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Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé

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LETTRE PREMIÈRE

Lyon, premier août 1672.

J'ai reçu vos deux lettres, ma belle; et je vous rends mille grâces d'avoir songé à moi dans le lieu où vous êtes. Il fait un chaud mortel; je n'ai d'espérance qu'en sa violence29. Je meurs d'envie d'aller à Grignan; ce mois-ci passé, il n'y faudra pas songer; ainsi je vous irai voir assurément, s'il est possible que je puisse arriver en vie; au retour, vous croyez bien que je ne serai pas dans cet embarras. Le marquis de Villeroi passe sa vie à regretter le malheur qui l'a empêché de vous voir. Les violons sont tous les soirs en Bellecour30; je m'y trouve peu, par la raison que je quitte peu ma mère; dans l'espérance d'aller à Grignan, je fais mon devoir à merveille; cela m'adoucit l'esprit. Mais quel changement! vous souvient-il de la figure que madame Solus faisoit dans le temps que vous étiez ici? Elle a fait imprudemment ses délices de madame Carle; celle-ci avoit, dit-on, ses desseins; pour moi, je n'en crois rien; cependant c'est le bruit de Lyon; en un mot, c'est de madame Carle que M. le marquis paroît amoureux. Madame Solus se désespère, mais elle aime mieux voir M. le marquis infidèle que de ne le point voir; cela fait croire qu'elle ne prendra jamais le parti de se jeter dans un couvent. Cette histoire vous paroît-elle avoir la grâce de la nouveauté? Continuez à m'écrire, ma très-belle, vos lettres me touchent le cœur: Madame de Rochebonne est toujours dans le dessein de vous aller voir. Je ne savois point que madame de Grignan eût été malade; si c'est une maladie sans suite, sa beauté n'en souffrira pas long-temps. Vous savez l'intérêt que je prends à tout ce qui pourroit, cet hiver, vous empêcher l'une et l'autre de revenir de bonne heure.

Adieu, ma très-chère amie; j'oubliois de vous dire que le marquis de Villeroi se propose d'aller à Grignan avec votre ami le comte de Rochebonne: je vous suis très-obligée de vouloir bien de moi; il y a peu de choses que je souhaite davantage que de me rendre au plus vîte dans votre château; mon impatience, quoique violente, dure toujours: cela me fait craindre pour le chaud; il doit être insupportable, puisque je ne m'y expose pas. La rapidité du Rhône convient à l'envie que j'ai de vous embrasser; ainsi, madame, je ne désespère point du tout de vous aller conter les plaisirs de Bellecour. Vous me promettez de ne me point dire: Allez, allez; vous êtes une laide; cela me suffit. J'ai peur que vous ne traitiez mal notre gouverneur; vos manières m'ont toujours paru différentes de celles de madame Solus. Vous savez bien que l'on dit à Paris que Vardes et lui se sont rencontrés: devinez où?

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LETTRE II

Lyon, 11 septembre 1672.

Je suis ravie de pouvoir croire que vous m'avez un peu regrettée; ce qui me persuade que je le mérite, c'est le chagrin que j'ai eu de ne vous plus voir; j'ai fait vos complimens au charmant31; il les a reçus, comme il le devoit, j'en suis contente; si je prenois autant d'intérêt en lui que M. de Coulanges, je serois plus aise de ce qu'il dit de vous, pour lui que pour vous. Madame d'Assigni a gagné son procès tout d'une voix. Envoyez-moi M. de Corbinelli; son appartement est tout prêt; je l'attends avec une impatience, qui mérite qu'il fasse ce petit voyage; toutes nos beautés attendent, et ne veulent point partir pour la campagne qu'il ne soit arrivé; s'il abuse de ma simplicité, et que tout ceci se tourne en projets, je romps pour toujours avec lui. Adieu, ma vraie amie. C'est à madame la comtesse de Grignan que j'en veux.

A madame de Grignan

Je n'ai plus de goût pour l'ouvrage, madame; on ne sait travailler qu'à Grignan; le charmant et moi, nous en commençâmes un, il y a deux jours; vous y aviez beaucoup de part; vous me trouveriez une grande ouvrière à l'heure qu'il est. Il me paroît que le charmant vous voudroit bien envoyer des patrons; mais le bruit court que vous ne travaillez point à patrons, et que ceux que vous donnez sont inimitables. Adieu, ma chère madame; je trouve une grande facilité à me défaire de ma sécheresse, quand je songe que c'est à vous que j'écris.

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LETTRE III

Lyon, 30 octobre 1672.

Je suis très-en peine de vous, ma belle; aurez-vous toujours la fantaisie de faire le bon corps? Falloit-il vous mettre sur ce pied-là après avoir été saignée? Je meurs d'impatience d'avoir de vos nouvelles, et il se passera des temps infinis avant que j'en puisse recevoir. Hélas! voici un adieu, ma délicieuse amie; je m'en vais faire cent lieues pour m'éloigner de vous! quelle extravagance! Depuis que le jour est pris pour m'en aller à Paris, je suis enragée de penser à tout ce que je quitte; je laisse ma famille, une pauvre famille désolée; et cependant je pars le jour même de la Toussaint pour Bagnols: de Bagnols à Rouanne; et puis, vogue la galère. N'êtes-vous pas ravie du présent que le roi a fait à M. de Marsillac32? n'êtes-vous pas charmée de la lettre que le roi lui a écrite? Je suis au vingtième livre de l'Arioste; j'en suis ravie. Je vous dirai, sans prétendre abuser de votre crédulité, que, si j'étois reçue dans votre troupe à Grignan, je me passerois bien mieux de Paris, que je ne me passerai de vous à Paris. Mais, adieu, ma vraie amie, je garde le charmant pour la belle comtesse. Ecoutez, madame, le procédé du charmant; il y a un mois que je ne l'ai vu; il est à Neuville33, outré de tristesse; et quand on prend la liberté de lui en parler, il dit que son exil est long; et voilà les seules paroles qu'il a proférées depuis l'infidélité de son Alcine; il hait mortellement la chasse, et il ne fait que chasser; il ne lit plus, ou du moins il ne sait ce qu'il lit; plus de Solus, plus d'amusement; il a un mépris pour les femmes, qui empêche de croire qu'il méprise celle qui outrage son amour et sa gloire; le bruit court qu'il viendra me dire adieu le jour que je partirai. Je vous manderai le changement qui est arrivé en sa personne. Je suis de votre avis, madame, je ne comprends point qu'un amant ait tort, parce qu'il est absent; mais qu'il ait tort étant présent, je le comprends mieux; il me paroît plus aisé de conserver son idée sans défauts pendant l'absence. Alcine n'est pas de ce goût; le charmant l'aime de bien bonne foi; c'est la seule personne qui m'ait fait croire à l'inclination naturelle; j'ai été surprise de ce que je lui ai entendu dire là-dessus; mais que deviendra-t-elle, comme vous dites, cette inclination? Peut-être arrivera-t-il un jour que le charmant croira s'être mépris, et qu'il contera les appas trompeurs d'Alcine. Le bruit de la reconnoissance que l'on a pour l'amour de mon gros cousin34 se confirme; je ne crois que médiocrement aux méchantes langues; mais mon cousin, tout gros qu'il est, a été préféré à des tailles plus fines; et puis, après un petit, un grand; pourquoi ne voulez-vous pas qu'un gros trouve sa place? Adieu, madame; que je hais de m'éloigner de vous!

Venez, mon cher confident35, que je vous dise adieu; je ne puis me consoler de ne vous avoir point vu; j'ai beau songer au chagrin que j'aurois eu de vous quitter, il n'importe; je préférerois ce chagrin à celui de ne vous avoir point fait connoître les sentimens que j'ai pour vous. Je suis ravie du talent qu'a M. de Grignan pour la friponnerie; ce talent est nécessaire pour représenter le vraisemblable. Adieu, mon cher monsieur: quand vous me promettez d'être mon confident, je me repens de n'être pas digne d'accepter une pareille offre; mais venez vous faire refuser à Paris. Adieu, mon amie; adieu, madame la comtesse; adieu, M. de Corbinelli; je sens le plaisir de ne vous point quitter en m'éloignant, mais je sens bien vivement le chagrin d'être assurée de ne trouver aucun de vous où je vais.

 

Je ne veux point oublier de vous dire que je suis si aise de l'abbaye que le roi a donnée à M. le coadjuteur, qu'il me semble qu'il y a de l'incivilité à ne m'en point faire de compliment.

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LETTRE IV

Paris, 26 décembre 1672.

Le siége de Charleroi est enfin levé36; je ne vous demande aucun détail de ce qui s'y est passé, sachant que mademoiselle de Méri en envoie une relation à madame de Grignan. On ignore jusqu'à présent quelle route le roi prendra; les uns disent qu'il retournera tout droit à Saint-Germain; les autres qu'il ira en Flandre; nous serons bientôt éclaircis de sa marche. Sans vanité, je sais des nouvelles à l'arrivée des courriers; c'est chez M. le Tellier37 qu'ils descendent, et j'y passe mes journées; il est malade, et il paroît que je l'amuse; cela me suffit pour m'obliger à une grande assiduité. Je ne comprends point par quelle aventure vous n'avez pas reçu la lettre de M. de Coulanges, dans laquelle je vous écrivois; c'est une médiocre perte pour vous; j'ai cependant la confiance de croire que vous regrettez cette lettre, parce que je vous aime, ma très-belle, et que vous m'avez toujours paru reconnoissante. J'ai été à la messe de minuit; j'ai mangé du petit salé au retour; en un mot, j'ai un assez bon corps cette année pour être digne du vôtre. J'ai fait des visites avec madame de la Fayette, et je me trouve si bien d'elle, que je crois qu'elle s'accommode de moi. Nous avons encore ici madame de Richelieu; j'y soupe ce soir avec madame du Fresnoi; il y a grande presse de cette dernière à la cour, il ne se fait rien de considérable dans l'état, où elle n'ait part. Pour madame Scarron, c'est une chose étonnante que sa vie: aucun mortel, sans exception, n'a commerce avec elle; j'ai reçu une de ses lettres; mais je me garde bien de m'en vanter, de peur des questions infinies que cela attire. Le rendez-vous du beau monde est les soirs chez la maréchale d'Estrées; Manicamp et ses deux sœurs sont assurément bonne compagnie; madame de Senneterre s'y trouve quelquefois, mais toujours sous la figure d'Andromaque. On est ennuyé de sa douleur: pour elle, je comprends qu'elle s'en accommode mieux que de son mari; cette raison devroit pourtant lui faire oublier qu'elle est affligée. Je la crois de bonne foi; ainsi je la plains. Les gendarmes Dauphin sont dans l'armée de M. le Prince; il faut espérer qu'on les mettra bientôt en quartier d'hiver, et qu'ils auront un moment pour donner ordre à leurs affaires; je connois des gens qui en sont accablés. Adieu, ma très-aimable; je vais me préparer pour la grande occasion de ce soir: il faut être bien modeste pour se coiffer quand on soupe avec madame du Fresnoi. Permettez-moi de faire mille complimens à madame de Grignan; je voudrois bien que ce fussent des amitiés, mais vous ne voulez pas.

La princesse d'Harcourt a paru à la cour sans rouge par pure dévotion: voilà une nouvelle qui efface toutes les autres; on peut dire aussi que c'est un grand sacrifice; Brancas38 en est ravi. Il vous adore, mon amie: ne le désapprouvez donc pas, lorsqu'il censure les plaisirs que vous avez sans lui; c'est la jalousie qui l'y oblige; mais vous ne voudriez de la jalousie que de ceux dont vous pourriez être jalouse; il faut plaindre Brancas.

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LETTRE V

Paris, 24 février 1673.

Si vous étiez en lieu où je vous pusse conter mes chagrins, ma très-belle, je suis persuadée que je n'en aurois plus. Quand je songe que le retour de madame de Grignan dépend de la paix, et le vôtre du sien, en faut-il davantage pour me la faire souhaiter bien vivement? Le comte Tot a passé l'après-dinée ici; nous avons fort parlé de vous; il se souvient de tout ce qu'il vous a entendu dire; jugez si sa mémoire ne le rend pas de très-bonne compagnie. Au reste, ma belle, je ne pars plus de Saint-Germain: j'y trouve une dame d'honneur39 que j'aime, et qui a de la bonté pour moi; j'y vois peu la reine. Je couche chez madame du Fresnoi dans une chambre charmante; tout cela me fait résoudre à y faire de fréquens voyages. Nos pauvres amis sont repartis, c'est-à-dire, M. de la Trousse40, sur la nouvelle qu'a eue le roi d'une révolte en Franche-Comté. Comme il n'aimeroit point que les Espagnols envoyassent des troupes qui passeroient sur ses terres, il a nommé Vaubrun et la Trousse pour aller commander en ce pays-là. La Trousse a beaucoup de peine à se réjouir de cette distinction, cependant c'en est une, qui pourroit ne pas déplaire à un homme moins fatigué de voyages; celui-ci joindra la campagne; cela est fort triste pour ses amis. Le guidon41 nous demeure; mais ce n'étoit point trop de tout. Je menai ce guidon avant-hier à Saint-Germain; nous dînâmes chez madame de Richelieu; il est aimé de tout le monde presqu'autant que de moi. Mithridate42 est une pièce charmante; on y pleure; on y est dans une continuelle admiration; on la voit trente fois; on la trouve plus belle la trentième que la première. Pulchérie n'a point réussi. Notre ami Brancas a la fièvre et une fluxion sur la poitrine; je l'irai voir demain. Je n'ai point vu votre cardinal43, j'en ai toujours eu envie; mais il s'est toujours trouvé quelque chose qui m'en a empêchée. La belle Ludre est la meilleure de mes amies; elle me veut toujours mener chez madame Talpon, quand les pougies44 sont allumées. Le marquis de Villeroi est si amoureux, qu'on lui fait voir ce que l'on veut; jamais aveuglement n'a été pareil au sien; tout le monde le trouve digne de pitié, et il me paroît digne d'envie; il est plus charmé qu'il n'est charmant, il ne compte pour rien sa fortune, mais la belle compte Caderousse pour quelque chose; et puis un autre pour quelque chose encore; un, deux, trois, c'est la pure vérité: fi, je hais les médisances. J'embrasse madame la comtesse de Grignan; je voudrois bien qu'elle fût heureusement accouchée, qu'elle ne fût plus grosse, et qu'elle vînt ici désabuser de tout ce qu'on y admire. Adieu, ma véritable amie; vos petites entrailles45 se portent bien; elles sont farouches, elles ont les cheveux coupés; elles sont très-bien vêtues. Madame Scarron ne paroît point; j'en suis très-fâchée. Je n'ai rien cette année de tout ce que j'aime; l'abbé Testu et moi, nous sommes contraints de nous aimer. Mademoiselle a songé que vous étiez très-malade; elle s'éveilla en pleurant; elle m'a ordonné de vous le mander.

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LETTRE VI

Paris, 20 mars 1673.

Je souhaite trop vos reproches pour les mériter; non, ma belle, la période ne n'emporte point; je vous dis que je vous aime par la raison que je le sens véritablement, et même je suis plus vive pour vous que je ne vous le dis encore. Nous avons enfin retrouvé madame Scarron, c'est-à-dire que nous savons où elle est; car pour avoir commerce avec elle, cela n'est pas aisé. Il y a chez une de ses amies46 un certain homme47 qui la trouve si aimable et de si bonne compagnie, qu'il souffre impatiemment son absence; elle est cependant plus occupée de ses anciens amis, qu'elle ne l'a jamais été; elle leur donne le peu de temps qu'elle a avec un plaisir qui fait regretter qu'elle n'en ait pas davantage. Je suis assurée que vous trouverez que deux mille écus de pension sont médiocres; j'en conviens, mais cela s'est fait d'une manière qui peut laisser espérer d'autres grâces. Le roi vit l'état des pensions, il trouva deux mille francs pour madame Scarron, il les raya, et mit deux mille écus. Tout le monde croit la paix; mais tout le monde est triste d'une parole que le roi a dite, qui est que paix ou guerre il n'arriveroit à Paris qu'au mois d'octobre. Je viens de recevoir une lettre du jeune guidon48; il s'adresse à moi49 pour demander son congé, et ses raisons sont si bonnes, que je ne doute pas que je ne l'obtienne. J'ai vu une lettre admirable que vous avez écrite à M. de Coulanges; elle est si pleine de bon sens et de raison, que je suis persuadée que ce seroit méchant signe pour quelqu'un qui trouveroit à y répondre. Je promis hier à madame de la Fayette qu'elle la verroit; je la trouvai tête à tête avec un appelé M. le Duc; on regretta le temps que vous étiez à Paris; on vous y souhaita, mais, hélas, qu'ils sont inutiles les souhaits! et cependant on ne sauroit se corriger d'en faire. M. de Grignan ne s'est point du tout rouillé en province, il a un très-bon air à la cour; mais il trouve qu'il lui manque quelque chose. Nous sommes de son avis, nous trouvons qu'il lui manque quelque chose. J'ai mandé à M. de la Trousse ce que vous m'écrivez de lui. Si ma lettre va jusqu'à lui, je ne doute pas qu'il ne vous en remercie; je crois que le secret miraculeux qu'il avoit de faire comme les gens les plus riches, lui manque dans cette occasion: il me paroît accablé sans ressource. Madame du Fresnoi fait une figure si considérable, que vous en seriez surpris; elle a effacé mademoiselle de S… sans miséricorde. On avoit tant vanté la beauté de cette dernière, qu'elle n'a plus paru belle; elle a les plus beaux traits du monde, elle a le teint admirable, mais elle est décontenancée, et elle ne le veut pas paroître; elle rit toujours, elle a méchante grâce. Madame fera souvent voir de nouvelles beautés; l'ombre d'une galanterie l'oblige à se défaire de ses filles; ainsi je crois que celles qui lui demeureront, se trouveront plus à plaindre que les autres. Mademoiselle de L… la quitte. Madame de Richelieu m'a priée de vous faire mille complimens de sa part. Adieu, ma très-aimable belle; j'embrasse, avec votre permission et la sienne, madame la comtesse de Grignan; n'est-elle point encore accouchée? M. de Coulanges m'a assurée qu'il vous enverroit Mithridate. On me peint aujourd'hui pour M. de Grignan; je croyois avoir renoncé à la peinture. L'histoire du charmant est pitoyable; je la sais… Orondate50 étoit peu amoureux auprès de lui; il n'y a que lui au monde qui sache aimer. C'est le plus joli homme, et son Alcine la plus indigne femme.

 
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LETTRE VII

Paris, 10 avril 1673.

Il est minuit, c'est une raison pour ne vous point écrire: j'en suis enragée. J'avois résolu de répondre à votre aimable lettre; mais voici, ma chère amie, ce qui m'en a empêchée. M. de la Rochefoucauld a passé le jour avec moi: je lui ai fait voir madame du Fresnoi; il en est tout éperdu. Je suis ravie que madame de Grignan ne soit qu'accablée de lassitude; la surprise et l'inquiétude que j'ai eues de son mal, me devoient faire attendre à toute la joie que j'ai du retour de sa santé; c'est une barbarie que de souhaiter des enfans. Je ne veux pas oublier ce qui m'est arrivé ce matin; on m'a dit: madame, voilà un laquais de madame de Thianges; j'ai ordonné qu'on le fît entrer. Voici ce qu'il avoit à me dire: Madame, c'est de la part de madame de Thianges, qui vous prie de lui envoyer la lettre du cheval de madame de Sévigné, et celle de la prairie. J'ai dit au laquais que je les porterois à sa maîtresse, et je m'en suis défaite. Vos lettres font tout le bruit qu'elles méritent, comme vous voyez; il est certain qu'elle sont délicieuses, et vous êtes comme vos lettres. Adieu, ma très-aimable; j'embrasse bien doucement cette belle comtesse, de peur de lui faire mal: j'ai bien senti, je vous jure, sa fâcheuse aventure; je souhaite plus que je ne l'espère qu'elle ne soit jamais exposée à de pareils accidens. Le roi dit hier qu'il partiroit le 25 sans aucune remise.

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LETTRE VIII

Paris, 29 octobre 1694.

On me dit hier que votre mariage étoit refait, c'est-à-dire, qu'on avoit envoyé des conditions à madame de Grignan, qu'elle auroit tort de ne pas accepter; et comme je suppose qu'elle ne peut avoir tort, je conclus que vous vous mariez,51 et je m'en réjouis avec vous, ma chère amie.

Le roi est à Choisi pour jusqu'à samedi; tout le monde revient en foule; l'armée de Flandre est séparée. Nous n'aurons madame de Louvois et M. de Coulanges que le 8 du mois qui vient; ils ont M. de Souvré et madame de Courtenvaux pour augmentation de bonne compagnie. La maréchale de Villeroi est partie pour passer tout son hiver à Versailles avec sa belle-fille; nous avons cru être fort fâchées de nous séparer. Au reste, madame, j'ai vu la plus belle chose qu'on puisse jamais imaginer; c'est un portrait de madame de Maintenon, fait par Mignard: elle est habillée en Sainte Françoise Romaine. Mignard l'a embellie; mais, c'est sans fadeur, sans incarnat, sans blanc, sans l'air de la jeunesse; et sans toutes ces perfections, il nous fait voir un visage et une physionomie au dessus de tout ce que l'on peut dire; des yeux animés, une grâce parfaite, point d'atours; et avec tout cela aucun portrait ne tient devant celui-là. Mignard en a fait aussi un fort beau du roi; je vous envoie un madrigal que mademoiselle Bernard fit impromptu en voyant ces deux portraits; il a eu beaucoup de succès ici: vous jugerez si nous avons raison. Mademoiselle de Villarceaux est morte de la petite vérole, sans confession, et sans avoir eu le temps de déshériter ses cousines. Madame d'Épinoi, la princesse, est accouchée d'un fils; et depuis ce grand jour, on ne cesse de tirer et de boire à la Place Royale. Adieu, ma chère amie.

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29Selon le proverbe, que ce qui est violent ne dure pas.
30Place publique de la ville de Lyon.
31François de Neuville, marquis, puis duc de Villeroi, pair et maréchal de France.
32De la charge de grand-maître de la Garde-robe.
33Château de la maison de Villeroi, à quatre lieues de Lyon.
34M. de Louvois, ministre.
35A M. de Corbinelli.
36Le prince d'Orange fut obligé de lever le siége de Charleroi le 22 décembre 1672.
37Madame de Coulanges étoit nièce de la femme de M. le Tellier, depuis chancelier de France.
38Charles de Brancas, père de la princesse d'Harcourt, et chevalier d'honneur de la reine Anne d'Autriche.
39Madame de Richelieu.
40Capitaine des Gendarmes Dauphin.
41M. de Sévigné étoit guidon des Gendarmes Dauphin.
42Tragédie de Racine, représentée, pour la première fois, en janvier 1673.
43De Retz.
44Selon la manière de prononcer de madame de Ludre.
45Madame de Sévigné nommoit ainsi la fille de madame de Grignan, qui étoit née le 15 novembre 1670.
46Madame de Montespan.
47Le roi.
48M. de Sévigné.
49Madame de Coulanges étoit cousine-germaine de M. de Louvois.
50Héros de roman.
51Il étoit question du mariage du marquis de Grignan, petit-fils de madame de Sévigné, avec mademoiselle de Saint-Amant, qu'il épousa peu de temps après.