Za darmo

Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

LETTRE IX

Paris, 19 novembre 1694.

Il y a quinze jours, mon amie, que je ne vous ai écrit; je vous en avertis, de peur que vous ne vous en aperceviez pas. Je n'avois point reçu de vos lettres, et cela me faisoit craindre que vous ne voulussiez plus des miennes. Êtes-vous à la noce? y serez-vous bientôt? Je veux savoir ce qui vous regarde tous, parce que j'y prends un véritable intérêt. Toute la troupe de Tonnerre est revenue dans une parfaite santé. M. de Coulanges a trouvé une grande affliction à son retour; il paroît dans le monde un livre imprimé de ses chansons, et à la tête de ce livre un éloge admirable de sa personne; on dit qu'il est né pour les choses solides et pour les frivoles; on montre les preuves des dernières; il est très-touché de cette aventure, que j'ai encore aggravée par ne la pouvoir prendre sérieusement; à tout cela je réponds: Chansons, Chansons. Il est allé à Versailles, et de là à Saint-Martin; il faut espérer qu'il se consolera d'avoir fait ce livre par en faire un second, avant que sa jeunesse se passe. Vous voulez que je vous dise des nouvelles de ma santé; mon amie, elle n'est en vérité point bonne. Carette me donne tout ce qu'il veut; et j'avale ses remèdes sans confiance et sans succès; mais je crois que ce seroit encore pis de changer tous les jours de médecin; il faut prendre patience, et être bien persuadée qu'on ne meurt que quand il plaît à Dieu. Voilà des vers que l'abbé Têtu m'a priée de vous envoyer; ils sont de sa façon. Le bruit court que le marquis de Moui aura la maison de Pipaut: on dit qu'il fait habiller un de ses laquais en cerf, et qu'il le court toutes les nuits avec un cor; que vous semble de cet équipage de chasse? M. de Harlai n'est point encore de retour de ses négociations; tout le monde désire la paix, et l'espère peu. Voilà encore des vers de mademoiselle Bernard: malgré toute cette poésie, la pauvre fille n'a pas de jupe; mais il n'importe, elle a du rouge et des mouches. Adieu, ma belle amie, ne m'oubliez pas, je vous en conjure.

/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\

LETTRE X

Paris, 26 novembre 1694.

J'ai envoyé à Versailles la lettre que vous m'avez adressée pour M. de Coulanges; il y est établi depuis son retour: j'ai été bien tentée d'ouvrir cette lettre; mais la discrétion l'a emporté sur l'envie que j'ai toujours de voir ce que vous écrivez; tout devient or entre vos mains. Je suis très-obligée à M. de Grignan de se souvenir encore de moi; sa chute me met tout-à-fait en peine; et je vous prie, ma belle, de me bien mander de ses nouvelles, parce que j'y prends un très-sincère intérêt. Les vers que j'ai envoyés à la cour ont été fort bien reçus; la personne à qui ces vers s'adressoient m'écrit la plus aimable lettre du monde; vous en jugerez par son effet, puisque, sans ma mauvaise santé, qui me rend si difficile à changer de lieu, je serois partie sur-le-champ pour Versailles. J'avale sans fin des gouttes de Carette; et tout ce que je sais, c'est qu'elle ne font point de mal; il y a peu de remèdes dont on en puisse dire autant. Au reste, j'allai voir hier la maréchale d'Humières; elle demeure dans une vilaine maison, au faubourg Saint-Germain, où il n'y a place que dans la cour pour mettre son dais. La duchesse d'Humières, de son côté, occupe une autre maisonnette dans l'Isle. Si la maréchale avoit un peu de courage, en attendant mieux, elle auroit bien donné la préférence à un couvent. M. du Maine vient coucher aujourd'hui à l'Arsenal; il y doit donner à souper à toutes les dames qui l'habitent; la jeune dame de la Troche y brillera; car elle est la beauté de ce lieu. Madame de Boisfranc a la petite vérole; le fils de M. le premier président l'a aussi; enfin, tout en est rempli. Je vous ai mandé l'affliction de M. de Coulanges au sujet de ses chansons, qui ont été même assez mal choisies à l'impression; on a mis son éloge à la tête du livre. Comme il ne pouvoit plus lui arriver que ce malheur, il y a été aussi sensible que ce capitaine qui, après avoir vu mourir son fils, et perdu la bataille de sang froid, pleura seulement la mort de son esclave. Madame de Montespan est de retour ici: elle a donné un lit de quarante mille écus à M. du Maine, et trois autres encore très-magnifiques. Elle donne ses perles à madame la duchesse. Adieu, ma chère amie; dites bien des choses pour moi à toute votre belle et bonne compagnie, et sur-tout ménagez-moi bien les bonnes grâces de la charmante Pauline52.

/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\

LETTRE XI

Paris, 10 décembre 1694.

Je viens de passer encore quinze jours sans vous écrire; mais je garde mes excuses pour quand je vous écris; car mes lettres ne peuvent être que tristes et ennuyeuses; je perds tous mes amis et amies. La mort du maréchal de Bellefond53 m'a donné une véritable douleur; je suis la dernière visite qu'il ait faite; je le vis en parfaite santé, et six jours après il étoit mort: on dit que c'est d'un abcès dans le genou, et que si l'on le lui avoit percé, on lui auroit sauvé la vie; mais vous n'êtes pas la dupe de ces sortes de repentirs: il faut partir quand l'heure est venue; sa famille est dans une désolation digne de pitié; pour moi, je sens très-vivement cette perte: ajoutez à cette mort celle de mademoiselle de Lestranges, qui étoit mon amie depuis vingt-cinq ans, et vous ne serez pas surprise de la noirceur de mes pensées. Ma santé est assez mauvaise. Carette exerce son art très-inutilement sur ma personne: il me donna, il y a quelques jours, une médecine, qui me fit de très-grands maux; mais il dit, comme don Carlos: Tout est pour mon bien. J'ai des journées assez bonnes, et puis des retours de colique plus violens que jamais; je suis résolue à ne plus faire de remèdes, et à vivre avec ce mal tant qu'il plaira à Dieu. Le pis qu'il en puisse arriver, arrive sitôt même avec une bonne santé, que l'événement ne vaut pas qu'on s'en tourmente; il n'y a que les douleurs qui sont redoutables. Vous voyez, mon amie, par le récit de tous mes ennuis, quelle est ma confiance en votre amitié. Je sens cependant le plaisir de vous savoir tous dans la joie. M. l'abbé de Marsillac me dit hier des biens infinis de M. et de madame de Saint-Amant, et de madame la marquise de Grignan leur fille; il les à vus à Vincennes; il dit que ce sont les plus honnêtes gens qu'il est possible, et qu'ils vous ont élevé un chef-d'œuvre; enfin, il passa bien du temps à me chanter leurs louanges, et je vous assure qu'il ne m'ennuya pas; car je prends un très-sincère intérêt à tout ce qui vous touche: je vous demande en grâce de faire bien des complimens de ma part à M. et à madame de Grignan: je suis trop triste et trop malade pour écrire à tout autre que vous; vous vous passeriez peut-être bien de cette préférence. M. de Coulanges est toujours à la cour. M. de Noyon54 y fait une figure principale; il est le seul présentement qui y soit, et la cour a toujours besoin d'un pareil amusement. Il sera reçu lundi à l'académie (française); le roi lui a dit qu'il s'attendoit à être seul ce jour-là. L'abbé Testu se trouva ici lorsque je reçus votre dernière lettre; il fut fort touché du bon accueil que vous avez fait à ses stances55: il vous envoie une dissertation sur Montaigne. Je ne veux pas oublier, mon amie, que l'on m'obligea, il y a quelques jours, en très-bonne compagnie, à dire tout ce que je savois de la charmante Pauline; mon cœur avoit tant de part dans le portrait que j'en fis, qu'en vérité je crois qu'il lui ressembloit; au moins dit-on qu'une telle personne devoit être cherchée au bout du monde, par tout ce qu'il y avoit de meilleur. Je crois que nous aurons M. et madame de Chaulnes à la fin de ce mois.

Le maréchal de Choiseul a exécuté vos ordres; c'est une vérité, je ne le vois plus: il dit qu'on l'a averti qu'il se rendoit ridicule par aller souvent chez des femmes; je lui ai laissé croire qu'on ne le trompoit pas; et enfin, j'en suis quitte pour une visite la semaine. Il a fait des merveilles pour le pauvre maréchal de Bellefond; il n'y a que lui qui parle au roi pour toute cette famille. Adieu, ma très-chère, embrassez toujours la belle Pauline pour l'amour de moi: voyez comme j'abuse de vous, de vous demander des choses si difficiles.

 
/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\

LETTRE XII

Madrid, 14 janvier 1695.

Je vous remercie, mon amie, de m'avoir appris la conclusion de votre roman; car tout ce que vous me mandez, est romanesque. L'héroïne est charmante; le héros, nous le connoissons; ce qui me paroît, c'est que vous ne faites point de légers repas, comme faisoient tous ces princes et princesses. Je suis ravie que M. de Grignan se porte bien; cette circonstance n'a pas été inutile pour l'agrément de la fête. J'appris hier votre mariage56 à madame de Chaulnes, qui est arrivée en très-bonne santé, et qui n'en dit pas moins, Jésus Dieu! ils sont donc mariés! que si elle n'en avoit jamais entendu parler. Elle avoit couché à Versailles; elle y avoit vu madame de Chevreuse et toutes ses amies. On ne peut être plus remplie qu'elle l'est de tout ce qu'on lui a conté de la mort de M. de Luxembourg; si vous étiez ici, mon amie, elle vous diroit bien: Gouvernante, il est mort bien chrétiennement: Monsieur a presque toujours été dans sa chambre. Ce qui est de vrai, c'est que le P. Bourdaloue a dit qu'il n'avoit pas vécu comme M. de Luxembourg, mais qu'il voudroit mourir comme lui. Madame de Maintenon se porte bien; elle a été assez mal; elle sort maintenant tous les jours pour aller à Saint-Cyr. J'eus hier unes des Andromaques de ce temps. La maréchale d'Humières donna ses rendez-vous dans ma chambre à M. de Tréville et à l'abbé Testu; elle nous apprit qu'elle ne voyoit plus la duchesse d'Humières; qui l'eût cru que les intérêts pusseut faire une telle désunion? Le bruit court ici que la princesse d'Orange57 est morte; mais cette nouvelle auroit besoin d'une plus grande confirmation. La capitation est enfin passée et réglée. J'ai toujours oublié de vous faire les complimens de l'abbé Testu, et à toute la maison de Grignan. Adieu, ma très-aimable; je vous embrasse, je vous aime et vous désire toujours. M. de Coulanges n'habite plus que la cour; on ne dira pas qu'il est mené par l'intérêt; quelque pays qu'il habite, c'est toujours son plaisir qui le gouverne, et il est heureux; en faut-il davantage?

/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\

LETTRE XIII

Paris, 21 janvier 1695.

Comptez, madame, qu'on ne songe point ici qu'il y ait eu un M. de Luxembourg58 dans le monde. Vous ne me faites pitié où vous êtes, que par les réflexions que vous vous amusez à faire sur des morts, dont on ne se souvient plus du tout. Les meilleurs amis de M. de Luxembourg s'assemblent encore souvent; le prétexte est de le pleurer, et ils boivent, mangent, rient, se trouvent de bonne compagnie, et de Caron, pas un mot. C'est ainsi qu'est fait le monde, ce monde que nous voulons toujours aimer. On parle à peine encore de la princesse d'Orange59, qui n'avoit que trente-trois ans, qui étoit belle, qui étoit reine, qui gouvernoit, et qui est morte en trois jours. Mais une grande nouvelle, c'est que le prince d'Orange est malade très-assurément; la maladie de la reine, sa femme, étoit contagieuse; il ne l'a point quittée, et Dieu veuille qu'elle ne l'ait pas quittée pour long-temps. Il se passa hier une belle et magnifique scène à l'hôtel de Chaulnes. Monsieur y passa presque toute la journée avec ses bontés et ses agrémens ordinaires pour la maîtresse de la maison. L'appartement de cette duchesse est dans le point de la perfection; depuis le salon jusques au dernier cabinet, tout est meublé de ces beaux damas galonnés d'or que vous connoissez; on a fait dans la chambre du lit une cheminée d'une beauté et d'une magnificence qui ne peut se dire; et il y avoit de gros feux partout, et des bougies en si grande quantité, qu'elles auroient obscurci le soleil, s'ils s'étoient trouvés ensemble. Madame de Chaulnes est allée ce matin rendre la visite à Monsieur, et ensuite à Versailles pour quelques jours; c'est ce qui l'a empêchée de vous écrire. Il n'y a de plaisir qu'à Grignan, mon amie; mais ce qui est triste, c'est qu'il n'y en a point pour nous à Paris, quand vous êtes à Grignan. Je révère et estime tout ce qui habite ce beau château. M. le marquis de Grignan m'a écrit la plus jolie lettre qu'il est possible; elle a été trouvée telle par les connoisseurs. Rendez-moi de bons offices auprès de madame sa femme; mais, mon amie, rendez-m'en de bons auprès de vous, je vous en supplie. On parle ici tous les jours de l'aimable Pauline, et toutes ses amies s'en souviennent si tendrement, qu'elle est une ingrate si elle ne s'en soucie plus; mais pourvu qu'elle ne m'oublie pas; je lui pardonne tout le reste. La petite duchesse de Sulli, qui est à mon gré la vieille, vient de m'envoyer prier de vous faire à tous mille complimens de sa part. Aimez-moi toujours, je vous en conjure, ma chère amie.

/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\

LETTRE XIV

Paris, 4 février 1695.

On voit bien que vous avez oublié le climat de Paris, mon amie, puisque vous croyez avoir plus froid que nous; jamais il n'y a eu un hiver comme celui-ci. Le soleil se fait voir depuis deux jours; mais il ne se laisse point sentir; c'est un privilége dont vous jouissez à Grignan, j'en suis assurée. Je comprends à merveille que madame de Grignan se fasse un plaisir de ne point faire de visites; c'est un avantage que j'ai au milieu de Paris; mais aussi n'ai-je point de raison pour m'incommoder; point d'enfans, point de famille; grâces à Dieu, assez de dégoût pour ces fatigantes occupations; bien des années et une assez mauvaise santé; tout cela fait demeurer au coin de son feu avec un plaisir pour moi, que je préfère à d'autres, qui paroissent plus sensibles; mais une retraite que j'admire, c'est celle de mademoiselle de la Trousse; Dieu lui fait de grandes grâces, et son état est maintenant bien digne d'envie. Madame de Chaulnes veut toujours se reposer, et court incessamment. Il y a chez elle des dîners magnifiques; le chevalier de Lorraine, M. de Marsan, M. le cardinal de Bouillon; cela se soutient de cette sorte tous les jours de la semaine. Madame de Pontchartrain est assez malade. La comtesse de Grammont est retournée à la cour en assez bonne santé. L'on ne se souvient plus ici de madame de Meckelbourg, si ce n'est pour parler de son avarice. On dit que M. de Montmorenci va épouser madame de Seignelai; j'ai peine à croire ce mariage-là. M. de Coulanges arriva hier de Saint-Martin et de Versailles; mais c'est chez madame de Louvois60 qu'il est descendu: A tout seigneur, tout honneur. Je comprends fort bien que l'on s'accommode d'un mari qui a plusieurs femmes; j'en souhaiterois encore une ou deux, comme madame de Louvois, à M. de Coulanges. Le maréchal de Villeroi prêta hier le serment61, et prit le bâton ensuite; il fit attendre beaucoup le roi, parce qu'il s'ajustoit; il avoit un habit de velours bleu d'une magnificence extraordinaire, et sa bonne mine le paroît plus que son habit. Madame la duchesse du Lude m'a fait promettre que je vous ferois mille coinplimens et mille amitiés bien tendres de sa part. Le roi a donné à madame de Soubise l'appartement que le maréchal d'Humières avoit à Versailles; et celui de madame de Soubise aux princesses d'Épinoi; celui de ces princesses à M. de Rasilli; et de la duchesse d'Humières, pas un mot. Adieu, ma chère amie; je vous embrasse et vous aime beaucoup. J'ai peur que la charmante Pauline ne m'oublie à la fin; l'absence laisse tout craindre, même quand on est heureux. Continuez, je vous prie, de faire mes complimens dans le château de Grignan. Je suis fort obligée à M. le chevalier (de Grignan) de l'honneur de son souvenir, et je vous conjure de l'en remercier pour moi; je suis véritablement occupée de ses maux; son ami, le P. de la Tour prêche à St. – Nicolas; et si je suis en état de pouvoir sortir, ce sera mon prédicateur pour ce carême. On vous a sans doute envoyé tous les sonnets qui ont été faits à la louange de la princesse de Conti.

/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\

LETTRE XV

Paris, 22 février 1695.

J'ai perdu mon petit secrétaire, mon amie, et je ne puis me résoudre à vous faire voir de ma mauvaise écriture. J'essaie un secrétaire nouveau62; mandez-moi si vous lisez bien son écriture. La nouvelle qui fait ici le plus de bruit, est le mariage de la belle Pauline. On dit que l'abbé de Simiane est parti pour se trouver aux noces. Quand je dis que je n'en sais rien, personne ne me veut croire. La duchesse du Lude dit qu'elle le sait par le chevalier de Grignan. Pour moi, je pardonne tout le secret que vous m'en faites, pourvu que cela soit vrai. Vous croirez par là que j'aime passionnément M. de Simiane. M. le duc de Chaulnes donne des dîners magnifiques; il en a donné un à madame de Louvois, comme il l'auroit donné à M. de Louvois; un autre au chevalier de Lorraine, et à toute la maison de Monsieur. J'étois du premier; et pour le second, j'y envoyai mon fils, qui s'appelle M. de Coulanges. A mesure qu'il me vient des années, les siennes diminuent, de façon que je me trouve encore bien vieille pour être sa mère. Tous les courtisans sont devenus poètes. L'on ne voit que des bouts-rimés, les uns aussi remplis de louanges, que les autres de médisances. Dieu me garde de vous envoyer ces derniers. Il en court un à la louange du cardinal de Bouillon, qui passe pour une chanson. Qu'en dites-vous, mon amie? Que dites-vous aussi du prince Dauphin? Je laisse à mon secrétaire le soin de vous mander cette histoire; car il se mêle quelquefois d'écrire de son style. On dit que c'est une affaire résolue que le mariage de mademoiselle de Croissi avec le comte de Tillières63. Madame de Maintenon est encore languissante; mais elle se porte beaucoup mieux. Madame de Grammont paroît à la cour sous la figure d'une beauté nouvelle; elle est parfaitement guérie. M. l'abbé de Fénélon a paru surpris du présent que roi lui a fait64. En le remerciant, il lui a représenté qu'il ne pouvoit regarder, comme une récompense, une grâce qui l'éloignoit de M. le duc de Bourgogne. Le roi lui a dit qu'il ne prétendoit point qu'il fût obligé à une résidence entière; et, en même temps, ce digne archevêque a fait voir au roi que, par le concile de Trente, il n'étoit permis aux prélats que trois mois d'absence de leurs diocèses, encore pour les affaires qui les pouvoient regarder. Le roi lui a représenté l'importance de l'éducation des princes, et a consenti qu'il demeurât neuf mois à Cambrai, et trois à la cour. Il a rendu son unique abbaye. M. de Reims a dit que M. de Fénélon, pensant comme il faisoit, prenoit le bon parti; et que lui, pensant comme il fait, il fait bien aussi de garder les siennes. Adieu, ma chère amie; votre absence m'est toujours insupportable. Ne me laissez point oublier dans ce château de Grignan; c'est votre affaire, je vous en avertis. J'embrasse bien tendrement la charmante Pauline. Les femmes courent après mademoiselle de l'Enclos, comme d'autres gens y couroient autrefois; le moyen de ne point haïr la vieillesse, après un tel exemple! L'abbé et le chevalier de Sanzei partirent hier pour aller faire carême-prenant avec leur mère. Ce dernier fera son possible pour aller faire la révérence à sa marraine65, en s'en retournant à son vaisseau.

 

M. de Coulanges continue.

Premièrement, madame, comment vous accommodez-vous de ce petit papier66? Ne vous trouble-t-il point quelquefois dans votre lecture? Pour moi, j'aime mieux les bonnes feuilles de papier de nos pères, où les détails se trouvent à l'aise. Il y eut hier huit jours que je revins de Saint-Martin et de Versailles, pour passer le reste des jours gras à Paris. Il n'y a rien de pareil aux bons et somptueux dîners de l'hôtel de Chaulnes, à la beauté du grand appartement, qui augmente tous les jours, et au bon air des feux, qui sont dans toutes les cheminées; il n'y a plus en vérité que cette maison, qui représente la maison d'un seigneur. M. de Marsan et le duc de Villeroi furent du dîner du chevalier de Lorraine. Comme je n'ai point entendu le cardinal de Bouillon sur le sujet du prince Dauphin, je ne puis bien vous dire la vérité de ce fait; mais on prétend que Monsieur, pressé par le cardinal, avoit consenti à démembrer la principauté dauphine d'Auvergne, du duché de Montpensier, pour les prétentions que la maison de Bouillon pouvoit avoir sur la succession de Mademoiselle; en sorte qu'ils étoient par-là les maîtres de toute l'Auvergne, car le cardinal en a le duché, et M. de Bouillon le comté; et que dans la suite le duc d'Albert se seroit appelé le prince Dauphin; comme on est persuadé qu'il n'y a rien de trop chaud pour ce cardinal, qui n'est occupé que de la grandeur de sa maison, que ne dit-on point de cette vision? Ce qui est vrai, c'est que Monsieur, ayant tout promis, fut parler au roi de ce démembrement, et que le roi s'y opposa. On assure que le cardinal, encore affligé de ce refus, a écrit au chevalier de Lorraine pour lui dire qu'il étoit surpris que Monsieur lui eût manqué de parole, et qu'il ne pouvoit plus désormais être du nombre de ses serviteurs. On ajoute que le chevalier de Lorraine a montré sa lettre à Monsieur, qui l'a gardée, et qui a dit que du moins le cardinal devoit lui savoir gré de ce qu'il ne la montroit point au roi. Quoi qu'il en soit, madame, voilà qui est fort désagréable pour notre cardinal; car, comme il n'est pas universellement aimé et approuvé, tous ses ennemis ne perdent pas une si belle occasion de se déchaîner, et tous ses amis sont fâches qu'une bonne fois pour toutes il ne finisse point sur sa maison, et qu'il ne s'accommode point au temps présent. Jugez, après cela, du succès du bout-rimé, dont madame de Coulanges vous a parlé. Il y a des temps infinis que je ne vous ai écrit; mais je sais toujours de vos nouvelles par madame de Coulanges, qui veut bien quelquefois me faire part de vos lettres. J'ai toujours oublié de vous faire, dans les miennes, les complimens de madame de Louvois, et à tout le château de Grignan: elle me gronda très-sérieusement l'autre jour d'y avoir manqué.

/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\
52Fille de madame de Grignan, depuis marquise de Simiane.
53Mort le 5 décembre 1694, âgé de 64 ans.
54François de Clermont-Tonnerre, évêque et comte de Noyon.
55L'abbé Testu avoit fait des stances chrétiennes sur divers passages de l'Écriture et des Pères.
56C'est-à-dire, le mariage du marquis de Grignan avec mademoiselle de Saint-Amant.
57Marie Stuard, fille de Jacques II, roi d'Angleterre, et femme de Guillaume III, roi d'Angleterre, lequel n'étoit connu alors en France que sous le nom de prince d'Orange.
58Mort le 4 janvier 1695, âgé de 67 ans.
59Morte le 7 janvier 1695.
60M. de Coulanges appeloit madame de Louvois sa seconde femme.
61Pour sa charge de capitaine des gardes du corps de S. M.
62C'étoit M. de Coulanges.
63Ce mariage ne se fit point. Mademoiselle de Croissi fut mariée, en 1696, au marquis de Bouzoles; et le comte de Tillières épousa, en 1699, mademoiselle du Gué de Bagnols, nièce de madame de Coulanges.
64De l'archevêché de Cambrai.
65Madame de Sévigné étoit la marraine du chevalier de Sanzei.
66Cette lettre et la précédente étoient écrites sur des feuilles volantes d'un très-petit papier.