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Le comte de Moret

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CHAPITRE XIV.
LA PLUME BLANCHE

On connaît le chemin qu'avait à suivre le comte de Moret; c'était le même qu'il avait déjà suivi avec Isabelle de Lautrec et la dame de Coëtman.

Le silence le plus sévère était recommandé, et l'on n'entendait d'autre bruit que celui de la neige s'écrasant sous les pieds des soldats.

Au détour d'une montagne, on arriva en vue de la ville de Suze; elle commençait à se découper dans les premières lueurs du matin.

La portion du rempart qui s'appuyait à la montagne était déserte. Le chemin, si cette rive de terrain sur laquelle on ne pouvait marcher deux de front devait s'appeler chemin, passait à dix pieds à peu près au-dessus des créneaux.

De là on pouvait se laisser glisser sur le rempart.

La demi-lune que devait, après les retranchements pris, après les barricades emportées, attaquer l'armée française, était à trois mille de Suze à peu près, et comme on ne pouvait supposer une attaque par la montagne, ce point n'était aucunement gardé.

Cependant les sentinelles de garde à la porte de France virent, au point du jour, la petite troupe défiler au versant de la montagne, et donnèrent l'alarme.

Le comte de Moret entendit leurs cris, vit leur agitation et comprit qu'il n'y avait pas de temps à perdre. En véritable montagnard il bondit de rocher en rocher, et le premier se laissa glisser sur le rempart.

En se retournant il vit Latil à ses côtés.

Aux cris des sentinelles les Piémontais et les Valaisans étaient accourus des corps de garde voisins, et formaient une troupe d'une centaine d'hommes, à laquelle il ne fallait pas laisser le temps de se renforcer.

A peine le comte de Moret vit-il vingt hommes autour de lui, qu'avec ces vingt hommes il s'élança vers la porte de France.

Les soldats de Charles-Emmanuel qui, au milieu du crépuscule, voyaient une longue file noire circuler autour de la montagne et qui ne pouvaient point apprécier le nombre des ennemis qui semblaient leur tomber du ciel, ne firent qu'une médiocre résistance; mais, pensant qu'il était fort important que le duc et son fils, qui combattaient au pas de Suze, fussent avertis, ils expédièrent un homme à cheval pour les prévenir de ce qui se passait.

Le comte de Moret vit cet homme se détacher en quelque sorte de la muraille et s'élancer dans la direction du combat; il se douta bien du but qui le faisait s'éloigner au plus rapide galop de son cheval, mais il ne pouvait s'y opposer.

C'était seulement une raison de plus de s'emparer de cette porte de Suze, par laquelle Louis XIII devait, les barricades forcées, faire naturellement son entrée.

Il se rua donc, comme nous l'avons dit, avec le peu d'hommes qu'il avait sur ceux qui la défendaient.

La lutte ne fut pas longue. Surpris au moment où ils s'y attendaient le moins, ignorant le nombre de leurs ennemis, croyant à quelque trahison, Piémontais et Valaisans, si bons soldats qu'ils fussent, se sauvèrent en criant: «Alarme!» les uns par la campagne, les autres par la ville.

Le comte de Moret s'empara de la porte, y rallia toutes ses troupes, fit tourner quatre canons sur la ville, laissa cent hommes pour la garde de la porte et le service des canons, au cas où besoin serait de faire feu, et, avec les quatre cent cinquante hommes qui lui restaient, s'avança pour attaquer, comme il était convenu, les retranchements par derrière.

On commençait d'entendre le canon et l'on voyait des nuages de fumée s'amasser autour du Crêt de Montabon.

Donc les deux armées étaient aux prises.

Le comte de Moret fit doubler le pas à ses hommes; mais à un mille à peu près des retranchements, il vit un corps de troupes assez considérable se détacher de l'armée piémontaise et venir à lui.

En tête et à cheval marchait le colonel qui le commandait.

Ce corps était à peu près égal en nombre à celui du comte de Moret.

Latil s'approcha du comte.

– Je reconnais, lui dit-il, l'officier qui conduit cette troupe; c'est un très-brave soldat nommé le colonel Belon.

– Eh bien, demanda le comte, après?

– Je voudrais que Monseigneur me permît de le faire prisonnier.

– Que je te permette de le faire… Ventre-saint-gris, je ne demande pas mieux. Mais comment t'y prendras-tu?

– Rien de plus facile, Monseigneur; seulement aussitôt que vous le verrez tomber avec son cheval, chargez vigoureusement: ses hommes, qui le croiront mort, se débanderont. Piquez droit et prenez le drapeau, moi je prendrai le colonel; après cela aimez-vous mieux prendre le colonel, je prendrai le drapeau. Seulement le colonel payera une bonne rançon de 3 ou 4 mille pistoles, tandis que le drapeau, c'est de la gloire, mais voilà tout.

– A moi donc le drapeau, dit le comte de Moret, et à toi le colonel.

– Là, maintenant… Battez tambours et sonnez trompettes!

Le comte de Moret leva son épée, et les tambours battirent et les trompettes sonnèrent la charge.

Latil prit quatre hommes autour de lui, tenant chacun un mousquet à la main, et prêt à lui passer une arme nouvelle quand la première, la seconde et même la troisième seraient déchargées.

Au reste, au son des tambours et des clairons français, la troupe savoyarde avait paru s'animer.

Le colonel Belon avait prononcé quelques paroles auxquelles elle avait répondu par les cris de: «Vive Charles-Emmanuel!» elle avait de son côté fait un mouvement agressif.

Les deux troupes n'étaient plus qu'à cinquante pas l'une de l'autre.

La troupe savoyarde s'arrêta pour faire feu.

– C'est le moment, dit Latil; attention, monseigneur! essuyons le feu; ripostons et chargez au drapeau.

Latil n'avait pas achevé, qu'une grêle de balles passait comme un ouragan, mais en grande partie au-dessus de la tête de nos soldats, qui ne bougèrent point.

– Tirez bas, cria Latil.

Et donnant lui-même l'exemple, en visant le cheval du colonel, il lâcha le coup juste au moment où le colonel lâchait les rênes pour charger.

Le cheval reçut la balle au défaut de l'épaule, et, emporté par l'élan qui lui était donné, vint rouler avec son cavalier à vingt pas des rangs français.

– A moi le colonel, à vous le drapeau, monseigneur; et il s'élança l'épée haute sur le colonel.

Nos soldats avaient fait feu et, selon la recommandation de Latil, tiré bas. De sorte que tous les coups avaient porté. Le comte profita du désordre et s'élança au milieu des Piémontais.

Latil, en quelques bonds, s'était trouvé près du colonel Belon, renversé sous son cheval et tout étourdi de sa chute. Il lui mit l'épée à la gorge.

– Secouru ou non secouru? lui dit-il.

Le colonel essaya de mettre la main à ses fontes.

– Un seul mouvement, colonel Belon, lui dit-il, et vous êtes mort.

– Je me rends, dit le colonel en tendant son épée à Latil.

– Secouru ou non secouru?

– Secouru ou non secouru.

– Alors, colonel, gardez votre épée, on ne désarme pas un brave officier comme vous; nous nous reverrons après le combat. Si je suis tué vous êtes libre.

Et à ces mots, il aida le colonel à se tirer de dessous son cheval, et lorsqu'il l'eut vu sur ses pieds, il s'élança au milieu des rangs piémontais.

Ce que Latil avait prévu était arrivé. En voyant tomber leur colonel, les soldats de Charles-Emmanuel ignorant si c'était lui ou son cheval qui était tué, s'étaient laissés intimider. En outre, le comte avait attaqué avec une telle violence, que les rangs s'étaient ouverts devant lui et qu'il avait atteint le drapeau autour duquel quelques braves Savoyards, Valaisans et Piémontais livraient une lutte acharnée.

Latil se jeta où la mêlée était la plus épaisse, en criant d'une voix de tonnerre: «Moret! Moret! à la rescousse! Un beau coup d'épée pour le fils de Henri IV!»

Ce fut le dernier coup porté à la troupe ennemie. Le comte de Moret avait saisi le drapeau savoyard de la main gauche et abattait d'un coup d'épée celui qui le portait. Il l'éleva au-dessus de toutes les têtes en criant: «Victoire à la France! vive le roi Louis XIII!»

Le cri fut répété au milieu de la déroute par tout ce qu'il y avait de Français debout. La petite troupe envoyée pour s'opposer au comte de Moret, regagnait à toutes jambes et diminuée d'un tiers.

– Ne perdons pas une minute, monseigneur, dit Latil au comte, poursuivons-les en tirant, dussions-nous ne pas leur tuer un homme; mais il est important que l'on entende notre feu des retranchements.

Et en effet, on l'a vu, c'était ce feu, entendu des retranchements, qui avait porté le trouble parmi leurs défenseurs.

Attaqués de face par Montmorency, Bassompierre et Créquy, attaqués en arrière par le comte de Moret et Latil, le duc de Savoie et son fils craignaient d'être enveloppés et faits prisonniers; ils descendirent aux écuries, et tout en commandant au comte de Verrue une défense désespérée, ils sautèrent en selle et s'élancèrent hors des retranchements.

Ils se trouvèrent alors au milieu des soldats du colonel Belon qui fuyaient pêle-mêle avec les Français, poursuivant les fuyards, et tirant toujours.

Ces deux cavaliers, qui essayaient de gagner la montagne, attirèrent l'attention de Latil, qui, croyant reconnaître en eux des personnages de distinction s'élança sur leur passage pour leur couper leur chemin; mais, au moment où il allait saisir le cheval du duc par la bride, une espèce d'éclair l'éblouit, et il sentit une douleur à l'épaule gauche.

Un officier espagnol au service du duc de Savoie, voyant son maître sur le point d'être fait prisonnier, s'était élancé, et, de sa longue épée, avait percé les chairs et l'épaule de notre spadassin.

Latil jeta un cri moins de douleur que de colère, en voyant sa proie lui échapper, et, l'épée à la main, il se jeta sur l'Espagnol.

Quoique l'épée de Latil fut de six pouces plus courte que celle de son adversaire, à peine l'eut-elle rencontrée que Latil, avec sa supériorité dans les armes, se sentit maître de son ennemi, qui, au bout de dix secondes, tomba frappé de deux blessures en criant:

 

– Sauvez-vous, mon prince!

A ces mots: Sauvez vous, mon prince! Latil sauta par-dessus le blessé et se mit à la poursuite des deux cavaliers, mais, grâce à leurs petits chevaux de montagne, ils avaient déjà fait assez de chemin pour se trouver hors de sa portée.

Latil redescendit furieux d'avoir manqué une si belle proie; mais enfin il lui restait l'officier espagnol qui, incapable de se défendre, se rendit secouru ou non secouru.

Pendant ce temps le désordre s'était mis dans les retranchements. Le duc de Montmorency, arrivé le premier sur le rempart, s'y était maintenu, écartant à coups de hache tout ce qui tentait de s'approcher de lui, et avait fait place à ceux qui le suivaient. Piémontais, Valaisans et Savoyards s'étaient alors écoulés comme un torrent par les poternes donnant sur la route de Suze; mais là, ils avaient rencontré le comte de Moret, dont ils avaient entendu la fusillade et les cris de: «Vive le roi Louis XIII!» Ignorant sa force, ils n'essayaient pas même de le combattre, et ils fuyaient, s'écartant devant chaque groupe de Français, comme s'écarte à l'angle d'un rocher l'eau bondissante d'un torrent.

Le comte de Moret entra dans la redoute du côté opposé où était entré Montmorency, tous deux se rencontrèrent, se reconnurent et s'embrassèrent au milieu de l'ennemi.

Puis, dans les bras l'un de l'autre, ils s'approchèrent des créneaux agitant en signe de victoire, l'un le drapeau français qu'il avait le premier planté sur la muraille de la demi-lune, l'autre le drapeau savoyard qu'il avait conquis, saluant Louis XIII et abaissant les deux étendards devant lui, crièrent ensemble:

– Vive le roi!

C'était ce même cri à la bouche que, deux ans plus tard, tous deux devaient tomber.

– Que personne n'entre plus dans la redoute avant le roi, dit à haute voix le Cardinal.

En même temps que ces paroles étaient prononcées et comme s'il les eût entendues, Latil franchissait la porte.

Des sentinelles furent placées à toutes les entrées, et Montmorency et Moret allèrent eux-mêmes ouvrir la poterne de Gélasse au roi et au cardinal.

Tous deux y entrèrent à cheval, et le mousqueton sur le genou en signe qu'ils entraient en conquérants, et que les vaincus, pris d'assaut, ne devaient rien attendre que de leur bon plaisir.

Le roi s'adressa au duc de Montmorency d'abord.

– Je sais, monsieur le duc, lui dit-il, quel est l'objet de votre ambition, et la campagne finie, nous aviserons à changer votre épée contre une qui ne vaudra certes pas mieux pour la trempe, mais qui, ayant des fleurs de lis d'or, vous donnera le pas même sur les maréchaux de France.

Montmorency s'inclina. La promesse était formelle, et, nous l'avons dit, l'épée de connétable était la seule chose qu'il ambitionnât au monde.

– Sire, dit le comte de Moret en présentant au roi le drapeau qu'il venait d'enlever au régiment du colonel Belon, permettez que j'aie l'honneur de déposer aux pieds de Votre Majesté cet étendard pris par moi.

– Je l'accepte, dit Louis XIII, et en échange, j'espère qu'il vous plaira de porter cette plume blanche à votre chapeau, en mémoire de votre frère qui vous la donne, et de notre père qui en portait trois pareilles à Ivry.

Le comte de Moret voulut baiser la main de Louis XIII; mais Louis XIII lui tendit les bras et l'embrassa cordialement.

Puis il ôta de son propre chapeau, qui était le même que lui avait prêté le duc de Montmorency, une des trois plumes blanches du panache et la donna au comte de Moret avec l'agrafe de diamant qui les retenait.

Le même jour, vers cinq heures du soir, le roi Louis XIII fit son entrée à Suze après avoir reçu des autorités les clés de la ville sur un plat d'argent.

CHAPITRE XV.
CE QUE PENSE L'ANGELY DES COMPLIMENTS DU DUC DE SAVOIE

Le roi Louis XIII était ivre de joie; c'était la seconde fois en moins d'une année qu'il méritait le titre de Victorieux, et qu'il faisait son entrée triomphale dans une ville soumise par la force de ses armes.

Ainsi, tout ce que lui avait promis le cardinal s'était accompli, et la dernière chose aussi exactement que les autres, car il lui avait promis que, le 7 mars, il coucherait à Suze, et il y couchait.

Mais le cardinal, qui avait le secret de toutes choses et qui voyait plus loin que le roi, était moins tranquille que lui.

Il savait, ce que Louis XIII savait aussi, mais ce que l'heureuse réussite de la journée lui avait fait oublier, que le combat avait épuisé à peu près tout ce que l'armée avait de munitions.

Il savait, chose que le roi ne savait pas, que les vivres manquaient à l'armée, et que les mauvais temps et la difficulté des chemins ne permettaient pas aux commissaires d'en faire venir.

Il savait que Cazal était fort pressé par les Espagnols, et que si le duc de Savoie persistait dans son système d'hostilités, et, chose facile avec notre manque de munitions, nous retenait seulement huit ou dix jours sur le chemin de Cazal, réduit à la dernière extrémité malgré l'héroïsme de Gurron, qui y commandait, et malgré le dévouement des habitants, qui s'étaient joints à la garnison pour défendre la ville, celle-ci serait peut-être forcée d'ouvrir ses portes aux Espagnols. Les dernières nouvelles de Cazal annonçaient, en effet, qu'après y avoir mangé les chevaux, les chiens et les chats, on était arrivé à faire la chasse à ces animaux immondes que l'on ne mange que pendant le fléau des grandes famines.

Aussi, pendant la soirée où Louis XIII avait convié tous ses maréchaux, ses généraux et ses officiers supérieurs, s'approcha-t-il du roi et lui demanda-t-il si, la soirée finie, la fatigue que devait éprouver Sa Majesté ne l'empêcherait pas de l'entretenir quelques instants.

Le roi, qui paraissait presque aussi gai que le jour où il fit tuer le maréchal d'Ancre, répondit:

– Comme chaque fois que Votre Eminence m'entretient, c'est du bien de l'Etat et de la gloire de ma couronne, je suis et je serai toujours prêt à lui accorder l'audience qu'elle me demandera.

Et en effet, lorsque la soirée fut finie, le roi, bien abreuvé de louanges, vint au cardinal:

– Et maintenant, mon Eminence, à nous deux, dit il en s'asseyant et en montrant un siége au cardinal.

Le cardinal s'assit sur l'ordre du roi et après le roi.

– Parlez, je vous écoute, dit Louis XIII.

– Sire, dit le cardinal, je crois que Votre Majesté a eu aujourd'hui toute satisfaction comme réparation à l'injure qui lui avait été faite, et que le désir d'une gloire inutile ne la poussera pas à continuer une guerre que peut immédiatement terminer une paix glorieuse.

– Mon cher cardinal, dit le roi, en vérité je ne vous reconnais plus; vous avez voulu la guerre, la guerre malgré tout le monde, et voilà qu'à peine nous sommes en campagne vous proposez la paix.

– Que vous importe, Sire, que la paix vienne tôt ou tard, si elle arrive avec tous les avantages que nous espérions?

– Mais que dira l'Europe de nous avoir vu faire tant de bruit et de menaces pour nous arrêter après un seul combat?

– L'Europe dira, Sire, et ce sera la vérité, que ce combat a été si glorieux et si décisif qu'il a suffi pour décider du succès de toute la campagne.

– Mais encore, pour accorder la paix, il faudrait qu'on nous la demandât.

– Il est beau au vainqueur de la proposer.

– Comment, monsieur le cardinal, vous n'attendez pas même qu'on nous la demande?

– Sire, vous avez un si bon prétexte de faire les premières avances.

– Lequel?

– Dites que c'est en considération de la princesse Christine, votre sœur.

– Tiens, c'est vrai, dit le roi, j'oublie toujours que j'ai une famille; il est vrai, ajouta-t-il avec amertume, que ma famille prend soin de m'en faire souvenir. Vous pensez donc?..

– Je pense, Sire, que la guerre est une cruelle nécessité, et qu'appartenant à une Eglise qui abhorre le sang, il est de mon devoir d'en laisser répandre le moins possible. Or, tout vous est permis, Sire, après une journée si glorieuse, et le Dieu des armées est aussi le Dieu de la miséricorde et de la clémence.

– Comment présenterez-vous la chose à Sa M. le roi des Marmottes, dit le roi en employant le titre dont s'était servi Henri IV après la conquête de la Bresse, du Bugey, du Valromey et du comté de Gex.

– C'est bien facile, Sire; j'écrirai au nom de Votre Majesté au duc de Savoie que vous lui laissez encore le choix de la paix ou de la guerre; que s'il préfère la guerre, nous continuerons de le battre comme nous avons fait aujourd'hui, et comme votre auguste père a fait dans le passé; que si, au contraire, il choisit la paix, nous traiterons avec lui sur les mêmes bases qu'avant la victoire; c'est-à-dire qu'il accordera passage aux troupes de France, leur fournira des étapes et contribuera de tout son pouvoir à secourir Cazal, en donnant des vivres et des munitions de guerre, que le roi paiera aux prix des trois derniers marchés; que le duc de Savoie laissera passer à l'avenir, par quelque endroit de son pays que ce puisse être, les troupes et tout le matériel de guerre qui seraient jugés nécessaires à la défense de Montferrat, dans le cas où le Montferrat serait attaqué ou que l'on craigne avec raison qu'il ne le soit; que pour sécurité de l'exécution de ces deux derniers articles, le duc de Savoie remettra la citadelle de Suze et le château de Gélasse entre les mains de Sa Majesté, et qu'il y sera laissé une garnison de Suisses, commandée par un officier nommé par vous, Sire.

– Mais lui, le Savoyard, demandera naturellement quelque chose en échange de tout cela.

– Nous irons, si vous le voulez bien, Sire, au-devant de sa demande, nous offrirons de lui faire céder par le duc de Mantoue, en dédommagement des droits de la maison de Savoie sur le Montferrat, la propriété de la ville de Trino avec quinze mille écus d'or de revenus.

– Nous la lui avons déjà offerte, et il a refusé.

– Nous n'étions pas à Suze, Sire, et nous y sommes, et grâce à vous, ce que je n'oublierai jamais. Sire, ce qu'il ne faut oublier jamais ce n'est point mon dévouement sans péril pour Votre Majesté, c'est le courage des braves soldats qui ont combattu sous vos yeux, c'est la valeur des chefs qui les ont conduits au combat.

– Si j'avais le malheur d'oublier, Votre Eminence me ferait souvenir.

– Ainsi, ma proposition est acceptée?

– Mais qui enverra-t-on?

– Le maréchal de Bassompierre ne semble-t-il pas à Votre Majesté le meilleur ambassadeur qui se puisse choisir pour une pareille affaire.

– A merveille.

– Eh bien, Sire, il partira demain matin, pour mettre sous les yeux du duc l'ensemble du traité; quant aux articles secrets…

– Il y aura donc des articles secrets!

– Il n'y a pas de traité qui n'ait ses articles secrets; quant aux articles secrets, ils seront débattus directement entre moi et le duc, ou son fils.

– Tout est arrêté ainsi alors!

– Oui, Sire, et avant trois jours, tenez-vous pour certain d'avoir la visite du prince votre beau-frère ou du duc votre oncle.

– C'est vrai, dit le roi, ceux-là aussi sont de ma famille; mais ils ont sur mes autres parents un grand mérite, c'est de me faire publiquement la guerre. Bonsoir, monsieur le cardinal, vous aussi devez être fatigué et avoir besoin d'une bonne nuit.

Trois jours après, en effet, comme l'avait prédit le cardinal, Victor-Amédée était à Suze et négociait avec le cardinal de Richelieu, qui obtint de lui toutes les conditions qu'il avait soumises au roi.

Quant aux articles secrets, ils furent accordés comme les autres.

«Le duc de Savoie s'engageait à faire entrer avant quatre jours mille charges de blé, de froment et cinq cents de vin à Cazal.

«De son côté, à la condition que ces obligations seraient remplies, il fut convenu que les troupes du roi de France n'avanceraient point au-delà de Bunolunga, petite place située entre Suze et Turin, chose, disait le traité, que Sa Majesté veut bien accorder à la prière de M. le prince de Piémont, afin de donner le temps aux Espagnols de lever d'eux-mêmes le siège de Cazal.»

«Enfin, en échange de la ville de Trino, Charles-Emmanuel rendrait au duc de Mantoue Albe et Montcalvo, dont il s'était emparé.»

Huit jours après la conclusion du traité, don Gonzalès de Cordoue levait de lui-même le siége de Cazal, et l'honneur castillan était sauvé.

Le 31 mars et le 1er avril, le traité fut ratifié par le duc de Savoie et par le roi Louis XIII.

 

Il est vrai qu'il devait en être de ce traité comme de ceux du duc de Lorraine.

Un jour, Guillaume III racontait que, s'entretenant avec Charles IV, duc de Lorraine, sur la bonne foi que chacun des contractants devait mettre à exécuter un traité, ce prince lui répondit en riant:

– Est-ce que vous comptez sur un traité, vous?

– Mais oui, répondit naïvement Sa Majesté britannique.

– Eh bien, répliqua le duc Charles, quand il vous plaira, je vous ouvrirai un grand coffre plein de traités que j'ai faits sans en exécuter un seul!

Or, Charles-Emmanuel en avait à peu près autant dans son coffre, et ce n'était qu'un de plus qu'il y ajoutait, avec l'intention bien positive de ne point l'exécuter comme les autres.

Il n'en manifesta pas moins le plus vif désir d'embrasser son neveu Louis XIII, si bien qu'il fut résolu entre le duc et le roi qu'une entrevue aurait lieu.

Ce furent d'abord le prince de Piémont et le cardinal de Savoie qui vinrent saluer le roi immédiatement après le traité; Victor-Amédée amenait sa femme, la princesse Christine, sœur du roi. Louis rendit à sa bonne sœur tous les honneurs possibles et lui fit toutes les amitiés imaginables, enchanté sans doute de prouver qu'il aimait encore mieux la princesse de Piémont, qui venait de lui faire la guerre ostensiblement, que la reine d'Angleterre et la reine d'Espagne, qui pour le moment, se contentaient de conspirer contre lui.

Le duc de Savoie parut le dernier et fut reçu à bras ouverts par son neveu Louis XIII, qui, dès le même jour, résolut de lui rendre sa visite et de le surprendre comme cela se fait de particulier à particulier; mais Charles-Emmanuel, averti à temps, descendit en toute hâte les escaliers et l'attendit au seuil.

– Mon oncle, dit Louis XIII en l'embrassant j'avais dessein d'aller jusqu'à votre chambre sans que vous le sussiez!

– Vous avez oublié, mon neveu, répondit le duc, que l'on ne se cache pas si facilement quand on est roi de France.

Le roi monta les escaliers côte à côte avec le duc, mais pour arriver à son appartement, il lui fallut passer avec les courtisans et les officiers par une galerie mal soutenue et tremblante.

– Hâtons-nous, mon oncle dit le roi, je ne sais si nous sommes ici en sûreté.

– Hélas, Sire, répondit le duc, je vois bien que tout tremble devant Votre Majesté comme tout plie sous elle.

– Eh bien, fou, dit le roi radieux en se tournant vers l'Angély, que penses-tu des compliments de mon oncle?

– Ce n'est point à moi qu'il faut demander cela, Sire, dit l'Angély.

– Et à qui donc?

– Aux deux ou trois mille imbéciles qui se sont fait tuer pour qu'il nous les fît.

L'Angély, dans sa réponse au roi, avait admirablement résumé la situation.