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HEURES DE PRISON

Un livre me tombe sous la main, qui réveille en moi de vieux souvenirs, un livre comme ceux de Pélisson, de Latude, du baron de Trenck, de Silvio Pellico et d'Andriane.

Celle qui l'a écrit n'est plus qu'un cadavre froid et insensible; le coeur qui a battu sous tant de douloureuses impressions s'est arrêté; l'âme qui a jeté de si lamentables cris est remontée au ciel.

Marie Capelle était-elle coupable ou non? Ceci est maintenant une affaire entre ses juges et Dieu. Elle disait obstinément, éternellement: Non! La loi a dit une seule fois: Oui, et cette seule affirmation l'a emporté sur toutes ses dénégations.

Nous l'avons connue enfant, parée de la double robe virginale, de la jeunesse et de l'innocence. Si notre conscience avait à prendre un parti, peut-être, comme la loi, dirait-elle: Oui; si notre coeur et notre imagination avaient à absoudre ou à condamner, peut-être, comme la victime, diraient-ils: Non.

En tout cas, coupable ou innocente, Marie Capelle est morte; elle a pour elle aujourd'hui l'expiation du cachot, la réhabilitation de la tombe. Recueillons donc les larmes qui, pendant onze ans, sont tombées goutte à goutte de ses yeux. Que ce soit le remords, l'injustice ou le désespoir qui les ait fait couler, celle qui les versait, pécheresse ou martyre, est maintenant à la droite du Seigneur; ses larmes sont pures comme le liquide cristal qui sort du rocher.

Aussi accorderons-nous au livre un peu plus d'espace, à la prisonnière un peu plus de temps que d'autres ne leur en ont accordé. Ni la prisonnière ni le livre ne nous sont étrangers. J'étais lié au grand-père de Marie Capelle, mon tuteur; je suis lié à sa mère par les liens de la famille: Antonine, sa soeur, a épousé un de mes parents.

On me dit que sa famille, qui l'avait abandonnée avant son mariage, l'a reniée après son crime. – Remarquez que je parle au point de vue de la loi, et que je la tiens coupable, du moment que le jury a dit qu'elle l'était.

Mais, de mon côté, il n'en a pas été ainsi: au moment du procès, j'ai fait ce que j'ai pu pour la sauver; condamnée et captive, j'ai fait ce que j'ai pu pour la faire sortir de prison.

En 1848, j'étais près d'obtenir du roi Louis-Philippe, qui, aux yeux de la nature, lui était plus proche parent que moi, la grâce de Marie Capelle. J'avais parole du ministre de la justice qu'elle passerait de la prison de Montpellier dans une maison de santé, et, de la maison de santé, à l'air libre. Pauvre hirondelle, comme elle eût secoué ses ailes en deuil! comme elle eût chanté son plus joyeux chant!

Maintenant, pourquoi, en 1847 et 1848, avais-je redoublé d'efforts pour rendre la liberté à la pauvre prisonnière? d'où vient que je m'étais exposé à toutes les avanies auxquelles s'expose un solliciteur, moi qui redoute tellement les avanies, que je n'ai jamais rien sollicité pour moi?

Je vais vous le dire.

Au mois de décembre 1846, je voyageais en Afrique avec mon fils, Auguste Maquet, Louis Boulanger, Giraud et Desbarolles. Nous avions quitté, cinq ou six heures auparavant, ce nid d'aigle qu'on appelle Constantine, et nous étions forcés de faire halte et de passer la nuit au camp de Smendou.

Le camp de Smendou avait des murailles, mais n'avait point de maisons.

On avait dû songer à se défendre avant de songer à se loger.

Je me trompe: il y avait une grande barraque en bois qui portait le nom pompeux d'auberge, et une petite maison en pierre modelée en miniature sur le fameux hôtel de Nantes, qui est resté si longtemps debout et isolé sur la place du Carrousel, laquelle maison était habitée par le payeur du régiment en garnison au camp de Smendou.

C'est remarquable comme il fait froid en Afrique! c'était à croire que le soleil, roi des Saharas, avait abdiqué, et faisait faire son intérim par Saturne ou par Mercure. Il avait plu, et gelé par-dessus la pluie; de sorte que nous arrivions au terme de notre étape tout mouillés et tout transis.

Nous entrâmes à l'auberge et nous nous pressâmes autour du poêle, tout en commandant le souper.

Il faisait une bise atroce, et cette bise passait par les planches gercées, de manière à nous faire craindre d'être obligés de souper sans chandelle. Smendou, en 1846, n'en était pas arrivé encore à ce degré de civilisation, de se servir de lampes ou de bougies.

Je demandai deux hommes de bonne volonté pour se mettre en quête d'une chambre, tandis que je veillerais sur le souper.

Quoiqu'on mangeât mieux qu'en Espagne, cela ne voulait pas dire que l'on mangeât agréablement et abondamment.

Giraud et Desbarolles se dévouèrent. Ils prirent une lanterne: tenter de parcourir les corridors avec une chandelle, c'était une entreprise insensée qui ne se présenta même point à leur esprit.

Au bout de dix minutes, les intrépides explorateurs revinrent; ils rapportaient cette nouvelle, qu'ils avaient trouvé une espèce de galetas par les interstices duquel le vent pénétrait de tous les côtés. Le seul avantage que présentait une nuit passée là sur une nuit passée à la belle étoile, c'est qu'on avait chance d'y attraper des coups d'air.

Nous écoutions mélancoliquement le récit de Giraud et de Desbarolles, – je dis de Giraud et de Desbarolles, parce que nous espérions toujours, en les interrogeant l'un après l'autre, apprendre de celui qui s'était tu quelque chose de mieux que de celui qui avait parlé; – mais ils avaient beau alterner, comme Mélibée et Damétas, leur chant était d'une effroyable monotonie et d'une lamentable uniformité.

Tout à coup, notre hôte, après avoir échangé quelques paroles avec un soldat, vint à moi, me demanda si je ne m'appelais pas M. Alexandre Dumas, et, sur ma réponse affirmative, me présenta les compliments de l'officier payeur, lequel le chargeait de m'offrir l'hospitalité dans le rez-de-chaussée de la petite maison en pierre sur laquelle, dès notre arrivée et en la comparant à la barraque en bois, nous avions tourné des regards d'envie.

L'offre était donc on ne peut plus opportune. Seulement, je demandai s'il y avait des lits pour six personnes, ou, tout au moins, si le rez-de-chaussée était assez grand pour nous contenir tous. Le rez-de-chaussée avait douze pieds carrés et ne contenait qu'un lit.

J'envoyai tous mes compliments à l'obligeant officier; mais, du moment qu'il n'y avait qu'un lit, je priai notre hôte de lui dire que je ne pouvais accepter.

C'était du dévouement; mais ce dévouement fut repoussé par ceux en faveur de qui il se produisait. Mes compagnons de voyage s'écrièrent d'une seule voix qu'ils n'en seraient pas mieux parce que je serais plus mal, et ils insistèrent en choeur pour que j'acceptasse l'offre qui m'était faite.

La logique de ce raisonnement me touchant d'un côté, le démon du bien-être me sollicitant de l'autre, j'étais tout près d'accepter, quand j'objectai un dernier scrupule.

Je privais l'officier payeur de son lit.

Mais mon hôte semblait avoir une carte d'arguments comme il avait une carte de mets; seulement, la première était mieux fournie que la seconde. Il me répondit que l'officier avait déjà fait dresser un lit de sangle au premier, et qu'au lieu de le priver de quoi que ce fût, je lui faisais, au contraire, le plus grand plaisir en acceptant.

Résister plus longtemps à une offre faite avec tant de cordialité eût été chose ridicule. J'acceptai donc; seulement, je mis pour condition que j'aurais l'honneur de lui présenter mes remercîments.

Mais l'ambassadeur me répondit que l'officier payeur était rentré très-fatigué, qu'il s'était immédiatement couché sur son lit de sangle, en priant que l'on me transmît son offre.

Dès lors, je ne pouvais plus le remercier qu'en le réveillant, ce qui faisait de ma politesse quelque chose qui ressemblait fort à une indiscrétion.

Je n'insistai donc pas davantage, et, le souper fini, je me fis conduire au rez-de-chaussée qui m'était destiné.

La pluie tombait à torrents, et un vent aigu sifflait à travers quelques arbres dépouillés de leurs feuilles, la barraque de l'aubergiste, la maison du payeur et les tentes des soldats.

J'avoue que je fus agréablement surpris à la vue de mon logement. C'était une jolie petite cellule, parquetée en sapin, où l'on avait poussé la recherche jusqu'à couvrir les murs d'un papier. Cette petite chambre, toute simple qu'elle était, s'offrait à moi avec un parfum de propreté aristocratique.

Les draps étaient d'une blancheur éclatante et d'une finesse remarquable; une commode, aux tiroirs ouverts, laissait voir, dans l'un, une élégante robe de chambre, dans l'autre, des chemises blanches et de couleur.

Il était évident que mon hôte avait prévu le cas où je désirerais changer de linge, sans prendre la peine d'ouvrir mes malles.

Tout cela avait un caractère de courtoisie presque chevaleresque.

Il y avait bon feu dans la cheminée. Je m'en approchai.

Sur la cheminée, il y avait un livre. Je l'ouvris.

Ce livre était l'Imitation de Jésus-Christ.

Sur la première page du livre saint étaient écrits ces mots:

Donné par mon excellente amie la marquise de…

Le nom venait d'être raturé il n'y avait pas dix minutes, et de façon à le rendre illisible.

Étrange chose!

Je levai la tête pour regarder autour de moi, doutant que je fusse en

Afrique, dans la province de Constantine, an camp de Smendou.

Mes yeux s'arrêtèrent sur un petit portrait au daguerréotype.

Ce portrait représentait une femme de vingt-six à vingt-huit ans, accoudée à une fenêtre et regardant le ciel à travers les barreaux d'une prison.

La chose devenait de plus en plus étrange; plus je regardais cette femme, plus j'étais convaincu que je la connaissais.

Seulement, cette ressemblance, qui ne m'était pas étrangère, flottait dans les vagues horizons d'un passé déjà lointain.

 

Quelle pouvait être cette femme prisonnière? à quelle époque était-elle entrée dans ma vie? de quelle façon s'y était-elle mêlée? quelle part y avait-elle prise, superficielle ou importante? Voilà ce qu'il m'était impossible de préciser.

Cependant, plus je regardais le portrait, plus je demeurais convaincu que je connaissais ou que j'avais connu cette femme.

Mais la mémoire a parfois de singuliers entêtements: la mienne s'ouvrait parfois sur des échappées de ma jeunesse, mais presque aussitôt une épaisse brume envahissait le paysage, brouillant et confondant tous les objets.

Je passai plus d'une heure la tête appuyée dans ma main; pendant cette heure, tous les fantômes de mes vingt premières années, évoqués par ma volonté, reparurent devant moi: les uns rayonnants comme si je les avais vus la veille; les autres dans la demi-teinte; les autres, pareils à des ombres voilées.

La femme du portrait était parmi ces derniers; mais j'avais beau étendre la main, je ne pouvais soulever son voile.

Je me couchai et m'endormis, espérant que mon sommeil serait plus lumineux que ma veille.

Je me trompais.

Je fus réveillé à cinq heures par mon hôte, qui frappait à ma porte, et qui m'appelait.

Je reconnus sa voix.

J'allai ouvrir, et je le priai de demander pour moi, au propriétaire de la chambre, au propriétaire du livre, au propriétaire du portrait, la permission de lui présenter mes remercîments. En le voyant, peut-être tout ce mystère, qui m'eût semblé un rêve si les objets qui occupaient ma pensée n'eussent point été sous mes yeux; en le voyant, dis-je, peut-être tout ce mystère me serait-il expliqué. En tout cas, si la vue ne suffisait pas, il me restait la parole; et, au risque d'être indiscret, j'étais résolu à interroger.

Mais c'était un parti pris: mon hôte me répondit que l'officier payeur était parti depuis quatre heures du matin, exprimant le regret de partir si tôt, ce qui le privait du plaisir de me voir.

Cette fois, il était évident qu'il me fuyait.

Quelle raison avait-il de me fuir?

C'était plus difficile encore à établir que l'identité de cette femme, au portrait de laquelle je revenais sans cesse. J'en pris mon parti et je tâchai d'oublier.

Mais n'oublie pas qui veut. Mes compagnons de voyage me trouvèrent, sinon tout soucieux, du moins tout pensif; ils me demandèrent la cause de ma préoccupation.

Je leur racontai cette contre-partie du voyage de M. de Maistre autour de sa chambre.

Puis nous remontâmes en diligence, et nous dîmes adieu, probablement pour toujours, au camp de Smendou.

Au bout d'une heure de marche, une côte assez roide se dressa sur notre chemin; la diligence s'arrêta, le conducteur nous faisant cette galanterie, à laquelle ses chevaux étaient encore plus sensibles que nous, de nous offrir de descendre.

Nous acceptâmes ce délassement. La pluie de la veille avait cessé, et un pâle rayon de soleil filtrait entre deux nuages.

Au milieu de la montée, le conducteur de la diligence s'approcha de moi d'un air mystérieux.

Je le regardai d'un air étonné.

– Monsieur, me dit-il, savez-vous le nom de l'officier qui vous a prêté sa chambre?

– Non, lui répondis-je, et, si vous le savez, vous me feriez grand plaisir de me l'apprendre.

– Eh bien, il se nomme M. Collard.

– Collard! m'écriai-je; et pourquoi ne m'avez-vous pas dit ce nom-là plus tôt?

– Il m'avait fait promettre de ne vous le dire que lorsque nous serions à une lieue de Smendou.

– Collard! répétais-je comme un homme à qui l'on ôte un bandeau de devant les yeux. – Ah! oui, Collard.

Ce nom m'expliquait tout.

Cette femme qui regardait le ciel à travers les barreaux de sa prison, cette femme, dont ma mémoire avait gardé une image indécise, c'était Marie Capelle, c'était madame Lafarge.

Je ne connaissais qu'un Collard, Maurice Collard, avec qui j'avais, aux jours de notre jeunesse, couru tant de fois, insoucieux, dans les allées ombreuses du parc de Villers-Hellon. Pour moi, cet homme retiré du monde, réfugié dans un désert, payeur d'un régiment, ne pouvait être que celui que j'avais connu, c'est-à-dire l'oncle de Marie Capelle.

De là le portrait de la prisonnière sur la cheminée. La parenté expliquait tout.

Maurice Collard! Mais pourquoi donc s'était-il privé de ce sympathique serrement de main qui nous eût rajeunis tous deux de trente années?

Par quel sentiment de honte mal entendue s'était-il si obstinément dérobé à mes yeux, aux yeux d'un compagnon de son enfance?

Oh! sans doute, de peur que mon orgueil ne lui fît an reproche d'être le parent et l'ami d'une femme dont j'avais été moi-même l'ami et qui était presque ma parente.

Que tu connaissais mal mon coeur, pauvre coeur saignant, et comme je t'en voulais de ce doute désespéré!

J'avais éprouvé peu de sensations aussi navrantes que celle qui, en ce moment, m'inonda le coeur de tristesse.

Je voulais retourner à Smendou; je l'eusse fait si j'eusse été seul; mais, en faisant cela, j'imposais deux jours de retard à mes compagnons.

Je me contentai de déchirer une page de mon album, et d'écrire au crayon;

« Cher Maurice,

» Quelle folle et désolante idée t'a donc passé par l'esprit au moment où, au lieu de venir te jeter dans mes bras, comme dans ceux d'un ami qu'on n'a pas vu depuis vingt ans, tu t'es caché, au contraire, pour que je ne te rencontrasse point? Si ce que je crois est vrai, c'est-à-dire que ta douleur vienne de l'irréparable malheur qui nous a frappés tous, par qui pouvais-tu être consolé si ce n'est par moi, qui veux croire à l'innocence de la pauvre prisonnière, dont j'ai trouvé le portrait suspendu à ta cheminée?

» Adieu! je m'éloigne de toi, le coeur gros de toutes les larmes enfermées dans le tien.

» Alex. DUMAS. »

En ce moment, deux soldats passaient; je leur remis mon billet à l'adresse de Maurice Collard, et ils me promirent qu'il l'aurait dans une heure.

Quant à moi, arrivé au sommet de la montée, je me retournai, et je vis une dernière fois, dans le lointain, le camp de Smendou, tache sombre, étendue sur la rouge verdure du sol africain.

Je fis de la main un signe d'adieu à l'hospitalière maison, qui s'élevait, pareille à une tour, et de la fenêtre de laquelle l'exilé suivait peut-être notre marche vers la France.

Trois mois après mon retour à Paris, je reçus par la poste un paquet au timbre de Montpellier.

Je brisai l'enveloppe: elle contenait un manuscrit d'une petite écriture, fine, régulière, dessinée plutôt qu'écrite; plus, une lettre d'une écriture ardente, fiévreuse, pressée, arrachée, comme par secousses et comme dans des accès de Jélire à la plume qui l'avait tracée.

La lettre était signée: « Marie Capelle. »

Je tressaillis. Je n'avais pas complétement oublié la douloureuse aventure du camp de Smendou. Sans doute, cette lettre de la pauvre prisonnière était le complément, la postface, l'épilogue de cette aventure.

Voici ce que contenait la lettre. Après la lettre viendra le manuscrit.

« Monsieur,

» Une lettre que je reçois de mon cousin Eugène Collard, – car c'est mon cousin Eugène Collard (de Montpellier), et non mon oncle Maurice Collard (de Villers-Hellon), qui a eu le plaisir de vous donner l'hospitalité au camp de Smendou, – m'apprend toute la sympathie que vous lui avez témoignée pour moi.

» Et cependant, cette sympathie est incomplète, car il vous reste un doute sur moi. Vous voulez croire à mon innocence, dites-vous?.. Ô Dumas! vous qui m'avez connue tout enfant, vous qui m'avez vue dans les bras de ma digne mère, sur les genoux de mon bon grand-père, pouvez-vous supposer que cette petite Marie à la robe blanche, à la ceinture bleue, que vous avez rencontrée un jour cueillant des pâquerettes dans les prés de Corcy, ait commis le crime abominable dont elle était accusée? car, de ce honteux vol de diamants, je ne vous en parle même pas. Vous voulez croire, dites-vous?.. Ô mon ami, vous qui pouvez être mon sauveur, si vous le voulez; vous qui, avec votre voix européenne; vous qui, avec votre plume puissante, pourriez faire pour moi ce que Voltaire a fait pour Calas, croyez, je vous en supplie, croyez, par l'âme de tous ceux que vous avez connus et qui vous aimaient comme un enfant ou comme un frère, par la tombe de mes vieux parents, par celle de mon père et de ma mère, je vous jure, mon ami, les bras étendus vers vous, à travers les barreaux de ma prison, je vous jure que je suis innocente!

» Pourquoi donc Collard ne vous a-t-il pas, ou pourquoi ne s'est-il pas, en vous parlant, assuré de votre opinion sur la pauvre prisonnière qui tremble en vous écrivant? Ah! lui, sait que je ne suis pas coupable; lui, si vous doutiez encore, vous eût convaincu. Oh! si je pouvais vous voir, si jamais vous passiez à Montpellier, – car, que vous y veniez exprès, je n'ai point cet espoir, – je suis bien sûre qu'en voyant mes larmes, en entendant mes sanglots, en sentant mes mains brûlantes de fièvre, d'insomnie, de désespoir, prendre vos mains, je suis sûre que vous diriez, comme tous ceux qui me voient, comme tous ceux qui me connaissent: « Non! oh! non, Marie Capelle n'est point coupable! »

» Vous rappelez-vous, dites, que nous avons dîné ensemble chez ma tante Garat, deux ou trois mois avant ce malheureux mariage? Il n'en était point question encore. Oh! j'étais bien heureuse alors! heureuse comparativement; car, depuis la mort de mon cher grand-père, je n'ai jamais été heureuse.

» Eh bien, Dumas, rappelez-vous l'enfant, rappelez-vous la jeune fille; la prisonnière est aussi innocente que l'enfant et que la jeune fille; seulement, elle est plus digne de pitié, car elle est martyre.

» Mais écoutez bien une chose dont je ne vous ai point encore parlé et dont il faut que je vous parle. Ce qui me désespère, ce qui m'étendra bientôt morte dans une des étroites cellules de la mort ou dans une des cellules horribles de la folie, c'est l'inutilité de l'existence, c'est le doute de moi-même, c'est tour à tour ma confiance dans ma force et ma méfiance dans les moyens de la révéler. « Travaillez, » me dit-on. Oui; mais la publicité est aussi nécessaire aux germes de l'esprit que le soleil à ceux des moissons. Suis-je ou ne suis-je pas? Pauvre Hamlet, qui met en doute la justice humaine! Est-ce ma vanité qui m'égare dans des sentiers qui ne devaient pas être les miens? N'est-ce pas seulement dans le coeur de mes amis que j'ai de l'esprit et du talent? Tantôt je me surprends faible, hésitante, variable, femme enfin comme personne ne l'est, et je m'assigne ma place au coin du feu; je rêve des joies douces et pâles, j'emprisonne dans mon coeur seul la flamme que je sens si souvent monter à mon front; je caresse le rêve de devoirs si charmants et si ombragés par la solitude, que nul être humain ne pourrait m'y venir chercher pour m'y faire ressouvenir du passé. Tantôt c'est ma tête qui a la fièvre; mon âme semble se presser aux parois de mon cerveau pour l'élargir; mes pensées ont une voix: les unes chantent, les autres prient, les autres se lamentent; mes yeux mêmes semblent regarder en dedans. Je me comprends à peine moi-même, et cependant, grâce à l'état d'exaltation dans lequel je suis, je comprends tout, le jour, la nature, Dieu. Si je veux m'occuper des soins de la vie, si je veux lire, par exemple, eh bien, je suis obligée d'achever les pensées du livre qui me paraissent incomplètes. Je les mène avec mon imagination ou mon coeur pour guide, je ne sais pas bien lequel, une étape plus haut que l'auteur ne les a conduites. Les mots, ceux-là mêmes qui n'ont que des significations vulgaires aux yeux des autres, m'ouvrent, à moi, des horizons sans bornes qui se creusent, s'allument et m'attirent invinciblement dans leurs lumineuses voies. Je me souviens de choses que je n'ai jamais vues, mais qui, peut-être, se sont passées dans un autre monde, dans une vie antérieure. Je suis comme un étranger qui, ouvrant un livre d'idiome inconnu, y trouverait la traduction de ses propres oeuvres, et qui continuerait à lire ainsi en lui-même, non pas la forme, mais l'âme, mais la pensée, mais le secret de ces caractères étranges qui restent des hiéroglyphes indéchiffrables à ses yeux.

» Si, au lieu de lire, je veux travailler à quelque ouvrage de femme, mon aiguille tremble dans ma main, comme si c'était une plume aux mains d'un grand écrivain ou un pinceau aux mains d'un grand peintre. Artiste jusqu'au fond de l'âme, il me semble alors que je mettrais de l'art jusque dans un ourlet.

» Enfin, si, au lieu de coudre et de lire, je continue à rêver, si je m'abîme dans une contemplation qui s'élève jusqu'à l'extase, alors ma fièvre devient plus intense et se ravive, et ma pensée escalade les étoiles.

 

» Maintenant, comment décider, – tirez-moi de mon doute, Dumas, – comment décider lequel de tous ces états est celui auquel Dieu m'a destinée? Comment savoir si ma vocation est la faiblesse ou la force? Comment choisir entre la femme de la nuit et celle du jour, entre l'ouvrière de midi ou la rêveuse de minuit, entre l'indolente que vous aimez et la courageuse que vous avez bien voulu quelquefois louer et admirer? Ah! mon cher Dumas, ce doute de moi est le plus cruel des doutes! J'ai besoin d'encouragement et de critique; j'ai besoin que l'on choisisse pour moi entre l'aiguille et la plume; rien ne me coûterait pour arriver au but si je me sentais des aides. Mais la médiocrité me fait horreur, et, s'il n'y a en moi qu'une femme, je veux brûler de vains jouets, et borner mon ambition à rester bien aimée et à savoir moi-même sublimement aimer. Le médiocre dans les lettres, mon Dieu! c'est la roideur plate et vulgaire, c'est le corps sans l'âme, c'est l'huile qui tache quand elle n'éclaire pas.

» La grenouille de la Fontaine nous fait pitié lorsqu'elle crève d'orgueil en voulant imiter le boeuf; peut-être nous ferait-elle envie coassant d'aise dans son palais de nénufars ou dans sa haute futaie de roseaux.

» Le travail latent et muet auquel je suis condamnée n'a pas seulement pour danger de me tromper sur ma valeur et de m'induire peut-être dans des rêves de la moins inexcusable vanité. Si j'ai du talent, il l'énerve et m'impose encore des doutes dont la paresse fait trop amplement profit. Je fais, je défais, je refais, je rature, je gratte, je brûle à propos de rien. Il est vrai que, dans ma prison, j'en ai tout le temps; j'abandonne beaucoup et je termine avec une peine infinie. Sans doute, l'artiste doit être sévère pour son oeuvre et la mener aussi loin, vers la perfection, que ses forces le lui permettent; mais, à côté des grandes oeuvres, doivent s'exécuter à plume levée les causeries d'un jour, des études, des bagatelles enfin, travaux, ou plutôt distractions intermédiaires qui reposent des grands travaux, qui utilisent le trop plein de la pensée, qui donnent enfin un corps à nos rêves du jour, plus douloureux souvent, par le malheur, plus réels que ceux de la nuit. Autrefois, la causerie charmante des salons gaspillait ce trop plein dont je vous parle; les hommes supérieurs allaient dans le monde semer les perles inutiles de leur esprit, et chacun pouvait les ramasser, comme les courtisans de Louis XIII faisaient de celles qui ruisselaient du manteau de Buckingham. Aujourd'hui, la presse a remplacé la causerie aristocratique: c'est sur elle, c'est en elle que s'abattent les pensées venues des quatre coins de l'horizon, c'est là que fleurissent ces impressions fugitives, nées de l'événement du jour, ces souvenirs, ces larmes que le lendemain ne retrouve pas, enfin ces fantômes diaprés de la vie extérieure, si brûlants, mais si fragiles.

» Vous le voyez, Dumas, je me crois déjà libre, je me crois déjà auteur, je me crois déjà poète, je vis en liberté, j'ai de la réputation, du bonheur, et tout cela, tout cela grâce à vous.

» En attendant, laissez-moi vous envoyer quelques pensées fugitives, quelques fragments détachés, et dites-moi si la femme qui fait cela a l'espérance de vivre un jour honorablement de sa plume.

» Ami de ma mère, ayez pitié de sa pauvre fille!

» MARIE CAPELLE. »

On a lu la lettre de la prisonnière. Maintenant, on va lire les pensées que contenait le manuscrit joint à cette lettre.

SOUVENIRS ET PENSÉES D'UNE EXILÉE
ITALIE

« Italie, qui empruntes à deux mers la ceinture bleue des vagues pour voiler tes beaux flancs!

» Italie, qui, pour orner ta tête, possèdes le fier bandeau de toutes les neiges alpines!

» Terre doublée de volcans, terre revêtue de roses, je te salue, et je pleure rien qu'en pensant à toi.

» Ton ciel radieux d'étoiles, tes brises parfumées, dont une seule haleine effacerait un deuil; ton écrin de beauté, présent de la nature; ton écrin de génie, hommage de tes enfants; tes harmonies, tes joies et jusqu'à tes soupirs appartiennent aux heureux!

» Moi, je suis malheureuse, je ne te verrai plus!

» 1844. »

VILLERS-HELLON

« Bon ange gardien des jours de mon enfance, toi que ma prière, le soir, appelait vers mon berceau, bon ange, aujourd'hui ma voix t'invoque encore! Va, retourne sans moi là où je fus aimée.

»L'étang sert-il toujours de miroir aux tilleuls? Les nénufars d'or voguent-ils toujours sur les eaux à l'approche du soir? Bon ange, ta douce égide veille-t-elle toujours, près de ces rives fatales, aux jeux des petits enfants?

» Vois-tu le tronc noueux de l'aubépine rose qui fleurit la première au retour du printemps? Chère aubépine… J'atteignais ses rameaux avec le bras de mon père pour en saluer la fête de l'aïeul bien-aimé.

»Retrouves-tu les roses préférées de ma mère, les peupliers plantés le jour où je suis née? Nos noyers bordent-ils encore les chemins du village, et leur ombre voit-elle passer les pompes de Marie?

»Le temps respecte-t-il l'humble église gothique, dont l'autel est de pierre, dont le christ est d'ébène? Une autre, à ma place et en mon absence, suspend-elle en festons les bluets et les roses aux frêles arceaux du sanctuaire?

»Bon ange, parmi les fleurs, sous un rideau de saules, vois-tu la tombe où dorment mes morts tant pleurés? Leur bonté leur survit, les pauvres les visitent, et mon âme s'envole de l'exil pour y prier.

»Je vais où va la feuille que le tourbillon entraîne… Je vais où va le nuage que la tempête emporte. En deuil de ma vie, morte à l'espérance même, je ne reviendrai plus où j'ai laissé mon coeur.

» Bon ange; sème les roses sur les tombes de mes pères! donne les parfums aux fleurs qui s'effeuillent à leurs pieds! Fais que ce soit moi qui pleure, non-seulement mes larmes, mais encore celle des vies soeurs de ma vie, afin que l'on reste heureux là où je fus aimée! »

«O vous tous qui passez sur le chemin, regardez et voyez s'il est une douleur comparable à ma douleur.»

JÉRÉMIE.
AFFLICTION

«Seigneur, voyez mon affliction! Je compte avec mes larmes les jeunes heures de ma vie. Je n'attends rien au matin, et, quand, après l'ennui du jour, revient la tristesse du soir, Seigneur, je n'attends rien encore.

» Mon berceau fut béni. Je fus aimée, enfant. Jeune fllle, je vis le respect des hommes s'incliner sur mon passage. Mais la mort prit mon père, et son dernier baiser glaça le premier sourire sur mon front.

» Malheur aux orphelins!.. Étrangers sur la terre, ils savent aimer encore et ne sont plus aimés. Ils rappellent aux hommes le souvenir des morts, et les heureux les jettent dans les luttes du monde sans même les armer d'une bénédiction.

» Malheur aux orphelins!.. Les nuages s'amassent vite sur ces pauvres existences que nul ne protége, que nul ne défend. À la veille de vivre, moi, je pleurais ma vie. À la veille d'aimer, hélas! je portais déjà le deuil de mon bonheur.

» Tous ceux qui m'étaient chers ont détourné la tête; ils se sont isolés dans un superbe mépris, Quand je criais vers eux, ils m'appelaient maudite, parce que je criais du fond de l'abîme; et cependant, mon Dieu, vous le savez, vous, je n'ai point échangé ma robe d'innocence contre la ceinture d'or du péché.

» Seigneur, mes ennemis m'insultent. Dans leur triomphe, ils bravent le remords et se rient de mes pleurs! Mon Dieu, hâte pour moi le jour de la justice! Mon Dieu, daigne servir de père à l'orpheline! Mon Dieu, daigne servir de juge à l'opprimée!»

(Deuixième anniversaire.)

«Minuit, 15 juillet 1845.

» Les haleines de la nuit apportent les rêves à l'homme et la rosée aux fleurs. Dans les bois, la source murmure un cantique au sommeil. Sous les lilas, le rossignol chante, et sa voix, qui dit à la rose: Je t'aime! fait sourire l'espérance, fait pleurer le regret.

» À travers les nuages, la lune glisse et projette mille visions d'opale sur les prés. L'écho répond par un soupir au soupir qu'il écoute. La pensée se souvient, le coeur aime, l'âme prie, et les anges recueillent, pour les confier à Dieu, nos plus nobles pensées, nos plus saintes prières, nos plus chastes amours.