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La reine Margot

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IV. La soirée du 24 août 1572

Notre lecteur n’a pas oublié que dans le chapitre précédent il a été question d’un gentilhomme nommé La Mole, attendu avec quelque impatience par Henri de Navarre. Ce jeune gentilhomme, comme l’avait annoncé l’amiral, entrait à Paris par la porte Saint-Marcel vers la fin de la journée du 24 août 1572, et jetant un regard assez dédaigneux sur les nombreuses hôtelleries qui étalaient à sa droite et à sa gauche leurs pittoresques enseignes, laissa pénétrer son cheval tout fumant jusqu’au cœur de la ville, où, après avoir traversé la place Maubert, le Petit-Pont, le pont Notre-Dame, et longé les quais, il s’arrêta au bout de la rue de Bresec, dont nous avons fait depuis la rue de l’Arbre-Sec, et à laquelle, pour la plus grande facilité de nos lecteurs, nous conserverons son nom moderne.

Le nom lui plut sans doute, car il y entra, et comme à sa gauche une magnifique plaque de tôle grinçant sur sa tringle, avec accompagnement de sonnettes, appelait son attention, il fit une seconde halte pour lire ces mots: À la Belle-Étoile, écrits en légende sous une peinture qui représentait le simulacre le plus flatteur pour un voyageur affamé: c’était une volaille rôtissant au milieu d’un ciel noir, tandis qu’un homme à manteau rouge tendait vers cet astre d’une nouvelle espèce ses bras, sa bourse et ses vœux.

– Voilà, se dit le gentilhomme, une auberge qui s’annonce bien, et l’hôte qui la tient doit être, sur mon âme, un ingénieux compère. J’ai toujours entendu dire que la rue de l’Arbre-Sec était dans le quartier du Louvre; et pour peu que l’établissement réponde à l’enseigne, je serai à merveille ici.

Pendant que le nouveau venu se débitait à lui-même ce monologue, un autre cavalier, entré par l’autre bout de la rue, c’est-à-dire par la rue Saint-Honoré, s’arrêtait et demeurait aussi en extase devant l’enseigne de la Belle-Étoile.

Celui des deux que nous connaissons, de nom du moins, montait un cheval blanc de race espagnole, et était vêtu d’un pourpoint noir, garni de jais. Son manteau était de velours violet foncé: il portait des bottes de cuir noir, une épée à poignée de fer ciselé, et un poignard pareil. Maintenant, si nous passons de son costume à son visage, nous dirons que c’était un homme de vingt-quatre à vingt-cinq ans, au teint basané, aux yeux bleus, à la fine moustache, aux dents éclatantes, qui semblaient éclairer sa figure lorsque s’ouvrait, pour sourire d’un sourire doux et mélancolique, une bouche d’une forme exquise et de la plus parfaite distinction.

Quant au second voyageur, il formait avec le premier venu un contraste complet. Sous son chapeau, à bords retroussés, apparaissaient, riches et crépus, des cheveux plutôt roux que blonds; sous ses cheveux, un œil gris brillait à la moindre contrariété d’un feu si resplendissant, qu’on eût dit alors un œil noir.

Le reste du visage se composait d’un teint rosé, d’une lèvre mince, surmontée d’une moustache fauve et de dents admirables. C’était en somme, avec sa peau blanche, sa haute taille et ses larges épaules, un fort beau cavalier dans l’acception ordinaire du mot, et depuis une heure qu’il levait le nez vers toutes les fenêtres, sous le prétexte d’y chercher des enseignes, les femmes l’avaient fort regardé; quant aux hommes, qui avaient peut-être éprouvé quelque envie de rire en voyant son manteau étriqué, ses chausses collantes et ses bottes d’une forme antique, ils avaient achevé ce rire commencé par un Dieu vous garde! des plus gracieux, à l’examen de cette physionomie qui prenait en une minute dix expressions différentes, sauf toutefois l’expression bienveillante qui caractérise toujours la figure du provincial embarrassé.

Ce fut lui qui s’adressa le premier à l’autre gentilhomme qui, ainsi que nous l’avons dit, regardait l’hôtellerie de la Belle-Étoile.

– Mordi! monsieur, dit-il avec cet horrible accent de la montagne qui ferait au premier mot reconnaître un Piémontais entre cent étrangers, ne sommes-nous pas ici près du Louvre? En tout cas, je crois que vous avez eu même goût que moi: c’est flatteur pour ma seigneurie.

– Monsieur, répondit l’autre avec un accent provençal qui ne le cédait en rien à l’accent piémontais de son compagnon, je crois en effet que cette hôtellerie est près du Louvre. Cependant, je me demande encore si j’aurai l’honneur d’avoir été de votre avis. Je me consulte.

– Vous n’êtes pas décidé, monsieur? la maison est flatteuse, pourtant. Après cela, peut-être me suis-je laissé tenter par votre présence. Avouez néanmoins que voilà une jolie peinture?

– Oh! sans doute; mais c’est justement ce qui me fait douter de la réalité: Paris est plein de pipeurs, m’a-t-on dit, et l’on pipe avec une enseigne aussi bien qu’avec autre chose.

– Mordi! monsieur, reprit le Piémontais, je ne m’inquiète pas de la piperie, moi, et si l’hôte me fournit une volaille moins bien rôtie que celle de son enseigne, je le mets à la broche lui-même et je ne le quitte pas qu’il ne soit convenablement rissolé. Entrons, monsieur.

– Vous achevez de me décider, dit le Provençal en riant; montrez-moi donc le chemin, monsieur, je vous prie.

– Oh! monsieur, sur mon âme, je n’en ferai rien, car je ne suis que votre humble serviteur, le comte Annibal de Coconnas.

– Et moi, monsieur, je ne suis que le comte Joseph-Hyacinthe-Boniface de Lerac de la Mole, tout à votre service.

– En ce cas, monsieur, prenons-nous par le bras et entrons ensemble.

Le résultat de cette proposition conciliatrice fut que les deux jeunes gens qui descendirent de leurs chevaux en jetèrent la bride aux mains d’un palefrenier, se prirent par le bras, et, ajustant leurs épées, se dirigèrent vers la porte de l’hôtellerie, sur le seuil de laquelle se tenait l’hôte. Mais, contre l’habitude de ces sortes de gens, le digne propriétaire n’avait paru faire aucune attention à eux, occupé qu’il était de conférer très attentivement avec un grand gaillard sec et jaune enfoui dans un manteau couleur d’amadou, comme un hibou sous ses plumes.

Les deux gentilshommes étaient arrivés si près de l’hôte et de l’homme au manteau amadou avec lequel il causait, que Coconnas, impatienté de ce peu d’importance qu’on accordait à lui et à son compagnon, tira la manche de l’hôte. Celui-ci parut alors se réveiller en sursaut et congédia son interlocuteur par un «Au revoir. Venez tantôt, et surtout tenez-moi au courant de l’heure.»

– Eh! monsieur le drôle, dit Coconnas, ne voyez-vous pas que l’on a affaire à vous?

– Ah! pardon, messieurs, dit l’hôte; je ne vous voyais pas.

– Eh! mordi! il fallait nous voir; et maintenant que vous nous avez vus, au lieu de dire «monsieur» tout court, dites «monsieur le comte», s’il vous plaît.

La Mole se tenait derrière, laissant parler Coconnas, qui paraissait avoir pris l’affaire à son compte.

Cependant il était facile de voir à ses sourcils froncés qu’il était prêt à lui venir en aide quand le moment d’agir serait arrivé.

– Eh bien, que désirez-vous, monsieur le comte? demanda l’hôte du ton le plus calme.

– Bien… c’est déjà mieux, n’est-ce pas? dit Coconnas en se retournant vers La Mole, qui fit de la tête un signe affirmatif. Nous désirons, M. le comte et moi, attirés que nous sommes par votre enseigne, trouver à souper et à coucher dans votre hôtellerie.

– Messieurs, dit l’hôte, je suis au désespoir; mais il n’y a qu’une chambre, et je crains que cela ne puisse vous convenir.

– Eh bien, ma foi, tant mieux, dit La Mole; nous irons loger ailleurs.

– Ah! mais non, mais non, dit Coconnas. Je demeure, moi; mon cheval est harassé. Je prends donc la chambre, puisque vous n’en voulez pas.

– Ah! c’est autre chose, répondit l’hôte en conservant toujours le même flegme impertinent. Si vous n’êtes qu’un, je ne puis pas vous loger du tout.

– Mordi! s’écria Coconnas, voici, sur ma foi! un plaisant animal. Tout à l’heure nous étions trop de deux, maintenant nous ne sommes pas assez d’un! Tu ne veux donc pas nous loger, drôle?

– Ma foi, messieurs, puisque vous le prenez sur ce ton, je vous répondrai avec franchise.

– Réponds, alors, mais réponds vite.

– Eh bien, j’aime mieux ne pas avoir l’honneur de vous loger.

– Parce que?… demanda Coconnas blêmissant de colère.

– Parce que vous n’avez pas de laquais, et que, pour une chambre de maître pleine, cela me ferait deux chambres de laquais vides. Or, si je vous donne la chambre de maître, je risque fort de ne pas louer les autres.

– Monsieur de La Mole, dit Coconnas en se retournant, ne vous semble-t-il pas comme à moi que nous allons massacrer ce gaillard-là?

– Mais c’est faisable, dit La Mole en se préparant comme son compagnon à rouer l’hôtelier de coups de fouet.

Mais malgré cette double démonstration, qui n’avait rien de bien rassurant de la part de deux gentilshommes qui paraissaient si déterminés, l’hôtelier ne s’étonna point, et se contentant de reculer d’un pas afin d’être chez lui:

– On voit, dit-il en goguenardant, que ces messieurs arrivent de province. À Paris, la mode est passée de massacrer les aubergistes qui refusent de louer leurs chambres. Ce sont les grands seigneurs qu’on massacre et non les bourgeois, et si vous criez trop fort, je vais appeler mes voisins; de sorte que ce sera vous qui serez roués de coups, traitement tout à fait indigne de deux gentilshommes.

– Mais il se moque de nous, s’écria Coconnas exaspéré, mordi!

– Grégoire, mon arquebuse! dit l’hôte en s’adressant à son valet, du même ton qu’il eût dit: «Un siège à ces messieurs.»

– Trippe del papa! hurla Coconnas en tirant son épée; mais échauffez-vous donc, monsieur de La Mole!

– Non pas, s’il vous plaît, non pas; car tandis que nous nous échaufferons, le souper refroidira, lui.

– Comment! vous trouvez? s’écria Coconnas.

 

– Je trouve que M. de la Belle-Étoile a raison; seulement il sait mal prendre ses voyageurs, surtout quand ces voyageurs sont des gentilshommes. Au lieu de nous dire brutalement: Messieurs, je ne veux pas de vous, il aurait mieux fait de nous dire avec politesse: Entrez, messieurs, quitte à mettre sur son mémoire: chambre de maître, tant; chambre de laquais, tant; attendu que si nous n’avons pas de laquais nous comptons en prendre.

Et, ce disant, La Mole écarta doucement l’hôtelier, qui étendait déjà la main vers son arquebuse, fit passer Coconnas et entra derrière lui dans la maison.

– N’importe, dit Coconnas, j’ai bien de la peine à remettre mon épée dans le fourreau avant de m’être assuré qu’elle pique aussi bien que les lardoires de ce gaillard-là.

– Patience, mon cher compagnon, dit La Mole, patience! Toutes les auberges sont pleines de gentilshommes attirés à Paris pour les fêtes du mariage ou pour la guerre prochaine de Flandre, nous ne trouverions plus d’autres logis; et puis, c’est peut-être la coutume à Paris de recevoir ainsi les étrangers qui y arrivent.

– Mordi! comme vous êtes patient! murmura Coconnas en tortillant de rage sa moustache rouge et en foudroyant l’hôte de ses regards. Mais que le coquin prenne garde à lui: si sa cuisine est mauvaise, si son lit est dur, si son vin n’a pas trois ans de bouteille, si son valet n’est pas souple comme un jonc….

– Là, là, là, mon gentilhomme, fit l’hôte en aiguisant sur un repassoir le couteau de sa ceinture; là, tranquillisez-vous, vous êtes en pays de Cocagne.

Puis tout bas et en secouant la tête:

– C’est quelque huguenot, murmura-t-il; les traîtres sont si insolents depuis le mariage de leur Béarnais avec mademoiselle Margot!

Puis, avec un sourire qui eût fait frissonner ses hôtes s’ils l’avaient vu, il ajouta:

– Eh! eh! ce serait drôle qu’il me fût justement tombé des huguenots ici… et que…

– Çà! souperons-nous? demanda aigrement Coconnas, interrompant les apartés de son hôte.

– Mais, comme il vous plaira, monsieur, répondit celui-ci, radouci sans doute par la dernière pensée qui lui était venue.

– Eh bien, il nous plaît, et promptement, répondit Coconnas. Puis se retournant vers La Mole:

– Çà, monsieur le comte, tandis que l’on nous prépare notre chambre, dites moi: est-ce par hasard vous avez trouvé Paris une ville gaie, vous?

– Ma foi, non, dit La Mole; il me semble n’y avoir vu encore que des visages effarouchés ou rébarbatifs. Peut-être aussi les Parisiens ont-ils peur de l’orage. Voyez comme le ciel est noir et comme l’air est lourd.

– Dites-moi, comte, vous cherchez le Louvre, n’est-ce pas?

– Et vous aussi, je crois, monsieur de Coconnas.

– Eh bien, si vous voulez, nous le chercherons ensemble.

– Hein! fit La Mole, n’est-il pas un peu tard pour sortir.

– Tard ou non, il faut que je sorte. Mes ordres sont précis. Arriver au plus vite à Paris, et, aussitôt arrivé, communiquer avec le duc de Guise.

À ce nom du duc de Guise, l’hôte s’approcha, fort attentif.

– Il me semble que ce maraud nous écoute, dit Coconnas, qui, en sa qualité de Piémontais, était fort rancunier, et qui ne pouvait passer au maître de la Belle-Étoile la façon peu civile dont il recevait les voyageurs.

– Oui, messieurs, je vous écoute, dit celui-ci en mettant la main à son bonnet, mais pour vous servir. J’entends parler du grand duc de Guise et j’accours. À quoi puis-je vous être bon, mes gentilshommes?

– Ah! ah! ce mot magique, à ce qu’il paraît, car d’insolent te voilà devenu obséquieux. Mordi! maître, maître… comment t’appelles-tu?

– Maître La Hurière, répondit l’hôte s’inclinant.

– Eh bien, maître La Hurière, crois-tu que mon bras soit moins lourd que celui de M. le duc de Guise, qui a le privilège de te rendre si poli?

– Non, monsieur le comte, mais il est moins long, répliqua La Hurière. D’ailleurs, ajouta-t-il, il faut vous dire que ce grand Henri est notre idole, à nous autres Parisiens.

– Quel Henri? demanda La Mole.

– Il me semble qu’il n’y en a qu’un, dit l’aubergiste.

– Pardon, mon ami, il y en a encore un autre dont je vous invite à ne pas dire de mal; c’est Henri de Navarre, sans compter Henri de Condé, qui a bien aussi son mérite.

– Ceux-là, je ne les connais pas, répondit l’hôte.

– Oui, mais moi je les connais, dit La Mole, et comme je suis adressé au roi Henri de Navarre, je vous invite à n’en pas médire devant moi.

L’hôte, sans répondre à M. de La Mole, se contenta de toucher légèrement à son bonnet, et continuant de faire les doux yeux à Coconnas:

– Ainsi, monsieur va parler au grand duc de Guise? Monsieur est un gentilhomme bien heureux; et sans doute qu’il vient pour…?

– Pour quoi? demanda Coconnas.

– Pour la fête, répondit l’hôte avec un singulier sourire.

– Vous devriez dire pour les fêtes, car Paris en regorge, de fêtes, à ce que j’ai entendu dire; du moins on ne parle que de bals, de festins, de carrousels. Ne s’amuse-t-on pas beaucoup à Paris, hein?

– Mais modérément, monsieur, jusqu’à présent du moins, répondit l’hôte; mais on va s’amuser, je l’espère.

– Les noces de Sa Majesté le roi de Navarre attirent cependant beaucoup de monde en cette ville, dit La Mole.

– Beaucoup de huguenots, oui, monsieur, répondit brusquement La Hurière; puis se reprenant: Ah! pardon, dit-il; ces messieurs sont peut-être de la religion?

– Moi, de la religion! s’écria Coconnas; allons donc! je suis catholique comme notre saint-père le pape.

La Hurière se retourna vers La Mole comme pour l’interroger; mais ou La Mole ne comprit pas son regard, ou il ne jugea point à propos d’y répondre autrement que par une autre question.

– Si vous ne connaissez point Sa Majesté le roi de Navarre, maître La Hurière, dit-il, peut-être connaissez-vous M. l’amiral? J’ai entendu dire que M. l’amiral jouissait de quelque faveur à la cour; et comme je lui étais recommandé, je désirerais, si son adresse ne vous écorche pas la bouche, savoir où il loge.

– Il logeait rue de Béthisy, monsieur, ici à droite, répondit l’hôte avec une satisfaction intérieure qui ne put s’empêcher de devenir extérieure.

– Comment, il logeait? demanda La Mole; est-il donc déménagé?

– Oui, de ce monde peut-être.

– Qu’est-ce à dire? s’écrièrent ensemble les deux gentilshommes, l’amiral déménagé de ce monde!

– Quoi! monsieur de Coconnas, poursuivit l’hôte avec un malin sourire, vous êtes de ceux de Guise, et vous ignorez cela?

– Quoi cela?

– Qu’avant-hier, en passant sur la place Saint-Germain-l’Auxerrois, devant la maison du chanoine Pierre Piles, l’amiral a reçu un coup d’arquebuse.

– Et il est tué? s’écria La Mole.

– Non, le coup lui a seulement cassé le bras et coupé deux doigts; mais on espère que les balles étaient empoisonnées.

– Comment, misérable! s’écria La Mole, on espère! …

– Je veux dire qu’on croit, reprit l’hôte; ne nous fâchons pas pour un mot: la langue m’a fourché.

Et maître La Hurière, tournant le dos à La Mole, tira la langue à Coconnas de la façon la plus goguenarde, accompagnant ce geste d’un coup d’œil d’intelligence.

– En vérité! dit Coconnas rayonnant.

– En vérité! murmura La Mole avec une stupéfaction douloureuse.

– C’est comme j’ai l’honneur de vous le dire, messieurs, répondit l’hôte.

– En ce cas, dit La Mole, je vais au Louvre sans perdre un moment. Y trouverai-je le roi Henri?

– C’est possible, puisqu’il y loge.

– Et moi aussi je vais au Louvre, dit Coconnas. Y trouverai-je le duc de Guise?

– C’est probable, car je viens de le voir passer il n’y a qu’un instant, avec deux cents gentilshommes.

– Alors, venez, monsieur de Coconnas, dit La Mole.

– Je vous suis, monsieur, dit Coconnas.

– Mais votre souper, mes gentilshommes? demanda maître La Hurière.

– Ah! dit La Mole, je souperai peut-être chez le roi de Navarre.

– Et moi chez le duc de Guise, dit Coconnas.

– Et moi, dit l’hôte, après avoir suivi des yeux les deux gentilshommes qui prenaient le chemin du Louvre, moi, je vais fourbir ma salade, émécher mon arquebuse et affiler ma pertuisane. On ne sait pas ce qui peut arriver.

V. Du Louvre en particulier et de la vertu en général

Les deux gentilshommes, renseignés par la première personne qu’ils rencontrèrent, prirent la rue d’Averon, la rue Saint-Germain-l’Auxerrois, et se trouvèrent bientôt devant le Louvre, dont les tours commençaient à se confondre dans les premières ombres du soir.

– Qu’avez-vous donc? demanda Coconnas à La Mole, qui, arrêté à la vue du vieux château, regardait avec un saint respect ces ponts-levis, ces fenêtres étroites et ces clochetons aigus qui se présentaient tout à coup à ses yeux.

– Ma foi, je n’en sais rien, dit La Mole, le cœur me bat. Je ne suis cependant pas timide outre mesure; mais je ne sais pourquoi ce palais me paraît sombre, et, dirai-je? terrible!

– Eh bien, moi, dit Coconnas, je ne sais ce qui m’arrive, mais je suis d’une allégresse rare. La tenue est pourtant quelque peu négligée, continua-t-il en parcourant des yeux son costume de voyage. Mais, bah! on a l’air cavalier. Puis, mes ordres me recommandaient la promptitude. Je serai donc le bienvenu, puisque j’aurai ponctuellement obéi.

Et les deux jeunes gens continuèrent leur chemin agités chacun des sentiments qu’ils avaient exprimés.

Il y avait bonne garde au Louvre; tous les postes semblaient doublés. Nos deux voyageurs furent donc d’abord assez embarrassés. Mais Coconnas, qui avait remarqué que le nom du duc de Guise était une espèce de talisman près des Parisiens, s’approcha d’une sentinelle, et, se réclamant de ce nom tout-puissant, demanda si, grâce à lui, il ne pourrait point pénétrer dans le Louvre.

Ce nom paraissait faire sur le soldat son effet ordinaire; cependant, il demanda à Coconnas s’il n’avait point le mot d’ordre.

Coconnas fut forcé d’avouer qu’il ne l’avait point.

– Alors, au large, mon gentilhomme, dit le soldat. À ce moment, un homme qui causait avec l’officier du poste, et qui, tout en causant, avait entendu Coconnas réclamer son admission au Louvre, interrompit son entretien, et, venant à lui:

– Goi fouloir, fous, à monsir di Gouise? dit-il.

– Moi, vouloir lui parler, répondit Coconnas en souriant.

– Imbossible! le dugue il être chez le roi.

– Cependant j’ai une lettre d’avis pour me rendre à Paris.

– Ah! fous afre eine lettre d’afis?

– Oui, et j’arrive de fort loin.

– Ah! fous arrife de fort loin?

– J’arrive du Piémont.

– Pien! pien! C’est autre chose. Et fous fous abbelez…?

– Le comte Annibal de Coconnas.

– Pon! pon! Tonnez la lettre, monsir Annipal, tonnez.

– Voici, sur ma parole, un bien galant homme, dit La Mole se parlant à lui-même; ne pourrai-je point trouver le pareil pour me conduire chez le roi de Navarre.

– Mais tonnez donc la lettre, continua le gentilhomme allemand en étendant la main vers Coconnas qui hésitait.

– Mordi! reprit le Piémontais, défiant comme un demi-Italien, je ne sais si je dois… Je n’ai pas l’honneur de vous connaître, moi, monsieur.

– Je suis Pesme. J’abbartiens à M. le dugue de Gouise.

– Pesme, murmura Coconnas; je ne connais pas ce nom là.

– C’est monsieur de Besme, mon gentilhomme, dit la sentinelle. La prononciation vous trompe, voilà tout. Donnez votre lettre à monsieur, allez, j’en réponds.

– Ah! monsieur de Besme, s’écria Coconnas, je le crois bien si je vous connais! … comment donc! avec le plus grand plaisir. Voici ma lettre. Excusez mon hésitation. Mais on doit hésiter quand on veut être fidèle.

– Pien, pien, dit de Besme, il n’y afre pas besoin d’exguses.

– Ma foi, monsieur, dit La Mole en s’approchant à son tour, puisque vous êtes si obligeant, voudriez-vous vous charger de ma lettre comme vous venez de le faire de celle de mon compagnon?

– Comment fous abbelez-vous?

– Le comte Lerac de La Mole.

– Le gonte Lerag de La Mole.

– Oui.

– Che ne gonnais pas.

– Il est tout simple que je n’ai pas l’honneur d’être connu de vous, monsieur, je suis étranger, et, comme le comte de Coconnas, j’arrive ce soir de bien loin.

– Et t’où arrifez-vous?

– De Provence.

– Avec eine lettre?

– Oui, avec une lettre.

– Pourmonsir de Gouise?

– Non, pour Sa Majesté le roi de Navarre.

– Che ne souis bas au roi de Navarre, monsir, répondit Besme avec un froid subit, che ne buis donc bas me charger de votre lettre.

Et Besme, tournant les talons à La Mole, entra dans le Louvre en faisant signe à Coconnas de le suivre.

 

La Mole demeura seul.

Au même moment, par la porte du Louvre, parallèle à celle qui avait donné passage à Besme et à Coconnas, sortit une troupe de cavaliers d’une centaine d’hommes.

– Ah! ah! dit la sentinelle à son camarade, c’est de Mouy et ses huguenots; ils sont rayonnants. Le roi leur aura promis la mort de l’assassin de l’amiral; et comme c’est déjà lui qui a tué le père de Mouy, le fils fera d’une pierre deux coups.

– Pardon, fit La Mole s’adressant au soldat, mais n’avez-vous pas dit, mon brave, que cet officier était monsieur de Mouy?

– Oui-da, mon gentilhomme.

– Et que ceux qui l’accompagnaient étaient…

– Étaient des parpaillots… Je l’ai dit.

– Merci, dit La Mole, sans paraître remarquer le terme de mépris employé par la sentinelle. Voilà tout ce que je voulais savoir.

Et se dirigeant aussitôt vers le chef des cavaliers:

– Monsieur, dit-il en l’abordant, j’apprends que vous êtes monsieur de Mouy.

– Oui, monsieur, répondit l’officier avec politesse.

– Votre nom, bien connu parmi ceux de la religion, m’enhardit à m’adresser à vous, monsieur, pour vous demander un service.

– Lequel, monsieur?… Mais, d’abord, à qui ai-je l’honneur de parler?

– Au comte Lerac de La Mole. Les deux jeunes gens se saluèrent.

– Je vous écoute, monsieur, dit de Mouy.

– Monsieur, j’arrive d’Aix, porteur d’une lettre de M. d’Auriac, gouverneur de la Provence. Cette lettre est adressée au roi de Navarre et contient des nouvelles importantes et pressées… Comment puis-je lui remettre cette lettre? comment puis-je entrer au Louvre?

– Rien de plus facile que d’entrer au Louvre, monsieur, répliqua de Mouy; seulement, je crains que le roi de Navarre ne soit trop occupé à cette heure pour vous recevoir. Mais n’importe, si vous voulez me suivre, je vous conduirai jusqu’à son appartement. Le reste vous regarde.

– Mille fois merci!

– Venez, monsieur, dit de Mouy.

de Mouy descendit de cheval, jeta la bride aux mains de son laquais, s’achemina vers le guichet, se fit reconnaître de la sentinelle, introduisit La Mole dans le château, et, ouvrant la porte de l’appartement du roi:

– Entrez, monsieur, dit-il, et informez-vous. Et saluant La Mole, il se retira. La Mole, demeuré seul, regarda autour de lui. L’antichambre était vide, une des portes intérieures était ouverte.

Il fit quelques pas et se trouva dans un couloir.

Il frappa et appela sans que personne répondît. Le plus profond silence régnait dans cette partie du Louvre.

– Qui donc me parlait, pensa-t-il, de cette étiquette si sévère? On va et on vient dans ce palais comme sur une place publique.

Et il appela encore, mais sans obtenir un meilleur résultat que la première fois.

– Allons, marchons devant nous, pensa-t-il; il faudra bien que je finisse par rencontrer quelqu’un. Et il s’engagea dans le couloir, qui allait toujours s’assombrissant.

Tout à coup la porte opposée à celle par laquelle il était entré s’ouvrit, et deux pages parurent, portant des flambeaux et éclairant une femme d’une taille imposante, d’un maintien majestueux, et surtout d’une admirable beauté.

La lumière porta en plein sur La Mole, qui demeura immobile. La femme s’arrêta, de son côté, comme La Mole s’était arrêté du sien.

– Que voulez-vous, monsieur? demanda-t-elle au jeune homme d’une voix qui bruit à ses oreilles comme une musique délicieuse.

– Oh! madame, dit La Mole en baissant les yeux, excusez-moi, je vous prie. Je quitte M. de Mouy, qui a eu l’obligeance de me conduire jusqu’ici, et je cherchais le roi de Navarre.

– Sa Majesté n’est point ici, monsieur; elle est, je crois, chez son beau frère. Mais, en son absence, ne pourriez-vous dire à la reine…

– Oui, sans doute, madame, reprit La Mole, si quelqu’un daignait me conduire devant elle.

– Vous y êtes, monsieur.

– Comment! s’écria La Mole.

– Je suis la reine de Navarre, dit Marguerite.

La Mole fit un mouvement tellement brusque de stupeur et d’effroi que la reine sourit.

– Parlez vite, monsieur, dit-elle, car on m’attend chez la reine mère.

– Oh! madame, si vous êtes si instamment attendue, permettez-moi de m’éloigner, car il me serait impossible de vous parler en ce moment. Je suis incapable de rassembler deux idées; votre vue m’a ébloui. Je ne pense plus, j’admire.

Marguerite s’avança pleine de grâce et de beauté vers ce jeune homme qui, sans le savoir, venait d’agir en courtisan raffiné.

– Remettez-vous, monsieur, dit-elle. J’attendrai et l’on m’attendra.

– Oh! pardonnez-moi, madame, si je n’ai point salué d’abord Votre Majesté avec tout le respect qu’elle a le droit d’attendre d’un de ses plus humbles serviteurs, mais…

– Mais, continua Marguerite, vous m’aviez prise pour une de mes femmes.

– Non, madame, mais pour l’ombre de la belle Diane de Poitiers. On m’a dit qu’elle revenait au Louvre.

– Allons, monsieur, dit Marguerite, je ne m’inquiète plus de vous, et vous ferez fortune à la cour. Vous aviez une lettre pour le roi, dites-vous? C’était fort inutile. Mais, n’importe, où est-elle? Je la lui remettrai… Seulement, hâtez-vous, je vous prie.

En un clin d’œil La Mole écarta les aiguillettes de son pourpoint, et tira de sa poitrine une lettre enfermée dans une enveloppe de soie.

Marguerite prit la lettre et regarda l’écriture.

– N’êtes-vous pas monsieur de La Mole, dit-elle.

– Oui, madame. Oh! mon Dieu! aurais-je le bonheur que mon nom fût connu de Votre Majesté?

– Je l’ai entendu prononcer par le roi mon mari, et par mon frère le duc d’Alençon. Je sais que vous êtes attendu.

Et elle glissa dans son corsage, tout raide de broderies et de diamants, cette lettre qui sortait du pourpoint du jeune homme, et qui était encore tiède de la chaleur de sa poitrine. La Mole suivait avidement des yeux chaque mouvement de Marguerite.

– Maintenant, monsieur, dit-elle, descendez dans la galerie au-dessous, et attendez jusqu’à ce qu’il vienne quelqu’un de la part du roi de Navarre ou du duc d’Alençon. Un de mes pages va vous conduire.

À ces mots Marguerite continua son chemin. La Mole se rangea contre la muraille. Mais le passage était si étroit, et le vertugadin de la reine de Navarre si large, que sa robe de soie effleura l’habit du jeune homme, tandis qu’un parfum pénétrant s’épandait là où elle avait passé.

La Mole frissonna par tout son corps, et, sentant qu’il allait tomber, chercha un appui contre le mur.

Marguerite disparut comme une vision.

– Venez-vous, monsieur? dit le page chargé de conduire La Mole dans la galerie inférieure.

– Oh! oui, oui, s’écria La Mole enivré, car comme le jeune homme lui indiquait le chemin par lequel venait de s’éloigner Marguerite, il espérait, en se hâtant, la revoir encore.

En effet en arrivant au haut de l’escalier, il l’aperçut à l’étage inférieur; et soit hasard, soit que le bruit de ses pas fût arrivé jusqu’à elle, Marguerite ayant relevé la tête, il put la voir encore une fois.

– Oh! dit-il, en suivant le page, ce n’est pas une mortelle, c’est une déesse; et, comme dit Virgilius Maro:

Et vera incessu patuit dea.

Eh bien? demanda le jeune page.

– Me voici, dit La Mole; pardon, me voici.

Le page précéda La Mole, descendit un étage, ouvrit une première porte, puis une seconde et s’arrêtant sur le seuil:

– Voici l’endroit où vous devez attendre, lui dit-il.

La Mole entra dans la galerie, dont la porte se referma derrière lui.

La galerie était vide, à l’exception d’un gentilhomme qui se promenait, et qui, de son côté, paraissait attendre.

Déjà le soir commençait à faire tomber de larges ombres du haut des voûtes, et, quoique les deux hommes fussent à peine à vingt pas l’un de l’autre, ils ne pouvaient distinguer leurs visages. La Mole s’approcha.

– Dieu me pardonne! murmura-t-il quand il ne fut plus qu’à quelques pas du second gentilhomme, c’est M. le comte de Coconnas que je retrouve ici.

Au bruit de ses pas, le Piémontais s’était déjà retourné, et le regardait avec le même étonnement qu’il en était regardé.

– Mordi! s’écria-t-il, c’est M. de La Mole, ou le diable m’emporte! Ouf! que fais-je donc là! je jure chez le roi; mais bah! il paraît que le roi jure bien autrement encore que moi, et jusque dans les églises. Eh, mais! nous voici donc au Louvre?…

– Comme vous voyez, M. de Besme vous a introduit?

– Oui. C’est un charmant Allemand que ce M. de Besme… Et vous, qui vous a servi de guide?