fois…

– Monsieur le comte, vous êtes venu, disiez-vous, me demander une faveur?

– Oui, certes.

– Eh bien! accordez-m'en une, ne parlons plus de cela. Il est possible qu'avant un long temps je fasse la guerre; j'ai besoin de gentilshommes libres autour de moi. J'hésiterais à envoyer sous les balles et le canon un homme marié, un père de famille, j'hésiterais aussi, pour Bragelonne, à doter, sans raison majeure, une jeune fille inconnue, cela sèmerait de la jalousie dans ma noblesse.

Athos s'inclina et ne répondit rien.

– Est-ce tout ce qu'il vous importait de me demander? ajouta

Louis XIV.

– Tout absolument, Sire, et je prends congé de Votre Majesté.

Mais faut-il que je prévienne Raoul?

– Épargnez-vous ce soin, épargnez-vous cette contrariété. Dites au vicomte que demain, à mon lever, je lui parlerai; quant à ce soir, comte, vous êtes de mon jeu.

– Je suis en habit de voyage, Sire.

– Un jour viendra, j'espère, où vous ne me quitterez pas. Avant peu, comte, la monarchie sera établie de façon à offrir une digne hospitalité à tous les hommes de votre mérite.

– Sire, pourvu qu'un roi soit grand dans le coeur de ses sujets, peu importe le palais qu'il habite, puisqu'il est adoré dans un temple.

En disant ces mots, Athos sortit du cabinet et retrouva Bragelonne qui l'attendait.

– Eh bien! monsieur? dit le jeune homme.

– Raoul, le roi est bien bon pour nous, peut-être pas dans le sens que vous croyez, mais il est bon et généreux pour notre maison.

– Monsieur, vous avez une mauvaise nouvelle à m'apprendre, fit le jeune homme en pâlissant.

– Le roi vous dira demain matin que ce n'est pas une mauvaise nouvelle.

– Mais enfin, monsieur, le roi n'a pas signé?

– Le roi veut faire votre contrat lui-même, Raoul; et il veut le faire si grand, que le temps lui manque. Prenez-vous-en à votre impatience bien plutôt qu'à la bonne volonté du roi.

Raoul, consterné, parce qu'il connaissait la franchise du comte et en même temps son habileté, demeura plongé dans une morne stupeur.

– Vous ne m'accompagnez pas chez moi? dit Athos.

– Pardonnez-moi, monsieur, je vous suis, balbutia-t-il.

Et il descendit les degrés derrière Athos.

– Oh! pendant que je suis ici, fit tout à coup ce dernier, ne pourrais-je voir M. d'Artagnan?

– Voulez-vous que je vous mène à son appartement? dit Bragelonne.

– Oui, certes.

– C'est dans l'autre escalier, alors. Et ils changèrent de chemin; mais, arrivés au palier de la grande galerie, Raoul aperçut un laquais à la livrée du comte de Guiche qui accourut aussitôt vers lui en entendant sa voix.

– Qu'y a-t-il? dit Raoul.

– Ce billet, monsieur. M. le comte a su que vous étiez de retour, et il vous a écrit sur-le-champ; je vous cherche depuis une heure.

Raoul se rapprocha d'Athos pour décacheter la lettre.

– Vous permettez, monsieur? dit-il.

– Faites.

«Cher Raoul, disait le comte de Guiche, j'ai une affaire d'importance à traiter sans retard; je sais que vous êtes arrivé; venez vite.»

Il achevait à peine de lire, lorsque, débouchant de la galerie, un valet, à la livrée de Buckingham, reconnaissant Raoul, s'approcha de lui respectueusement.

– De la part de milord duc, dit-il.

– Ah! s'écria Athos, je vois, Raoul, que vous êtes déjà en affaires comme un général d'armée; je vous laisse, je trouverai seul M. d'Artagnan.

– Veuillez m'excuser, je vous prie, dit Raoul.

– Oui, oui, je vous excuse; adieu, Raoul. Vous me retrouverez chez moi jusqu'à demain; au jour, je pourrai partir pour Blois, à moins de contrordre.

– Monsieur, je vous présenterai demain mes respects.

Athos partit.

Raoul ouvrit la lettre de Buckingham.

«Monsieur de Bragelonne, disait le duc, vous êtes de tous les Français que j'ai vus celui qui me plaît le plus; je vais avoir besoin de votre amitié. Il m'arrive certain message écrit en bon français. Je suis Anglais, moi, et j'ai peur de ne pas assez bien comprendre. La lettre est signée d'un bon nom, voilà tout ce que je sais. Serez-vous assez obligeant pour me venir voir, car j'apprends que vous êtes arrivé de Blois? Votre dévoué, Villiers, duc de Buckingham.»

– Je vais trouver ton maître, dit Raoul au valet de Guiche en le congédiant. Et, dans une heure, je serai chez M. de Buckingham, ajouta-t-il en faisant de la main un signe au messager du duc.