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Le Speronare

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En arrivant à Catane, la marquise trouva sa soeur infiniment mieux. La vénérable abbesse, ayant reçu l'archevêque de Palerme à son passage à Catane, lui avait offert un dîner splendide, et s'était donné, pour lui faire honneur, une indigestion de meringues aux confitures. L'intensité du mal avait été si grande, qu'on avait cru d'abord les jours de l'abbesse en danger, et qu'on s'était empressé d'écrire à la marquise; mais la maladie avait bientôt cédé aux attaques réitérées que la science avait dirigées contre elle, et la digne abbesse était à cette heure tout à fait hors de danger.

En sa qualité de neveu de la supérieure, don Ferdinand avait été reçu dans l'enceinte interdite aux profanes, et réservée aux seules brebis du Seigneur. Jamais le jeune comte n'avait vu pareille réunion d'yeux noirs et de blanches mains; il en fut d'abord ébloui au point de ne savoir auxquels entendre; de leur côté, jamais les nonnes n'avaient vu, même à travers la grille du parloir, un si élégant cavalier, et les saintes filles étaient tout en émoi. Enfin, au bout de deux ou trois jours, il y avait déjà force oeillades échangées avec les plus jolies, et force billets glissés dans les mains des moins sévères, lorsque la marquise annonça à son fils qu'il eût à se tenir prêt à repartir le lendemain avec elle pour Syracuse. La nouvelle de ce départ vint arracher le comte à ses rêves d'or, et fit verser force larmes dans le couvent. Mais don Ferdinand promit bien à sa tante, qu'il voyait pour la première fois, et qu'il avait prise en affection dès la première vue, de venir lui rendre visite aussitôt que la chose lui serait possible. Cette promesse se répandit à l'instant dans la sainte communauté, et changea les désespoirs du départ en une douce mélancolie.

A Catane, dans le couvent dirigé par sa vénérable tante, au milieu de tous ces yeux siciliens, les plus beaux yeux du monde, don Ferdinand aurait peut-être oublié le mystère de la chapelle, mais une fois de retour à Syracuse, il ne pensa plus à autre chose; prétexta une recrudescence de passion pour la chasse, et courut de nouveau s'installer au château de Belvédère.

L'homme au manteau y avait reparu, et le jardinier, sur ses gardes cette fois, s'était mis à sa piste et avait pris des informations nouvelles; ces informations, au reste, se réduisaient à de bien vagues éclaircissements. Du nom de l'homme au manteau on ne savait absolument rien; seulement, on le connaissait pour un personnage fort charitable, qui, chaque fois qu'il passait à Belvédère, y répandait de nombreuses aumônes. Il s'arrêtait d'ordinaire chez un paysan nommé Rizzo. Le jardinier s'était rendu chez ce paysan, et avait interrogé toute la famille, mais il n'en avait rien appris, sinon que l'homme au manteau leur avait, à différentes reprises, rendu quelques visites sous prétexte de s'informer de la demeure des plus pauvres habitants de Belvédère. Bien souvent il les avait chargés aussi d'acheter des aliments de toute sorte, comme du pain, du jambon, des fruits, qu'il distribuait lui-même aux nécessiteux. Deux ou trois fois seulement, il était venu accompagné d'un jeune garçon enveloppe d'un long manteau, et qui, à chaque fois, était fort triste. Malgré le soin qu'il prenait de le cacher, les paysans avaient cru, dans ce jeune garçon, reconnaître une femme, et avaient plaisanté l'homme au manteau sur sa bonne fortune; mais l'inconnu avait pris la plaisanterie du mauvais côté, et avait répondu, d'un ton qui n'admettait point de réplique, que celui qui l'accompagnait, et qu'on prenait pour une femme, était un jeune prêtre de ses parents qui ne pouvait s'habituer au séjour du séminaire, et qu'il faisait sortir de temps en temps pour le distraire un peu.

Il y avait quinze jours à peu près que l'inconnu avait amené chez les Rizzo ce jeune garçon, ou cette jeune femme; car, malgré l'explication donnée par l'homme au manteau, ils continuaient à conserver des doutes sur le sexe de ce personnage.

Tout cela, comme on le comprend bien, loin d'éteindre la curiosité du jeune comte, ne fit que l'exciter de plus en plus; aussi, dès la nuit suivante, était-il à son poste; mais ni cette nuit, ni le lendemain, il ne vit paraître celui qu'il attendait. Enfin, pendant la troisième nuit, la septième qui se fût écoulée depuis sa rencontre sur la grande route, il entendit la porte d'entrée rouler sur ses gonds, puis se refermer; un instant après, une lanterne brilla tout à coup, comme si on l'eût allumée dans l'église même; cette lanterne, comme la première fois, s'approcha du confessionnal, et à sa lueur don Ferdinand reconnut l'homme au manteau. Cet homme marchait droit à l'autel, souleva le degré qui formait la dernière de ses trois marches, y prit un objet que don Ferdinand ne put distinguer, s'approcha de la muraille, parut introduire une clef dans une serrure, entr'ouvrit une porte secrète qui, pratiquée entre deux pilastres, faisait mouvoir un pan de pierres, referma cette porte derrière lui et disparut.

Cette fois, don Ferdinand était bien éveillé; il n'y avait pas de doute, ce n'était pas une vision.

Don Ferdinand réfléchît alors sur la conduite qu'il allait tenir. S'il eût fait grand jour, s'il eût eu des témoins pour applaudir à son courage, s'il eût été excité par un mouvement d'orgueil quelconque, il eût attendu cet homme à sa sortie, aurait marché droit à lui, et, l'épée à la main, lui aurait demandé l'explication du mystère. Mais il était seul, il faisait nuit, personne n'était là pour applaudir à la façon cavalière dont il se mettait en garde: don Ferdinand écouta la voix de la prudence. Or, voici ce que la prudence lui conseilla.

L'inconnu s'était agenouillé devant l'autel, avait soulevé une pierre; sous cette pierre, il avait pris un objet, qui devait être une clef, puisqu'avec cet objet il avait ouvert une porte. Sans doute, en sortant, il déposerait la clef à l'endroit où il l'avait prise, et s'éloignerait de nouveau pour sept ou huit jours. Ce qu'à y avait de mieux à faire pour le jeune comte était donc d'attendre qu'il fût éloigné, de prendre la clef, d'ouvrir la porte à son tour, et de pénétrer dans le souterrain.

Ce plan était si simple, qu'on ne doit point s'étonner qu'il se soit présenté à l'esprit de don Ferdinand, et que son esprit s'y soit arrêté. Cela n'empêchait pas, comme pourraient le présumer quelques imaginations aventureuses, que don Ferdinand ne fût un très brave et très chevaleresque jeune homme; mais, comme nous l'avons dit, personne ne le regardait, et la prudence l'emporta sur l'orgueil.

Il attendit près de deux heures ainsi, sans voir paraître personne. Quatre heures du matin venaient de sonner lorsqu'enfin la porte se rouvrit: l'homme au manteau sortit sa lanterne à la main, s'approcha de nouveau de l'autel, leva la pierre, cacha la clef, rajusta le degré de façon à ce qu'il fût impossible de voir qu'il se levait ou s'abaissait à volonté, passa de nouveau à deux pas de don Ferdinand, souffla sa lanterne comme il avait fait la première fois, et sortit, refermant la grande porte d'entrée et laissant don Ferdinand seul dans l'église et à peu près maître de son secret.

Quelque impatience qu'éprouvât le jeune comte de donner suite à cette étrange aventure, comme il n'avait pas eu la précaution de se munir d'une lanterne, force lui fut d'attendre le jour. D'ailleurs, chaque minute de retard donnait à l'homme au manteau le temps de s'éloigner, et apportait à don Ferdinand une chance de plus de ne pas être surpris.

Les premiers rayons du jour glissèrent enfin à travers les vitraux coloriés de la chapelle; don Ferdinand sortit de son confessionnal, s'approcha de l'autel, souleva la marche, qui céda pour lui comme elle avait cédé pour l'inconnu; mais d'abord, il ne vit rien qui ressemblât à ce qu'il cherchait. Enfin dans un enfoncement, il aperçut une cheville de bois qu'il tira à lui et qui laissa tomber dans sa main une petite clef ronde, pareille à une clef de piano: il la prit, l'examina avec soin, replaça le degré à sa place, s'approcha à son tour du mur, et guidé cette fois par une certitude, finit par découvrir dans l'angle du pilastre un petit trou rond, presque invisible à cause de l'ombre que projetait la colonne. Il y introduisit aussitôt la clef, et la porte tourna sur ses gonds avec une facilité que sa lourdeur rendait surprenante; il aperçut alors un corridor sombre, dont l'humidité vint au-devant de lui et le glaça. Au reste, pas un rayon de lumière, pas un bruit.

Don Ferdinand s'arrêta. Il était par trop imprudent de s'aventurer ainsi sous cette voûte; quelque trappe ouverte sur le chemin pouvait punir cruellement de sa curiosité l'indiscret visiteur. Ayant refermé la porte, et satisfait de ce commencement de découverte, il rentra au château, décidé à se munir d'une lanterne pour la nuit suivante; et à pousser son investigation jusqu'au bout.

Don Ferdinand passa toute la journée dans une agitation facile à comprendre; vingt fois, il fît venir le jardinier et l'interrogea; chaque fois, comme s'il eût eu quelque chose à lui apprendre qu'il ne sût point déjà, le brave homme lui répéta ce qu'il lui avait déjà dit, en ajoutant cependant que l'homme au manteau avait été vu la veille dans le village. Cela s'accordait à merveille avec l'apparition de la nuit, et affermit don Ferdinand dans l'opinion qu'il avait déjà, que c'était le même homme qu'il avait vu dans la chapelle.

A dix heures, don Ferdinand sortit du château avec une lanterne sourde; il était armé d'une paire de pistolets et d'une épée. Il entra dans la chapelle sans avoir rencontré personne sur sa route, leva de nouveau la marche, retrouva la clef à sa place, ouvrit la porte, et vit le corridor sombre. Cette fois, armé de sa lanterne, il s'y aventura bravement. Mais à peine eut-il fait vingt pas qu'il trouva un escalier, et au bas de cet escalier une porte fermée, dont il n'avait pas la clef. Don Ferdinand, irrité de cet obstacle inattendu, secoua la porte pour voir si elle ne s'ouvrirait point. La porte demeura inébranlable, et le jeune comte comprit que, sans une lime et une tenaille, il n'y avait pas moyen de faire sauter la serrure. Un instant il eut l'idée d'appeler; mais, en historien véridique que nous sommes, nous devons avouer qu'au moment de crier, il s'arrêta avec un frémissement involontaire: tant, dans une pareille situation, tout lui paraissait mystérieux et terrible, même le bruit de sa propre voix!

 

Il sortit donc lentement du corridor, referma la porte derrière lui, remit la clef à sa place accoutumée, et reprit le chemin du château pour s'y procurer une lime et une tenaille.

Sur la route, il rencontra un homme, qu'il ne put reconnaître dans l'obscurité; d'ailleurs, en l'apercevant, cet homme avait pris l'autre côté du chemin, et lorsque don Ferdinand s'avança vers lui, au lieu de l'attendre, le passant se jeta à droite, et disparut comme une ombre dans les papyrus et les joncs qui bordaient la route.

Don Ferdinand continua son chemin sans trop réfléchir à cette rencontre, tort naturelle d'ailleurs: il y a par toutes les routes, en Sicile, une foule de gens qui, la nuit, quand ils n'abordent pas, n'aiment point être abordés. Cependant, autant qu'avait pu le voir le jeune comte, cet homme qu'il venait de rencontrer était enveloppé d'un grand manteau pareil à celui que portait l'homme de la chapelle. Mais ce doute, en s'offrant à l'esprit de don Ferdinand, ne fut qu'un aiguillon de plus pour le pousser à mener la même nuit cette affaire à bout. Don Ferdinand s'était fait depuis quelques jours à lui-même une foule de petites concessions que de temps en temps, il regardait comme par trop prudentes; il résolut donc d'en finir cette fois et de ne reculer devant rien.

Don Ferdinand ne trouva ni lime ni tenaille, mais il mit la main sur une pince, ce qui revenait à peu près au même, si ce n'est qu'au lieu d'ouvrir la seconde porte, il lui faudrait tout simplement l'enfoncer. Au point où il en était arrivé, peu lui importait, on le comprend bien, de quelle manière céderait cette porte, pourvu qu'elle cédât. Armé de ce nouvel instrument, et après avoir renouvelé la bougie de sa lanterne, don Ferdinand reprit le chemin de la chapelle.

Tout paraissait dans le même état où il l'avait laissé. La porte d'entrée était fermée à clef à double tour comme il l'avait fermée. Le comte entra dans l'église, s'approcha de l'autel, leva la marche, tira la cheville, la secoua, mais inutilement; il n'y avait plus de clef: sans doute, l'inconnu était revenu en son absence et était à cette heure dans le souterrain.

Cette fois, nous l'avons dit, don Ferdinand était décidé à ne plus reculer devant rien: il se releva, pâle, mais calme; il examina les amorces de ses pistolets, s'assura que son épée sortait librement du fourreau, et s'avança vers la muraille pour écouter s'il n'entendrait pas quelque bruit; mais, au moment où il approchait son oreille du trou, la porte s'ouvrit, et don Ferdinand se trouva face à face avec l'homme au manteau.

Tous deux firent d'instinct un pas en arrière, en s'éclairant mutuellement avec la lanterne que chacun d'eux tenait à la main. L'homme au manteau vit alors que celui à qui il avait affaire était presque un enfant, et un sourire dédaigneux passa sur ses lèvres. Don Ferdinand vit ce sourire, en comprit la cause, et résolut de prouver à l'inconnu qu'il se trompait à son égard, et qu'il était bien un homme.

Il y eut un moment de silence pendant lequel tous deux tirèrent leurs épées, car l'inconnu avait une épée sous son manteau; seulement il n'avait pas de pistolets.

– Qui êtes-vous, monsieur? demanda impérieusement don Ferdinand, rompant le premier le silence; et que venez-vous faire à cette heure dans cette chapelle?

– Mais qu'y venez-vous faire vous-même, mon petit monsieur? répondit en ricanant l'inconnu; et qui êtes-vous, s'il vous plaît, pour me parler de ce ton?

– Je suis don Ferdinand, fils du marquis de San-Floridio, et cette chapelle est celle de ma famille.

– Don Ferdinand, fils du marquis de San-Floridio! répéta l'inconnu avec étonnement. Et comment êtes-vous ici à cette heure?

– Vous oubliez que c'est à moi d'interroger. Comment y êtes-vous vous-même?

– Ceci, mon jeune seigneur, reprit l'inconnu en sortant du corridor, en fermant la porte et en mettant la clef dans sa poche, c'est un secret qu'avec votre permission je conserverai pour moi seul, car il ne regarde que moi.

– Tout ce qui se passe chez moi me regarde, monsieur, répondit don Ferdinand; votre secret ou votre vie!

Et à ces mots il porta la pointe de son épée au visage de l'inconnu, qui voyant briller le fer du jeune homme, l'écarta vivement avec le sien.

– Oh! oh! reprit le jeune comte, qui, si rapide qu'eut été ce mouvement, avait reconnu à la manière insolite dont la parade avait été faite que son adversaire était parfaitement ignorant dans l'art de l'escrime. Vous n'êtes point gentilhomme, mon cher ami, puisque vous ne savez pas manier une épée; vous êtes tout simplement un manant, c'est autre chose. Votre secret, ou je vous fais pendre.

L'homme au manteau poussa un rugissement de colère; cependant, après avoir fait un pas en avant comme pour se jeter sur le jeune comte, il s'arrêta et se contint.

– Tenez, dit-il alors avec assez de sang-froid, tenez, monsieur le comte, j'ai bonne envie de vous épargner à cause du nom que vous portez, mais cela me sera impossible si vous insistez encore pour savoir ce que je suis venu faire ici. Retirez-vous à l'instant même, oubliez ce que vous avez vu, cessez vos visites dans cette chapelle, jurez-moi sur cet autel que personne ne saura jamais que vous m'y avez rencontré. Les San-Floridio, je le sais, sont gens d'honneur, et vous tiendrez votre serment. A cette condition, je vous laisse vivre.

Ce fut au tour de don Ferdinand de rugir.

– Misérable! s'écria-t-il, tu menaces quand tu devrais trembler! Tu interroges quand tu devrais répondre! Qui es-tu? Que viens-tu faire ici? Où conduit cette porte? Réponds, ou tu es mort.

Et le comte porta une seconde fois son épée sur la poitrine de l'inconnu.

Cette fois l'homme au manteau ne se contenta point de parer, mais il riposta, jetant loin de lui sa lanterne pour se dérober autant que possible aux coups de son adversaire; mais don Ferdinand, le bras gauche tendu vers lui, l'éclairait avec la sienne, et une lutte terrible s'engagea entre la force d'un côté et l'adresse de l'autre. En face du danger, don Ferdinand avait retrouvé tout son courage: pendant quelques secondes, il se contenta de parer avec autant d'adresse que de sang-froid les coups inexpérimentés que lui portait son ennemi; puis, l'attaquant à son tour avec la supériorité qu'il avait dans les armes, il le força de reculer, l'accula à une colonne, et, le voyant enfin dans l'impossibilité de rompre davantage, il lui porta au travers de la poitrine un si rude coup d'épée, que la pointe de son fer non seulement traversa le corps de l'inconnu, mais alla s'émousser contre la colonne. Il fit aussitôt un pas de retraite en retirant son épée à lui et en se remettant en garde.

Il y eut de nouveau un moment de silence mortel, pendant lequel don Ferdinand, éclairant l'inconnu de sa lanterne, le vit porter sa main gauche à sa poitrine, tandis que sa main droite, qui n'avait plus la force de soutenir son épée, s'abaissait lentement et laissait échapper son arme; enfin, le blessé s'affaissa lentement sur lui-même, et tomba sur ses genoux, en disant:

– Je suis mort!

– Si vous êtes frappé aussi grièvement que vous le dites, reprit don Ferdinand sans bouger, de crainte de surprise, je crois que vous ne ferez pas mal de vous occuper de votre âme, qui ne me paraît pas dans un état de grâce parfaite. Je vous conseille donc, si vous avez quelque secret à révéler, de ne pas perdre de temps; si c'est un secret que je puisse entendre, me voilà; si c'est un secret qui ne puisse être confié qu'à un prêtre, dites un mot et j'irai vous en chercher un.

– Oui, dit le mourant, j'ai un secret, et un secret qui vous regarde même, en supposant que, comme vous l'avez dit, vous soyez le fils du marquis de San-Floridio.

– Je vous le dis et je vous le répète, je suis don Ferdinand, comte de San-Floridio, le seul héritier de la famille.

– Approchez-vous de l'autel et faites-m'en le serment sur le crucifix.

Le comte se révolta d'abord à l'idée qu'un manant refusât de le croire sur sa parole; mais, songeant qu'il devait avoir quelque indulgence pour un homme qui allait mourir de son fait, il s'approcha de l'autel, monta sur les marches, et prêta le serment demandé.

– C'est bien, dit le blessé; maintenant, approchez-vous de moi, monsieur le comte, et prenez cette clef.

Le jeune homme s'avança vivement, tendit la main, et le mourant y déposa une clef. Le comte, sentit au toucher que ce n'était pas la clef de la porte secrète.

– Qu'est-ce que cette clef? demanda-t-il.

– Vous vous en irez à Carlentini, reprit le mourant, évitant de répondre à la question; vous demanderez la maison de Gaëtano Cantarello: vous entrerez seul dans cette maison, seul, entendez-vous? Dans la chambre à coucher, vous trouverez au pied du lit un carreau sur lequel est gravée une croix; sous ce carreau est une cassette, dans cette cassette sont soixante mille ducats; vous les prendrez, ils sont à vous.

– Qu'est-ce que toute cette histoire? demanda le comte; est-ce que je vous connais? Est-ce que je veux hériter de vous?

– Ces soixante mille ducats vous appartiennent, monsieur le comte; car ils ont été volés à votre oncle, le marquis San-Floridio de Messine. Ils ont été volés par moi, Gaëtano Cantarello, son domestique; et ce n'est point un héritage, c'est une restitution.

– Héritage ou restitution, peu m'importe, s'écria le jeune homme, ce ne sont point ces soixante mille ducats que je cherche ici, et ce n'est pas là le secret que je veux savoir. Tenez, ajouta le comte en rejetant la clef à Cantarello, voici la clef de votre maison, donnez-moi en échange celle de cette porte.

Et il montra du bout du doigt la porte du corridor.

– Venez donc la prendre, dit Gaëtano d'une voix mourante, car je n'ai plus la force de vous la donner; là, là, dans cette poche.

Don Ferdinand s'avança sans défiance, et se pencha sur le moribond; mais celui-ci le saisit tout à coup de la main gauche avec la force désespérée de l'agonie et, reprenant son épée de la main droite, il lui en porta un coup qui, heureusement, glissa sur une côte et ne fit qu'une légère blessure.

– Ah! misérable traître! s'écria le comte en saisissant un pistolet à sa ceinture et en le déchargeant à bout portant sur Cantarello, meurs donc comme un réprouvé et comme un chien, puisque tu ne veux pas te repentir comme un chrétien et comme un homme.

Cantarello tomba à la renverse. Cette fois, il était bien mort.

Don Ferdinand s'approcha de lui, son second pistolet à la main, de peur d'une nouvelle surprise; puis, bien certain qu'il n'avait plus rien à craindre, il le fouilla de tous côtés; mais dans aucune poche il ne retrouva la clef de la porte secrète. Sans doute, dans la lutte, Cantarello l'avait jetée derrière lui, espérant de cette façon la dérober à son adversaire.

Alors don Ferdinand ramassa sa lanterne qu'il avait laissé tomber, et se mit à chercher cette clef qui lui échappait toujours d'une façon si étrange. Au bout de quelques instants, affaibli par le sang qu'il perdait, il sentit sa tête bourdonner comme si toutes les cloches de la chapelle sonnnaient à la fois; les piliers qui soutenaient la voûte lui parurent se détacher de la terre et tourner autour de lui; il lui sembla que les murs se rapprochaient de lui et l'étouffaient comme ceux d'une tombe. Il s'élança vers la porte de la chapelle pour respirer l'air pur et frais du matin; mais à peine avait-il fait dix pas dans cette direction, qu'il tomba lui-même évanoui.