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La reine Margot

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– Oui, oui, dit François, je sens bien cela, si bien que je ne comprends pas que vous renonciez à ce plan que vous me proposez. Rien ne bat donc là?

Et le duc d’Alençon posa la main sur le cœur de son frère.

– Il y a, dit Henri en souriant, des fardeaux trop lourds pour certaines mains; je n’essaierai pas de soulever celui-là; la crainte de la fatigue me fait passer l’envie de la possession.

– Ainsi, Henri, véritablement vous renoncez?

– Je l’ai dit à de Mouy et je vous le répète.

– Mais en pareille circonstance, cher frère, dit d’Alençon, on ne dit pas, on prouve.

Henri respira comme un lutteur qui sent plier les reins de son adversaire.

– Je le prouverai, dit-il, ce soir: à neuf heures la liste des chefs et le plan de l’entreprise seront chez vous. J’ai même déjà remis mon acte de renonciation à de Mouy.

François prit la main de Henri et la serra avec effusion entre les siennes.

Au même instant Catherine entra chez le duc d’Alençon, et cela, selon son habitude, sans se faire annoncer.

– Ensemble! dit-elle en souriant; deux bons frères, en vérité!

– Je l’espère, madame, dit Henri avec le plus grand sang-froid, tandis que le duc d’Alençon pâlissait d’angoisse. Puis il fit quelques pas en arrière pour laisser Catherine libre de parler à son fils.

La reine mère alors tira de son aumônière un joyau magnifique.

– Cette agrafe vient de Florence, dit-elle, je vous la donne pour mettre au ceinturon de votre épée. Puis tout bas:

– Si, continua-t-elle, vous entendez ce soir du bruit chez votre bon frère Henri, ne bougez pas. François serra la main de sa mère, et dit:

– Me permettez-vous de lui montrer le beau présent que vous venez de me faire?

– Faites mieux, donnez-le-lui en votre nom et au mien, car j’en avais ordonné une seconde à mon intention.

– Vous entendez, Henri, dit François, ma bonne mère m’apporte ce bijou, et en double la valeur en permettant que je vous le donne.

Henri s’extasia sur la beauté de l’agrafe, et se confondit en remerciements. Quand ses transports se furent calmés:

– Mon fils, dit Catherine, je me sens un peu indisposée, et je vais me mettre au lit; votre frère Charles est bien fatigué de sa chute et va en faire autant. On ne soupera donc pas en famille ce soir, et nous serons servis chacun chez nous. Ah! Henri, j’oubliais de vous faire mon compliment sur votre courage et votre adresse: vous avez sauvé votre roi et votre frère, vous en serez récompensé.

– Je le suis déjà, madame! répondit Henri en s’inclinant.

– Par le sentiment que vous avez fait votre devoir, reprit Catherine, ce n’est pas assez, et croyez que nous songeons, Charles et moi, à faire quelque chose qui nous acquitte envers vous.

– Tout ce qui me viendra de vous et de mon bon frère sera bienvenu, madame. Puis il s’inclina et sortit.

– Ah! mon frère François, pensa Henri en sortant, je suis sûr maintenant de ne pas partir seul, et la conspiration, qui avait un corps, vient de trouver une tête et un cœur. Seulement prenons garde à nous. Catherine me fait un cadeau, Catherine me promet une récompense: il y a quelque diablerie là-dessous; je veux conférer ce soir avec Marguerite.

II. La reconnaissance du roi Charles IX

Maurevel était resté une partie de la journée dans le cabinet des Armes du roi; mais, quand Catherine avait vu approcher le moment du retour de la chasse, elle l’avait fait passer dans son oratoire avec les sbires qui l’étaient venus rejoindre.

Charles IX, averti à son arrivée par sa nourrice qu’un homme avait passé une partie de la journée dans son cabinet, s’était d’abord mis dans une grande colère qu’on se fût permis d’introduire un étranger chez lui. Mais se l’étant fait dépeindre, et sa nourrice lui ayant dit que c’était le même homme qu’elle avait été elle-même chargée de lui amener un soir, le roi avait reconnu Maurevel; et se rappelant l’ordre arraché le matin par sa mère, il avait tout compris.

– Oh! oh! murmura Charles, dans la même journée où il m’a sauvé la vie; le moment est mal choisi.

En conséquence il fit quelques pas pour descendre chez sa mère; mais une pensée le retint.

– Mordieu! dit-il, si je lui parle de cela, ce sera une discussion à n’en pas finir; mieux vaut que nous agissions chacun de notre côté.

– Nourrice, dit-il, ferme bien toutes les portes, et préviens la reine Élisabeth[3], qu’un peu souffrant de la chute que j’ai faite, je dormirai seul cette nuit.

La nourrice obéit, et, comme l’heure d’exécuter son projet n’était pas arrivée, Charles se mit à faire des vers.

C’était l’occupation pendant laquelle le temps passait le plus vite pour le roi. Aussi neuf heures sonnèrent-elles que Charles croyait encore qu’il en était à peine sept. Il compta l’un après l’autre les battements de la cloche, et au dernier il se leva.

– Nom d’un diable! dit-il, il est temps tout juste. Et, prenant son manteau et son chapeau, il sortit par une porte secrète qu’il avait fait percer dans la boiserie, et dont Catherine elle-même ignorait l’existence. Charles alla droit à l’appartement de Henri. Henri n’avait fait que rentrer chez lui pour changer de costume en quittant le duc d’Alençon, et il était sorti aussitôt.

– Il sera allé souper chez Margot, se dit le roi; il était au mieux aujourd’hui avec elle, à ce qu’il m’a semblé du moins. Et il s’achemina vers l’appartement de Marguerite.

Marguerite avait ramené chez elle la duchesse de Nevers, Coconnas et La Mole, et faisait avec eux une collation de confitures et de pâtisseries.

Charles heurta à la porte d’entrée: Gillonne alla ouvrir; mais à l’aspect du roi elle fut si épouvantée, qu’elle trouva à peine la force de faire la révérence, et qu’au lieu de courir pour prévenir sa maîtresse de l’auguste visite qui lui arrivait, elle laissa passer Charles sans donner d’autre signal que le cri qu’elle avait poussé.

Le roi traversa l’antichambre, et, guidé par les éclats de rire, il s’avança vers la salle à manger.

«Pauvre Henriot! dit-il, il se réjouit sans penser à mal.»

– C’est moi, dit-il en soulevant la tapisserie et en montrant un visage riant.

Marguerite poussa un cri terrible; tout riant qu’il était, ce visage avait produit sur elle l’effet de la tête de Méduse. Placée en face de la portière, elle venait de reconnaître Charles.

Les deux hommes tournaient le dos au roi.

– Majesté! s’écria-t-elle avec effroi. Et elle se leva. Coconnas, quand les trois autres convives sentaient en quelque sorte leur tête vaciller sur leurs épaules, fut le seul qui ne perdit pas la sienne. Il se leva aussi, mais avec une si habile maladresse, qu’en se levant il renversa la table, et qu’avec elle il culbuta cristaux, vaisselle et bougies.

En un instant il y eut obscurité complète et silence de mort.

– Gagne au pied, dit Coconnas à La Mole. Hardi! hardi! La Mole ne se le fit pas dire deux fois; il se jeta contre le mur, s’orienta des mains, cherchant la chambre à coucher pour se coucher dans le cabinet qu’il connaissait si bien. Mais en mettant le pied dans la chambre à coucher il se heurta contre un homme qui venait d’entrer par le passage secret.

– Que signifie donc tout cela? dit Charles dans les ténèbres, avec une voix qui commençait à prendre un formidable accent d’impatience; suis-je donc un trouble-fête, que l’on fasse à ma vue un pareil remue-ménage? Voyons, Henriot! Henriot! où es-tu? réponds-moi.

– Nous sommes sauvés! murmura Marguerite en saisissant une main qu’elle prit pour celle de La Mole. Le roi croit que mon mari est un de nos convives.

– Et je lui laisserai croire, madame, soyez tranquille, dit Henri répondant à la reine sur le même ton.

– Grand Dieu! s’écria Marguerite en lâchant vivement la main qu’elle tenait, et qui était celle du roi de Navarre.

– Silence! dit Henri.

– Mille noms du diable! qu’avez-vous donc à chuchoter ainsi? s’écria Charles. Henri, répondez-moi, où êtes-vous?

– Me voici, Sire, dit la voix du roi de Navarre.

– Diable! dit Coconnas qui tenait la duchesse de Nevers dans un coin, voilà qui se complique.

– Alors, nous sommes deux fois perdus, dit Henriette. Coconnas, brave jusqu’à l’imprudence, avait réfléchi qu’il fallait toujours finir par rallumer les bougies; et pensant que le plus tôt serait le mieux, il quitta la main de madame de Nevers, ramassa au milieu des débris un chandelier, s’approcha du chauffe-doux[4], et souffla sur un charbon qui enflamma aussitôt la mèche d’une bougie. La chambre s’éclaira. Charles IX jeta autour de lui un regard interrogateur.

Henri était près de sa femme; la duchesse de Nevers était seule dans un coin; et Coconnas, debout au milieu de la chambre, un chandelier à la main, éclairait toute la scène.

– Excusez-nous, mon frère, dit Marguerite, nous ne vous attendions pas.

– Aussi Votre Majesté, comme elle peut le voir, nous a fait une peur étrange! dit Henriette.

– Pour ma part, dit Henri qui devina tout, je crois que la peur a été si réelle qu’en me levant j’ai renversé la table. Coconnas jeta au roi de Navarre un regard qui voulait dire:

 

«À la bonne heure! voilà un mari qui entend à demi-mot.»

– Quel affreux remue-ménage! répéta Charles IX. Voilà ton souper renversé, Henriot. Viens avec moi, tu l’achèveras ailleurs; je te débauche pour ce soir.

– Comment, Sire! dit Henri, Votre Majesté me ferait l’honneur?…

– Oui, Ma Majesté te fait l’honneur de t’emmener hors du Louvre. Prête-le moi, Margot, je te le ramènerai demain matin.

– Ah! mon frère! dit Marguerite, vous n’avez pas besoin de ma permission pour cela, et vous êtes bien le maître.

– Sire, dit Henri, je vais prendre chez moi un autre manteau, et je reviens à l’instant même.

– Tu n’en as pas besoin, Henriot; celui que tu as là est bon.

– Mais, Sire…, essaya le Béarnais.

– Je te dis de ne pas retourner chez toi, mille noms d’un diable! n’entends tu pas ce que je te dis? Allons, viens donc!

– Oui, oui, allez! dit tout à coup Marguerite en serrant le bras de son mari, car un singulier regard de Charles venait de lui apprendre qu’il se passait quelque chose d’étrange.

– Me voilà, Sire, dit Henri. Mais Charles ramena son regard sur Coconnas, qui continuait son office d’éclaireur en rallumant les autres bougies.

– Quel est ce gentilhomme, demanda-t-il à Henri en toisant le Piémontais; ne serait-ce point, par hasard, M. de La Mole?

– Qui lui a donc parlé de La Mole? se demanda tout bas Marguerite.

– Non, Sire, répondit Henri, M. de La Mole n’est point ici, et je le regrette, car j’aurais eu l’honneur de le présenter à Votre Majesté en même temps que M. de Coconnas, son ami; ce sont deux inséparables, et tous deux appartiennent à M. d’Alençon.

– Ah! ah! notre grand tireur! dit Charles. Bon! Puis en fronçant le sourcil:

– Ce M. de La Mole, ajouta-t-il, n’est-il pas huguenot?

– Converti, Sire, dit Henri, et je réponds de lui comme de moi.

– Quand vous répondrez de quelqu’un, Henriot, après ce que vous avez fait aujourd’hui, je n’ai plus le droit de douter de lui. Mais n’importe, j’aurais voulu le voir, ce M. de La Mole. Ce sera pour plus tard.

En faisant de ses gros yeux une dernière perquisition dans la chambre, Charles embrassa Marguerite et emmena le roi de Navarre en le tenant par dessous le bras.

À la porte du Louvre, Henri voulut s’arrêter pour parler à quelqu’un.

– Allons, allons! sors vite, Henriot, lui dit Charles. Quand je te dis que l’air du Louvre n’est pas bon pour toi ce soir, que diable! crois-moi donc.

– Ventre-saint-gris! murmura Henri; et de Mouy, que va-t-il devenir tout seul dans ma chambre?… Pourvu que cet air qui n’est pas bon pour moi ne soit pas plus mauvais encore pour lui!

– Ah ça! dit le roi lorsque Henri et lui eurent traversé le pont-levis, cela t’arrange donc, Henriot, que les gens de M. d’Alençon fassent la cour à ta femme?

– Comment cela, Sire?

– Oui, ce M. de Coconnas ne fait-il pas les doux yeux à Margot?

– Qui vous a dit cela?

– Dame! reprit le roi, on me l’a dit.

– Raillerie pure, Sire; M. de Coconnas fait les doux yeux à quelqu’un, c’est vrai, mais c’est à madame de Nevers.

– Ah bah!

– Je puis répondre à Votre Majesté de ce que je lui dis là. Charles se prit à rire aux éclats.

– Eh bien, dit-il, que le duc de Guise vienne encore me faire des propos, et j’allongerai agréablement sa moustache en lui contant les exploits de sa belle-sœur. Après cela, dit le roi en se ravisant, je ne sais plus si c’est de M. de Coconnas ou de M. de La Mole qu’il m’a parlé.

– Pas plus l’un que l’autre, Sire, dit Henri, et je vous réponds des sentiments de ma femme.

– Bon! Henriot, bon! dit le roi; j’aime mieux te voir ainsi qu’autrement; et, sur mon honneur, tu es si brave garçon que je crois que je finirai par ne plus pouvoir me passer de toi.

En disant ces mots, le roi se mit à siffler d’une façon particulière, et quatre gentilshommes qui attendaient au bout de la rue de Beauvais le vinrent rejoindre, et tous ensemble s’enfoncèrent dans l’intérieur de la ville.

Dix heures sonnaient.

– Eh bien, dit Marguerite quand le roi et Henri furent partis, nous remettons nous à table?

– Non, ma foi! dit la duchesse, j’ai eu trop peur. Vive la petite maison de la rue Cloche-Percée! on n’y peut pas entrer sans en faire le siège, et nos braves ont le droit d’y jouer des épées. Mais que cherchez-vous sous les meubles et dans les armoires, monsieur de Coconnas?

– Je cherche mon ami La Mole, dit le Piémontais.

– Cherchez du côté de ma chambre, monsieur, dit Marguerite, il y a là un certain cabinet…

– Bon, dit Coconnas, j’y suis. Et il entra dans la chambre.

– Eh bien, dit une voix dans les ténèbres, où en sommes-nous?

– Eh! mordi! nous en sommes au dessert.

– Et le roi de Navarre?

– Il n’a rien vu; c’est un mari parfait, et j’en souhaite un pareil à ma femme. Cependant je crains bien qu’elle ne l’ait jamais qu’en secondes noces.

– Et le roi Charles?

– Ah! le roi, c’est différent; il a emmené le mari.

– En vérité?

– C’est comme je te le dis. De plus, il m’a fait l’honneur de me regarder de côté quand il a su que j’étais à M. d’Alençon, et de travers quand il a su que j’étais ton ami.

– Tu crois donc qu’on lui aura parlé de moi?

– J’ai peur, au contraire, qu’on ne lui en ait dit trop de bien. Mais ce n’est point de tout cela qu’il s’agit, je crois que ces dames ont un pèlerinage à faire du côté de la rue du Roi-de-Sicile, et que nous conduisons les pèlerines.

– Mais, impossible! … Tu le sais bien.

– Comment, impossible?

– Eh! oui, nous sommes de service chez son Altesse Royale.

– Mordi, c’est ma foi vrai; j’oublie toujours que nous sommes en grade, et que de gentilshommes que nous étions nous avons eu l’honneur de passer valets.

Et les deux amis allèrent exposer à la reine et à la duchesse la nécessité où ils étaient d’assister au moins au coucher de monsieur le duc.

– C’est bien, dit madame de Nevers, nous partons de notre côté.

– Et peut-on savoir où vous allez? demanda Coconnas.

– Oh! vous êtes trop curieux, dit la duchesse. Quaere et invenies.

Les deux jeunes gens saluèrent et montèrent en toute hâte chez M. d’Alençon.

Le duc semblait les attendre dans son cabinet.

– Ah! ah! dit-il, vous voilà bien tard, messieurs.

– Dix heures à peine, Monseigneur, dit Coconnas. Le duc tira sa montre.

– C’est vrai, dit-il. Tout le monde est couché au Louvre, cependant.

– Oui, Monseigneur, mais nous voici à vos ordres. Faut-il introduire dans la chambre de Votre Altesse les gentilshommes du petit coucher?

– Au contraire, passez dans la petite salle et congédiez tout le monde.

Les deux jeunes gens obéirent, exécutèrent l’ordre donné, qui n’étonna personne à cause du caractère bien connu du duc, et revinrent près de lui.

– Monseigneur, dit Coconnas, Votre Altesse va sans doute se mettre au lit ou travailler?

– Non, messieurs; vous avez congé jusqu’à demain.

– Allons, allons, dit tout bas Coconnas à l’oreille de La Mole, la cour découche ce soir, à ce qu’il paraît; la nuit sera friande en diable, prenons notre part de la nuit.

Et les deux jeunes gens montèrent les escaliers quatre à quatre, prirent leurs manteaux et leurs épées de nuit, et s’élancèrent hors du Louvre à la poursuite des deux dames, qu’ils rejoignirent au coin de la rue du Coq-Saint-Honoré.

Pendant ce temps, le duc d’Alençon, l’œil ouvert, l’oreille au guet, attendait, enfermé dans sa chambre, les événements imprévus qu’on lui avait promis.

III. Dieu dispose

Comme l’avait dit le duc aux jeunes gens, le plus profond silence régnait au Louvre.

En effet, Marguerite et madame de Nevers étaient parties pour la rue Tizon. Coconnas et La Mole s’étaient mis à leur poursuite. Le roi et Henri battaient la ville. Le duc d’Alençon se tenait chez lui dans l’attente vague et anxieuse des événements que lui avait prédits la reine mère. Enfin Catherine s’était mise au lit, et madame de Sauve, assise à son chevet, lui faisait lecture de certains contes italiens dont riait fort la bonne reine.

Depuis longtemps Catherine n’avait été de si belle humeur. Après avoir fait de bon appétit une collation avec ses femmes, après avoir réglé les comptes quotidiens de sa maison, elle avait ordonné une prière pour le succès de certaine entreprise importante, disait-elle, pour le bonheur de ses enfants; c’était l’habitude de Catherine, habitude, au reste toute florentine, de faire dire dans certaines circonstances des prières et des messes dont Dieu et elle savaient seuls le but.

Enfin elle avait revu René, et avait choisi, dans ses odorants sachets et dans son riche assortiment, plusieurs nouveautés.

– Qu’on sache, dit Catherine, si ma fille la reine de Navarre est chez elle; et si elle y est, qu’on la prie de venir me faire compagnie.

Le page auquel cet ordre était adressé sortit, et un instant après il revint accompagné de Gillonne.

– Eh bien, dit la reine mère, j’ai demandé la maîtresse et non la suivante.

– Madame, dit Gillonne, j’ai cru devoir venir moi-même dire à Votre Majesté que la reine de Navarre est sortie avec son amie la duchesse de Nevers…

– Sortie à cette heure! reprit Catherine en fronçant le sourcil; et où peut-elle être allée?

– À une séance d’alchimie, répondit Gillonne, laquelle doit avoir lieu à l’hôtel de Guise, dans le pavillon habité par madame de Nevers.

– Et quand rentrera-t-elle? demanda la reine mère.

– La séance se prolongera fort avant dans la nuit, répondit Gillonne, de sorte qu’il est probable que Sa Majesté demeurera demain matin chez son amie.

– Elle est heureuse, la reine de Navarre, murmura Catherine, elle a des amies et elle est reine; elle porte une couronne, on l’appelle Votre Majesté, et elle n’a pas de sujets; elle est bien heureuse.

Après cette boutade, qui fit sourire intérieurement les auditeurs:

– Au reste, murmura Catherine, puisqu’elle est sortie! car elle est sortie, dites-vous?

– Depuis une demi-heure, madame.

– Tout est pour le mieux; allez.

Gillonne salua et sortit.

– Continuez votre lecture, Charlotte, dit la reine. Madame de Sauve continua. Au bout de dix minutes Catherine interrompit la lecture.

– Ah! à propos, dit-elle, qu’on renvoie les gardes de la galerie. C’était le signal qu’attendait Maurevel. On exécuta l’ordre de la reine mère, et madame de Sauve continua son histoire.

Elle avait lu un quart d’heure à peu près sans interruption aucune, lorsqu’un cri long, prolongé, terrible, parvint jusque dans la chambre royale et fit dresser les cheveux sur la tête des assistants.

Un coup de pistolet le suivit immédiatement.

– Qu’est-ce cela, dit Catherine, et pourquoi ne lisez-vous plus, Carlotta?

– Madame, dit la jeune femme pâlissante, n’avez-vous point entendu?

– Quoi? demanda Catherine.

– Ce cri?

– Et ce coup de pistolet? ajouta le capitaine des gardes.

– Un cri, un coup de pistolet, ajouta Catherine, je n’ai rien entendu, moi… D’ailleurs, est-ce donc une chose bien extraordinaire au Louvre qu’un cri et qu’un coup de pistolet? Lisez, lisez, Carlotta.

– Mais écoutez, madame, dit celle-ci, tandis que M. de Nancey se tenait debout la main à la poignée de son épée et n’osant sortir sans le congé de la reine; écoutez, on entend des pas, des imprécations.

– Faut-il que je m’informe, madame? dit ce dernier.

– Point du tout, monsieur, restez là, dit Catherine en se soulevant sur une main comme pour donner plus de force à son ordre. Qui donc me garderait en cas d’alarme? Ce sont quelques Suisses ivres qui se battent.

Le calme de la reine, opposé à la terreur qui planait sur toute cette assemblée, formait un contraste tellement remarquable que, si timide qu’elle fût, madame de Sauve fixa un regard interrogateur sur la reine.

– Mais, madame, s’écria-t-elle, on dirait que l’on tue quelqu’un.

– Et qui voulez-vous qu’on tue?

– Mais le roi de Navarre, madame; le bruit vient du côté de son appartement.

– La sotte! murmura la reine, dont les lèvres, malgré sa puissance sur elle-même, commençaient à s’agiter étrangement, car elle marmottait une prière; la sotte voit son roi de Navarre partout.

– Mon Dieu! mon Dieu! dit madame de Sauve en retombant sur son fauteuil.

– C’est fini, c’est fini, dit Catherine. Capitaine, continua-t-elle en s’adressant à M. de Nancey, j’espère que, s’il y a du scandale dans le palais, vous ferez demain punir sévèrement les coupables. Reprenez votre lecture, Carlotta.

Et Catherine retomba elle-même sur son oreiller dans une impassibilité qui ressemblait beaucoup à de l’affaissement, car les assistants remarquèrent que de grosses gouttes de sueur roulaient sur son visage.

 

Madame de Sauve obéit à cet ordre formel; mais ses yeux et sa voix fonctionnaient seuls. Sa pensée errante sur d’autres objets lui représentait un danger terrible suspendu sur une tête chérie. Enfin, après quelques minutes de ce combat, elle se trouva tellement oppressée entre l’émotion et l’étiquette que sa voix cessa d’être intelligible; le livre lui tomba des mains, elle s’évanouit.

Soudain un fracas plus violent se fit entendre; un pas lourd et pressé ébranla le corridor; deux coups de feu partirent faisant vibrer les vitres; et Catherine, étonnée de cette lutte prolongée outre mesure, se dressa à son tour, droite, pâle, les yeux dilatés; et au moment où le capitaine des gardes allait s’élancer dehors, elle l’arrêta en disant:

– Que tout le monde reste ici, j’irai moi-même voir là-bas ce qui se passe. Voilà ce qui se passait, ou plutôt ce qui s’était passé:

De Mouy avait reçu le matin des mains d’Orthon la clef de Henri. Dans cette clef, qui était forée, il avait remarqué un papier roulé. Il avait tiré le papier avec une épingle.

C’était le mot d’ordre du Louvre pour la prochaine nuit. En outre, Orthon lui avait verbalement transmis les paroles de Henri qui invitaient de Mouy à venir trouver à dix heures le roi au Louvre. À neuf heures et demie, de Mouy avait revêtu une armure dont il avait plus d’une fois déjà eu l’occasion de reconnaître la solidité; il avait boutonné dessus un pourpoint de soie, avait agrafé son épée, passé dans le ceinturon ses pistolets, recouvert le tout du fameux manteau cerise de La Mole.

Nous avons vu comment, avant de rentrer chez lui, Henri avait jugé à propos de faire une visite à Marguerite, et comment il était arrivé par l’escalier secret juste à temps pour heurter La Mole dans la chambre à coucher de Marguerite, et pour prendre sa place aux yeux du roi dans la salle à manger. C’était précisément au moment même que, grâce au mot d’ordre envoyé par Henri et surtout au fameux manteau cerise, de Mouy traversait le guichet du Louvre.

Le jeune homme monta droit chez le roi de Navarre, imitant de son mieux, comme d’habitude, la démarche de La Mole. Il trouva dans l’antichambre Orthon qui l’attendait.

– Sire de Mouy, lui dit le montagnard, le roi est sorti, mais il m’a ordonné de vous introduire chez lui et de vous dire de l’attendre. S’il tarde par trop, il vous invite, vous le savez, à vous jeter sur son lit.

De Mouy entra sans demander d’autre explication, car ce que venait de lui dire Orthon n’était que la répétition de ce qu’il lui avait déjà dit le matin.

Pour utiliser son temps, de Mouy prit une plume et de l’encre; et s’approchant d’une excellente carte de France pendue à la muraille, il se mit à compter et à régler les étapes qu’il y avait de Paris à Pau.

Mais ce travail fut l’affaire d’un quart d’heure, et ce travail fini, de Mouy ne sut plus à quoi s’occuper.

Il fit deux ou trois tours de chambre, se frotta les yeux, bâilla, s’assit et se leva, se rassit encore. Enfin, profitant de l’invitation de Henri, excusé d’ailleurs par les lois de familiarité qui existaient entre les princes et leurs gentilshommes, il déposa sur la table de nuit ses pistolets et la lampe, s’étendit sur le vaste lit à tentures sombres qui garnissait le fond de la chambre, plaça son épée nue le long de sa cuisse, et, sûr de n’être pas surpris puisqu’un domestique se tenait dans la pièce précédente, il se laissa aller à un sommeil pesant, dont bientôt le bruit fit retentir les vastes échos du baldaquin. De Mouy ronflait en vrai soudard, et sous ce rapport aurait pu lutter avec le roi de Navarre lui-même.

C’est alors que six hommes, l’épée à la main et le poignard à la ceinture, se glissèrent silencieusement dans le corridor qui, par une petite porte, communiquait aux appartements de Catherine et par une grande donnait chez Henri.

Un de ces six hommes marchait le premier. Outre son épée nue et son poignard fort comme un couteau de chasse, il portait encore ses fidèles pistolets accrochés à sa ceinture par des agrafes d’argent. Cet homme, c’était Maurevel.

Arrivé à la porte de Henri, il s’arrêta.

– Vous vous êtes bien assuré que les sentinelles du corridor ont disparu? demanda-t-il à celui qui paraissait commander la petite troupe.

– Plus une seule n’est à son poste, répondit le lieutenant.

– Bien, dit Maurevel. Maintenant il n’y a plus qu’à s’informer d’une chose, c’est si celui que nous cherchons est chez lui.

– Mais, dit le lieutenant en arrêtant la main que Maurevel posait sur le marteau de la porte, mais, capitaine, cet appartement est celui du roi de Navarre.

– Qui vous dit le contraire? répondit Maurevel.

Les sbires se regardèrent tout surpris, et le lieutenant fit un pas en arrière.

– Heu! fit le lieutenant, arrêter quelqu’un à cette heure, au Louvre, et dans l’appartement du roi de Navarre?

– Que répondriez-vous donc, dit Maurevel, si je vous disais que celui que vous allez arrêter est le roi de Navarre lui-même?

– Je vous dirais, capitaine, que la chose est grave, et que, sans un ordre signé de la main de Charles IX…

– Lisez, dit Maurevel.

Et, tirant de son pourpoint l’ordre que lui avait remis Catherine, il le donna au lieutenant.

– C’est bien, répondit celui-ci après avoir lu; je n’ai plus rien à vous dire.

– Et vous êtes prêt?

– Je le suis.

– Et vous? continua Maurevel en s’adressant aux cinq autres sbires. Ceux-ci saluèrent avec respect.

– Écoutez-moi donc, messieurs, dit Maurevel, voilà le plan: deux de vous resteront à cette porte, deux à la porte de la chambre à coucher, et deux entreront avec moi.

– Ensuite? dit le lieutenant.

– Écoutez bien ceci: il nous est ordonné d’empêcher le prisonnier d’appeler, de crier, de résister; toute infraction à cet ordre doit être punie de mort.

– Allons, allons, il a carte blanche, dit le lieutenant à l’homme désigné avec lui pour suivre Maurevel chez le roi.

– Tout à fait, dit Maurevel.

– Pauvre diable de roi de Navarre! dit un des hommes, il était écrit là-haut qu’il ne devait point en réchapper.

– Et ici-bas, dit Maurevel en reprenant des mains du lieutenant l’ordre de Catherine, qu’il rentra dans sa poitrine.

Maurevel introduisit dans la serrure la clef que lui avait remise Catherine, et, laissant deux hommes à la porte extérieure, comme il en était convenu, entra avec les quatre autres dans l’antichambre.

– Ah! ah! dit Maurevel en entendant la bruyante respiration du dormeur, dont le bruit arrivait jusqu’à lui, il paraît que nous trouverons ici ce que nous cherchons.

Aussitôt Orthon, pensant que c’était son maître qui rentrait, alla au-devant de lui, et se trouva en face de cinq hommes armés qui occupaient la première chambre.

À la vue de ce visage sinistre, de ce Maurevel qu’on appelait le Tueur de roi, le fidèle serviteur recula, et se plaçant devant la seconde porte:

– Qui êtes-vous? dit Orthon; que voulez-vous?

– Au nom du roi, répondit Maurevel, où est ton maître?

– Mon maître?

– Oui, le roi de Navarre?

– Le roi de Navarre n’est pas au logis, dit Orthon en défendant plus que jamais la porte; ainsi vous ne pouvez pas entrer.

– Prétexte, mensonge, dit Maurevel. Allons, arrière!

Les Béarnais sont entêtés; celui-ci gronda comme un chien de ses montagnes, et sans se laisser intimider:

– Vous n’entrerez pas, dit-il; le roi est absent.

Et il se cramponna à la porte.

Maurevel fit un geste; les quatre hommes s’emparèrent du récalcitrant, l’arrachant au chambranle auquel il se tenait cramponné, et, comme il ouvrait la bouche pour crier, Maurevel lui appliqua la main sur les lèvres.

Orthon mordit furieusement l’assassin, qui retira sa main avec un cri sourd, et frappa du pommeau de son épée le serviteur sur la tête. Orthon chancela et tomba en criant:

– Alarme! alarme! alarme! Sa voix expira, il était évanoui. Les assassins passèrent sur son corps, puis deux restèrent à cette seconde porte, et les deux autres entrèrent dans la chambre à coucher, conduits par Maurevel. À la lueur de la lampe brûlant sur la table de nuit, ils virent le lit. Les rideaux étaient fermés.

– Oh! oh! dit le lieutenant, il ne ronfle plus, ce me semble.

– Allons, sus! dit Maurevel. À cette voix, un cri rauque qui ressemblait plutôt au rugissement du lion qu’à des accents humains partit de dessous les rideaux, qui s’ouvrirent violemment, et un homme, armé d’une cuirasse et le front couvert d’une de ces salades qui ensevelissaient la tête jusqu’aux yeux, apparut assis, deux pistolets à la main et son épée sur les genoux. Maurevel n’eut pas plus tôt aperçu cette figure et reconnu de Mouy, qu’il sentit ses cheveux se dresser sur sa tête; il devint d’une pâleur affreuse; sa bouche se remplit d’écume; et, comme s’il se fût trouvé en face d’un spectre, il fit un pas en arrière.

Soudain la figure armée se leva et fit en avant un pas égal à celui que Maurevel avait fait en arrière, de sorte que c’était celui qui était menacé qui semblait poursuivre, et celui qui menaçait qui semblait fuir.

3Charles IX avait épousé Élisabeth d’Autriche, fille de Maximilien.
4Espèce de brasero.