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Le comte de Moret

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Et le cardinal reprit sa place, priant du regard le roi Louis XIII d'appuyer la proposition qu'il venait de faire, et qui, d'ailleurs, paraissait arrêtée d'avance entre lui et le roi.

Le roi ne fit point attendre le cardinal, et à peine fut-il assis et eut-il cessé de parler, qu'étendant la main sur le tapis de la table.

– Messieurs, dit-il, c'est ma volonté que vous a fait connaître M. le cardinal de Richelieu, mon ministre. La guerre est décidée contre M. le duc de Savoie, et notre désir est que l'on ne perde pas de temps pour se mettre en campagne. Ceux de vous qui auront des demandes à faire pour être aidés dans leurs équipages, n'auront qu'à s'adresser à M. le cardinal. Plus tard je ferai savoir si je ferai la guerre en personne, et qui, dans cette guerre, sera mon lieutenant-général. Sur ce, le conseil n'étant à autre fin, ajouta le roi en se levant, je prie Dieu, messieurs, qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

Le conseil est levé.

Et, saluant la reine-mère, Louis XIII se retira dans son appartement.

Le cardinal l'avait emporté sur les deux points proposés par lui, la guerre contre le duc de Savoie et l'entrée immédiate en campagne. On ne doutait donc point qu'il ne réussît mêmement sur le troisième, qui était de se faire donner la conduite de la guerre, comme il s'était fait donner la conduite du siége de La Rochelle.

Aussi chacun se réunit-il autour de lui pour le féliciter, même le garde des sceaux Marillac, qui, tout en conspirant pour la reine, tenait à conserver les apparences de la neutralité.

Marie de Médicis, les dents serrées par la colère, le sourcil froncé, se retira donc de son côté, accompagnée seulement de Bérulle et de Vauthier.

– Je crois, dit-elle, que nous pouvons dire comme François Ier après la bataille de Pavie: «Tout est perdu, sauf l'honneur.»

– Bon, dit Vauthier, rien n'est perdu, au contraire tant que le roi n'aura pas nommé M. de Richelieu son lieutenant général.

– Mais ne croyez-vous pas, dit la reine-mère, qu'il est déjà nommé lieutenant général dans l'esprit du roi?

– C'est possible, dit Vauthier, mais il ne l'est pas encore en réalité.

– Avez-vous donc un moyen d'empêcher cette nomination? demanda Marie de Médicis.

– Peut-être, répondit Vauthier; mais il faudrait que, sans perdre un instant, j'eusse un entretien avec Mg le duc d'Orléans.

– Je vais le chercher, dit Bérulle, et je vous l'amène.

– Allez, dit la reine-mère, et ne perdez pas un instant.

Puis, se retournant vers Vauthier:

– Et ce moyen, lui demanda-t-elle, quel est-il?

– Quand nous serons dans un endroit où nous serons sûrs de n'être écoutés ni entendus de personne, je le dirai à Votre Majesté.

– Venez vite alors.»

Et la reine et son conseiller se jetèrent dans un corridor conduisant aux appartements particuliers de Marie de Médicis.

CHAPITRE VIII.
LE MOYEN DE VAUTHIER

Quoiqu'il eût son appartement chez la reine-mère, c'est-à-dire au palais du Luxembourg, le roi était rentré au Louvre pour échapper aux obsessions dont il sentait bien qu'il ne pouvait manquer d'être l'objet, de la part des deux reines.

Et, en effet, quoique rentrée chez elle, Marie de Médicis eût écouté avec la plus grande attention et approuvé le projet que lui avait exposé Vauthier, avant de recourir à ce projet elle résolut de faire une seconde tentative sur son fils.

Quant à Louis XIII, comme nous l'avons dit, il était resté chez lui, et, à peine rentré, il avait fait appeler d'Angély.

Mais il avait d'abord demandé si M. de Baradas n'avait rien dit ou fait dire.

Baradas avait gardé le silence le plus complet.

C'était ce silence dans lequel s'obstinait à demeurer le page boudeur, qui avait causé la mauvaise humeur du roi au conseil, mauvaise humeur qui n'avait point échappé à Vauthier, mauvaise humeur dont il connaissait la cause, cause sur laquelle il avait basé tout son plan de campagne.

Ainsi Louis XIII qui s'était assez peu avancé avec Mlle de Lautrec, se promettait-il de suivre le conseil de l'Angély et d'aller en avant, jusqu'à ce que le bruit de cette fantaisie arrivât jusqu'à Baradas, que la crainte de perdre son crédit devait à l'instant même, selon l'Angély, ramener aux pieds du roi.

Mais il surgissait dans ce projet un empêchement inattendu dont le roi n'avait pu se rendre compte, et dont personne n'avait pu lui donner l'explication; la veille au soir, quoiqu'elle fût de service, Mlle de Lautrec n'était point venue au cercle de la reine, et Louis XIII, en interrogeant celle-ci, n'avait eu d'autre réponse que quelques mots exprimant le plus grand étonnement de la part d'Anne d'Autriche. De toute la journée Mlle de Lautrec n'avait point paru au Louvre, la reine l'avait inutilement fait chercher dans sa chambre et partout dans le palais, personne ne l'avait vue et n'avait pu en donner des nouvelles.

Aussi le roi, intrigué de cette absence, avait-il chargé l'Angély d'en prendre des informations de son côté, et c'était pour cela particulièrement qu'aussitôt son retour il avait fait demander son fou.

Mais l'Angély n'avait pas été plus heureux que les autres, il revenait sans aucun renseignement précis.

Au point de vue de son penchant pour Mlle de Lautrec, la chose était à peu près indifférente à Louis XIII; mais il n'en était pas de même au point de vue de Baradas: le moyen avait paru si infaillible à l'Angély, que le roi avait fini par croire lui-même à son infaillibilité.

Il se désespérait donc, accusant le destin de prendre un soin tout particulier de s'opposer à tout ce qu'il désirait, lorsque Beringhen gratta doucement à la porte; le roi reconnut la manière de gratter de Beringhen, et pensant que c'était une personne de plus – et une personne du dévouement de laquelle il était sûr – à consulter, il répondit d'une voix assez bienveillante:

– Entrez.

M. le Premier entra.

– Que me veux-tu, Beringhen? demanda le roi; ne sais-tu point que je n'aime pas à être dérangé quand je m'ennuie avec l'Angély?

– Je n'en dirai pas autant, fit l'Angély, et vous êtes le bienvenu, M. Beringhen.

– Sire, dit le valet de chambre, je ne me permettrais pas de déranger Votre Majesté quand elle m'a dit qu'elle voulait s'ennuyer tranquillement, pour quelqu'un qui n'aurait pas tout droit de me donner des ordres; mais j'ai dû obéir à LL. MM. la reine Marie de Médicis et la reine Anne d'Autriche.

– Comment! s'écria Louis XIII, les reines sont là?

– Oui, Sire.

– Toutes deux?

– Oui, Sire.

– Et elles veulent me parler ensemble?

– Ensemble, oui, sire.

Le roi regarda autour de lui, comme s'il cherchait de quel côté il pourrait fuir, et peut-être eût-il cédé à son premier mouvement, si la porte ne se fût point ouverte et si Marie de Médicis ne fût point entrée suivie de la reine Anne d'Autriche.

Le roi devint très pâle et fut pris d'un petit tremblement fébrile, auquel il était sujet quand il subissait une grande contrariété; mais alors il se roidissait en lui-même et devenait inaccessible à la prière.

En ce cas-là, il faisait face au danger, avec l'immobilité et le sombre entêtement d'un taureau qui présente les cornes.

Il se retourna vers sa mère comme vers l'antagoniste le plus dangereux:

– Par ma foi de gentilhomme, madame, je croyais la discussion finie avec le conseil, et que, le conseil fini, j'échapperais à de nouvelles persécutions. Que me voulez-vous? dites vite.

– Je veux, mon fils, dit Marie de Médicis, tandis que la reine, les mains jointes, semblait s'unir par une prière mentale aux prières de sa belle mère, – je veux que vous ayez pitié sinon de nous que vous désespérez, du moins de vous-même. Ce n'est donc pas assez que, faible et souffrant comme vous l'êtes, cet homme vous ait tenu six mois dans les marais de l'Aunis; le voilà maintenant qui veut vous faire essuyer les neiges des Alpes pendant les plus grandes rigueurs de l'hiver.

– Eh! madame, dit le roi, les fièvres de marais, auxquelles Dieu a permis que j'échappasse, M. le cardinal ne les a-t-il point bravées comme moi, et direz-vous qu'en m'exposant il se ménage? Ces neiges, ces froideurs des Alpes, dois-je les supporter seul, et ne sera-t-il pas là, à mes côtés, pour donner avec moi aux soldats, l'exemple du courage, de la constance et des privations?

– Je ne conteste pas, mon fils; l'exemple fut en effet donné par M. le cardinal en même temps que par vous; mais comparez-vous l'importance de votre vie à la sienne? Dix ministres comme M. le cardinal peuvent mourir sans que la monarchie soit une minute ébranlée; mais vous, à la moindre indisposition, la France tremble, et votre mère et votre femme supplient Dieu de vous conserver à la France et à elles!

La reine Anne d'Autriche se mit à genoux en effet.

– Monseigneur, dit-elle, nous sommes non-seulement à genoux devant le Seigneur Dieu, mais devant vous, pour vous supplier comme nous supplierions Dieu, de ne pas nous abandonner. Songez que ce que Votre Majesté regarde comme un devoir est pour nous l'objet d'une terreur profonde, et en effet, s'il arrivait malheur à Votre Majesté qu'arriverait-il de nous et de la France?

– Le Seigneur Dieu, en permettant ma mort, en aurait prévu les suites et serait là pour y pourvoir, madame. Il est impossible de rien changer aux résolutions prises.

– Et pourquoi cela? demanda Marie de Médicis; est-il donc besoin, puisque cette malheureuse guerre est décidée contre notre avis à tous…

– A toutes! vous voulez dire, madame, interrompit le roi.

– Est-il donc besoin, continua Marie de Médicis, sans relever l'interruption, que vous la fassiez en personne; n'avez-vous donc point votre ministre bien-aimé?

– Vous savez, interrompit une seconde fois le roi, que je n'aime point M. le cardinal, madame; seulement je le respecte, je l'admire et le regarde, après Dieu, comme la providence de ce royaume.

 

– Eh bien! Sire, la Providence veille sur les Etats de loin comme de près; chargez votre ministre de la conduite de cette guerre et restez près de nous et avec nous.

– Oui, n'est-ce pas, pour que l'insubordination se mette dans les autres chefs, pour que vos Guise, vos Bassompierre, vos Bellegarde refusent d'obéir à un prêtre et compromettent la fortune de la France. Non, madame, pour qu'on reconnaisse le génie de M. le cardinal, il faut que je le reconnaisse tout le premier. – Ah! s'il y avait un prince de ma maison auquel je pusse me fier.

– N'avez-vous pas votre frère? N'avez-vous pas Monsieur?

– Permettez-moi de vous dire, madame, que je vous trouve bien tendre à l'endroit d'un fils désobéissant et d'un frère révolté.

– Et c'est justement, mon fils, pour faire rentrer dans notre malheureuse famille la paix, qui semble exilée, que je suis si tendre à l'endroit de ce fils, qui, je l'avoue, par sa désobéissance, mériterait d'être puni au lieu d'être récompensé. Mais il est des moments suprêmes où la logique cesse d'être la règle conductrice de la politique et où il faut passer à côté de ce qui serait juste, pour arriver à ce qui est bon, et Dieu lui-même nous donne parfois l'exemple de ces erreurs nécessaires, en récompensant ce qui est mauvais, en punissant ce qui est bon. Nommez, Sire, nommez votre ministre chef de la guerre, et mettez sous ses ordres Monsieur comme lieutenant-général, et j'ai la certitude que, si vous accordez cette faveur à votre frère, il renoncera à son amour insensé et consentira au départ de la princesse Marie.

– Vous oubliez, madame, dit Louis XIII en fronçant le sourcil, que je suis le roi, et par conséquent le maître; que, pour que ce départ ait lieu, et il devrait avoir eu lieu depuis longtemps, il suffit, non pas que mon frère consente, mais que j'ordonne; c'est lutter contre mon pouvoir que de paraître consentir à faire une chose que j'ai le droit de commander. Ma résolution est prise, madame; à l'avenir, je commanderai, et il faudra se contenter de m'obéir. C'est ainsi que j'agis depuis deux ans, c'est-à dire depuis le voyage d'Amiens, dit le roi, en appuyant sur ces mots et en regardant la reine Anne d'Autriche, et depuis deux ans je m'en trouve bien.

Anne, qui était restée aux genoux du roi, se releva à ces dures paroles et fit un pas en arrière en portant ses mains à ses yeux, comme pour cacher ses larmes.

Le roi fit un mouvement pour la retenir; mais ce mouvement fut à peine visible, et il le réprima immédiatement.

Cependant, sa mère le remarqua, et lui saisissant les mains:

– Louis, mon enfant, lui dit-elle, ce n'est plus une discussion, c'est une prière; ce n'est plus une reine qui parle au roi, c'est une mère qui parle à son fils. Louis, au nom de mon amour, que vous avez méconnu quelquefois, mais auquel vous avez toujours fini par rendre justice, cédez à nos supplications; vous êtes le roi, c'est-à-dire qu'en vous résident tout pouvoir et toute sagesse; revenez à votre première décision, et, croyez-le bien, non seulement votre femme et votre mère, mais la France vous en seront reconnaissantes.

– C'est bien, madame, dit le roi, pour terminer une discussion qui le fatiguait, la nuit porte conseil, et je réfléchirai cette nuit à tout ce que vous m'avez dit.

Et il fit à sa mère et à sa femme un de ces saluts comme en savent faire les rois, et qui disent que l'audience est terminée.

Les deux reines sortirent, Anne d'Autriche s'appuyait sur le bras de la reine mère, mais à peine eurent-elles fait vingt pas dans le corridor qu'une porte s'ouvrit, et qu'à travers l'entrebâillement de cette porte parut la tête de Gaston d'Orléans.

– Eh bien? demanda-t-il.

– Eh bien! dit la reine-mère, nous avons fait ce que nous avons pu, c'est à vous de faire le reste.

– Savez-vous où est l'appartement de M. de Baradas? demanda le duc.

– Je m'en suis informée: la quatrième porte à gauche, presque en face de la chambre du roi.

– C'est bien, dit Gaston, quand je devrais lui promettre mon duché d'Orléans, il fera ce que nous voulons; quitte après, bien entendu, à ne pas le lui donner.

Et les deux reines et le jeune prince se quittèrent, les reines rentrant dans leur appartement, S. A. R. Gaston d'Orléans marchant dans le sens opposé et gagnant sur la pointe du pied l'appartement de M. de Baradas.

Nous ignorons ce qui se passa entre Monsieur et le jeune page, si Monsieur lui promit le duché d'Orléans, ou l'un de ses duchés de Dombes ou de Montpensier; mais, ce que nous savons, c'est qu'une demi-heure après être entré dans la tente d'Achille, l'Ulysse moderne regagnait, toujours sur la pointe du pied, l'appartement des deux reines, dont il ouvrait la porte d'un air joyeux et en disant d'une voix pleine d'espérance:

– Victoire! il est chez le roi.

Et, en effet, presque au même instant, surprenant Sa Majesté au moment où elle s'y attendait le moins, M. de Baradas ouvrait, sans se donner la peine de gratter selon l'étiquette, la porte du roi Louis XIII, qui jetait un cri de joie en reconnaissant son page et le recevait à bras ouverts.

CHAPITRE IX.
LE FÉTU DE PAILLE INVISIBLE, LE GRAIN DE SABLE INAPERÇU

Tandis que toutes ces basses intrigues se nouaient contre lui, le cardinal, courbé à la lueur d'une lampe, sur une carte qu'on appelait alors la marche du royaume, carte qui, dans ses moindres détails déroulait sous les yeux la double frontière de France et de Savoie, suivait avec M. de Pontis, son ingénieur géographe et l'auteur de la carte que le cardinal avait devant lui, la marche que devait suivre l'armée, les villes ou les villages où elle devait faire halte, et marquait les chemins par lesquels les vivres nécessaires à la subsistance de trente mille hommes pouvaient arriver.

La carte revue par M. d'Escures, comme nous l'avons dit, relevait avec la plus grande exactitude, vallées, montagnes, torrents, et jusqu'aux ruisseaux; le cardinal était enchanté, c'était la première carte de cette valeur qu'il avait sous les yeux.

Comme Bonaparte, couché sur la carte d'Italie, disait, au mois de mars 1800, en montrant les plaines de Marengo: C'est ici que je battrai Mélas, le cardinal de Richelieu, autant homme de guerre qu'il était peu homme d'Eglise, le cardinal de Richelieu disait d'avance: C'est ici que je battrai Charles-Emmanuel.

Puis, dans sa joie, se retournant vers M. de Pontis:

– Monsieur le vicomte, lui dit-il, vous êtes non-seulement un fidèle, mais un habile serviteur du roi, et la guerre finie à notre avantage, comme nous l'espérons, vous aurez droit à une récompense. Cette récompense, vous me la demanderez, et si elle est, comme je n'en doute pas, dans la mesure de mes moyens, cette récompense vous est accordée d'avance.

– Monseigneur, dit M. de Pontis en s'inclinant, tout homme a son ambition, les uns dans la tête, les autres dans le cœur, et le moment venu, puisque j'ai permission de Votre Eminence, je lui ouvrirai mon cœur.

– Ah! fit le cardinal, vous êtes amoureux, vicomte.

– Oui, monseigneur.

– Et vous aimez au-dessus de vous.

– Comme nom peut-être, mais pas comme position de fortune.

– Et en quoi puis-je vous servir en pareille occurrence?

– Le père de celle que j'aime est un fidèle serviteur de Votre Eminence, qui ne fera rien qu'avec sa permission.

Le cardinal réfléchit un instant comme si un souvenir se présentait à sa mémoire.

– Ah! dit-il, n'est-ce pas vous, mon cher vicomte, qui avez, il y a un an à peu près, amené en France et conduit près de la reine Mlle Isabelle de Lautrec?

– Oui, monseigneur, dit le vicomte de Pontis en rougissant.

– Mais, dès cette époque, Mlle de Lautrec n'avait-elle point été présentée à Sa Majesté comme votre fiancée.

– Comme ma fiancée, non, monseigneur, comme ma promise, oui. Et, en effet, M. de Lautrec, au premier mot que je lui avais dit de mon amour pour sa fille m'avait répondu: «Isabelle n'a que quinze ans, vous avez, de votre côté un chemin à faire; dans deux ans, quand les affaires d'Italie seront arrangées, nous reparlerons de cela, et si vous aimez toujours Isabelle, si vous avez l'agrément du cardinal, je serai heureux de vous appeler mon fils.»

– Et Mlle de Lautrec est-elle entrée pour quelque chose dans les promesses de son père?

– Mlle de Lautrec, quand je lui ai parlé de mon amour et quand elle a su que j'étais autorisé par son père à lui parler, m'a répondu, je devrais dire s'est contentée de me répondre que son cœur était libre, et qu'elle respectait trop son père pour ne pas obéir à ses volontés.

– Et à quelle époque vous a-t-elle dit cela?

– Il y a un an, monseigneur.

– Et depuis l'avez-vous revue?

– Rarement.

– Et, quand vous l'avez revue, lui avez-vous parlé de votre amour?

– Il y a quatre jours seulement.

– Qu'a-t-elle répondu?

– Elle a rougi et a balbutié quelques paroles dont j'ai attribué l'embarras à son émotion.

Le cardinal sourit; et à lui-même: – Il me semble, dit-il, qu'elle a oublié ce détail dans sa confession.

Le vicomte de Pontis regarda le cardinal avec inquiétude.

– Votre Eminence aurait-elle quelque objection à faire à mes désirs? demanda-t-il.

– Aucune, vicomte, aucune; faites-vous aimer de Mlle de Lautrec, et, s'il y a empêchement à votre bonheur, cet empêchement ne viendra point de moi.

La sérénité reparut sur le visage du vicomte.

– Merci, monseigneur, dit-il en s'inclinant.

En ce moment la pendule sonnait deux heures du matin.

Le cardinal congédia le vicomte avec une certaine tristesse, car, d'après les aveux que lui avait faits Isabelle, il comprenait qu'il lui serait difficile, impossible même de donner à ce bon serviteur la récompense qu'il ambitionnait.

Il se préparait à remonter dans sa chambre, lorsque la porte de l'appartement de Mme de Combalet s'ouvrit et que celle-ci, la bouche et les yeux souriants, apparut sur le seuil.

– O chère Marie, dit le cardinal, est-ce raisonnable de veiller jusqu'à une pareille heure de la nuit, quand depuis trois heures et plus vous devriez être dans votre chambre à vous reposer?

– Cher oncle, dit Mme de Combalet, la joie comme le chagrin empêche de dormir, et je n'eusse pas fermé l'œil sans vous féliciter de votre succès. Lorsque vous êtes triste, vous me laissez partager votre tristesse; quand vous êtes victorieux, car c'est une victoire, n'est-ce pas, que vous avez obtenue aujourd'hui?..

– Une véritable victoire, Marie, dit le cardinal, le cœur dilaté et en respirant à pleine poitrine.

– Eh bien, reprit Mme de Combalet, quand vous êtes victorieux, laissez-moi partager votre triomphe.

– Oh! oui, vous avez raison de réclamer une part de ma joie, car vous y avez droit, ma chère Marie; vous faites partie de ma vie, et, par conséquent, vous avez votre part faite d'avance de ce qui m'arrive d'heureux ou de malheureux. Or, aujourd'hui seulement et pour la première fois, je respire librement; cette fois, je n'ai pas eu besoin pour monter un degré de plus, de mettre le pied sur la première marche de l'échafaud d'un de mes ennemis, – victoire d'autant plus belle, Marie, qu'elle est toute pacifique et due à la seule persuasion, – les esclaves que l'on soumet par la force restent nos ennemis , – ceux que l'on soumet par le raisonnement deviennent vos apôtres. – Oh! si Dieu m'aide, dans six mois, ma chère Marie, il y aura une puissance crainte et respectée de toutes les autres puissances. Cette puissance sera la France, car, dans six mois, que la Providence continue d'écarter de moi ces deux femmes perfides, dans six mois le siége de Cazal sera levé, Mantoue secourue et les protestants du Languedoc, voyant revenir l'Italie et se tourner contre eux notre armée victorieuse, demanderont la paix sans qu'il soit besoin, je l'espère, de leur faire la guerre, et alors le pape ne pourra pas refuser de me faire légat, légat a latere, légat à vie, et je tiendrai à la fois dans ma main le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, car, je l'espère, le roi est bien à moi maintenant, et à moins qu'il ne se rencontre sur ma route ce fétu de paille invisible, ce grain de sable inaperçu qui font chavirer les plus grands projets, je suis maître de la France et de l'Italie. Embrassez-moi, Marie, et dormez du sommeil que vous méritez si bien. Quant à moi, je ne dirai pas: Je vais dormir, mais je vais essayer de dormir.

– Mais vous serez brisé demain.

– Non. La joie tient lieu de sommeil, et jamais je ne me suis si bien porté.

– Permettez-vous que demain, en m'éveillant, j'entre chez vous, mon cher oncle, pour savoir comment vous avez passé la nuit?

 

– Entre, entre, et que mon soleil levant, comme mon soleil couchant, soit un regard de tes beaux yeux; et alors je serai sûr d'avoir une belle journée, comme je suis sûr d'avoir une belle nuit.

Et embrassant Mme de Combalet au front, il la conduisit jusqu'à la porte de sa chambre et demeura sur le seuil, la regardant jusqu'à ce qu'elle se fût perdue dans la pénombre de l'escalier.

Alors seulement le cardinal referma la porte et s'apprêta à monter à son tour à son appartement; mais au moment où il allait sortir de son cabinet, il entendit frapper un petit coup à la porte qui donnait chez Marion Delorme.

Il crut s'être trompé, s'arrêta et écouta de nouveau; cette fois les coups redoublèrent de rapidité et de force; il n'y avait point à s'y tromper, quelqu'un heurtait à la porte de communication qui donnait du cabinet dans la chambre voisine.

Richelieu donna un tour de clef à la porte par laquelle il allait sortir, alla pousser le verrou des autres portes, et, s'approchant de l'entrée secrète perdue dans la boiserie:

– Qui frappe? demanda-t-il à voix basse.

– Moi! répondit une voix de femme. Etes-vous seul?

– Oui.

– Ouvrez-moi alors. J'ai à vous communiquer quelque chose que je crois d'une certaine importance.

Le cardinal regarda autour de lui pour voir s'il était bien seul en effet; puis, poussant le ressort, il ouvrit le passage secret dans lequel apparut un beau jeune homme frisant une fausse moustache.

Ce jeune homme, c'était Marion.

– Ah! vous voilà, beau page, dit Richelieu souriant; j'avoue que, si j'attendais quelqu'un à cette heure, ce n'était pas vous.

– Ne m'avez-vous pas dit: A quelque heure que ce soit, quand vous aurez quelque chose d'important à me dire, si je ne suis pas dans mon cabinet, sonnez; si j'y suis, frappez.

– Je vous l'ai dit, ma chère Marion, et je vous remercie de vous en souvenir.

Et s'asseyant, le cardinal fit signe à Marion de s'asseoir près de lui.

– Sous ce costume! fit Marion, en riant et pirouettant sur la pointe du pied pour montrer au cardinal toutes les élégances de sa personne, même sous un habit qui n'était pas celui de son sexe; – non, ce serait manquer de respect à Votre Eminence; je resterai debout, s'il vous plaît, monseigneur, pour vous faire mon petit rapport à moins que vous n'aimiez mieux que je vous parle un genou en terre; mais alors ce serait une confession, et non pas un rapport, et cela nous entraînerait trop loin tous les deux.

– Parlez comme vous voudrez; Marion, dit le cardinal, laissant percer une certaine inquiétude sur son front; car si je ne me trompe, vous m'avez demandé cette entrevue pour me préparer à une mauvaise nouvelle, et les mauvaises nouvelles, comme il faut y parer, on ne les sait jamais trop tôt.

– Je ne saurais dire si la nouvelle est mauvaise; mon instinct de femme me dit qu'elle n'est pas bonne. Vous apprécierez.

– J'écoute.

– Votre Eminence a appris que le roi était brouillé avec son favori, M. Baradas.

– Ou plutôt que M. Baradas était brouillé avec le roi.

– En effet, c'est plus juste, puisque c'était M. Baradas qui boudait le roi. Eh bien, ce soir, pendant que le roi était avec son fou l'Angély, les deux reines sont entrées, et après une demi-heure environ, sont sorties; elles étaient fort émues et ont causé un instant avec Mgr le duc d'Orléans; après quoi M. le duc d'Orléans s'est entretenu près d'un quart d'heure, dans l'embrasure d'une fenêtre, avec M. Baradas: on paraissait discuter. Enfin le prince et le page sont tombés d'accord, tous deux sont sortis ensemble, Monsieur est resté dans le corridor jusqu'à ce qu'il eût vu entrer Baradas chez le roi; après quoi il a disparu à son tour dans le corridor qui conduit à l'appartement des deux reines.

Le cardinal resta pensif pendant un instant, puis regardant Marion sans se donner la peine de dissimuler son inquiétude:

– Vous me donnez des détails d'une précision telle, dit-il, que je ne vous demande pas si vous êtes sûre de leur exactitude.

– J'en suis sûre, et d'ailleurs je n'ai aucune raison de cacher à Votre Eminence de qui je les tiens.

– S'il n'y a pas d'indiscrétion, ma belle amie, je serais, je vous l'avoue, bien aise de le savoir.

– Non-seulement il n'y a pas d'indiscrétion, mais je suis convaincue que je rends service à celui qui me les a donnés.

– C'est donc un ami.

– C'est quelqu'un qui désire que Votre Eminence le tienne pour son dévoué serviteur.

– Son nom?

– Saint-Simon.

– Ce petit page du roi?

– Justement.

– Vous le connaissez?

– Je le connais et je ne le connais pas, tant il y a qu'il est venu chez moi ce soir.

– Ce soir ou cette nuit?

– Contentez-vous de ce que je vous dirai, monseigneur. Il est donc venu chez moi ce soir et m'a raconté cette histoire toute chaude. Il sortait du Louvre. En allant chez son camarade Baradas, il avait vu les deux reines sortant de chez Sa Majesté. Elles étaient si préoccupées qu'elles ne l'ont pas vu, lui; il a continué son chemin, après les avoir vues, dans un entre-deux de portes, parler avec M. le duc d'Orléans. Puis il est entré chez Baradas; le page boudait toujours et disait que le lendemain il quitterait le Louvre. Au bout d'un instant Monsieur est entré. Il n'a pas fait attention au petit Saint-Simon. Lui, s'est tenu coi; et, comme je vous l'ai dit, il a vu son camarade causer avec le prince dans l'embrasure d'une fenêtre, puis tous deux sortir, Baradas entrer chez le roi, et Monsieur courir, selon toute probabilité, rendre compte de sa bonne réussite aux reines.

– Et le petit Saint Simon est venu vous dire tout cela pour que la chose me fût répétée, dites-vous?

– Oh ma foi, je vais vous répéter ses propres paroles: «Ma chère Marion, a-t-il dit, je crois qu'il y a dans toutes ces allées et ces venues, une machination contre M. le cardinal de Richelieu; on vous dit de ses bonnes amies, je ne vous demande pas si c'est ou si ce n'est pas vrai, mais si c'est vrai, prévenez-le et dites-lui que je suis son humble serviteur.»

– C'est un garçon d'esprit, et je ne l'oublierai point à l'occasion, dites-le lui de ma part; et quant à vous, ma chère Marion, je cherche comment je pourrai vous prouver ma reconnaissance.

– Ah, monseigneur.

– J'y aviserai; mais en attendant…

Le cardinal tira de son doigt un diamant magnifique.

– Tenez, continua-t-il, prenez ce diamant en mémoire de moi.

Mais Marion, au lieu de tendre la main, la mettait derrière son dos.

Le cardinal la lui prit, en tira lui-même le gant et lui mit le diamant au doigt.

Puis, lui baisant la main:

– Marion, dit-il, soyez-moi toujours aussi bonne amie que vous l'êtes, et vous ne vous en repentirez pas.

– Monseigneur, lui dit Marion, je trompe parfois mes amants, mes amis jamais.

Et le poing sur la hanche, le chapeau à plume à la main, l'insouciance de la jeunesse et de la beauté au front, le sourire de l'amour et de la volupté sur les lèvres, tirant sa révérence comme eût fait un véritable page, elle rentra chez elle, regardant son diamant et chantant une villanelle de Desportes.

Le cardinal resta seul, et passant sa main sur son front assombri.

– Ah! voilà, dit-il, le fétu de paille invisible, voilà le grain de sable inaperçu!

Puis avec une expression de mépris impossible à rendre:

– Ah! dit-il, un Baradas!!