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Le capitaine Paul

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Un éclair de joie infernale brilla dans les yeux de la marquise, car elle vit à l'exaltation des paroles du marquis et à la terreur peinte dans ses yeux que la folie était près de revenir.

– Ce contrat? continua le marquis… Et il s'apprêta à le déchirer. La marquise y porta vivement la main. Marguerite semblait suspendue par un fil entre le ciel et l'enfer.

– Ce qui me rend fou, moi, reprit le marquis, c'est une tombe qui se rouvre! c'est un spectre qui sort de terre! c'est un fantôme qui vient! qui me parle! qui me dit!..

– «Vos jours sont à moi!» murmura à l'oreille de son mari la marquise, répétant les dernières paroles de Morlaix mourant, «je pourrais les prendre.» – L'entends-tu! l'entends-tu! s'écria le marquis, tremblant affreusement et se levant comme pour fuir.

– Mon père! mon père! revenez à vous! Il n'y a pas de tombe, il n'y a pas de spectre, il n'y a pas de fantôme. Ces paroles… c'est la marquise…

– «Mais je veux que vous viviez,» continua celle-ci, achevant l'oeuvre qu'elle avait commencée, «pour me pardonner comme je vous pardonne.» – Grâce! Morlaix, grâce! cria le marquis retombant sur son fauteuil, les cheveux dressés de terreur et la sueur de l'effroi sur le front.

– Mon père! mon père!

– Vous voyez que votre père est insensé, dit la marquise triomphante. Laissez-le!..

– Oh! dit Marguerite, oh! Dieu fera un miracle, je l'espère. Mon amour, mes caresses, mes larmes, le rendront à la raison.

– Essayez! répondit froidement la marquise, abandonnant à sa fille le marquis sans volonté, sans voix et presque sans connaissance.

– Mon père!.. dit Marguerite d'une voix déchirante.

Le marquis resta impassible.

– Monsieur! dit la marquise d'un ton impératif.

– Hein!.. hein!.. fit le marquis frissonnant.

– Mon père! mon père!.. cria Marguerite en se tordant les bras et se renversant de désespoir; mon père, à moi! à moi!

– Prenez cette plume et signez, dit la marquise, lui mettant la plume à la main et la main sur le contrat. Il le faut!.. je le veux!

– Oh! maintenant je suis perdue!.. s'écria Marguerite, écrasée de la lutte et se sentant sans force pour la soutenir.

Mais au moment où le marquis, vaincu, allait signer; où la marquise, triomphante, se félicitait de sa victoire; où Marguerite, désespérée, était près de fuir, un incident inattendu vint changer tout à coup la face des choses. La porte du cabinet s'ouvrit, et Paul, qui avait assisté, invisible, à cette scène, apparut tout à coup.

– Madame la marquise d'Auray, dit-il, avant que ce contrat ne se signe, un mot!

– Qui m'appelle? dit la marquise, essayant de distinguer celui qui lui parlait dans l'éloignement, et par conséquent dans l'ombre.

– Je connais cette voix! s'écria le marquis, tressaillant comme si un fer rouge l'eût touché.

Paul fit trois pas et entra dans le cercle de lumière que répandait le lustre.

– Est-ce un spectre? s'écria à son tour la marquise, frappée de la ressemblance du jeune homme avec son ancien amant.

– Je connais ce visage! murmura le marquis, croyant revoir l'homme qu'il avait tué.

– Mon Dieu! mon Dieu! protégez-moi! balbutia Marguerite, à genoux et les bras vers le ciel.

– Morlaix! Morlaix! dit le marquis, se levant et marchant à Paul.

Morlaix! Morlaix! pardon!.. grâce!..

Et il tomba de toute sa hauteur, évanoui, sur le plancher.

– Mon père! s'écria Marguerite en se précipitant vers lui.

En ce moment un domestique entra tout effaré, et s'adressant à la marquise:

– Madame, lui dit-il, Achard fait demander le prêtre et le médecin du château. Il se meurt!

– Dites-lui, répondit la marquise, lui montrant le corps que sa fille était inutilement occupée à rappeler à la vie, dites-lui que tous deux sont retenus auprès du marquis.

Chapitre XIV

Comme on l'a vu à la fin du chapitre précédent, Dieu, par une de ces combinaisons étranges de sa providence que les hommes aveugles attribuent presque toujours au hasard, rappelait à lui en même temps, pour qu'ils lui rendissent le même compte, le noble marquis d'Auray et le pauvre Achard. Nous avons vu le premier, frappé à la vue de Paul, portrait vivant de son père, comme d'un coup de foudre, tomber sans connaissance aux pieds du jeune homme, épouvanté lui-même de l'effet terrible qu'il avait produit. Quant à Achard, les circonstances, qui avaient amené son agonie en même temps que celle du marquis, ressortaient, quoique différentes, du même drame et de la même situation. La vue de Paul, sur l'un comme sur l'autre, avait causé une émotion funeste à celui-ci par l'excès de la terreur, à celui-là par l'excès de la joie. Pendant la journée qui avait précédé la signature du contrat, Achard s'était donc senti plus faible que d'habitude.

Toutefois, le soir, il n'en était pas moins sorti pour aller faire sa prière ordinaire à la tombe de son maître. De là il avait vu, avec une piété plus profonde que jamais, ce spectacle toujours nouveau et toujours splendide du soleil qui se couche dans l'Océan; il avait suivi la dégradation de sa lumière pourprée: et comme si ce flambeau du monde attirait à lui son âme, il avait senti s'éteindre ses forces avec le dernier rayon du jour; de sorte que, quand le domestique du château vint le soir, comme d'habitude, afin de prendre ses ordres, ne le rencontrant pas dans sa chambre, il s'était mis à le chercher au dehors; et comme sa promenade ordinaire était connue, il l'avait bientôt trouvé au pied du grand chêne, évanoui sur la fosse de son maître, fidèle jusqu'à la fin à cette religion de la tombe qui avait été le sentiment exclusif des dernières années de sa vie. Alors le domestique l'avait pris dans ses bras et l'avait rapporté chez lui; puis, tout effrayé de cet accident inattendu, il était accouru réclamer auprès de la marquise les derniers secours du médecin et du prêtre, que celle-ci avait refusés, sous le prétexte qu'à cette heure ils étaient aussi nécessaires au marquis qu'au vieux serviteur, et que la hiérarchie des rangs, puissante jusqu'en face de la mort, donnait à son époux le privilège d'en user le premier.

Mais cette nouvelle, annoncée à la marquise dans ce moment de paroxysme suprême où les différents intérêts et les différentes passions jetaient les acteurs de ce drame intime dont nous nous sommes fait l'historien, cette nouvelle avait été entendue de Paul.

Jugeant impossible la signature du contrat dans l'état où était le marquis, il n'avait pris que le temps de rappeler une seconde fois à Marguerite qu'elle le retrouverait chez Achard, si elle avait besoin de lui: après quoi il s'était élancé dans le parc, et s'orientant au milieu de ses allées et de ses massifs avec cette habileté du marin qui lit tout chemin au ciel, il avait retrouvé la maison et était entré tout haletant dans la chambre du vieillard au moment où celui-ci commençait à reprendre ses sens, et s'était jeté dans ses bras. Alors la joie avait rendu quelque force au vieux serviteur, sûr au moins de mourir sur le coeur d'un ami.

– Oh! c'est toi! c'est toi! s'écria le vieillard, je n'espérais pas te revoir.

– Et tu as pu penser que j'apprendrais ton état, s'écria Paul, et que je n'accourrais pas à l'instant!

– Mais je ne savais où te chercher, moi; où te faire dire que je voulais te voir une dernière fois avant de mourir.

– J'étais au château, père; j'ai tout appris et je suis accouru.

– Et comment étais-tu au château? dit le vieillard étonné.

Paul lui raconta tout.

– Providence de Dieu! murmura Achard lorsque Paul eut terminé son récit, que tes décrets sont cachés et inévitables! Toi qui au bout de vingt années ramènes le jeune homme au berceau de l'enfant, et qui tues l'assassin du père par le seul aspect du fils!

– Oui, oui, cela s'est passé ainsi, répondit Paul; et c'est cette même Providence qui me conduit à toi pour que je te sauve. Car, je le sais, ils t'ont refusé le médecin et le prêtre.

– Nous aurions dû cependant partager, en bonne justice, répondit Achard. Le marquis, puisqu'il craint la mort, n'avait qu'à garder le médecin, et à moi, qui suis las de la vie, m'envoyer le prêtre.

– Je puis monter à cheval, s'écria Paul, et avant une heure …

– Dans une heure il sera trop tard, dit le mourant d'une voix affaiblie. Un prêtre!.. un prêtre seul!.. Je ne demandais qu'un prêtre.

– Père, répondit Paul, je ne puis le remplacer, je le sais, dans ses fonctions sacrées; mais nous parlerons de Dieu ensemble, de sa grandeur, de sa bonté.

– Oui, mais terminons d'abord avec les choses de la terre, pour ne plus penser qu'à celles du ciel. Tu dis que, comme moi, le marquis se meurt?

– Je l'ai laissé agonisant.

– Tu sais qu'aussitôt après sa mort, les papiers renfermés dans cette armoire, et qui constatent ta naissance, t'appartiennent de droit?

– Je le sais.

– Si je meurs avant lui, si je meurs sans prêtre, à qui confier ce dépôt? Le vieillard se souleva, et lui montra sous le chevet de son lit une clef. Tu prendras cette clef: elle ouvre cette armoire; tu y trouveras une cassette. Tu es homme d'honneur, jure- moi que tu n'ouvriras cette cassette que lorsque le marquis sera mort.

– Je vous le jure! dit Paul en étendant solennellement la main vers le crucifix cloué au-dessus du chevet.

– C'est bien, répondit Achard. Maintenant je mourrai tranquille.

– Vous le pouvez, car le fils vous tient la main dans ce monde, et le père vous la tend dans le ciel.

– Crois-tu, enfant, qu'il sera content de ma fidélité?

– Jamais roi n'a été obéi pendant sa vie comme lui l'aura été après sa mort.

– Oui, murmura le vieillard d'une voix sombre, oui, je n'ai été que trop exact à suivre ses commandements. J'aurais dû ne pas souffrir ce duel, j'aurais dû me refuser à en être le témoin. Écoute, Paul: voilà ce que je voulais dire à un prêtre, car c'est la seule chose qui charge ma conscience; écoute: il y a des moments de doute où j'ai regardé ce duel solitaire comme un assassinat. Alors…alors, comprends-tu, Paul? c'est que je ne serais plus témoin, je serais complice!

 

– Mon père, répondit Paul, je ne sais si les lois de la terre sont toujours d'accord avec les lois du ciel, et si l'honneur selon les hommes est la vertu selon le Seigneur; je ne sais si notre Église, ennemie du sang, permet que l'offensé tente de venger lui-même son injure sur l'offenseur, et si, dans ce cas, le jugement de Dieu dirige toujours ou la balle du pistolet ou la pointe de l'épée. Ce sont là des questions qu'on décide, non pas avec le raisonnement, mais avec la conscience. Eh bien! ma conscience me dit qu'à ta place j'aurais fait ce que tu as fait. Si la conscience, qui me trompe, t'a trompé aussi, plus qu'un prêtre, j'ai, dans cette circonstance, le droit de te pardonner; et, en mon nom et en celui de mon père, je te pardonne!

– Merci! merci! s'écria le vieillard en pressant les mains du jeune homme; merci! car voilà des paroles comme il en faut à l'âme d'un mourant. Un remords est une chose terrible, vois-tu! un remords conduit à douter de Dieu. Car, une fois qu'il n'y a plus de juge, il n'y a plus de jugement.

– Écoute, dit Paul avec cet accent poétique et solennel qui lui était particulier; moi aussi j'ai souvent douté de Dieu. Car, isolé et perdu comme je l'étais dans le monde, sans famille et sans appui sur la terre, je cherchais un appui dans le Seigneur, et je demandais à tout ce qui m'entourait une preuve de son existence. Souvent je m'arrêtais au pied de l'une de ces croix qui bordent le chemin, et, les yeux fixés sur le Sauveur des hommes, je demandais en pleurant une certitude de son existence et de sa mission; je demandais que son oeil s'abaissât vers moi; je demandais qu'une goutte de sang tombât de sa blessure, ou qu'un soupir sortît de sa bouche. Le crucifix restait immobile, et je me relevais le désespoir dans le coeur en disant: «Si je savais où trouver la tombe de mon père, je l'interrogerais comme Hamlet le fantôme, et elle me répondrait peut-être!»

– Pauvre enfant!

– Alors, j'entrais dans une église, continua Paul, dans une de ces églises du Nord, tu sais, sombre, religieuse, chrétienne. Et je me sentais inondé de tristesse, mais la tristesse n'est pas la foi! Je m'approchais de l'autel, je m'agenouillais devant le tabernacle où l'on dit que Dieu habite; j'appuyais mon front contre le marbre des marches; et lorsque j'étais resté prosterné, perdu dans mon doute pendant des heures, je relevais la tête, espérant que ce Dieu que je cherchais se manifesterait enfin à moi par un rayon de sa gloire, ou par un éclair de sa puissance. Mais l'église restait sombre comme le crucifix était resté immobile, et je me précipitais sous son portique comme un insensé, en disant: «Seigneur! Seigneur! si tu existais, tu te révélerais aux hommes. Tu veux donc que les hommes doutent de toi, puisque tu peux te révéler à eux, et que tu ne le fais pas.»

– Prends garde à ce que tu me dis, Paul, s'écria le vieillard; prends garde que le doute de ton coeur n'atteigne le mien! Tu as du temps pour croire, toi, tandis que moi… je vais mourir!

– Attends, père, attends, continua Paul avec une voix douce et un visage calme, je n'ai pas fini. C'est alors que je me suis dit: «Le crucifix du chemin, l'église des villes, sont l'oeuvre de l'homme. Cherchons Dieu dans l'oeuvre de Dieu.» Dès ce moment, mon père, a commencé cette vie errante qui restera un mystère éternel entre le ciel, la mer et moi… Elle m'a égaré dans les solitudes de l'Amérique, car je pensais que plus un monde était nouveau, plus il avait dû garder empreinte la main de Dieu! Je ne m'étais pas trompé. Là, souvent, dans ces forêts vierges où le premier peut-être parmi les hommes j'avais pénétré sans autre abri que le ciel, sans autre couche que la terre, abîmé dans une seule pensée, j'ai écouté ces mille bruits divers du monde qui s'endort et de la nature qui s'éveille.

Longtemps encore je suis resté sans comprendre cette langue inconnue que forment en se mêlant ensemble le murmure des fleuves, la vapeur des lacs, le bruissement des forêts et le parfum des fleurs. Enfin peu à peu se souleva le voile qui couvrait mes yeux, et le poids qui oppressait mon coeur. Dès lors je commençai à croire que ces rumeurs du soir et ces bruits du crépuscule n'étaient qu'un hymne universel par lequel les choses créées rendaient grâces au Créateur.

– Mon Dieu! dit le mourant, joignant les mains et levant les yeux au ciel avec l'expression de la foi; mon Dieu! j'ai crié vers vous du fond de l'abîme, et vous m'avez entendu dans ma détresse! mon Dieu, je vous remercie!

– Alors, continua Paul avec une exaltation croissante, alors j'ai cherché sur l'Océan ce reste de conviction que me refusait la terre. La terre, ce n'est que l'espace; l'Océan, c'est l'immensité. L'Océan, c'est ce qu'il y a de plus grand, de plus fort et de plus puissant après Dieu! L'Océan, je l'ai entendu rugir comme un lion irrité, puis, à la voix de son maître, se coucher comme un chien soumis; je l'ai senti se dresser comme un Titan qui veut escalader le ciel, puis, sous le fouet de l'orage, je l'ai entendu se plaindre comme un enfant qui pleure. Je l'ai vu lancer des vagues au-devant de l'éclair, et essayer d'éteindre la foudre avec son écume, puis s'aplanir comme un miroir, et réfléchir jusqu'à la dernière étoile du ciel. Sur la terre, j'avais reconnu l'existence de Dieu; sur l'Océan, je reconnus son pouvoir. Dans la solitude, comme Moïse, j'avais entendu la voix du Seigneur; mais, pendant l'orage, je le vis, comme Ézéchiel, passer avec la tempête. Dès lors, mon père, dès lors, le doute fut à jamais chassé loin de moi, et, le soir du premier ouragan, je crus et je priai.

– Je crois en Dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, dit le vieillard d'une voix ardente de foi; et il continua ainsi le Symbole des apôtres jusqu'à sa dernière ligne. Paul l'écouta en silence et les yeux au ciel; puis, lorsque le mourant eut fini:

– Ce n'est point ainsi qu'un prêtre t'eût parlé, père, dit-il en secouant la tête; car, moi, je t'ai parlé en marin et avec une voix plus habituée à prononcer des paroles de mort que de consolation. Pardonne-moi, père, pardonne-moi.

– Tu m'as fait prier et croire comme toi, répondit le vieillard; dis-moi, qu'aurait donc fait de plus un prêtre? Ce que tu m'as dit est simple et grand: laisse-moi penser à ce que tu m'as dit.

– Écoute! dit Paul en tressaillant.

– Quoi?

– N'as-tu pas entendu?..

– Non.

– Il m'a semblé qu'une voix en détresse… m'appelait… Entends- tu? entends-tu?.. C'est la voix de Marguerite…

– Va au-devant d'elle, lui dit le vieillard, j'ai besoin d'être seul.

Chapitre XV

Paul s'élança dans la chambre voisine, et, comme il y mettait le pied, il entendit son nom répété une troisième fois tout auprès de l'entrée.

Courant alors à la porte, il l'ouvrit avec empressement, et, sur le seuil, il trouva Marguerite, à qui la force avait manqué pour aller plus loin, et qui était tombée à genoux.

– À moi! à moi! cria-t-elle avec l'expression de la plus profonde terreur en apercevant Paul, et en se traînant vers lui.

Paul s'élança vers Marguerite et la prit dans ses bras; elle était pâle et glacée. Il l'emporta dans la première chambre, la déposa sur un fauteuil, retourna fermer la porte, qui était restée ouverte; puis revenant près d'elle:

– Que craignez-vous? lui dit-il; qui vous poursuit, et comment venez-vous à cette heure?

– Oh! s'écria Marguerite, à toute heure du jour et de la nuit, j'aurais fui tant que la terre aurait pu me porter! J'aurais fui jusqu'à ce que je trouvasse un coeur pour y pleurer, un bras pour me défendre! J'aurais fui!.. Paul! Paul! mon père est mort.

– Pauvre enfant! dit Paul en serrant la jeune fille dans ses bras. Pauvre enfant! qui s'échappe d'une maison mortuaire pour retomber dans une autre! qui laisse la mort au château et qui la retrouve dans la chaumière!

– Oui, oui, dit Marguerite, se levant, frémissante encore de terreur et se pressant contre Paul. La mort là-bas! la mort ici! Mais là-bas on meurt dans le désespoir, tandis qu'ici… ici l'on meurt tranquille. O Paul! Paul! oh! si vous aviez vu ce que j'ai vu!

– Dites-moi cela.

– Vous savez, continua la jeune fille, quelle influence terrible ont eue sur mon père votre voix et votre présence?

– Je le sais.

– On l'a emporté évanoui et sans parole dans son appartement.

– C'était à votre mère que je parlais, dit Paul; c'est lui qui a entendu: ce n'est point ma faute.

– Eh bien! vous comprenez, Paul, puisque vous avez dû tout entendre du cabinet où vous étiez. Mon père, mon pauvre père m'avait reconnue; et moi, le voyant ainsi, je n'ai pu résister à mon inquiétude; et, au risque d'irriter ma mère, je suis montée pour le voir une fois encore. La porte était fermée; je frappai doucement: il était revenu à lui, car j'entendis sa voix affaiblie demandant qui était là.

– Et votre mère? demanda Paul.

– Ma mère? dit Marguerite; elle était absente et l'avait enfermé en sortant, comme elle aurait fait d'un enfant. Mais lorsqu'il eut reconnu ma voix, lorsque je lui eus répondu que j'étais Marguerite, que j'étais sa fille, il me dit de prendre un escalier dérobé, qui, par un cabinet, montait dans sa chambre. Une minute après, j'étais à genoux devant son lit, et il me donnait sa bénédiction; car il m'a donné sa bénédiction avant de mourir, sa bénédiction paternelle, qui, je l'espère, appellera celle de Dieu.

– Oui, dit Paul, Dieu le pardonnera, sois tranquille. Pleure sur ton père, mon enfant, mais ne pleure plus sur toi, car tu es sauvée!

– Vous n'avez rien entendu encore, Paul! s'écria Marguerite; écoutez! écoutez!

– Parle.

– Voilà qu'en ce moment, comme j'étais agenouillée, comme je baisais sa main, en ce moment j'entendis les pas de ma mère; elle montait l'escalier; je reconnus sa voix, et mon père la reconnut aussi, car il m'embrassa une dernière fois, et me fit signe de fuir. J'obéis, mais j'avais la tête si perdue, si troublée, que je me trompai de porte, et qu'au lieu de prendre l'escalier par lequel j'étais venue, je me jetai dans un cabinet sans issue. Je tâtai de tous les côtés, je vis que j'étais enfermée. En ce moment, la porte de la chambre s'ouvrait: je m'arrêtai, retenant mon haleine; ma mère entra avec le prêtre. Je vous le dis, Paul, elle était plus pâle que celui qui allait mourir.

– Mon Dieu! mon Dieu! murmura Paul.

– Le prêtre s'assit au chevet du lit, continua Marguerite se pressant toujours plus effrayée contre Paul. Ma mère se tint debout au pied. Comprenez-vous? J'étais là, moi, en face de ce spectacle funèbre! ne pouvant fuir! Une fille forcée d'entendre la confession de son père! n'est-ce pas affreux? dites. Je tombai à genoux, fermant les yeux pour ne pas voir, priant pour ne pas entendre; et cependant, malgré moi, oh! bien malgré moi, Paul, je vous le jure! je vis… et j'entendis… et ce que je vis et entendis ne sortira jamais de ma mémoire. Je vis mon père, retrouvant dans ses souvenirs une force fiévreuse, se soulever sur son lit, la pâleur de la mort empreinte sur son visage. Je l'entendis!.. je l'entendis prononcer les mots de duel, d'adultère et d'assassinat!.. et à chacun de ces mots, je vis ma mère plus pâle, toujours plus pâle, et je l'entendis, haussant la voix pour couvrir la voix du mourant, et disant au prêtre: «Ne le croyez pas! ne le croyez pas, mon père!.. il ment! ou plutôt… c'est un fou, c'est un insensé! ne le croyez pas! Paul, c'était un spectacle horrible, sacrilège, impie!.. Une sueur froide me passa sur le front, et je m'évanouis.»

– Justice du ciel! s'écria Paul.

– Je ne sais combien de temps je restai sans connaissance. Lorsque je revins à moi, la chambre était silencieuse comme une tombe. Ma mère et le prêtre avaient disparu, et deux cierges brûlaient près de mon père. J'ouvris la porte, Je jetai les yeux sur le lit, et il me sembla, sous le drap qui le recouvrait tout entier, voir se dessiner la forme raidie d'un cadavre. Je devinai que tout était fini! Je restai immobile, partagée entre la crainte funèbre que me causait cette vue, et le désir pieux de soulever le drap et de baiser une fois encore, avant qu'on le scellât dans le cercueil, le front vénérable de mon père. Enfin, la crainte l'emporta; une terreur glaçante, invincible, mortelle, me poussa hors de l'appartement; je descendis l'escalier, je ne sais comment, sans en toucher une marche, je crois; je traversai des chambres, des galeries, et enfin je sentis à la fraîcheur de l'air que j'étais dehors. Je courais comme une folle. Je me rappelai que vous m'aviez dit que vous seriez ici. Un instinct, dites-moi lequel, car je ne le connais pas moi-même, me poussait de ce côté. Il me semblait que j'étais poursuivie par des ombres, par des fantômes. Au détour d'une allée… étais-je insensée?.. Je crois voir ma mère…tout en noir… marchant sans bruit comme un spectre. Oh! alors, alors… la terreur me donna des ailes. Je courus d'abord sans suivre de chemin; puis les forces me manquèrent, et c'est alors que vous avez entendu mes cris. Je fis encore quelques pas, et je tombai près de cette porte; si elle ne s'était pas ouverte, oh! oui, j'expirais sur la place, car j'étais tellement troublée, qu'il me semblait toujours… Silence! murmura tout à coup Marguerite; silence!.. entendez-vous?

 

– Oui, dit Paul soufflant la lampe; oui, oui, des pas!..

Je les entends comme vous.

– Regardez… regardez!.. continua Marguerite s'enveloppant dans les rideaux de la fenêtre, et y cachant Paul avec elle, regardez!.. je ne m'étais pas trompée. C'était elle.

En effet, en ce moment la porte de la maison s'ouvrit, et la marquise, vêtue de noir, pâle comme une ombre, entra lentement, tira la porte derrière elle, la ferma à la clef; et, sans voir Paul ni Marguerite, traversa la première chambre, et entra dans la seconde, où était couché le vieillard. Elle s'avança alors vers le lit d'Achard comme elle s'était avancée vers le lit du marquis. Seulement, cette fois, elle n'avait pas de prêtre avec elle.

– Qui va là? dit Achard, ouvrant un des rideaux de son lit.

– Moi! répondit la marquise en tirant l'autre.

– Vous, madame! s'écria le vieux serviteur avec effroi. Que venez vous faire au lit d'un mourant?

– Je viens lui proposer un marché.

– Pour prendre son âme, n'est-ce pas?

– Pour la sauver, au contraire. Achard, tu n'as plus besoin que d'une chose en ce monde, continua la marquise en se baissant sur le lit du moribond, c'est d'un prêtre.

– Vous m'avez refusé celui du château.

– Dans cinq minutes, dit la marquise, il sera ici, si tu le veux!..

– Faites-le donc venir alors, répondit le vieillard; mais, croyez-moi, ne perdez pas de temps…hâtez-vous!..

– Mais… si je te donne la paix du ciel, reprit la marquise, me donneras-tu la paix de la terre, toi?

– Que puis-je pour vous? murmura le mourant, fermant les yeux pour ne pas voir cette femme dont le regard le glaçait.

– Tu as besoin d'un prêtre pour mourir…tu sais ce dont j'ai besoin pour vivre…

– Vous voulez me fermer le ciel par un parjure!

– Je veux te l'ouvrir par un pardon.

– Ce pardon… je l'ai reçu…

– Et de qui?..

– De celui qui seul peut-être avait le droit de me le donner.

– Morlaix est-il descendu du ciel? demanda la marquise

– Non, répondit le vieillard; mais avez-vous oublié, madame, qu'il avait laissé un fils sur la terre?

– Tu l'as donc aussi vu, toi? s'écria la marquise.

– Oui, répondit Achard.

– Et tu lui as tout dit…

– Tout!

– Et les papiers qui constatent sa naissance? demanda la marquise avec anxiété.

– Le marquis n'était pas mort. Les papiers sont là.

– Achard, s'écria la marquise tombant à genoux devant le lit, Achard, tu auras pitié de moi!

– Vous à genoux devant moi, madame!

– Oui, vieillard, dit la marquise suppliante, oui, je suis à genoux devant toi, et je te prie, et je t'implore, car tu tiens entre tes mains l'honneur d'une des plus vieilles familles de France, ma vie passée, ma vie à venir!.. Ces papiers, c'est mon coeur, c'est mon âme, c'est plus que tout cela, c'est mon nom! le nom de mes aïeux, le nom de mes enfants; et tu sais ce que j'ai souffert pour garder ce nom sans tache! Crois-tu que je n'avais pas au coeur, comme les autres femmes, des sentiments d'amante, d'épouse et de mère! Eh bien! je les ai étouffés tous les uns après les autres, et la lutte a été longue. J'ai vingt ans de moins que toi, vieillard; je suis pleine de vie, et tu vas mourir. Eh bien! regarde mes cheveux: ils sont plus blancs que les tiens!

– Que dit-elle? murmura Marguerite, qui s'était approchée de manière à ce que son regard pût plonger d'une chambre dans l'autre. Oh! mon Dieu!

– Écoute, écoute, enfant, répondit Paul; c'est le Seigneur qui permet que tout soit révélé de cette manière!..

– Oui, oui, murmura Achard s'affaiblissant; oui, vous avez douté de la bonté de Dieu; vous avez oublié qu'il avait pardonné à la femme adultère.

– Oui, mais lorsqu'ils rencontrèrent le Christ, les hommes allaient la lapider en attendant!.. Les hommes qui, depuis vingt générations, se sont habitués à respecter mon nom et à honorer ma famille, et qui, s'ils apprenaient ce qui, Dieu merci! leur a été caché jusqu'à présent, n'auraient plus pour lui que du mépris et de la honte! Oh! oui… Dieu… j'ai tant souffert qu'il me pardonnera; mais les hommes… les hommes sont implacables, ils ne pardonnent pas, eux! D'ailleurs, suis-je seule exposée à leurs injures? Aux deux côtés de ma croix n'ai-je pas mes deux enfants, dont l'autre est l'aîné!.. L'autre, c'est mon enfant, je le sais bien, comme Emmanuel, comme Marguerite; mais ai-je le droit de le leur donner pour frère?.. Oublies-tu qu'aux yeux de la loi, il est le fils du marquis d'Auray? oublies-tu qu'il est le premier- né, le chef de la famille? oublies-tu que, pour que tout lui appartienne, titre et fortune, il n'a qu'à invoquer cette loi? Et alors, que reste-t-il à Emmanuel? une croix de Malte! Que reste-t- il à Marguerite? un couvent!

– Oh! oui, oui, dit Marguerite à demi-voix et tendant les bras vers la marquise; oui, un couvent où je puisse prier pour vous, ma mère.

– Silence! silence! lui dit Paul.

– Oh! vous ne le connaissez pas, madame, murmure le mourant d'une voix qui allait s'affaiblissant toujours.

– Non, mais je connais l'humanité, répondit la marquise. Il peut retrouver un nom, lui qui n'a pas de nom; une fortune, lui qui n'a pas de fortune; et tu crois qu'il renoncera à cette fortune et à son nom?

– Si vous le lui demandez.

– Et de quel droit le lui demanderais-je? continua la marquise. De quel droit le prierais-je de m'épargner, d'épargner Emmanuel, d'épargner Marguerite? Il dira: «Je ne vous connais pas, madame, je ne vous ai jamais vue! Vous êtes ma mère, voilà tout ce que je sais.»

– En son nom, balbutia Achard, dont la mort commençait à glacer la langue, en son nom, madame, je m'engage… je jure… Oh! mon Dieu! mon Dieu!

La marquise se souleva, suivant sur le visage du moribond les progrès de l'agonie.

– Tu t'engages!.. tu jures!.. dit-elle. Est-il là pour ratifier l'engagement, lui? Tu t'engages!.. tu jures!.. Ah! et sur ta parole tu veux que je joue les années qu'il me reste à vivre contre les minutes qui te restent à mourir! Je t'ai prié, je t'ai imploré; une dernière fois je prie et j'implore: rends-moi ces papiers!

– Ces papiers sont à lui.

– Il me les faut, te dis-je! continua la marquise prenant de la force à mesure que le mourant s'affaiblissait.

– Mon Dieu! mon Dieu! ayez pitié de moi! murmura Achard.

– Nul ne peut venir, reprit la marquise. Cette clef ne te quitte jamais, m'as-tu dit?..

– L'arracherez-vous des mains d'un mourant?

– Non, répondit la marquise, j'attendrai.

– Laissez-moi mourir en paix! s'écria le moribond arrachant le crucifix de son chevet, et le levant entre lui et la marquise. Sortez! sortez! au nom du Christ!..

La marquise tomba à genoux, courbant la tête jusqu'à terre.

Quant au vieillard, il resta un instant dans cette posture terrible; puis peu à peu ses forces l'abandonnèrent! il retomba sur le lit, mettant ses bras en croix et appuyant l'image du Sauveur sur sa poitrine.

La marquise prit le bas des rideaux du lit, et, sans relever la tête, elle les croisa de manière à ce qu'ils renfermassent l'agonie du mourant.

– Horreur! horreur! murmura Marguerite.

– À genoux et prions! dit Paul.

Alors il y eut un moment solennel et terrible, qui n'était interrompu que par les derniers râles du moribond; puis ces râles s'affaiblirent et cessèrent. Tout était fini: le vieillard était mort.