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Le comte de Moret

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– Est-ce ce que vous appelez faire fausse route et m'exposer à des dangers dont vous voudriez me garantir? demanda en riant le comte de Moret, s'étonnant qu'un ministre de la gravité du cardinal descendit à de pareils détails.

– Non, monsieur; nous allons y arriver; non, ce n'est point être l'amant de la sœur d'une courtisane, ce que j'appelle faire fausse route, quoique vous ayez pu voir que cet amour n'était pas tout à fait sans danger. Ce fou de Pisani a cru que c'était de Mme de Maugiron que vous étiez l'amant. Il a voulu vous faire assassiner; par bonheur, il a trouvé un sbire plus honnête homme que lui, lequel, fidèle à la mémoire du grand roi, a refusé de porter la main sur son fils. Il est vrai que ce brave homme a été victime de son honnêteté, et que vous-même l'avez vu couché sur une table, mourant et se confessant à un capucin.

– Puis-je vous demander, monseigneur, dit le comte de Moret, espérant embarrasser Richelieu, quel jour et à quel endroit j'ai été témoin de ce douloureux spectacle?

– Mais le 5 décembre dernier, vers six heures du soir, dans une salle de l'hôtellerie de la Barbe Peinte, au moment où, déguisé en gentilhomme basque, vous veniez de quitter Mme de Fargis, déguisée en Catalane, et venant vous annoncer que la reine Anne d'Autriche, la reine Marie de Médicis et Monsieur, vous attendraient au Louvre entre onze heures et minuit.

– Ah! par ma foi, monseigneur, cette fois-ci je me rends, et je reconnais que votre police est bien faite.

– Eh bien, comte, maintenant croyez-vous que ce soit pour moi et par crainte du mal que vous pouvez me faire, que je suis arrivé à réunir sur vous de si exacts renseignements?

– Je ne sais, mais il est probable que Votre Eminence a eu cependant un intérêt quelconque.

– Un grand, comte, j'ai voulu sauver le fils du roi Henri IV du mal qu'il pouvait se faire à lui-même.

– Comment cela, monseigneur?

– Que la reine Marie de Médicis, qui est à la fois Italienne et Autrichienne, que la reine Anne d'Autriche, qui est à la fois Autrichienne et Espagnole, conspirent contre la France, c'est un crime, mais un crime qui se conçoit, les liens de famille ne l'emportent souvent que trop sur les devoirs de la royauté. Mais que le comte de Moret, c'est-à-dire le fils d'une Française et du roi le plus français qui ait jamais existé, conspire avec deux reines aveugles et parjures en faveur de l'Espagne et de l'Autriche, c'est ce que j'empêcherai, par la persuasion d'abord, par la prière ensuite, et enfin par la force s'il le faut.

– Mais qui vous a dit que je conspire, monseigneur?

– Vous ne conspirez pas encore, comte; mais peut-être, par entraînement chevaleresque, n'eussiez-vous point tardé à conspirer, et c'est pour cela que j'ai voulu vous dire à vous-même: Fils de Henri IV, toute sa vie votre père a poursuivi l'abaissement de l'Espagne et de l'Autriche. Ne vous alliez pas à ceux qui veulent leur élévation aux dépens des intérêts de la France. Fils de Henri IV, l'Autriche et l'Espagne ont tué votre père; ne commettez pas cette impiété de vous allier aux ennemis de votre père.

– Mais pourquoi Votre Eminence ne dit-elle pas à Monsieur ce qu'elle me dit à moi?

– Parce que Monsieur n'a rien à faire là-dedans, étant le fils de Concini, et non de Henri IV.

– Monsieur le cardinal, songez à ce que vous dites.

– Oui, je sais que je m'expose à la colère de la reine-mère, à la colère de Monsieur, à la colère du roi même, si le comte de Moret s'éloigne de celui qui veut son bien pour aller à ceux qui veulent le mal; mais le comte de Moret sera reconnaissant du grand intérêt que je lui porte et qui n'a pas d'autre source que le grand amour et la grande admiration que j'ai pour le roi son père, et le comte de Moret tiendra secret tout ce que je lui ai dit ce soir, pour son bien et pour celui de la France.

– Votre Eminence n'a pas besoin que je lui donne ma parole, n'est-ce pas?

– On ne demande pas de ces choses-là au fils de Henri IV.

– Mais enfin, Votre Eminence ne m'a pas seulement fait venir pour me donner des conseils, mais aussi, lui ai-je entendu dire, pour me confier une mission.

– Oui, comte, une mission qui vous éloigne de ce danger que je crains pour vous.

– Qui m'éloigne du danger?

Richelieu fit signe que oui.

– Et par conséquent de Paris?

– Il s'agirait de retourner en Italie.

– Hum! fit le comte de Moret.

– Avez vous des raisons pour ne pas retourner en Italie?

– Non, mais j'en aurais pour rester à Paris.

– Alors vous refusez, monsieur le comte?

– Non, je ne refuse pas, surtout si la mission peut s'ajourner.

– Il s'agit de partir ce soir ou demain au plus tard.

– Impossible, monseigneur, dit le comte de Moret en secouant la tête.

– Comment! s'écria le cardinal, laisserez-vous une guerre se faire sans y prendre part?

– Non; seulement je quitterai Paris avec tout le monde, et le plus tard possible.

– C'est bien résolu dans votre esprit, monsieur le comte?

– C'est bien résolu, monseigneur.

– Je regrette votre répugnance à ce départ. Il n'y a qu'à vous, qu'à votre courage, à votre loyauté, à votre courtoisie que j'aurais voulu confier la fille d'un homme pour lequel j'ai la plus haute estime. Je chercherai quelqu'un, comte, qui veuille bien vous remplacer près de Mlle Isabelle de Lautrec.

– Isabelle de Lautrec! s'écria le comte de Moret. C'était Isabelle de Lautrec que vous vouliez renvoyer à son père?

– Elle-même; qu'y a-t-il donc dans ce nom qui vous étonne?

– Oh! mais, monseigneur, pardon.

– Je vais aviser et lui trouver un autre protecteur.

– Non pas, non pas, monseigneur, inutile de chercher plus loin: le conducteur, le défenseur de Mlle de Lautrec, celui qui se fera tuer pour elle, il est trouvé, le voilà, c'est moi.

– Alors, dit le cardinal, je n'ai plus à m'inquiéter de rien?

– Non, monseigneur.

– Vous acceptez?

– J'accepte.

– En ce cas, voici mes dernières instructions.

– J'écoute.

– Vous remettrez Mlle de Lautrec, qui pendant tout le voyage vous sera aussi sacrée qu'une sœur.

– Je le jure.

– A son père, qui est à Mantoue; puis vous reviendrez rejoindre l'armée et prendre un commandement sous M. de Montmorency.

– Oui, monseigneur.

– Et si le hasard faisait – vous comprenez, un homme de prévoyance doit supposer tout ce qui est possible – si le hasard faisait que vous vous aimassiez…

Le comte de Moret fit un mouvement.

– C'est une supposition, vous comprenez bien, puisque vous ne vous êtes pas vus, puisque vous ne vous connaissez point. Eh bien, le cas échéant, je ne puis rien faire pour vous, monseigneur, qui êtes fils de roi, mais je puis faire beaucoup pour Mlle de Lautrec et pour son père.

– Vous pouvez faire de moi le plus heureux des hommes, monseigneur. J'aime Mlle de Lautrec.

– Ah vraiment, voyez comme cela se rencontre; est-ce que ce serait elle, par hasard, qui, le soir où vous avez été au Louvre, vous aurait pris sur l'escalier des mains de Mme de Chevreuse déguisée en page, et vous aurait conduit à travers le corridor noir jusqu'à la chambre de la reine? Avouez que dans ce cas ce serait un hasard miraculeux.

– Monseigneur, dit le comte de Moret, regardant le cardinal avec stupéfaction, je ne connais que mon admiration pour vous qui égale ma reconnaissance; mais…

Le comte s'arrêta inquiet.

– Mais quoi? demanda le cardinal.

– Il me reste un doute.

– Lequel?

– J'aime Mlle de Lautrec, mais j'ignore si Mlle de Lautrec m'aime, et si, malgré mon dévouement, elle m'accepterait pour son protecteur.

– Ah! quant à cela, monsieur le comte, cela ne me regarde plus et devient tout à fait votre affaire, c'est à vous d'obtenir d'elle ce que vous désirez.

– Mais où cela? comment la verrai-je? je n'ai aucune occasion de la rencontrer, et s'il faut, comme le disait Votre Eminence, que son départ ait lieu ce soir ou demain matin au plus tard, je ne sais d'ici là comment la voir.

– Vous avez raison, monsieur le comte, une entrevue entre vous est urgente, et tandis que vous allez y réfléchir de votre côté, je vais, moi, y réfléchir du mien. Attendez un instant dans ce cabinet, j'ai quelques ordres à donner.

Le comte de Moret s'inclina, suivant des yeux, avec un étonnement mêlé d'admiration cet homme, si éminemment au-dessus des autres hommes, qui, de son cabinet, conduisait l'Europe et qui, malgré les intrigues dont il était entouré, malgré les dangers qui le menaçaient, trouvait du temps pour s'occuper des intérêts particuliers et descendre dans les moindres détails de la vie.

La porte par laquelle le cardinal avait disparu refermée, le comte de Moret resta machinalement les yeux fixés sur cette porte, et il n'en avait pas encore détourné son regard, lorsqu'elle se rouvrit et que dans son encadrement, il vit apparaître, non pas le cardinal, mais Mlle de Lautrec elle-même.

Les deux amants, comme frappés en même temps du choc électrique, poussèrent chacun de son côté, un cri d'étonnement, puis avec la rapidité de la pensée, le comte de Moret s'élançant au-devant d'Isabelle, tombait à ses genoux et saisissait sa main, qu'il baisait avec une ardeur qui prouvait à la jeune fille qu'elle avait peut-être trouvé un protecteur dangereux, mais un défenseur dévoué.

Pendant ce temps, le cardinal, arrivé à son but d'éloigner le fils de Henri IV de la cour et de s'en faire un partisan, se réjouissait, croyant avoir trouvé un dénoûment à son héroï-comédie, sans la participation de ses collaborateurs ordinaires, MM. Desmarets, Rotrou, l'Estoile et Mayret.

Corneille on se le rappelle, n'avait pas encore eu l'honneur d'être présenté au cardinal.

CHAPITRE VII.
LE CONSEIL

Le grand événement, l'événement attendu de tous avec anxiété, surtout de Richelieu, qui se croyait sûr du roi autant que l'on pouvait être sûr de Louis XIII, était la tenue d'un conseil chez la reine-mère, au palais du Luxembourg, qu'elle avait fait bâtir pendant la régence sur le modèle des palais florentins, et pour la galerie duquel Rubens avait exécuté, dix ans auparavant, les magnifiques tableaux représentant les événements les plus importants de la vie de Marie de Médicis, et qui font aujourd'hui un des principaux ornements de la galerie du Louvre.

 

Le conseil se tenait le soir.

Il était formé du ministère particulier de la reine Marie de Médicis, qui se composait de créatures complétement à elle, et qui était présidé par le cardinal de Bérulle, et conduit par Vauthier, plus du maréchal de Marillac, qui était devenu maréchal sans avoir jamais vu le feu, et que dans ses mémoires le cardinal appelle toujours Marillac-l'Epée, parce qu'ayant eu querelle à la paume avec un nommé Caboche, il l'avait tué en le rencontrant sur sa route, sans lui donner le temps de se défendre, plus enfin, son frère aîné Marillac, le garde des sceaux, qui était un des amants de Fargis. A ce conseil on adjoignait, dans les grandes circonstances, des espèces de conseillers honoraires qui étaient des capitaines les plus renommés et des seigneurs les plus élevés de l'époque, et c'est ainsi qu'au conseil dans lequel nous allons introduire nos lecteurs, on avait adjoint le duc d'Angoulême, le duc de Guise, le duc de Bellegarde et le maréchal de Bassompierre.

Monsieur, depuis quelque temps, était rentré dans ce conseil, dont il était sorti à propos du procès de Chalais. Le roi y assistait de son côté lorsqu'il croyait la discussion assez importante pour nécessiter sa présence.

La délibération du conseil prise, on en référait, nous l'avons dit, au roi, qui approuvait, improuvait ou même changeait complétement la détermination adoptée.

Le cardinal de Richelieu, premier ministre en réalité, par l'influence de son génie, mais qui n'en eut le titre et le pouvoir absolu qu'un an après les événements que nous venons de raconter, n'avait que sa voix dans ce conseil, mais presque toujours l'amenait à son avis qu'appuyaient d'habitude le duc de Marillac, le duc de Guise, le duc d'Angoulême, et quelquefois le maréchal de Bassompierre; mais que contrariaient toujours systématiquement la reine-mère, Vauthier, le cardinal de Bérulle, et les deux ou trois voix qui obéissaient passivement aux signes négatifs ou affirmatifs que leur faisait Marie de Médicis.

Ce soir-là, Monsieur, sous le prétexte de se brouiller avec la reine-mère, avait déclaré ne point vouloir assister au conseil; mais, malgré son absence, du moment où sa mère se chargeait de ses intérêts, il n'en était que plus puissant.

Le conseil était indiqué pour huit heures du soir.

A huit heures un quart, toutes les personnes convoquées étaient à leur poste et se tenaient debout devant la reine Marie de Médicis, assise.

A huit heures et demie, le roi entra, salua sa mère, qui se leva à son tour, lui baisa les mains, s'assit près d'elle sur un fauteuil un peu plus élevé que le sien, se couvrit et prononça les paroles sacramentelles:

– Asseyez-vous!

MM. les membres du ministère et les conseillers honoraires s'assirent autour de la table, sur des tabourets préparés à cet effet en nombre égal à celui des délibérants.

Le roi étendit circulairement son regard, de manière à passer en revue tous les assistants; puis, de sa même voix mélancolique et sans timbre, comme il eût dit toute autre chose, il dit:

– Je ne vois pas monsieur mon frère. Où est-il donc?

– A cause de sa désobéissance à votre volonté, sans doute n'ose-t-il point se présenter devant vous. Votre bon plaisir est-il que nous procédions sans lui?

Le roi, sans répondre de vive voix, fit de la tête un signe affirmatif.

Puis, s'adressant non seulement aux membres du conseil, mais aux gentilshommes convoqués dans le but de donner leur avis sur la délibération:

– Messieurs, dit-il, vous savez tous ce dont il s'agit aujourd'hui. – Il s'agit de savoir si nous devons faire lever le siége de Cazal, secourir Mantoue afin d'affermir les prétentions du duc de Nevers – prétentions que nous avons appuyées – et arrêter les entreprises du duc de Savoie sur le Montferrat. Bien que le droit de faire la paix et la guerre soit un droit royal, nous désirons nous éclairer de vos lumières avant de prendre une décision, ne prétendant aucunement amoindrir notre droit par les conseils que nous vous demandons. La parole est à notre ministre, M. le cardinal de Richelieu, pour nous exposer la situation des affaires.

Richelieu se leva, et, saluant les deux majestés:

– L'exposé sera court, dit-il. Le duc Vincent de Gonzague, en mourant, a laissé tous ses droits au duché de Mantoue, au duc de Nevers, oncle des trois derniers souverains de ce duché, morts sans enfants mâles. Le duc de Savoie avait espéré marier un de ses fils avec l'héritière du Montferrat et du Mantouan, et se créer en Italie cette puissance de second ordre, objet de sa constante ambition, et qui l'a fait si souvent trahir ses promesses envers la France. Le ministre de S. M. le roi Louis XIII a cru alors qu'il était d'une bonne politique, étant déjà allié avec le Saint-Père et les Vénitiens, de se donner, en appuyant l'avènement d'un Français aux duchés de Mantoue et du Montferrat, un partisan zélé au milieu des puissances lombardes, et d'acquérir ainsi sur lui une prépondérance suivie sur les affaires d'Italie, et d'y neutraliser au contraire l'influence de l'Espagne et de l'Autriche. C'est dans ce but que le ministre de Sa Majesté a agi jusqu'ici; et c'était pour préparer les voies de cette campagne qu'il avait, il y a plusieurs mois, envoyé une première armée, qui, par une faute du maréchal de Créquy, faute que l'on pourrait presque qualifier de trahison, a été non pas battue par le duc de Savoie, comme les ennemis de la France se sont empressés de le dire, mais manquant, les fantassins de vivres, les cavaliers de vivres et de fourrage, s'est dispersée et fondue, pour ainsi dire, au souffle de la faim; donc, cette politique adoptée, cette première démarche hostile faite, il ne s'agissait que d'attendre une époque favorable pour poursuivre l'entreprise commencée; – cette époque, le ministre du roi est d'avis qu'elle est arrivée. La Rochelle prise nous permet de disposer de notre armée et de notre flotte. La question posée à Leurs Majestés est celle-ci: Fera-t-on ou ne fera-t-on pas la guerre? et si on la fait, la fera-t-on tout de suite ou attendra-t-on? Le ministre de Sa Majesté, qui est pour la guerre et pour la guerre immédiate, se tient prêt à répondre aux objections qui lui seront faites.

Et saluant le roi et la reine Marie, le cardinal s'assit, abandonnant la parole à son adversaire, ou plutôt à un seul adversaire, le cardinal Bérulle.

Celui-ci, de son côté, sachant bien que c'était à lui de répondre, consulta, du regard, la reine-mère qui d'un signe lui répondit qu'il avait carrière, se leva, salua les deux majestés, et dit:

– Le projet de faire la guerre en Italie, malgré les bonnes raisons apparentes que nous a données M. le cardinal de Richelieu, nous paraît non-seulement dangereux, mais impossible. L'Allemagne, presque subjuguée, fournit à l'Empereur Ferdinand des armées innombrables, auxquelles les forces militaires de la France ne peuvent être comparées; et, de son côté, S. M. Philippe III, l'auguste frère de la reine, trouve dans les mines du nouveau monde des trésors suffisants à payer des armées aussi nombreuses que celles des anciens rois de Perse. Dans ce moment, au lieu de songer à l'Italie, l'Empereur ne s'occupe qu'à réduire les protestants et à tirer de leurs mains les évêchés, les monastères et les autres biens ecclésiastiques dont ils se sont emparés injustement.

Pourquoi la France, c'est-à-dire la fille aînée de l'Eglise, s'opposerait-elle à une si noble et si chrétienne entreprise; ne vaut-il pas mieux, au contraire, que le roi l'appuie, et qu'il achève d'extirper l'hérésie en France pendant que l'empereur et le roi d'Espagne travailleront à la battre en Allemagne et dans les Pays-Bas, pour exécuter des desseins chimériques et directement opposés au bien de l'Eglise? M. de Richelieu parle de paix avec l'Angleterre et laisse entendre une alliance avec les puissances hérétiques, chose capable de flétrir à jamais la gloire de Sa Majesté. Au lieu de faire la paix avec l'Angleterre, n'avons-nous pas chance, au contraire, en poursuivant la guerre contre le roi Charles Ier, d'espérer qu'il en sera enfin réduit à donner satisfaction à la France en rappelant les femmes et les serviteurs de la reine si indignement chassés contre la bonne foi d'un traité solennel et à cesser les précautions contre les catholiques anglais. Que savons-nous si Dieu ne veut pas rétablir la vraie religion en Angleterre, pendant que l'hérésie se détruira en France, en Allemagne et dans les Pays-Bas. Dans la conviction que j'ai parlé dans les intérêts de la France et du Trône, je mets mon humble opinion aux pieds de Leurs Majestés.

Et le cardinal s'assit à son tour, non sans avoir du regard recueilli les marques d'approbation que lui adressaient ouvertement la reine Marie et les membres de son conseil, et justement le garde des sceaux Marillac, ramené au parti des reines par les soins de Mme de Fargis.

Le roi, se tournant alors vers le cardinal de Richelieu:

– Vous avez entendu, monsieur le cardinal, dit-il, et, si vous avez à répondre, répondez.

Richelieu se leva.

– Je crois, dit-il, mon honorable collègue, M. le cardinal de Bérulle mal informé de la situation politique de l'Allemagne et financière de l'Espagne; la puissance de l'empereur Ferdinand, qu'il nous représente comme si fort redoutable, n'est point tellement établie en Allemagne qu'on ne puisse l'ébranler, le jour où, sans avoir besoin de nous allier à lui, nous pousserons sur l'empereur le lion du Nord, le grand Gustave-Adolphe, à qui il ne manque, pour prendre cette grande décision, que quelques centaines de mille livres, qu'à un moment donné on fera luire à ses yeux comme un des ces phares qui indiquent aux vaisseaux leur chemin. Le ministre de Sa Majesté sait même de source certaine que ces armées de Ferdinand dont parle M. le cardinal de Bérulle donnent de grands ombrages à Maximilien, duc de Bavière, chef de la ligue catholique. Le ministre de Sa Majesté se fait fort, à un moment donné, de prendre ces armées si terribles entre les armées protestantes de Gustave-Adolphe et les armées catholiques de Maximilien. Quant aux trésors imaginaires du roi Philippe III, qu'on permette au ministre du roi de les réduire à leur juste valeur. Le roi d'Espagne tire à peine cinq cent mille écus par an des Indes, et le conseil de Madrid s'est trouvé fort déconcerté quand, il y a deux mois, on apprit que l'amiral des Pays-Bas, Hein, avait pris et coulé à fond, dans le golfe du Mexique, les galions d'Espagne et leur charge, estimée à 12 millions, et, à la suite de cette nouvelle, les affaires de S. M. le roi d'Espagne se trouvèrent même dans un si grand désordre, qu'il ne put envoyer à l'empereur Ferdinand le subside d'un million qu'il lui avait promis. Maintenant, pour répondre à la seconde partie du discours de son adversaire, le ministre du roi fera humblement observer à Sa Majesté qu'elle ne saurait souffrir avec honneur l'oppression du duc de Mantoue, que non-seulement il a reconnu, mais que son ambassadeur, M. de Chamans, a fait nommer, par son influence sur le dernier duc. Sa Majesté doit non-seulement protéger ses alliés en Italie, mais encore protéger contre l'Espagne cette belle contrée de l'Europe que l'Espagne tend éternellement à subjuguer, et où elle est déjà trop puissante.

Si nous n'appuyons pas vigoureusement le duc de Mantoue, celui-ci, incapable de résister à l'Espagne, sera obligé de consentir à l'échange de ses Etats avec d'autres Etats hors de l'Italie, ce que la cour d'Espagne lui propose en ce moment. Déjà, ne l'oubliez pas, le feu duc Vincent a été sur le point de consentir à ce marché et d'échanger le Montferrat pour faire dépit à Charles-Emmanuel, et pour lui donner des voisins capables d'arrêter ses mouvements continuels. Enfin, l'avis du ministre de Sa Majesté est qu'il y aurait non-seulement préjudice, mais encore honte à laisser impunie la témérité du duc de Savoie, qui brouille depuis plus de trente ans les affaires de la France et de ses alliés; qui lie mille intrigues contraires au service et à l'intérêt de Sa Majesté, dont on trouve la main dans la conspiration de Chalais, comme on l'avait déjà trouvée dans la conspiration de Biron, et qui s'est fait l'allié des Anglais dans leurs entreprises sur l'île de Ré.

Puis alors, se tournant vers le roi et s'adressant directement à lui:

 

– En prenant cette ville rebelle, ajouta le cardinal de Richelieu, vous avez heureusement exécuté, Sire, le projet le plus glorieux pour vous, et le plus avantageux à votre Etat. L'Italie, oppressée depuis un an par les armes du roi d'Espagne et du duc de Savoie, implore le secours de votre bras victorieux. Refuseriez-vous de prendre en main la cause de vos voisins et de vos alliés que l'on veut injustement dépouiller de leurs héritages. Eh bien, moi, Sire, moi, votre ministre, j'ose vous promettre que, si vous formez aujourd'hui cette noble résolution, le succès n'en sera pas moins heureux que celui du siége de La Rochelle. Je ne suis ni prophète – et Richelieu regarda avec un sourire son collègue le cardinal de Bérulle – ni fils de prophète, mais je puis assurer Votre Majesté que, si elle ne perd point de temps dans l'exécution de son dessein, vous aurez délivré Cazal et donné la paix à l'Italie avant la fin du mois de mai prochain.

En revenant, avec votre armée, dans le Languedoc, vous achèverez de réduire le parti huguenot au mois de juillet; enfin, Votre Majesté, victorieuse partout, pourra prendre du repos à Fontainebleau ou partout ailleurs, pendant les beaux jours de l'automne.

Un mouvement approbateur courut parmi les gentilshommes invités à assister à la séance, et il fut visible que le duc d'Angoulême, le duc de Guise surtout, approuvaient tout particulièrement l'avis de M. de Richelieu.

Le roi prit la parole:

– M. le cardinal, dit-il, a bien fait, toutes les fois qu'il a parlé de lui-même et de la politique suivie, de dire le ministre du roi, car cette politique, c'est d'après mes ordres qu'elle a agi. – Oui, nous sommes de son avis; oui, la guerre est nécessaire en Italie; oui, nous devons y soutenir nos alliés; oui, nous devons y maintenir notre suprématie, en y restreignant autant que possible non-seulement le pouvoir, mais l'influence de l'Espagne: notre honneur y est engagé.

Malgré le respect que l'on devait au roi, quelques applaudissements éclatèrent du côté des amis du cardinal, tandis que les amis de la reine retenaient à peine leurs murmures. Marie de Médicis et le cardinal de Bérulle échangèrent vivement quelques paroles à voix basse.

Le visage du roi prit une expression sévère, il jeta un regard oblique, presque menaçant du côté d'où venaient les murmures, et continua:

– La question dont nous avons à nous occuper maintenant n'est donc pas de discuter la paix ou la guerre, puisque la guerre est décidée, mais l'époque où nous devons nous mettre en campagne, – bien entendu que les opinions ouïes, nous nous réservons de décider en dernier ressort. Parlez, monsieur de Bérulle, car vous êtes, nous ne l'ignorons pas, l'expression d'une volonté que nous respectons toujours, même quand nous ne la suivons pas.

Marie de Médicis fit à Louis XIII, qui avait parlé assis et couvert, un léger signe de remerciement.

Puis se tournant vers Bérulle:

– Une invitation du roi est un ordre, dit-elle; parlez, monsieur le cardinal.

Bérulle se leva.

– Le ministre du roi, dit-il avec affectation, appuyant sur ces deux mots: le ministre du roi, a proposé de faire la guerre immédiatement, et j'ai le regret d'être sur ce point encore, d'un avis diamétralement opposé au sien. Si je ne suis point dans l'erreur, Sa Majesté a exprimé son désir de conduire cette guerre en personne; or, pour deux raisons, je me déclarerai contre cette guerre entreprise trop précipitamment. La première de ces raisons la voici, c'est que l'armée du roi, fatiguée par le long siége de La Rochelle, a besoin de se remettre dans de bons quartiers d'hiver; quand la traînant des bords de l'Océan au pied des Alpes sans lui laisser le temps de se reposer, on s'expose à voir les soldats, rebutés par une longue marche, déserter en foule; ce serait une cruauté d'exposer ces braves gens aux rigueurs de l'hiver, sur des montagnes couvertes de neige et inaccessibles, et un crime de lèse-majesté que d'y conduire le roi, eût-on l'argent nécessaire, et on ne l'a pas, vu qu'il y a huit jours à peine, sur cent mille livres qu'a fait demander l'auguste mère de Votre Majesté à son ministre, il n'a pu, en arguant de la pénurie d'argent, lui envoyer que cinquante mille, – eût-on l'argent nécessaire et on ne l'a pas, tous les mulets du royaume ne suffiraient pas pour porter les vivres dont a besoin l'armée, sans compter qu'il est impossible de transporter à cette époque de l'année l'artillerie dans des chemins inconnus, et qu'il faudrait même dans la saison d'été faire étudier par des ingénieurs. Ne vaut-il pas mieux remettre l'expédition au printemps, on fixera d'ici là les préparatifs, et la plupart des choses nécessaires se pourront conduire par mer. Les Vénitiens, plus intéressés que nous dans l'affaire des ducs de Mantoue, ne s'émeuvent pas de l'invasion du Montferrat par Charles-Emmanuel et prétendent laisser tout le fait de l'entreprise au roi. Doit-on présumer que ces messieurs s'embarqueront avec plus de chaleur quand ils verront le duc de Mantoue plus opprimé et le secours de la France encore plus éloigné; enfin, la chose que Sa Majesté doit éviter encore plus soigneusement que toute autre, c'est de rompre avec le roi catholique, ce qui serait infiniment plus préjudiciable à l'Etat que la conservation de Cazal et de Mantoue ne peut être avantageuse. – J'ai dit.

Le discours du cardinal de Bérulle parut avoir fait une certaine impression sur le conseil; il ne discutait plus la guerre, en faveur de laquelle le roi s'était déclaré, il discutait l'opportunité de cette guerre dans le moment difficile où l'on se trouvait. D'ailleurs les capitaines admis au conseil, – Bellegarde, le duc d'Angoulême, le duc de Guise, Marillac-l'Epée – n'étant plus des jeunes gens – et ardents à la guerre, parce qu'elle offrait des chances à leur ambition, demandaient une guerre où il y eût plus de danger que de fatigue, attendu que, pour braver la fatigue, il faut être jeune, tandis que pour braver le danger il ne faut être que courageux.

Le cardinal se leva.

– Je vais répondre, dit-il, sur tous les points à mon honorable collègue. Oui, quoique je ne pense pas que Sa Majesté ait encore pris sur ce point une entière résolution, je crois qu'il entre dans les vues du roi de conduire la guerre en personne. Sa Majesté sur ce point décidera dans sa sagesse, et je n'ai qu'une crainte, c'est qu'elle sacrifie ses propres intérêts à ceux de l'Etat, comme c'est le devoir d'un roi de le faire. Quant à la question des fatigues que l'armée aura à supporter, que le cardinal de Bérulle ne s'en inquiète point. Une partie transportée par mer débarque à cette heure à Marseille et marche sur Lyon, où sera le quartier général. L'autre avance à petites journées à travers la France, bien nourrie, bien logée, bien payée, sans avoir depuis un mois perdu un seul homme par la désertion, attendu que le soldat bien payé, bien logé, bien nourri, ne déserte pas. Quant aux difficultés que l'armée éprouvera à travers les Alpes, il vaut mieux les affronter vite et avoir à lutter contre la nature que de donner à notre ennemi le temps de hérisser les passages que l'armée compte prendre, de canons et de forteresses.

Il est vrai qu'il y a quelques jours j'ai eu le regret de refuser cinquante mille livres à l'auguste mère du roi, sur les cent mille qu'elle m'avait fait l'honneur de me demander; mais je ne me suis permis de décider cette réduction qu'après l'avoir soumise au roi qui l'a approuvée; malgré ce refus qui n'indiquait point un manque d'argent, mais la nécessité seulement de ne point faire de dépenses inutiles, nous sommes financièrement en mesure de faire cette guerre; en engageant mon honneur et mes biens particuliers, j'ai trouvé à emprunter six millions. Quant aux chemins, leur étude est faite depuis longtemps, car depuis longtemps Sa Majesté songe à cette guerre, et elle m'a ordonné d'envoyer quelqu'un en Dauphiné, en Savoie et en Piémont pour les reconnaître, et sur le travail qu'en a fait M. de Pontis, M. d'Ercure, maréchal des logis des armées du roi, a donné une carte exacte du pays. Donc, tous les préparatifs de la guerre sont faits, donc l'argent nécessaire à la guerre est dans les coffres, et comme la guerre étrangère, de l'avis de Sa Majesté, presse pour la gloire de ses armes et pour la réparation de son honneur, que la guerre intestine qui, La Rochelle abattue et l'Espagne occupée en Italie, ne paraît pas offrir de grands dangers, je supplie Sa Majesté de vouloir bien décider à son tour que l'on entrera immédiatement en campagne, répondant sur ma tête du succès de l'entreprise. Et à mon tour, j'ai dit!