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Le comte de Moret

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CHAPITRE V.
OU MONSEIGNEUR GASTON, COMME LE ROI CHARLES IX, JOUE SON PETIT ROLE

En voyant la douairière de Longueville, la princesse Marie et Mgr Gaston sortir par la même porte, appelés par le même huissier, le reste de la société pensa bien qu'il s'était passé quelque chose d'extraordinaire, et, soit discrétion, soit que onze heures qui venaient de sonner indiquassent le moment de la retraite, après avoir attendu un certain nombre de minutes, se retira.

Mme de Combalet se retirait comme les autres, lorsque l'huissier, qui semblait guetter son passage dans le corridor sombre dont nous avons déjà parlé, lui dit à voix basse:

– Madame la douairière vous sera fort obligée, si vous voulez bien ne pas vous retirer sans l'avoir vue.

Et, en même temps, il lui ouvrit la porte d'un petit boudoir, où elle pouvait attendre seule.

Mme de Combalet ne s'était pas trompée quand elle avait cru entendre ou plutôt avait entendu le nom de Vauthier.

Vauthier avait en effet été envoyé à Mme de Longueville pour la prévenir que la reine-mère verrait avec regret se renouveler, dans des conditions régulières et fréquentes, les deux ou trois visites que Gaston d'Orléans avait déjà faites à la princesse Marie de Gonzague.

C'est alors que Mme de Longueville avait fait venir sa nièce pour lui faire part du message de la reine-mère.

La princesse Marie, franche et loyale personne, proposa à l'instant même de faire venir le prince et de lui demander une explication; Vauthier voulut se retirer, mais la douairière et la princesse exigèrent qu'il restât, et qu'il répétât au prince les propres termes dont il s'était servi à leur égard.

On a vu comment le prince sortit du salon.

Guidés par l'huissier, il entra dans le cabinet où il était attendu.

En apercevant Vauthier, feint ou réel, il manifesta un éclair d'étonnement, et le couvrant de son œil dur, tout en marchant vers lui:

– Que faites-vous ici, monsieur, lui demanda-t-il, et qui vous a envoyé?

Sans doute Vauthier savait que, de la part de la reine-mère, la colère était feinte puisqu'il avait lu avec elle le conseil du duc de Savoie, qu'elle mettait à exécution à cette heure; mais il ignorait jusqu'à quel point Gaston entrait dans cette querelle supposée, qui devait, aux yeux de tous, séparer la mère et le fils.

– Monseigneur, dit-il, je ne suis que l'humble serviteur de la reine, votre auguste mère, je suis forcé, par conséquent, d'exécuter les ordres qu'elle me donne; or, je viens, sur son ordre, supplier Mme la douairière de Longueville et Mme la princesse Marie de ne point encourager un amour qui irait à l'encontre des volontés du roi et des siennes.

– Vous entendez, monseigneur, répondit Mme de Longueville, il y a presque une accusation dans un désir royal exprimé de cette façon; nous attendrons donc de la loyauté de Votre Altesse que Sa majesté la reine soit exactement informée et des causes de votre visite et du but dans lequel elle est faite.

– Monsieur Vauthier, dit le duc de ce ton superbement hautain qu'il savait prendre à l'occasion, et que même il prenait plus souvent qu'à l'occasion, vous êtes trop au courant des événements importants qui se sont passés à la cour de France depuis le commencement du siècle pour ignorer le jour et l'année où je suis né.

– Dieu m'en garde, monseigneur; Votre Altesse est née le 25 avril 1608.

– Eh bien, monsieur, nous sommes aujourd'hui le 13 décembre 1628, c'est-à-dire que j'ai vingt ans, sept mois, dix-neuf jours, je suis donc depuis sept mois, dix-neuf jours, sorti de la tutelle des femmes. De plus, j'ai été marié une première fois contre mon gré. Je suis assez riche pour enrichir ma femme si elle était pauvre, assez grand seigneur pour l'ennoblir, si elle n'était pas noble, et je compte, la seconde fois, la raison d'état n'ayant rien à faire avec un cadet de famille, je compte, la seconde fois, me marier comme je l'entendrai.

– Monseigneur, dirent à la fois Mme de Longueville et sa nièce, vous n'exigerez point, ne fût-ce que par égard pour nous, que M. Vauthier porte une pareille réponse à Sa Majesté la reine, votre mère.

– M. Vauthier, si la chose lui convient, peut dire que je n'ai pas répondu, et alors, en rentrant au Louvre, c'est moi qui répondrai à Mme ma mère.

Et il fit signe à Vauthier de sortir; Vauthier baissa la tête et obéit.

– Monseigneur, dit Mme de Longueville.

Mais Gaston l'interrompant:

– Madame, depuis plusieurs mois déjà, je dirai mieux, depuis que je l'ai vue, j'aime la princesse Marie; le respect que j'ai pour elle et pour vous fait que je ne lui eusse probablement pas fait cet aveu avant mes vingt et un ans accomplis, car, de son côté, Dieu merci! ayant à peine seize ans, elle a tout le temps d'attendre; mais puisque d'un côté le mauvais vouloir de ma mère tente de m'éloigner d'elle; puisque, de l'autre, la politique veut que celle que j'aime épouse un pauvre petit prince d'Italie, je dirai à Son Altesse: Madame, mes joues roses ne me rendent guère propre à la galanterie qui règne, c'est-à-dire à faire le malade, à être pâle et à être toujours prêt à m'évanouir, mais je ne vous en aime pas moins; c'est donc à vous de réfléchir à mon offre, car, vous le comprenez bien, l'offre de mon cœur, c'est l'offre de ma main. Choisissez donc entre le duc de Rethellois et moi, entre Mantoue et Paris, entre un petit prince italien et le frère du roi de France.

– Ah! monseigneur, dit Mme de Longueville, si vous étiez libre de vos actions, comme un simple gentilhomme, si vous ne dépendiez pas de la reine, du cardinal, du roi!

– Du roi, madame, je dépends du roi, c'est vrai; mais c'est mon affaire d'obtenir de lui permission pour ce mariage, et je m'en fais fort; mais quant au cardinal et à la reine, ce sont eux, peut-être, qui bientôt dépendront de moi.

– Comment cela, monseigneur? demandèrent les deux dames.

– Oh! mon Dieu, je vais vous le dire, fit Gaston en affectant la franchise; mon frère Louis XIII, marié depuis treize ans, et n'ayant point d'enfants après treize ans de mariage, n'en n'aura jamais; quant à sa santé, vous savez ce qu'elle est, et qu'évidemment, un jour ou l'autre, il me laissera le trône de France.

– Ainsi, dit Mme de Longueville, vous considérez, monseigneur, comme ne pouvant tarder, la mort du roi votre frère.

La princesse Marie ne parlait point, mais comme son cœur, en ne parlant pour personne, laissait germer l'ambition dans sa jeune tête, elle ne perdait point une parole de ce que disait Monsieur.

– Bouvard le regarde comme un homme perdu, madame, et s'émerveille qu'il vive encore; mais sur ce point les augures sont d'accord avec Bouvard.

– Les augures? demanda Mme de Longueville.

Marie redoubla d'attention.

– Ma mère a consulté le premier astrologue de l'Italie, Fabroni, et il a répondu que le roi Louis dirait adieu au monde avant que le soleil ait parcouru le signe de l'Ecrevisse de l'année 1630: c'est donc dix-huit mois que Fabroni lui donne à vivre, et même chose m'a été dite à moi-même et à plusieurs de mes domestiques par un médecin nommé Duval. Il est vrai que mal en a pris à ce dernier; car le cardinal, ayant su qu'il avait tiré l'horoscope du roi, l'a fait arrêter et condamner secrètement aux galères, en vertu des anciennes lois romaines, qui défendent de rechercher combien d'années le prince doit vivre. Eh bien, madame ma mère sait tout cela, ma mère s'attend, comme la reine et comme moi, à la mort de son fils aîné; c'est pourquoi elle veut, pour peser sur moi, comme elle a pesé sur mon frère, me marier à une princesse de Toscane, qui lui soit redevable de la couronne; mais il n'en sera point ainsi, j'en jure Dieu! Je vous aime, et à moins que vous n'éprouviez une invincible aversion pour moi, vous serez ma femme.

– Mais, demanda Mme la douairière de Longueville, monseigneur a-t-il une idée de ce que pense le cardinal de Richelieu à l'endroit de ce mariage.

– Ne vous inquiétez pas du cardinal, nous l'aurons.

– Et comment cela?

– Dame! fit le duc d'Orléans, il faudrait pour cela que vous m'aidassiez un peu.

– De quelle façon?

– Le comte de Soissons est las de son exil, n'est-ce pas?

– Il s'en désespère; mais il n'y a de ce côté rien à obtenir de M. de Richelieu.

– Bon! s'il épousait sa nièce.

– Mme de Combalet?

Les deux femmes se regardèrent.

– Le cardinal, continua Gaston, pour s'allier à une maison royale, passerait par tout ce que l'on voudrait.

Les deux dames se regardèrent de nouveau.

– Ce que monseigneur dit là est-il sérieux? demanda Mme de Longueville.

– On ne peut plus sérieux!

– C'est qu'alors j'en parlerais à ma fille qui a grande puissance sur son frère.

– Parlez-lui en, madame.

Puis se retournant vers la princesse Marie:

– Mais tout cela, dit-il, n'est qu'un vain projet, madame, si dans ce complot votre cœur ne se fait pas le complice du mien.

– Votre Altesse sait que je suis fiancée au duc de Rethellois, dit la princesse Marie. Je ne puis personnellement rien faire contre la chaîne qui me lie et m'empêche de parler; mais le jour où ma chaîne sera brisée, et ma parole libre, Votre Altesse, qu'elle le croie bien, n'aura pas à se plaindre de ma réponse.

La princesse fit une révérence et s'apprêta à sortir; mais Gaston lui saisit vivement la main, et la baisant avec passion:

– Ah! madame, lui dit-il, vous venez de me faire le plus heureux des hommes, et je ne veux pas douter de la réussite d'un projet auquel mon bonheur est attaché.

Et tandis que la princesse Marie sortait par une porte, Gaston s'élançait par l'autre, avec la vivacité d'un homme qui a besoin d'aller chercher dans la fraîcheur de l'air extérieur un calmant à sa passion.

Mme de Longueville, qui se rappelait qu'elle avait fait prier Mme de Combalet de l'attendre, poussa une porte qui se trouvait devant elle et qui, n'étant pas fermée, céda à la première pression; elle jeta presque un cri d'étonnement en se trouvant devant la nièce du cardinal, que l'huissier avait imprudemment introduite dans la chambre attenante à celle où venait d'avoir lieu l'explication avec Mgr Gaston d'Orléans.

 

– Madame, lui dit la douairière, sachant Mgr le cardinal notre ami et notre protecteur, et ne voulant rien faire de mystérieux, ou qui lui soit désagréable, je vous avais priée d'attendre la fin d'une explication entre nous et Sa Majesté la reine mère, explication provoquée par les deux ou trois visites que nous a faites Son Altesse Royale Monsieur.

– Merci, chère duchesse, dit Mme de Combalet, et je vous prie de croire que j'apprécie la délicatesse qui vous a fait m'ouvrir la porte de ce cabinet, afin que je ne perdisse pas un mot de votre conversation.

– Et, demanda avec une certaine hésitation la douairière, vous avez entendu, je présume, toute la partie qui vous concernait? Quant à moi, à part l'honneur de voir ma nièce duchesse d'Orléans, sœur du roi, reine peut-être, je serais très-heureuse, madame, de vous voir entrer dans notre famille, et Mlle de Longueville et moi userons de tout notre pouvoir sur le comte de Soissons, en supposant, ce dont je doute, que nous ayons besoin d'en user.

– Merci, madame, répondit Mme de Combalet, et j'apprécie tout l'honneur qu'il y aurait pour moi à devenir la femme d'un prince du sang; mais en revêtant ma robe de veuve j'ai fait deux serments: le premier de ne me remarier jamais, le second de me dévouer tout entière à mon oncle. Je tiendrai mes deux serments, madame, sans autre regret, croyez-le bien, que celui que j'éprouverais à voir la combinaison de Monsieur manquer à cause de moi.

Et, saluant Mme de Longueville, elle prit, avec le plus gracieux, mais en même temps avec le plus calme sourire du monde, congé de l'ambitieuse douairière, qui ne comprenait pas qu'il y eût un serment qui tînt devant la perspective orgueilleuse de devenir comtesse de Soissons.

CHAPITRE VI.
EVE ET LE SERPENT

Au Louvre! avait dit, on se le rappelle, Mme de Fargis. Et, obéissant à cet ordre, ses porteurs l'avaient déposée devant l'escalier de service, conduisant à la fois chez le roi et chez la reine, et qui s'ouvrait, pour le remplacer, à l'heure où se fermait le grand escalier, c'est-à-dire à dix heures du soir.

Mme de Fargis reprenait, ce soir-là même, sa semaine près de la reine.

La reine l'aimait fort, comme elle avait aimé, comme elle aimait encore Mme de Chevreuse; mais sur Mme de Chevreuse, qui s'était fait connaître par une foule d'imprudences, le roi et le cardinal avaient l'œil ouvert. Cette éternelle rieuse était antipathique à Louis XIII, qui, même étant enfant, n'avait pas ri dix fois dans sa vie. Mme de Chevreuse, exilée, comme nous l'avons déjà dit, on lui avait substitué Mme de Fargis, plus complaisante encore que Mme de Chevreuse: jolie, ardente, effrontée, tout à fait propre à aguerrir la reine par ses exemples; ce qui lui avait fait cette fortune inespérée d'être placée près de la reine, c'était d'abord la position de son mari, de Fargis d'Angennes, cousin de Mme de Rambouillet, et notre ambassadeur à Madrid; mais surtout ce qui l'avait servie dans son ambition, c'était d'être restée trois ans aux carmélites de la rue Saint-Jacques, où elle s'était liée avec Mme de Combalet, qui l'avait recommandée au cardinal.

La reine l'attendait avec impatience. L'aventureuse princesse, tout en regrettant, tout en pleurant même encore Buckingham, aspirait sinon à des aventures, du moins à des émotions nouvelles. Ce cœur de vingt-six ans, où jamais son mari n'avait été tenté de prendre la moindre place, demandait à être occupé par des semblants d'amour, à défaut de passions réelles, et comme ces harpes éoliennes, placées au haut des tours, jetait un cri, une plainte, un son joyeux, le plus souvent une vibration vague, à tous les souffles qui passaient.

Puis son avenir n'était guère plus riant que le passé. Ce roi morose, ce triste maître, le mari sans désirs, c'était encore ce qu'il y avait de plus heureux pour elle, que de le garder. Ce qui pouvait lui arriver de plus heureux, à l'heure de cette mort, qui paraissait si instante, que chacun s'y attendait et y était préparé, c'était d'épouser Monsieur, qui, ayant sept ans de moins qu'elle, ne la berçait de l'espoir de la prendre pour femme que dans la crainte que, dans un moment de désespoir ou d'amour, elle ne trouvât à sa situation un remède qui éloignât à tout jamais Gaston du trône, en la faisant régente.

Et en effet, elle n'avait que ces trois alternatives, le roi mourant: épouser Gaston d'Orléans, être régente ou renvoyée en Espagne.

Elle se tenait donc triste et rêveuse dans un petit cabinet attenant à sa chambre, où n'entraient que ses plus familiers et les femmes de son service, lisant des yeux, sans lire de l'esprit, une nouvelle tragi-comédie de Guilhem de Castro, que lui avait donnée M. de Mirabel, ambassadeur d'Espagne, et qui était intitulée la Jeunesse du Cid.

A sa manière de gratter à la porte, elle reconnut Mme de Fargis, et jetant loin d'elle le livre qui devait quelques années plus tard, avoir une si grande influence sur sa vie, elle cria d'une voix brève et joyeuse:

– Entrez!

Encouragée ainsi, Mme de Fargis n'entra point, mais fit irruption dans le cabinet et vint tomber aux genoux d'Anne d'Autriche, en saisissant ses deux belles mains qu'elle baisa avec une passion qui fit sourire la reine.

– Sais-tu, lui dit-elle, que je me figure parfois, ma belle Fargis, que tu es un amant déguisé en femme, et qu'un beau jour, quand tu te seras bien assurée de mon amitié, tu te révéleras tout à coup à moi.

– Eh bien, si cela était, ma belle Majesté, ma gracieuse souveraine, dit-elle en fixant ses yeux ardents sur Anne d'Autriche, en même temps que, les dents serrées et les lèvres entr'ouvertes, elle serrait ses mains avec un frissonnement nerveux, en seriez-vous bien désespérée?

– Oh! oui, bien désespérée, car je serais obligée de sonner et de te faire mettre à la porte, de sorte qu'à mon grand regret je ne te verrais plus, car, avec Chevreuse, tu es la seule qui me distraie.

– Mon Dieu, que la vertu est donc une chose farouche et hors de nature, puisqu'elle n'a pour résultat que d'éloigner les uns des autres les cœurs qui s'aiment, et que les âmes indulgentes, comme moi, me paraissent bien plus selon l'esprit de Dieu, que vos prudes hypocrites qui prennent à rebrousse poil le moindre compliment.

– Sais-tu qu'il y a huit jours que je ne t'ai vue, Fargis!

– Que cela? Bon Dieu, ma douce reine, il me semble à moi qu'il y a huit siècles.

– Et qu'as-tu fait pendant ces huit siècles?

– Pas grand'chose de bon, ma chère Majesté. J'ai été amoureuse, à ce que je crois.

– A ce que tu crois?

– Oui.

– Mon Dieu! que tu es folle de dire de pareilles choses, et comme on ferait bien mieux de te fermer la bouche avec la main, à la première parole que tu dis.

– Que Votre Majesté essaye un peu, et elle verra comment sa main sera reçue.

Anne lui mit en riant sur les lèvres, le creux d'une main que Mme de Fargis, toujours à genoux devant elle, baisa avec passion.

Anne retira vivement sa main.

– Ne m'embrasse donc pas ainsi, mignonne, dit-elle, tu me donnes la fièvre. Et de qui es-tu amoureuse?

– D'un rêve.

– Comment, d'un rêve?

– Mais, oui, c'est un rêve, au milieu de notre époque, dans le siècle des Vendôme, des Condé, des Grammont, des Courtauvaux et des Barrada, que de trouver un jeune homme de vingt-deux ans, beau, noble et amoureux…

– De toi?

– De moi? Oui, peut-être. Seulement, il en aime une autre.

– En vérité, tu es folle, Fargis, et je ne comprends rien à ce que tu me dis.

– Je le crois bien! Votre Majesté est une véritable religieuse.

– Et toi, qu'es-tu donc? Ne sors-tu pas des carmélites?

– Si fait, avec Mme de Combalet.

– Et tu disais donc que tu étais amoureuse d'un rêve?

– Oui, et même vous le connaissez, mon rêve.

– Moi?

– Quand je pense que si je suis damnée à cause de ce péché-là, c'est pour Votre Majesté que j'aurai perdu mon âme.

– Oh! ma pauvre Fargis, tu y auras bien mis un peu du tien.

– Est-ce que Votre Majesté ne le trouve pas charmant?

– Mais qui donc?

– Notre messager, le comte de Moret.

– Ah! en effet, oui, c'est un digne gentilhomme, et qui m'a fait l'effet d'un vrai chevalier.

– Ah! ma chère reine, si tous les fils de Henri IV étaient comme lui, oh! je réponds bien que le trône de France ne chômerait pas d'héritiers, comme il fait en ce moment.

– A propos d'héritier, dit la reine pensive, il faut que je te montre une lettre qu'il m'a remise; elle était de mon frère Philippe IV, et me donnait un conseil que je ne comprends pas très bien.

– Je vous l'expliquerai, moi. Allez, il y a bien peu de choses que je ne comprenne pas.

– Sibylle! dit la reine en la regardant avec un sourire indiquant qu'elle ne doutait pas le moins du monde de sa pénétration.

Et elle fit, avec sa nonchalance habituelle, un mouvement pour se lever.

– Puis-je épargner une peine quelconque à Votre Majesté? demanda Mme de Fargis.

– Non, il n'y a que moi qui connaisse le secret du tiroir où se trouve la lettre.

Et elle alla à un petit meuble qu'elle ouvrit comme on ouvre tous les meubles, amena un tiroir à elle, fit jouer le secret, et prit dans le double fond du tiroir la copie de la dépêche que lui avait apportée le comte, et qui, outre la lettre ostensible de don Gonzalès de Cordoue, en renfermait, on se le rappelle, une qui ne devait être lue que de la reine seule.

Puis, avec cette lettre, elle revint prendre sa place sur l'espèce de divan où elle était assise.

– Mets-toi là près de moi, dit-elle à Mme de Fargis, en lui indiquant sa place sur le canapé.

– Comment! sur le même siége que Votre Majesté?

– Oui, il faut que nous parlions bas.

Mme de Fargis jeta les yeux sur le papier que la reine tenait à la main.

– Voyons, dit-elle, j'écoute et je me recueille. D'abord, que disent ces trois ou quatre lignes-là?

– Rien; elles me donnent le conseil de maintenir le plus longtemps possible ton mari en Espagne.

– Rien! et Votre Majesté appelle cela rien! Mais c'est tout à fait important, au contraire. Oui, sans doute, il faut que M. de Fargis reste en Espagne, et le plus longtemps possible: dix ans, vingt ans, toujours! Oh! que voilà donc un homme qui donne un bon avis. Voyons l'autre, s'il est à la hauteur du premier. Je déclare que Votre Majesté a pour conseiller le roi Salomon en personne. Vite! vite! vite!

– Ne seras-tu donc jamais sérieuse, même dans les choses les plus graves?

Et la reine haussa doucement les épaules.

– Maintenant, voici ce que me dit mon frère Philippe IV.

– Et ce que ne comprend pas très bien Votre Majesté.

– Ce que je ne comprends pas du tout, Fargis, dit la reine, avec un air d'innocence parfaitement joué.

– Voyons cela.

«Ma sœur – lut la reine – je connais par notre bon ami M. de Fargis, le projet qui, en cas de mort du roi Louis XIII, vous promet pour mari son frère et successeur au trône, Gaston d'Orléans.»

– Vilain projet, interrompit Mme de Fargis, pour prendre aussi mauvais et peut-être pire que l'on n'avait.

– Attends donc! et la reine continua:

«Mais ce qui serait mieux encore, c'est qu'à l'époque de cette mort, vous vous trouvassiez enceinte.»

– Oh! oui, murmura Mme de Fargis, voilà ce qui vaudrait mieux que tout.

« – Les reines de France,» – poursuivit Anne d'Autriche, en paraissant chercher le sens des paroles qu'elle lisait, – ont un «grand avantage sur leurs époux; elles peuvent faire des dauphins sans eux, et ils n'en peuvent pas faire sans elles.»

– Et c'est cela que Votre Majesté ne comprend pas du tout?

– Ou du moins qui me paraît impraticable, ma bonne Fargis.

– Quel malheur! dit Mme de Fargis, en levant les yeux au ciel, d'avoir affaire, dans les circonstances comme celles-là, quand il s'agit non-seulement du bonheur d'une grande reine, mais encore de la félicité d'un grand peuple, quel malheur d'avoir affaire à une trop honnête femme.

– Que veux-tu dire?

– Je veux dire que si, dans les jardins d'Amiens, n'est-ce pas, vous eussiez fait ce que j'eusse fait à votre place, ayant affaire à un homme aimant Votre Majesté plus que sa vie, puisqu'il a donné sa vie pour elle, si, au lieu d'appeler Laporte ou Putanges, vous n'eussiez pas appelé du tout…

 

– Eh bien?

– Eh bien, il arriverait peut-être aujourd'hui que votre frère n'aurait pas besoin de vous donner le conseil qu'il vous donne, et que ce dauphin, si difficile à faire, serait fait.

– Mais c'eût été un double crime!

– Où Votre Majesté voit-elle deux crimes dans une action que lui conseille non-seulement un grand roi, mais un roi connu par sa piété.

– Je trompais mon mari d'abord, et ensuite je mettais sur le trône de France le fils d'un Anglais.

– D'abord, tromper un mari, est, dans tous les pays du monde, un péché véniel, et Votre Majesté n'a qu'à jeter les yeux autour d'elle pour s'assurer que c'est l'opinion de la majorité, sinon de ses sujets, du moins de ses sujettes; puis, tromper un mari comme le roi Louis XIII, qui n'est pas un mari ou qui l'est si peu que ce n'est point la peine d'en parler, non-seulement n'est pas même un péché véniel, mais une action louable.

– Fargis!

– Eh! vous le savez bien, madame, au fond du cœur, et vous n'en êtes pas à vous reprocher ce malheureux cri qui a fait tant de scandale, tandis que le silence accommodait tout.

– Hélas!

– Voilà donc la première question jugée, et votre hélas! madame, me donne gain de cause; reste la seconde, et là, je suis forcée de dire que Votre Majesté a pleinement raison.

– Tu vois.

– Mais supposons une chose, par exemple, supposons qu'au lieu d'avoir affaire à un anglais, à un homme charmant, mais de race étrangère, supposons que vous ayez eu affaire à un homme non moins charmant que lui – Anne poussa un soupir – à un homme de race française, mieux encore, à un homme de race royale, à… un vrai fils de Henri IV, par exemple, tandis que le roi Louis XIII me fait, par ses goûts, ses habitudes, son caractère, l'effet de descendre de certain Virginio Orsini.

– Toi aussi, Fargis, tu crois à ces calomnies?

– Si ce sont des calomnies, en tout cas elles viennent du pays de Votre Majesté. Supposons enfin que le comte de Moret se fût trouvé à la place du duc de Buckingham, croyez-vous que le crime eût été aussi grand, et qu'au contraire, ce n'eût pas été un moyen dont la Providence se fût servie pour remettre le vrai sang de Henri IV sur le trône de France?

– Mais Fargis, je n'aime pas le comte de Moret, moi.

– Eh bien, là, madame, serait l'expiation du péché, puisqu'il y aurait sacrifice, et que, dans ce cas-là, vous vous sacrifieriez encore plus à la gloire et à la félicité de la France, qu'à vos propres intérêts.

– Fargis, je ne comprends pas comment une femme se donne à un autre homme qu'à son mari et ne meure pas de honte la première fois qu'au grand jour, elle se trouve face à face avec cet homme-là.

– Ah! madame! madame! dit Fargis, si toutes les femmes pensaient comme Votre Majesté, que de maris en deuil sans savoir de quelle maladie leurs femmes sont mortes! Eh bien, oui, autrefois on a vu de ces choses-là; mais depuis l'invention des éventails ce genre d'accidents est devenu beaucoup moins fréquent.

– Fargis! Fargis! tu es bien la plus immorale personne qu'il y ait au monde, et je ne sais pas si Chevreuse elle-même est aussi perverse que toi. Et de qui est-il amoureux, ton rêve?

– De votre protégée Isabelle.

– D'Isabelle de Lautrec, qui me l'a amené l'autre soir? Mais où l'avait-il vue?

– Il ne l'avait pas vue; c'est un amour qui lui est venu en jouant au colin Maillard avec elle, dans les corridors sombres et dans les cabinets noirs.

– Pauvre garçon! son amour n'ira pas tout seul. Je crois qu'il y a un accord entre son père et un certain vicomte de Pontis. Enfin, nous recauserons de tout cela, Fargis. Je voudrais reconnaître le service qu'il m'a rendu.

– Et celui qu'il pourrait vous rendre encore!

– Fargis!

– Madame?

– En vérité, elle vous répond avec le même calme que si elle ne vous disait pas des choses énormes. Fargis, viens m'aider à me mettre au lit, ma fille. O mon Dieu, que tu vas me faire faire de sots rêves avec tous tes contes.

Et la reine, se levant cette fois, passa dans la chambre à coucher, plus nonchalante encore et plus langoureuse que d'habitude, appuyée à l'épaule de sa conseillère Fargis, que l'on pourra accuser de bien des choses, mais pas certainement d'égoïsme dans ses amours.