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La femme au collier de velours

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Le premier acte fut joué sans qu'Hoffmann fit attention à l'orchestre ou s'occupât des acteurs.

Cet orchestre, il le connaissait et l'avait apprécié à une première audition.

Ces acteurs lui importaient peu, il n'était pas venu pour les voir, il était venu pour voir Arsène.

La toile se leva sur le second acte, et le ballet commença.

Toute l'intelligence, toute l'âme, tout le cœur du jeune homme étaient suspendus.

Il attendait l'entrée d'Arsène.

Tout à coup Hoffmann jeta un cri.

Ce n'était plus Arsène qui remplissait le rôle de Flore.

La femme qui apparaissait était une femme étrangère, une femme comme toutes les femmes.

Toutes les fibres de ce corps haletant se détendirent; Hoffmann s'affaissa sur lui-même en poussant un long soupir, et regarda autour de lui.

Le petit homme noir était à sa place; seulement il n'avait plus ses boucles en diamants, ses bagues en diamants, sa tabatière à tête de mort en diamants.

Ses boucles étaient en cuivre, ses bagues en argent doré, sa tabatière en argent mat. Il ne chantonnait plus, il ne battait plus la mesure. Comment était-il venu là? Hoffmann n'en savait rien: il ne l'avait ni vu venir, ni senti passer.

– Oh! monsieur! s'écria Hoffmann.

– Dites citoyen, mon jeune ami, et même tutoyez-moi… si c'est possible, répondit le petit homme noir, ou vous me ferez couper la tête et à vous aussi.

– Mais où est-elle donc? demanda Hoffmann.

– Ah! voilà… Où est-elle? Il paraît que son tigre, qui ne la quitte pas des yeux, s'est aperçu qu'avant-hier elle a correspondu par signes avec un jeune homme de l'orchestre. Il paraît que ce jeune homme a couru après la voiture; de sorte que depuis hier il a rompu l'engagement d'Arsène, et qu'Arsène n'est plus au théâtre.

– Et comment le directeur a-t-il souffert?..

– Mon jeune ami, le directeur tient à conserver sa tête sur ses épaules, quoique ce soit une assez vilaine tête; mais il prétend qu'il a l'habitude de cette tête-là et qu'une autre plus belle ne reprendrait peut-être pas bouture.

– Ah! mon Dieu! voilà donc pourquoi cette salle est si triste! s'écria Hoffmann. Voilà pourquoi il n'y a plus de fleurs, plus de diamants, plus de bijoux! voilà pourquoi vous n'avez plus vos boucles en diamants! Voilà pourquoi il y a, enfin, aux deux côtés de la scène, au lieu des bustes d'Apollon et de Terpsichore, ces deux affreux bustes! Pouah!

– Ah çà! mais, que me dites-vous donc là, demanda le docteur, et où avez-vous vu une salle telle que vous dites? Où m'avez-vous vu des bagues en diamants, des tabatières en diamants? où avez-vous vu enfin les bustes d'Apollon et de Terpsichore? Mais il y a deux ans que les fleurs ne fleurissent plus, que les diamants sont tournés en assignats, et que les bijoux sont fondus sur l'autel de la patrie. Quant à moi, Dieu merci! je n'ai jamais eu d'autres boucles que ces boucles de cuivre, d'autres bagues que cette méchante bague de vermeil, et d'autre tabatière que cette pauvre tabatière d'argent; pour les bustes d'Apollon et de Terpsichore, ils y ont été autrefois, mais les amis de l'humanité sont venus casser le buste d'Apollon et l'ont remplacé par celui de l'apôtre Voltaire; mais les amis du peuple sont venus briser le buste de Terpsichore et l'ont remplacé par celui du dieu Marat.

– Oh! s'écria Hoffmann, c'est impossible. Je vous dis qu'avant-hier j'ai vu une salle parfumée de fleurs, resplendissante de riches costumes, ruisselante de diamants, et des hommes élégants à la place de ces harengères en casaquin et de ces goujats en carmagnole. Je vous dis que vous aviez des boucles de diamants à vos souliers, des bagues en diamants à vos doigts, une tête de mort en diamants sur votre tabatière; je vous dis…

– Et moi, jeune homme, à mon tour, je vous dis, reprit le petit homme noir, je vous dis qu'avant-hier elle était là, je vous dis que sa présence illuminait tout, je vous dis que son souffle faisait naître les roses, faisait reluire les bijoux, faisait étinceler les diamants de votre imagination; je vous dis que vous l'aimez, jeune homme, et que vous avez vu la salle à travers le prisme de votre amour. Arsène n'est plus là, votre cœur est mort, vos yeux sont désenchantés, et vous voyez du molleton, de l'indienne, du gros drap, des bonnets rouges, des mains sales et des cheveux crasseux. Vous voyez enfin le monde tel qu'il est, les choses telles qu'elles sont.

– Oh! mon Dieu! s'écria Hoffmann, en laissant tomber sa tête dans ses mains, tout cela est-il vrai, et suis-je donc si près de devenir fou?

CHAPITRE XII
L'estaminet

Hoffmann ne sortit de cette léthargie qu'en sentant une main se poser sur son épaule.

Il leva la tête. Tout était noir et éteint autour de lui: le théâtre, sans lumière, lui apparaissait comme le cadavre du théâtre qu'il avait vu vivant. Le soldat de garde s'y promenait seul et silencieux comme le gardien de la mort; plus de lustres, plus d'orchestre, plus de rayon, plus de bruit.

Une voix seulement qui marmottait à son oreille:

– Mais, citoyen, mais, citoyen, que faites-vous donc? vous êtes à l'Opéra, citoyen; on dort ici, c'est vrai, mais on n'y couche pas.

Hoffmann regarda enfin du côté d'où venait la voix, et il vit une petite vieille qui le tirait par le collet de sa redingote.

C'était l'ouvreuse de l'orchestre, qui, ne connaissant pas les intentions de ce spectateur obstiné, ne voulait pas se retirer sans l'avoir vu sortir devant elle.

Au reste, une fois tiré de son sommeil, Hoffmann ne fit aucune résistance; il poussa un soupir et se leva en murmurant le mot:

– Arsène!

– Ah oui! Arsène, dit la petite vieille. Arsène! vous aussi, jeune homme, vous en êtes amoureux comme tout le monde. C'est une grande perte pour l'Opéra, surtout pour nous autres ouvreuses.

– Pour vous autres ouvreuses, demanda Hoffmann, heureux de se rattacher à quelqu'un qui lui parlât de la danseuse, et comment donc est-ce une perte pour vous qu'Arsène soit ou ne soit plus au théâtre?

– Ah dame! c'est bien facile à comprendre cela: d'abord, toutes les fois qu'elle dansait, elle faisait salle comble; alors c'était un commerce de tabourets, de chaises et de petits bancs; à l'Opéra, tout se paye. On payait les petits bancs, les chaises et les tabourets de supplément, c'étaient nos petits profits. Je dis petits profits, ajouta la vieille d'un air malin, parce qu'à côté de ceux-là, citoyen, vous comprenez, il y avait les grands.

– Les grands profits?

– Oui.

Et la vieille cligna de l'œil.

– Et quels étaient les grands profits? voyons, ma bonne femme.

– Les grands profits venaient de ceux qui demandaient des renseignements sur elle, qui voulaient savoir son adresse, qui lui faisaient passer des billets. Il y avait prix pour tout, vous comprenez; tant pour les renseignements, tant pour l'adresse, tant pour le poulet; on faisait son petit commerce, enfin, et l'on vivait honnêtement.

Et la vieille poussa un soupir qui, sans désavantage, pouvait être comparé au soupir poussé par Hoffmann au commencement du dialogue que nous venons de rapporter.

– Ah! ah! fit Hoffmann, vous vous chargiez de donner des renseignements, d'indiquer l'adresse, de remettre les billets; vous en chargez-vous toujours?

– Hélas, monsieur, les renseignements que je vous donnerais vous seraient inutiles maintenant; personne ne sait plus l'adresse d'Arsène, et le billet que vous me donneriez pour elle serait perdu. Si vous voulez pour une autre? Mme Vestris, mlle Bigottini, mlle…

– Merci, ma bonne femme, merci; je ne désirais rien savoir que sur mademoiselle Arsène.

Puis, tirant un petit écu de sa poche:

– Tenez, dit Hoffmann, voilà pour la peine que vous avez prise de m'éveiller.

Et, prenant congé de la vieille, il reprit d'un pas lent le boulevard, avec l'intention de suivre le même chemin qu'il avait suivi la surveille, l'instinct qui l'avait guidé pour venir n'existait plus.

Seulement, ses impressions étaient bien différentes, et sa marche se ressentait de la différence de ces impressions.

L'autre soir, sa marche était celle d'un homme qui a vu passer l'Espérance et qui court après elle, sans réfléchir que Dieu lui a donné ses longues ailes d'azur pour que les hommes ne l'atteignent jamais. Il avait la bouche ouverte et haletante, le front haut, les bras étendus; cette fois, au contraire, il marchait lentement, comme l'homme qui, après l'avoir poursuivie inutilement, vient de la perdre de vue; sa bouche était serrée, son front abattu, ses bras tombants. L'autre fois il avait mis cinq minutes à peine pour aller de la porte Saint-Martin à la rue Montmartre; cette fois il mit plus d'une heure, et plus d'une heure encore pour aller de la rue Montmartre à son hôtel; car, dans l'espèce d'abattement où il était tombé, peu lui importait de rentrer tôt ou tard, peu lui importait même de ne pas rentrer du tout.

On dit qu'il y a un Dieu pour les ivrognes et les amoureux; ce Dieu-là, sans doute, veillait sur Hoffmann. Il lui fit éviter les patrouilles; il lui fit trouver les quais, puis les ponts, puis son hôtel, où il rentra, au grand scandale de son hôtesse, à une heure et demie du matin.

Cependant, au milieu de tout cela, une petite lueur dorée dansait au fond de l'imagination d'Hoffmann, comme un feu follet dans la nuit. Le médecin lui avait dit, si toutefois ce médecin existait, si ce n'était pas son imagination, une hallucination de son esprit; le médecin lui avait dit qu'Arsène avait été enlevée au théâtre par son amant, attendu que cet amant avait été jaloux d'un jeune homme placé à l'orchestre, avec lequel Arsène avait échangé de trop tendres regards.

Ce médecin avait ajouté, en outre, que ce qui avait porté la jalousie du tyran à son comble, c'est que ce même jeune homme avait été vu embusqué en face de la porte de sortie des artistes; c'est que ce même jeune homme avait couru en désespéré derrière la voiture; or, ce jeune homme qui avait échangé de l'orchestre des regards passionnés avec Arsène, c'était lui, Hoffmann; or, ce jeune homme qui s'était embusqué à la porte de sortie des artistes, c'était toujours lui, Hoffmann. Donc Arsène l'avait remarqué, puisqu'elle payait la peine de sa distraction; donc Arsène souffrait pour lui; il était entré dans la vie de la belle danseuse par la porte de la douleur, mais il y était entré, c'était le principal; à lui de s'y maintenir. Mais comment? par quel moyen? par quelle voie correspondre avec Arsène, lui donner de ses nouvelles, lui dire qu'il l'aimait? C'eût été déjà une grande tâche pour un Parisien pur sang, que de retrouver cette belle Arsène perdue dans cette immense ville. C'était une tâche impossible pour Hoffmann, arrivé depuis trois jours et ayant grand-peine à se retrouver lui-même.

 

Hoffmann ne se donna donc même pas la peine de chercher; il comprenait que le hasard seul pouvait venir à son aide. Tous les deux jours, il regardait l'affiche de l'Opéra, et tous les deux jours il avait la douleur de voir que Paris rendait son jugement en l'absence de celle qui méritait la pomme bien autrement que Vénus.

Dès lors il ne songea pas à aller à l'Opéra.

Un instant il eut bien l'idée d'aller soit à la Convention, soit aux Cordeliers, de s'attacher aux pas de Danton et, en l'épiant jour et nuit, de deviner où il avait caché la belle danseuse. Il alla même à la Convention, il alla même aux Cordeliers; mais Danton n'y était plus; las de la lutte qu'il soutenait depuis deux ans, vaincu par l'ennui bien plus que par la supériorité, Danton paraissait s'être retiré de l'arène politique.

Danton, disait-on, était à sa maison de campagne. Où était cette maison de campagne? on n'en savait rien; les uns disaient à Rueil, les autres à Auteuil.

Danton était aussi introuvable qu'Arsène.

On eût cru peut-être que cette absence d'Arsène eût dû ramener Hoffmann à Antonia; mais, chose étrange! il n'en était rien. Hoffmann avait beau faire tous ses efforts pour ramener son esprit à la pauvre fille du chef d'orchestre de Mannheim: un instant, par la puissance de sa volonté, tous ses souvenirs se concentraient sur le cabinet de maître Gottlieb Murr; mais, au bout d'un moment, partitions entassées sur les tables et sur les pianos, maître Gottlieb trépignant devant son pupitre, Antonia couchée sur son canapé, tout cela disparaissait pour faire place à un grand cadre éclairé, dans lequel se mouvaient d'abord des ombres; puis ces ombres prenaient du corps, puis ces corps affectaient des formes mythologiques, puis enfin toutes ces formes mythologiques, tous ces héros, toutes ces nymphes, tous ces dieux, tous ces demi-dieux disparaissaient pour faire place à une seule déesse, à la déesse des jardins, à la belle Flore, c'est-à-dire à la divine Arsène, à la femme au collier de velours et à l'agrafe de diamants; alors Hoffmann tombait non plus dans une rêverie, mais dans une extase dont il ne venait à sortir qu'en se rejetant dans la vie réelle, qu'en coudoyant les paysans dans la rue, qu'en se roulant enfin dans la foule et dans le bruit.

Lorsque cette hallucination, à laquelle Hoffmann était en proie, devenait trop forte, il sortait donc, se laissait aller à la pente du quai, prenait le Pont-Neuf, et ne s'arrêtait presque jamais qu'au coin de la rue de la Monnaie. Là, Hoffmann avait trouvé un estaminet, rendez-vous des plus rudes fumeurs de la capitale. Là, Hoffmann pouvait se croire dans quelque taverne anglaise, dans quelque musico hollandais ou dans quelque table d'hôte allemande, tant la fumée de la pipe y faisait une atmosphère impossible à respirer pour tout autre que pour un fumeur de première classe.

Une fois entré dans l'estaminet de la Fraternité, Hoffmann gagnait une petite table sise à l'angle le plus enfoncé, demandait une bouteille de bière de la brasserie de M. Santerre, qui venait de se démettre, en faveur de M. Henriot, de son grade de général de la garde nationale de Paris, chargeait jusqu'à la gueule cette immense pipe que nous connaissons déjà, et s'enveloppait en quelques instants d'un nuage de fumée aussi épais que celui dont la belle Vénus enveloppait son fils Énée, chaque fois que la tendre mère jugeait urgent d'arracher son fils bien-aimé à la colère de ses ennemis.

Huit ou dix jours étaient écoulés depuis l'aventure d'Hoffmann à l'Opéra, et, par conséquent, depuis la disparition de la belle danseuse; il était une heure de l'après-midi; Hoffmann, depuis une demi-heure, à peu près, se trouvait dans son estaminet, s'occupant, de toute la force de ses poumons, à établir autour de lui cette enceinte de fumée qui le séparait de ses voisins, quand il lui sembla, dans la vapeur, distinguer comme une forme humaine, puis, dominant tous les bruits, entendre le double bruit du chantonnement et du tambourinement habituel au petit homme noir; de plus, au milieu de cette vapeur, il lui semblait qu'un point lumineux dégageait des étincelles; il rouvrit ses yeux à demi fermés par une douce somnolence, écarta ses paupières avec peine, et, en face de lui, assis sur un tabouret, il reconnut son voisin de l'Opéra, et cela d'autant mieux que le fantastique docteur avait, ou plutôt semblait avoir, ses boucles en diamants à ses souliers, ses bagues en diamants à ses doigts et sa tête de mort sur sa tabatière.

– Bon, dit Hoffmann, voilà que je redeviens fou.

Et il ferma rapidement les yeux.

Mais, les yeux une fois fermés, plus ils le furent hermétiquement, plus Hoffmann entendit, et le petit accompagnement de chant, et le petit tambourinement des doigts; le tout de la façon la plus distincte, si distincte qu'Hoffmann comprit qu'il y avait un fond de réalité dans tout cela, et que la différence était du plus au moins. Voilà tout.

Il rouvrit donc un œil, puis l'autre; le petit homme noir était toujours à sa place.

– Bonjour, jeune homme, dit-il à Hoffmann; vous dormez, je crois; prenez une prise, cela vous réveillera.

Et, ouvrant sa tabatière, il offrit du tabac au jeune homme.

Celui-ci, machinalement, étendit la main, prit une prise et l'aspira.

À l'instant même, il lui sembla que les parois de son esprit s'éclairaient.

– Ah! s'écria Hoffmann! c'est vous, cher docteur? que je suis aise de vous revoir!

– Si vous êtes aise de me revoir, demanda le docteur, pourquoi ne m'avez-vous pas cherché?

– Est-ce que je savais votre adresse?

– Oh! la belle affaire! au premier cimetière venu on vous l'eût donnée.

– Est-ce que je savais votre nom?

– Le docteur à la tête de mort, tout le monde me connaît sous ce nom-là. Puis il y avait un endroit où vous étiez toujours sûr de me trouver.

– Où cela? À l'Opéra, dit Hoffmann en secouant la tête et en poussant un soupir.

– Oui, vous n'y retournez plus?

– Je n'y retourne plus, non.

– Depuis que ce n'est plus Arsène qui remplit le rôle de Flore?

– Vous l'avez dit, et tant que ce ne sera pas elle, je n'y retournerai pas.

– Vous l'aimez, jeune homme, vous l'aimez.

– Je ne sais pas si la maladie que j'éprouve s'appelle de l'amour, mais je sais que si je ne la revois pas, ou je mourrai de son absence, ou je deviendrai fou.

– Peste! il ne faut pas devenir fou! peste! il ne faut pas mourir! À la folie il y a peu de remède, à la mort il n'y en a pas du tout.

– Que faut-il faire alors?

– Dame! il faut la revoir.

– Comment cela, la revoir?

– Sans doute!

– Avez-vous un moyen?

– Peut-être.

– Lequel?

– Attendez.

Et le docteur se mit à rêver en clignotant des yeux et en tambourinant sur sa tabatière.

Puis, après un instant, rouvrant les yeux et laissant ses doigts suspendus sur l'ébène:

– Vous êtes peintre, m'avez-vous dit?

– Oui, peintre, musicien, poète.

– Nous n'avons besoin que de la peinture pour le moment.

– Eh bien!

– Eh bien! Arsène m'a chargé de lui chercher un peintre.

– Pour quoi faire?

– Pourquoi cherche-t-on un peintre, pardieu! pour lui faire son portrait.

– Le portrait d'Arsène! s'écria Hoffmann en se levant, oh! me voilà! me voilà!

– Chut! pensez donc que je suis un homme grave.

– Vous êtes mon sauveur! s'écria Hoffmann en jetant ses bras autour du cou du petit homme noir.

– Jeunesse, jeunesse! murmura celui-ci en accompagnant ces deux mots du même rire dont eût ricané sa tête de mort si elle eût été de grandeur naturelle.

– Allons! allons! répétait Hoffmann.

– Mais il vous faut une boîte à couleurs, des pinceaux, une toile.

– J'ai tout cela chez moi, allons!

– Allons! dit le docteur. Et tous deux sortirent de l'estaminet.

CHAPITRE XIII
Le portrait

En sortant de l'estaminet, Hoffmann fit un mouvement pour appeler un fiacre; mais le docteur frappa ses mains sèches l'une contre l'autre, et à ce bruit, pareil à celui qu'eussent fait deux mains de squelette, une voiture tendue de noir, attelée de deux chevaux noirs, et conduite par un cocher tout vêtu de noir, accourut. Où stationnait-elle? d'où était-elle sortie? C'eût été aussi difficile à Hoffmann de le dire qu'il eût été difficile à Cendrillon de dire d'où venait le char dans lequel elle se rendait au bal du prince Mirliflore.

Un petit groom, non seulement noir d'habits, mais de peau, ouvrit la portière. Hoffmann et le docteur y montèrent, s'assirent l'un à côté de l'autre, et tout aussitôt la voiture se mit à rouler sans bruit vers l'hôtellerie d'Hoffmann.

Arrivé à la porte, Hoffmann hésita pour savoir s'il monterait chez lui; il lui semblait qu'aussitôt qu'il allait avoir le dos tourné, la voiture, les chevaux, le docteur et ses deux domestiques allaient disparaître comme ils étaient apparus. Mais à quoi bon, docteur, chevaux, voiture et domestiques se fussent-ils dérangés pour conduire Hoffmann de l'estaminet de la rue de la Monnaie au quai aux Fleurs? Ce dérangement n'avait pas de but.

Hoffmann, rassuré par le simple sentiment de la logique, descendit donc de la voiture, entra dans l'hôtellerie, monta vivement l'escalier, se précipita dans sa chambre, y prit palette, pinceaux, boîte à couleurs, choisit la plus grande de ses toiles, et redescendit du même pas qu'il était monté.

La voiture était toujours à la porte.

Pinceaux, palette et boîte à couleurs furent mis dans l'intérieur du carrosse: le groom fut chargé de porter la toile.

Puis la voiture se mit à rouler avec la même rapidité et le même silence.

Au bout de dix minutes, elle s'arrêta en face d'un charmant petit hôtel situé rue de Hanovre, 15.

Hoffmann remarqua la rue et le numéro, afin, le cas échéant, de pouvoir revenir sans l'aide du docteur.

La porte s'ouvrit: le docteur était connu sans doute, car le concierge ne lui demanda pas même où il allait; Hoffmann suivit le docteur avec ses pinceaux, sa boîte à couleurs, sa palette, sa toile, et passa par-dessus le marché.

On monta au premier, et l'on entra dans une antichambre qu'on eût pu croire le vestibule de la maison du poète à Pompéia.

On s'en souvient, à cette époque la mode était grecque; l'antichambre d'Arsène était peinte à fresque, ornée de candélabres et de statues de bronze.

De l'antichambre, le docteur et Hoffmann passèrent dans le salon.

Le salon était grec comme l'antichambre, tendu avec du drap de Sedan à soixante-dix francs l'aune; le tapis seul coûtait six mille livres; le docteur fit remarquer ce tapis à Hoffmann; il représentait la bataille d'Arbelles copiée sur la fameuse mosaïque de Pompéia.

Hoffmann, ébloui de ce luxe inouï, ne comprenait pas que l'on fit de pareils tapis pour marcher dessus.

Du salon, on passa dans le boudoir; le boudoir était tendu de cachemire. Au fond, dans un encadrement, était un lit bas faisant canapé, pareil à celui sur lequel M. Guérin coucha depuis Didon écoutant les aventures d'Énéas. C'était là qu'Arsène avait donné l'ordre de faire attendre.

– Maintenant, jeune homme, dit le docteur, vous voilà introduit, c'est à vous de vous conduire d'une façon convenable. Il va sans dire que si l'amant en titre vous surprenait ici, vous seriez un homme perdu.

– Oh! s'écria Hoffmann, que je la revoie, que je la revoie seulement, et…

La parole s'éteignit sur les lèvres d'Hoffmann; il resta les yeux fixés, les bras étendus, la poitrine haletante.

Une porte cachée dans la boiserie venait de s'ouvrir, et, derrière une glace tournante, apparaissait Arsène, véritable divinité du temple dans lequel elle daignait se faire visible à son adorateur.

C'était le costume d'Aspasie dans tout son luxe antique, avec ses perles dans les cheveux, son manteau de pourpre brodé d'or, sa longue robe blanche maintenue à la taille par une simple ceinture de perles, des bagues aux pieds et aux mains, et, au milieu de tout cela, cet étrange ornement qui semblait inséparable de sa personne, ce collier de velours, large de quatre lignes à peine, et retenu par la lugubre agrafe de diamants.

 

– Ah! c'est vous, citoyen, qui vous chargez de me faire mon portrait? dit Arsène.

– Oui, balbutia Hoffmann; oui, madame, et le docteur a bien voulu se charger de répondre de moi.

Hoffmann chercha autour de lui comme pour demander un appui au docteur, mais le docteur avait disparu.

– Eh bien! s'écria Hoffmann tout troublé; eh bien!

– Que cherchez-vous, que demandez-vous, citoyen?

– Mais, madame, je cherche, je demande… je demande le docteur, la personne enfin qui m'a introduit ici.

– Qu'avez-vous besoin de votre interlocuteur, dit Arsène, puisque vous voilà introduit?

– Mais, cependant, le docteur, le docteur? fit Hoffmann.

– Allons! dit avec impatience Arsène, n'allez-vous pas perdre le temps à le chercher? Le docteur est à ses affaires, occupons-nous des nôtres.

– Madame, je suis à vos ordres, dit Hoffmann tout tremblant.

– Voyons, vous consentez donc à faire mon portrait?

– C'est-à-dire que je suis l'homme le plus heureux du monde d'avoir été choisi pour une telle faveur; seulement je n'ai qu'une crainte.

– Bon! vous allez faire de la modestie. Eh bien! si vous ne réussissez pas, j'essayerai un autre. Il veut avoir un portrait de moi. J'ai vu que vous me regardiez en homme qui devait garder ma ressemblance dans votre mémoire, et je vous ai donné la préférence.

– Merci, merci cent fois! s'écria Hoffmann dévorant Arsène des yeux. Oh! oui, oui, j'ai gardé votre ressemblance dans ma mémoire: là, là, là.

Et il appuya sa main sur son cœur.

Tout à coup il chancela et pâlit.

– Qu'avez-vous? demanda Arsène d'un petit air tout dégagé.

– Rien, répondit Hoffmann, rien; commençons.

En mettant sa main sur son cœur, il avait senti entre sa poitrine et sa chemise le médaillon d'Antonia.

– Commençons, poursuivit Arsène. C'est bien aisé à dire. D'abord, ce n'est point sous ce costume qu'il veut que je me fasse peindre.

Ce mot il, qui était déjà revenu deux fois, passait à travers le cœur d'Hoffmann comme eût fait une de ces aiguilles d'or qui soutenaient la coiffure de la moderne Aspasie.

– Et comment donc alors veut-il que vous vous fassiez peindre? demanda Hoffmann avec une amertume sensible.

– En Érigone.

– À merveille! La coiffure de pampre vous ira à merveille.

– Vous croyez? fit Arsène en minaudant. Mais je crois que la peau de panthère ne m'enlaidira pas non plus.

Et elle frappa sur un timbre.

Une femme de chambre entra.

– Eucharis, dit Arsène, apportez le thyrse, les pampres et la peau de tigre.

Puis, tirant les deux ou trois épingles qui soutenaient sa coiffure, et, secouant la tête, Arsène s'enveloppa d'un flot de cheveux noirs qui tomba en cascade sur son épaule, rebondit sur ses hanches, et s'épandit, épais et onduleux, jusque sur le tapis.

Hoffmann jeta un cri d'admiration.

– Hein! qu'y a-t-il? demanda Arsène.

– Il y a, s'écria Hoffmann, il y a que je n'ai jamais vu pareils cheveux.

– Aussi veut-il que j'en tire parti, c'est pour cela que nous avons choisi le costume d'Érigone, qui me permet de poser les cheveux épars.

Cette fois le il et le nous avaient frappé le cœur d'Hoffmann de deux coups au lieu d'un.

Pendant ce temps, Melle Eucharis avait apporté les raisins, le thyrse et la peau de tigre.

– Est-ce tout ce dont nous avons besoin? demanda Arsène.

– Oui, oui, je crois, balbutia Hoffmann.

– C'est bien, laissez-nous seuls, et ne rentrez que si je vous sonne.

Mlle Eucharis sortit et referma la porte derrière elle.

– Maintenant, citoyen, dit Arsène, aidez-moi un peu à poser cette coiffure; cela vous regarde. Je me fie beaucoup, pour m'embellir, à la fantaisie du peintre.

– Et vous avez raison! s'écria Hoffmann. Mon Dieu! mon Dieu! que vous allez être belle!

Et, saisissant la branche de pampre, il la tordit autour de la tête d'Arsène avec cet art du peintre qui donne à chaque chose une valeur et un reflet; puis il prit, tout frissonnant d'abord, et du bout des doigts, ces longs cheveux parfumés, en fit jouer le mobile ébène, parmi les grains de topaze, parmi les feuilles d'émeraudes et de rubis de la vigne d'automne; et, comme il l'avait promis, sous sa main, main de poète, de peintre et d'amant, la danseuse s'embellit de telle façon, qu'en se regardant dans la glace elle jeta un cri de joie et d'orgueil.

– Oh! vous avez raison, dit Arsène, oui, je suis belle, bien belle. Maintenant, continuons.

– Quoi? que continuons-nous? demanda Hoffmann.

– Eh bien! mais ma toilette de bacchante?

Hoffmann commençait à comprendre.

– Mon Dieu! murmura-t-il, mon Dieu!

Arsène détacha en souriant son manteau de pourpre, qui demeura retenu par une seule épingle, à laquelle elle essaya vainement d'atteindre.

– Mais aidez-moi donc! dit-elle avec impatience, ou faut-il que je rappelle Eucharis?

– Non, non! s'écria Hoffmann.

Et s'élançant vers Arsène, il enleva l'épingle rebelle: le manteau tomba aux pieds de la belle Grecque.

– Là! dit le jeune homme en respirant.

– Oh! dit Arsène, croyez-vous donc que cette peau de tigre fasse bien sur cette longue robe de mousseline? moi je ne crois pas; d'ailleurs il veut une vraie bacchante, non pas comme on les voit au théâtre, mais comme elles sont dans les tableaux des Carrache et de l'Albane.

– Mais, dans les tableaux des Carrache et de l'Albane, s'écria Hoffmann, les bacchantes sont nues!

– Eh bien, il me veut ainsi, à part la peau de tigre que vous draperez comme vous voudrez, cela vous regarde.

La demande avait été faite d'un ton si calme et si froid, qu'Hoffmann se renversa en arrière, en appuyant les deux mains sur son front.

– Rien, rien, balbutia-t-il; pardonnez-moi, je deviens fou.

– Oui, en effet, dit-elle.

– Voyons, s'écria Hoffmann, pourquoi m'avez-vous fait venir? dites, dites!

– Mais pour que vous fassiez mon portrait, pas pour autre chose.

– Oh! c'est bien, dit Hoffmann, oui, vous avez raison; pour faire votre portrait, pas pour autre chose.

Et, imprimant une profonde secousse à sa volonté, Hoffmann posa sa toile sur le chevalet, prit sa palette, ses pinceaux, et commença d'esquisser l'enivrant tableau qu'il avait sous les yeux.

Mais l'artiste avait trop présumé de ses forces: lorsqu'il vit le voluptueux modèle posant, non seulement dans son ardente réalité, mais encore reproduit par les mille glaces du boudoir; quand, au lieu d'une Érigone, il se trouva au milieu de dix bacchantes; lorsqu'il vit chaque miroir répéter ce sourire enivrant, reproduire les ondulations de cette poitrine que l'ongle d'or de la panthère ne couvrait qu'à moitié, il sentit qu'on demandait de lui au-delà des forces humaines, et, jetant palette et pinceaux, il s'élança vers la belle bacchante, et appuya sur son épaule un baiser où il y avait autant de rage que d'amour.

Mais, au même instant, la porte s'ouvrit, et la nymphe Eucharis se précipita dans le boudoir en criant:

– Lui! lui! lui!

Et, en disant ces mots, elle avait dénoué le ruban de sa taille et ouvert l'agrafe de son col, de sorte que la robe glissait le long de son beau corps, qu'elle laissait nu, au fur et à mesure qu'elle descendait des épaules aux pieds.

– Oh! dit Hoffmann, tombant à genoux, ce n'est pas une mortelle, c'est une déesse.

Arsène poussa du pied le manteau de la robe.

Puis, prenant la peau de tigre:

– Voyons, dit-elle, que faisons-nous de cela? Mais aidez-moi donc, citoyen peintre, je n'ai pas l'habitude de m'habiller seule.

La naïve danseuse appelait cela s'habiller.

Hoffmann approcha chancelant, ivre, ébloui, prit la peau de tigre, agrafa ses ongles d'or sur l'épaule de la bacchante, la fit asseoir ou plutôt coucher sur le lit de cachemire rouge, où elle eût semblé une statue de marbre de Paros si sa respiration n'eût soulevé son sein, si le sourire n'eût entrouvert ses lèvres.

– Suis-je bien ainsi? demanda-t-elle en arrondissant son bras au-dessous de sa tête et en prenant une grappe de raisins qu'elle parut presser sur ses lèvres.