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Le capitaine Paul

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La marquise releva lentement la tête, écouta quelques minutes avec anxiété, puis introduisant, sans les ouvrir, la main à travers les rideaux, après quelques efforts elle la retira tenant la clef. Elle se leva alors en silence, et, la tête retournée du côté du lit, marcha vers l'armoire. Mais au moment où elle allait mettre la clef dans la serrure, Paul, qui suivait tous ses mouvements, s'élança dans la chambre, et lui saisissant le bras:

– Donnez-moi cette clef, ma mère! lui dit-il, car le marquis est mort, et ces papiers m'appartiennent.

– Justice de Dieu! s'écria la marquise en reculant d'épouvante et tombant sur un fauteuil; justice de Dieu! c'est mon fils!

– Bonté du ciel! murmura Marguerite en tombant à genoux dans l'autre chambre; bonté du ciel! c'est mon frère!

Paul ouvrit l'armoire, et prit la cassette où étaient renfermés les papiers.

Chapitre XVI

Cependant, au milieu des événements pressés de cette nuit, qui, en faisant assister Marguerite à deux agonies, l'avaient amenée si providentiellement à la découverte du secret de sa mère, Paul n'avait point oublié les paroles mortelles échangées la veille entre lui et Lectoure. Aussi comme ce jeune gentilhomme n'aurait pas su sans doute où le retrouver, il jugea que c'était à lui de lui épargner les ennuis de la recherche, et, vers les six heures du matin, le lieutenant Walter se présenta au château d'Auray, venant, de la part de Paul, arrêter les conditions du combat. Il trouva Emmanuel chez Lectoure.

Ce dernier, en apercevant l'officier, descendit dans le parc, afin de laisser les jeunes gens tout à fait libres dans leur discussion.

Walter avait reçu de son chef l'ordre de tout accepter. Le débat préliminaire fut donc promptement terminé. Les jeunes gens convinrent que la rencontre aurait lieu le jour même à quatre heures du soir, sur le bord de la mer, près de la cabane du pêcheur située entre Port-Louis et le château d'Auray. Quant aux armes, on apporterait sur le terrain des pistolets et des épées; on déciderait alors desquels les adversaires devraient se servir: bien entendu que Lectoure étant l'insulté, le choix lui appartiendrait.

Quant à la marquise, écrasée comme nous l'avons vu d'abord par l'apparition inattendue de Paul, elle avait repris bientôt toute la fermeté de son caractère, et, tirant son voile sur sa figure, elle était sortie de la chambre mortuaire, et avait traversé la première pièce, restée sombre, sans lumière. Elle n'y avait donc pas aperçu Marguerite agenouillée, et muette d'étonnement et de terreur.

Elle avait ensuite traversé le parc, et était rentrée dans le salon où s'était passée la scène du contrat; et là, à la lueur mourante des bougies, les deux coudes appuyés sur la table, la tête posée sur ses mains, les yeux fixés sur le papier où Lectoure avait déjà signé son nom et le marquis écrit la moitié du sien, elle avait passé le reste de la nuit à mûrir une résolution nouvelle; elle avait ainsi vu venir le jour sans avoir pensé à prendre le moindre repos, tant cette âme de bronze soutenait le corps où elle était enfermée. Cette résolution était d'éloigner au plus vite Emmanuel et Marguerite du château d'Auray, car c'était à ses enfants surtout qu'elle voulait cacher ce qui allait probablement se passer entre Paul et elle.

À sept heures, entendant le bruit que faisait le lieutenant Walter en se retirant, elle étendit la main, prit une clochette, et sonna. Un domestique se présenta à la porte avec la livrée de la veille; on voyait que lui non plus il ne s'était point couché.

– Prévenez mademoiselle d'Auray que sa mère l'attend au salon, dit la marquise.

Le valet obéit, et la marquise reprit, morne et immobile, sa première attitude. Un instant après elle entendit un léger bruit derrière elle et se retourna. C'était Marguerite. La jeune fille, avec plus de respect qu'elle ne l'avait jamais fait peut-être, étendit la main vers sa mère, afin que celle-ci lui donnât la sienne à baiser. Mais la marquise resta sans mouvement, comme si elle n'eût pas compris l'intention de sa fille. Marguerite laissa retomber sa main et attendit en silence. Elle aussi portait le même vêtement que la veille. Le sommeil avait passé sur le monde, oubliant le château d'Auray et ses hôtes.

– Approchez, dit la marquise. Marguerite fit un pas.

– Pourquoi, continua la marquise, êtes-vous ainsi pâle et tremblante?

– Madame! murmura Marguerite.

– Parlez! dit la marquise.

– La mort de mon père, si prompte, si inattendue! balbutia Marguerite. Enfin j'ai beaucoup souffert cette nuit!

– Oui, oui, dit la marquise d'une voix sourde et en fixant sur Marguerite des regards qui n'étaient pas dénués de tout intérêt; oui, le jeune arbre plie et s'effeuille sous le vent. Il n'y a que le vieux chêne qui résiste à toutes les tempêtes. Moi aussi, Marguerite, j'ai souffert! moi aussi, j'ai eu une nuit terrible! Et cependant vous me voyez calme et ferme.

– Dieu vous a fait une âme forte et sévère, madame, dit Marguerite; mais il ne faut pas demander la même force et la même sévérité aux âmes des autres. Vous les briseriez.

– Aussi, dit la marquise, laissant retomber sa main sur la table, je ne demande à la vôtre que l'obéissance. Marguerite, le marquis est mort; Emmanuel est maintenant le chef de la famille; vous allez à l'instant même partir pour Rennes avec Emmanuel.

– Moi! s'écria Marguerite! moi, partir pour Rennes! Et pourquoi?..

– Parce que, répondit la marquise, la chapelle du château est trop étroite pour contenir à la fois les fiançailles de la fille et les funérailles du père.

– La mère, dit Marguerite avec un accent indéfinissable, ce serait une piété, ce me semble, que de mettre plus d'intervalle entre deux cérémonies aussi opposées.

– La véritable piété, reprit la marquise, c'est d'accomplir les dernières volontés des morts. Jetez les yeux sur ce contrat, et voyez-y les premières lettres du nom de votre père.

– Oh! je vous le demande, madame, mon père, lorsqu'il a tracé ces lettres que la mort est venue interrompre, mon père avait-il bien toute sa raison, toute sa volonté?

– Je l'ignore, mademoiselle, répondit la marquise avec ce ton impératif et glacé qui lui avait jusqu'alors soumis tout ce qui l'entourait; je l'ignore; ce que je sais, c'est que l'influence qui le faisait agir lui survit; ce que je sais, c'est que les parents, tant qu'ils existent, représentent Dieu sur la terre. Or, Dieu m'a ordonné de terribles choses, et j'ai obéi. Faites comme moi, mademoiselle, obéissez!

– Madame, dit Marguerite, toujours debout, mais immobile cette fois, et avec quelque chose de cet accent arrêté si terrible chez sa mère, et que celle-ci lui avait transmis avec son sang; madame, il y a trois jours que, les larmes dans les yeux, le désespoir dans le coeur, je me traîne sur mes genoux, des pieds d'Emmanuel à ceux de cet homme, et des pieds de cet homme à ceux de mon père. Aucun n'a voulu ou n'a pu m'entendre, car l'ambition ardente ou la folie acharnée était là, couvrant ma voix. Enfin me voilà arrivée en face de vous, ma mère. Vous êtes la dernière que je puisse implorer, mais aussi vous êtes celle qui devez le mieux m'entendre. Écoutez donc bien ce que je vais vous dire. Si je n'avais à sacrifier à votre volonté que mon bonheur, je le sacrifierais; que mon amour, je le sacrifierais encore; mais j'ai à vous sacrifier… mon fils. Vous êtes mère; et moi aussi, madame!

– Mère!.. mère!.. murmura la marquise; mère… par une faute!

– Enfin je le suis, madame; et le sentiment de la maternité n'a pas besoin d'être sanctifié pour être saint. Eh bien! madame, dites-moi, – car mieux que moi vous devez savoir ces choses, – dites-moi: si ceux qui nous ont donné le jour ont reçu de Dieu une voix qui parle à notre coeur, ceux qui sont nés de nous n'ont-ils pas une voix pareille? et quand ces deux voix se contredisent, à laquelle des deux faut-il obéir?

– Vous n'entendrez jamais la voix de votre enfant, répondit la marquise, car vous ne le reverrez jamais.

– Je ne reverrai jamais mon fils!.. s'écria Marguerite; et qui peut en répondre, madame?

– Lui-même ignorera qui il est.

– Et s'il le sait un jour!.. dit Marguerite, vaincue dans son respect de fille par la dureté de sa mère; et s'il revient alors me demander compte de sa naissance!.. Cela peut arriver, madame!

Elle prit la plume.

– Et dans cette alternative, dites, faut-il que je signe?

– Signez, dit la marquise.

– Mais, continua Marguerite en posant sa main crispée et tremblante sur le contrat, si mon mari apprend un jour l'existence de cet enfant! s'il demande raison à mon amant de la tache faite à son nom et à son honneur!.. si, dans un duel acharné, solitaire et sans témoins… dans un duel à mort, il tuait cet amant, et que, tourmenté par sa conscience, poursuivi par une voix qui sortirait de la tombe, mon mari perdît la raison!

– Taisez-vous! dit la marquise épouvantée, mais sans savoir encore si le hasard ou quelque révélation inconnue dictait les paroles de sa fille; taisez-vous!

– Vous voulez donc, continua Marguerite, qui en avait trop dit pour s'arrêter, vous voulez donc que, pour conserver pur et sans tache mon nom et celui de mes autres enfants, je m'enferme avec un insensé! Vous voulez donc que j'écarte de moi et de lui tout être vivant! que je me fasse un coeur de fer pour ne plus sentir! des yeux de bronze pour ne plus pleurer! Vous voulez donc que Je me couvre de deuil comme une veuve, avant que mon mari soit mort!.. Vous voulez donc que mes cheveux blanchissent vingt ans avant l'âge!

– Taisez-vous! taisez-vous!.. interrompit la marquise d'une voix où l'on sentait que la menace commençait de céder à la crainte; taisez vous!

– Vous voulez donc, reprit Marguerite emportée par l'amertume de sa douleur, vous voulez donc, pour que ce terrible secret meure avec ceux qui le gardent, que j'écarte de leur lit funéraire les médecins et les prêtres!.. Vous voulez donc enfin que j'aille d'agonie en agonie pour fermer moi-même, non pas les yeux, mais la bouche des moribonds!..

 

– Taisez-vous! dit la marquise en se tordant les bras; au nom du ciel, taisez-vous!

– Eh bien! continua Marguerite, dites-moi donc encore de signer, ma mère, et tout cela sera. Et alors la malédiction du Seigneur sera accomplie: «Et les fautes des pères retomberont sur leurs enfants jusqu'à la troisième et à la quatrième génération!»

– O mon Dieu! mon Dieu! s'écria la marquise éclatant en sanglots, suis-je assez abaissée! suis-je assez punie!

– Pardon, pardon, madame, dit Marguerite rendue à elle-même par les premières larmes de sa mère, en tombant à genoux; pardon! pardon!

– Oui, pardon, répondit la marquise marchant à Marguerite; demande pardon, fille dénaturée, qui a pris le fouet des mains de la vengeance éternelle, et qui en a frappé ta mère au visage!

– Grâce! grâce! s'écria Marguerite; je ne savais pas ce que je disais, ma mère! Vous m'aviez fait perdre la raison! J'étais folle!..

– O mon Dieu! mon Dieu! dit la marquise levant ses deux mains au- dessus de la tête de sa fille; vous avez entendu les paroles qui sont sorties de la bouche de mon enfant; je n'ose pas espérer que votre miséricorde ira jusqu'à les oublier, mon Dieu! mais au moment de la punir, souvenez-vous que je ne la maudis pas!

Alors elle s'avança vers la porte; sa fille essaya de la retenir, mais la marquise se retourna vers elle avec une expression de visage si terrible, que, sans qu'elle eût besoin de le lui ordonner, Marguerite lâcha le bord de la robe de sa mère, et resta les bras étendus vers elle, haletante et sans voix, jusqu'à ce que la marquise fût sortie; puis, aussitôt qu'elle eût cessé de la voir, elle se renversa en arrière avec un cri si douloureux, qu'on eût cru que cette âme qui avait tant souffert venait enfin de se briser.

Chapitre XVII

Nos lecteurs s'étonneront peut-être qu'après la manière outrageuse dont Paul avait, la veille, provoqué le baron de Lectoure, la rencontre n'eût pas été fixée au matin même; mais le lieutenant Walter, qui s'était chargé de régler les conditions du duel avec le comte d'Auray, avait, comme nous l'avons dit, reçu de son chef l'ordre de faire toutes les concessions, excepté une seule: Paul ne voulait se battre qu'à la fin de la journée.

C'est que le jeune capitaine avait compris que, jusqu'au moment où il aurait dénoué ce drame étrange, dans lequel, mêlé d'abord comme étranger, il se trouvait enfin posé comme chef de famille, sa vie ne lui appartenait pas, et qu'il n'avait pas le droit de la risquer. Au reste, comme on le voit, le terme qu'il s'était accordé à lui-même n'était pas long, et Lectoure, qui ignorait dans quel but son adversaire s'était réservé ce délai, l'avait accepté sans trop se plaindre.

Paul avait donc résolu de mettre à profit les instants. En conséquence, aussitôt qu'il crut l'heure convenable pour se présenter chez la marquise, il s'achemina vers le château.

Les événements de la veille et du jour même avaient répandu un si grand trouble dans la noble demeure, qu'il y entra sans trouver un domestique pour l'annoncer; il pénétra néanmoins dans les appartements, suivit le chemin qu'il avait déjà fait deux fois, et, en arrivant à la porte du salon, trouva sur le plancher Marguerite évanouie.

En voyant le contrat froissé sur la table et sa soeur sans connaissance, Paul devina facilement qu'une dernière scène, plus terrible, venait de se passer entre la mère et la fille. Il alla à sa soeur, la prit entre ses bras, et entr'ouvrit la fenêtre pour lui donner de l'air. L'état de Marguerite était plutôt une simple prostration de forces qu'un évanouissement réel. Aussi, dès qu'elle se sentit secourue avec une attention qui ne laissait pas de doute sur les sentiments de celui qui venait à son aide, elle rouvrit les yeux et reconnut son frère, cette providence vivante que Dieu lui avait envoyée pour la soutenir chaque fois qu'elle s'était sentie près de succomber.

Marguerite lui raconta comment sa mère avait voulu la forcer de signer ce contrat, afin de l'éloigner d'elle avec son frère; et comment, vaincue par la douleur et emportée par la situation, elle lui avait laissé voir qu'elle savait tout. Paul comprit ce qui devait, à cette heure, se passer dans le coeur de la marquise, qui, après vingt ans de silence, d'isolement et d'angoisses, voyait, sans qu'elle pût deviner de quelle manière la chose s'était faite, son secret révélé à l'une des deux personnes à qui elle avait le plus d'intérêt à le cacher.

Aussi, prenant en pitié le supplice de sa mère, il résolut de le faire cesser au plus tôt, en hâtant l'entrevue qu'il était venu chercher, et qui devait l'éclairer sur les intentions de ce fils dont elle avait tout fait pour neutraliser le retour. Marguerite, de son côté, avait son pardon à obtenir; elle se chargea donc d'aller prévenir sa mère que le jeune capitaine attendait ses ordres.

Paul était resté seul, adossé contre la haute cheminée au-dessus de laquelle était sculpté le blason de sa famille, et commençait à se perdre dans les pensées que faisaient naître en lui les événements successifs et pressés qui venaient de le faire l'arbitre souverain de toute cette maison, lorsque la porte latérale s'ouvrit tout à coup, et que Emmanuel parut, une boîte de pistolets à la main. Paul tourna les yeux de son côté, et apercevant le jeune homme, il le salua de la tête avec cette expression douce et fraternelle qui reflétait sur son visage la douce sérénité de son âme. Emmanuel, au contraire, tout en répondant à ce salut comme l'exigeaient les convenances, laissa à l'instant même lire sur sa figure le sentiment hostile qu'éveillait en lui la présence de l'homme qu'il regardait comme un ennemi personnel et acharné.

– J'allais à votre recherche, monsieur, dit Emmanuel, posant les pistolets sur la table, et s'arrêtant à quelque distance de Paul; et cela, cependant, continua-t-il, sans trop savoir où vous trouver: car, ainsi que les mauvais génies de nos traditions populaires, vous semblez avoir reçu le don d'être partout et de n'être nulle part.

Enfin, un domestique m'a assuré vous avoir vu entrer au château. Je vous remercie de m'avoir épargné la peine que j'avais résolu de prendre, en venant, cette fois encore, au devant de moi.

– Je suis heureux, répondit Paul, que mon désir, dans ce cas, quoique probablement inspiré par des causes différentes, ait été en harmonie avec le vôtre. Me voilà, que voulez-vous de moi?

– Ne le devinez-vous pas, monsieur? répondit Emmanuel avec une émotion croissante. En ce cas, et permettez-moi de m'en étonner, vous connaissez bien mal les devoirs d'un gentilhomme et d'un officier, et c'est une nouvelle insulte que vous me faites!

– Croyez-moi, Emmanuel, reprit Paul d'une vois calme…

– Hier, je m'appelais le comte, aujourd'hui je m'appelle le marquis d'Auray, interrompit Emmanuel avec un mouvement méprisant et hautain; ne l'oubliez pas, je vous prie, monsieur!

Un sourire presque imperceptible passa sur les lèvres de Paul.

– Je disais donc, continua Emmanuel, que vous connaissiez bien peu les sentiments d'un gentilhomme, si vous aviez pu croire que je permettais qu'un autre que moi vidât pour moi la querelle que vous êtes venu me chercher. Oui, monsieur, car c'est vous qui êtes venu vous jeter sur ma route, et non pas moi qui suis allé vous trouver.

– Monsieur le marquis d'Auray, dit en souriant Paul, oublie sa visite à bord de l'Indienne.

– Trêve d'arguties, monsieur! et venons au fait. Hier, je ne sais par quel sentiment étrange et inexplicable, lorsque je vous ai offert, je dirai non pas ce que tout gentilhomme, ce que tout officier, mais simplement ce que tout homme de coeur accepte à l'instant sans balancer, vous avez refusé, monsieur, et, déplaçant la provocation, vous êtes allé chercher derrière moi un adversaire, non pas précisément étranger à la querelle, mais que le bon goût défendait d'y mêler.

– Croyez qu'en cela, monsieur, répondit Paul avec le même calme et la même liberté d'esprit qu'il avait fait paraître jusqu'alors, j'obéissais à des exigences qui ne me laissaient pas le choix de l'adversaire. Un duel m'était offert par vous, que je ne pouvais pas accepter avec vous, mais qui me devenait indifférent avec tout autre; j'ai trop l'habitude des rencontres, monsieur, et de rencontres bien autrement terribles et mortelles, pour qu'une pareille affaire soit à mes yeux autre chose qu'un des accidents habituels de mes aventureuses journées. Seulement, rappelez-vous que ce n'est pas moi qui ai cherché ce duel; que c'est vous qui êtes venu me l'offrir, et que, ne pouvant pas, je vous le répète, me battre avec vous, j'ai pris monsieur de Lectoure, comme j'aurais pris monsieur de Nozay ou monsieur de Lajarry, parce qu'il se trouvait là, sous ma main, à ma portée, et que, s'il me fallait absolument tuer quelqu'un, j'aimais mieux tuer un fat inutile et insolent, qu'un brave et honnête gentilhomme campagnard qui se croirait déshonoré s'il rêvait qu'il accomplit en songe le marché infâme que le baron de Lectoure vous propose en réalité.

– C'est bien, monsieur! dit Emmanuel en riant; continuez à vous poser comme redresseur de torts, à vous constituer le chevalier des princesses opprimées, et à vous retrancher sous le bouclier fantastique de vos mystérieuses réponses! Tant que ce don- quichottisme suranné ne viendra pas se heurter à mes désirs, à mes intérêts, à mes engagements, je lui laisserai parcourir terre et mer, aller d'un pôle à l'autre, et je me contenterai de sourire en le regardant passer; mais dès que cette folie viendra s'attaquer à moi, comme l'a fait la vôtre, monsieur; dès que, dans l'intérieur d'une famille dont je suis le chef, je rencontrerai un inconnu qui ordonne en maître là où moi seul ai le droit de parler haut, j'irai à lui, comme je viens à vous, si j'ai le bonheur de le rencontrer seul comme je vous rencontre; et là, certain que nul ne viendra nous déranger avant la fin d'une explication devenue nécessaire, je lui dirai: «Vous m'avez, sinon insulté, du moins blessé, monsieur, en venant chez moi me heurter dans mes intérêts et mes affections de famille. C'est donc avec moi, et non avec un autre, que vous devez vous battre, et vous vous battrez!»

– Vous vous trompez, Emmanuel, répondit Paul; je ne me battrai pas, du moins avec vous. La chose est impossible.

– Eh! monsieur, le temps des énigmes est passé! s'écria Emmanuel avec impatience: nous vivons au milieu d'un monde où à chaque pas on coudoie une réalité. Laissons donc la poésie et le mystérieux aux auteurs de romans et de tragédies. Votre présence en ce château a été marquée par d'assez fatales circonstances pour que nous n'ayons plus besoin d'ajouter ce qui n'est pas à ce qui est. Lusignan de retour malgré l'ordre qui le condamne à la déportation: ma soeur pour la première fois rebelle aux volontés de sa mère; mon père tué par votre seule présence: voilà les malheurs qui vous ont accompagné, qui sont revenus de l'autre bout du monde avec vous, comme un cortège funèbre, et dont vous avez à me rendre compte! Ainsi, parlez, monsieur: parlez comme un homme à un homme, en plein jour, face à face, et non pas en fantôme qui glisse dans l'ombre, échappe à la faveur de la nuit, en laissant tomber quelque mot de l'autre monde, prophétique et solennel, bon à effaroucher des nourrices et des enfants! Parlez, monsieur, parlez! Voyez, voyez, je suis calme. Si vous avez quelque révélation à me faire, je vous écoute.

– Le secret que vous me demandez ne m'appartient pas, répondit Paul, dont le calme contrastait avec l'exaltation d'Emmanuel.

Croyez à ce que je vous dis, et n'insistez pas davantage. Adieu.

À ces mots, Paul fit un mouvement pour se retirer.

– Oh! s'écria Emmanuel en s'élançant vers la porte et en lui barrant le passage, vous ne sortirez pas ainsi, monsieur! Je vous tiens seul à seul, dans cette chambre, où je ne vous ai pas attiré, mais où vous êtes venu. Faites donc attention à ce que je vais vous dire. Celui que vous avez insulté, c'est moi! celui à qui vous devez réparation, c'est moi! celui avec qui vous vous battrez, c'est…

– Vous êtes fou, monsieur! répondit Paul; je vous ai déjà dit que c'était impossible. Laissez-moi donc sortir.

– Prenez garde! s'écria Emmanuel en étendant la main vers la boîte et en y prenant les deux pistolets, prenez garde, monsieur! Après avoir fait tout au monde pour vous forcer d'agir en gentilhomme, je puis vous traiter en brigand! Vous êtes ici dans une maison qui vous est étrangère; vous y êtes entré je ne sais ni pourquoi ni comment; si vous n'êtes pas venu pour y dérober notre or et nos bijoux, vous y êtes venu pour voler l'obéissance d'une fille à sa mère, et la promesse sacrée d'un ami à un ami. Dans l'un ou l'autre cas, vous êtes un ravisseur que je rencontre au moment où il met la main sur un trésor, trésor d'honneur, le plus précieux de tous. Tenez, croyez-moi, prenez cette arme… – Emmanuel jeta un des deux pistolets aux pieds de Paul; – et défendez-vous!

 

– Vous pouvez me tuer, monsieur, répondit Paul en s'accoudant de nouveau contre la cheminée, comme s'il continuait une conversation ordinaire, quoique je ne pense pas que Dieu permette un si grand crime; mais vous ne me forcerez pas à me battre avec vous. Je vous l'ai dit et je vous le répète.

– Ramassez ce pistolet, monsieur, dit Emmanuel; ramassez-le, je vous le dis! Vous croyez que la menace que je vous fais est une menace vaine: détrompez-vous. Depuis trois jours vous avez lassé ma patience! depuis trois jours vous avez rempli mon coeur de fiel et de haine! depuis trois jours enfin, je me suis familiarisé avec toutes les idées qui peuvent me débarrasser de vous: duel ou meurtre! Ne croyez pas que la crainte du châtiment m'arrête: ce château est isolé, muet et sourd. La mer est là, et vous ne serez pas encore dans la tombe, que je serai déjà en Angleterre. Ainsi, monsieur, une dernière, une suprême fois, ramassez ce pistolet et défendez-vous!

Paul, sans répondre, haussa les épaules et repoussa le pistolet du pied.

– Eh bien! dit Emmanuel, poussé au plus haut degré de l'exaspération par le sang-froid de son adversaire, puisque tu ne veux pas te défendre comme un homme, meurs donc comme un chien!

Et il leva le pistolet à la hauteur de la poitrine du capitaine.

Au même instant un cri terrible retentit à la porte: c'était Marguerite qui revenait et qui, du premier coup d'oeil, avait tout compris. Elle s'élança sur Emmanuel. En même temps le coup partit; mais la balle, dérangée par l'action de la jeune fille, passa à deux ou trois pouces au-dessus de la tête de Paul, et alla briser derrière lui la glace de la cheminée.

– Mon frère! s'écria Marguerite en s'élançant d'un seul bond jusqu'à Paul et le prenant dans ses bras; mon frère! n'es-tu pas blessé?

– Ton frère! dit Emmanuel en laissant tomber le pistolet tout fumant encore. Ton frère?

– Eh bien! Emmanuel, dit Paul avec le même calme qu'il avait montré pendant toute cette scène, comprenez-vous maintenant pourquoi je ne pouvais me battre avec vous?

En ce moment la marquise parut à la porte et s'arrêta sur le seuil, pâle comme un spectre; puis, regardant autour d'elle avec une expression infinie de terreur, et voyant que personne n'était blessé, elle leva silencieusement les yeux au ciel, comme pour lui demander si sa colère était enfin apaisée. Elle les y laissa quelque temps fixés dans une action de grâces mentale. Lorsqu'elle les abaissa, Emmanuel et Marguerite étaient à ses genoux, tenant chacun une de ses mains et la couvrant de larmes et de baisers.

– Je vous remercie, mes enfants, dit la marquise après un instant de silence; maintenant laissez-moi seule avec ce jeune homme.

Marguerite et Emmanuel s'inclinèrent avec l'expression du plus profond respect, et obéirent à l'ordre de leur mère.