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Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé

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LETTRE XXXI

Madrid, 23 janvier 1681.

Le comte de Monterei a été exilé de cette cour, il y a quatre ou cinq jours. On ne dit point pourquoi. Je ne le puis comprendre, si ce n'est qu'il est le plus honnête homme du monde, et le plus propre à bien servir son roi. L'on refuse toujours le congé à son père, le marquis de Liche, qui est ambassadeur à Rome, malade, ruiné, par conséquent fort ennuyé. Je vis, l'autre jour, sa femme, qui est fort jolie, fondre en larmes aux pieds du roi, pour obtenir le congé. Je ne vous parlerai point de choses plus divertissantes et plus gaies, ma chère madame. Qu'il est difficile de l'être à Madrid! et que, si l'on avoit de bonnes dispositions pour la pénitence, ce seroit un lieu propre pour la faire! La reine est en parfaite santé, et dans une grande fraîcheur. De vous dire de quoi elle soutient tout cela, c'est ce que j'ignore absolument.

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LETTRE XXXII

Madrid, 6 février 1681.

Vous n'avez donc point reçu par le marquis de Ligneville, le petit présent que je croyois qui vous seroit fidèlement rendu? Les messagers ordinaires, à ce que je vois, ont plus d'honneur et de probité que les gens de qualité portant de beaux noms. Vraiment, madame, ce n'est pas pour le vanter; mais ce que je vous envoyois, quoique peu précieux et peu magnifique, étoit pourtant joli et bien choisi; et j'aimois à imaginer que tout cela vous plairoit. Ce Ligneville est des amis du marquis de Grana, et ma confiance étoit parfaite. Ne vous fatiguez d'aucun compliment pour la reine Catholique, je les lui fis hier.

L'on attend, tous les jours ici, la connétable Colonne, pour prendre l'habit de religieuse. Son mari, qui est fort avare, dispute sur le prix avec le couvent où elle doit entrer. Elle écrivoit, l'autre jour, que sa sœur Mazarin feroit bien mieux de venir se faire religieuse avec elle.

Je songe à ce que je puis vous dire de cette cour. Je ne manquerois pas de matière; mais, de si loin, il n'est pas possible de traiter beaucoup de sujets. La vie du palais ne convient point à des personnes qui n'y sont point nées, ou du moins qui n'y sont pas venues dès l'enfance; il faut pourtant dire la vérité en faveur des Espagnols, qu'ils ne sont ni si terribles, ni si soupçonneux qu'on nous les figure. Les reines sont toujours bien ensemble. Depuis le moment que la jeune est entrée en Espagne, M. de Villars s'est appliqué à la bien persuader qu'il falloit pour son repos, qu'elle fût en bonne union avec la reine, sa belle-mère, et qu'elle se gardât bien d'écouter des avis contraires. Je ne fais autre chose aussi que de tâcher de lui mettre cela dans la tête. Elle ne se divertit pas trop à raisonner sur la politique. Jusqu'ici tout a assez bien été; et, entre vous et moi, tout auroit été encore mieux, si, dès la frontière, on lui eût ôté généralement toutes les Françoises. On ne peut avoir plus d'esprit qu'elle en a, joint à mille aimables qualités. J'y vais toujours souvent, quoique je la supplie quelquefois de trouver bon que mes visites ne soient pas si fréquentes. Ma fille y va peu, quoique la reine m'ordonne souvent de la lui mener.

Je vous ai mandé que le comte de Monterei avoit été exilé. Le duc de Veragas le fut hier aussi. Il est dans l'alliance et ami de ce premier.

Je ne vous parle point de la misère de ce royaume. La faim est jusque dans le palais. J'étois hier avec huit ou dix Camaristes et la Moline qui disoient qu'il y avoit fort long-temps qu'on ne leur donnoit plus ni pain ni viande. Aux écuries du roi et de la reine, de même. Je ne voudrois pas qu'on sût, au pays où vous êtes, que je me mêlasse seulement d'écrire cela. Mais je sais bien que vous ne me commettrez pas, et qu'il y a bien souvent des choses dans mes lettres, dont on pourroit se moquer.

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LETTRE XXXIII

Madrid, 19 février 1681.

Me voici à mon second mercredi des cendres; ce qui m'a assez plu, c'est que le carnaval, comme je vous l'ai déjà mandé, ne veut point, en ce pays, se donner un air de plaisir; et hors qu'il n'y a plus de comédie au palais ni à la ville, tout le reste va son même train; personne ne fait le carême. Le palais est toujours la même chose. On y parle d'aller à Aranjuez, incontinent après Pâques, que la reine fera quelques remèdes, et qu'elle en reviendra sûrement grosse. Je vais souvent voir la marquise de Grana, qui est malade, et qui ne sort point depuis trois mois. Ce sera un grand hasard, si elle n'est la troisième ambassadrice qui mourra ici. Elle prendroit la résolution de s'en retourner, sans qu'elle ne peut se déterminer à laisser son mari qu'elle aime fort.

La connétable arriva samedi dernier de fort bonne heure. Elle entra dans le couvent; les religieuses la reçurent à la porte avec des cierges, et toutes les cérémonies ordinaires en pareille occasion. De là on la mena au chœur, où elle prit l'habit avec un air fort modeste. Un Espagnol, qui étoit dans l'église, m'a conté tout ce qu'il vit. L'habit est joli et assez galant, le couvent commode. Je ne puis avoir bonne opinion de l'esprit et de la pénétration de messieurs les Italiens et Espagnols, de s'être persuadés que cette femme ait pu accepter de bonne foi la proposition de se faire religieuse, et d'espérer par là qu'elle va leur assurer tout son bien. La première fois que j'entendis parler au confesseur de la reine de la commission qu'il avoit du connétable, d'écrire à sa femme, et de lui proposer ce parti, je crus que c'étoit une pure raillerie, dont je n'aurois jamais voulu me mêler. Le bon père écrivit, et la dame n'hésita pas un moment à lui répondre qu'elle y consentoit. Pour moi, sans en savoir autre chose, je ne crois point du tout à cette subite vocation. Je ne me suis pas pressée de lui aller rendre visite: je ne sais encore quand je la verrai.

A propos de visites, vraiment j'en fis une, il y a trois ou quatre jours, qui m'effraya beaucoup. Une dame de qualité, femme du comte Ernand-Nuguès, depuis un mois ou six semaines étoit accouchée; et, comme elle avoit été assez mal, on ne l'avoit point vue. J'envoyai savoir de ses nouvelles, et son mari, qui est de nos amis et qui parle bien françois, me manda que je ferois honneur à sa femme de l'aller voir. J'y fus donc: je m'assis un moment auprès de son lit; car je ne l'eus pas plutôt envisagée, que je me levai. Je tirai son mari à part, et je lui dis que je ne demeurois pas plus long-temps, craignant d'incommoder madame sa femme. Il me répondit que point du tout; et moi, je l'assurai qu'elle étoit fort mal, n'osant lui dire qu'elle se mouroit. Il vint, sur ces entrefaites, deux Grandes d'Espagne, dont la duchesse de Patrana étoit une. Je sortis, et, à trois heures après minuit, la dame étoit morte: elle n'avoit que vingt-deux ans. Voilà la quatrième, depuis trois mois, qui meurt en couche. Le comte Ernand-Nuguès a été menin de notre reine, et a été assez long-temps en France. On est très-mal traité en ce pays-ci de toutes sortes de maladies.

Adieu, madame; je vais me promener dans un carrosse incognito, à une promenade publique, au milieu de la campagne, où il y a un prédicateur qui prêche quatre ou cinq heures, et qui se donne des soufflets à tour de bras; on entend, dès qu'il a commencé à se les donner, un bruit terrible de tout le peuple qui fait la même chose. Comme il n'y a pas d'obligation de se châtier de la sorte, nous allons assister à ce spectacle qui se voit, en carême, trois fois la semaine. Le détail des dévotions de ce pays seroit une chose divertissante à vous faire savoir.

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LETTRE XXXIV

Madrid, 3 avril 1681.

Vous, madame, plusieurs de mes amies, et même mes enfans, vous paroissez étonnés et comme fâchés de n'être point informés par mes lettres de tout ce qui se passe ici touchant le rappel de M. de Villars, et ce qui me regarde en mon particulier, jugeant qu'il faut bien que ce ne soit pas un secret en cette cour. Vous m'en croirez bien, ma chère madame, puisqu'assurément, dans le nombre de mes défauts, je n'ai point celui de mentir. Rien au monde n'est donc venu à notre connoissance de ce qu'on a pu inventer sur la conduite que j'ai tenue ici. Vous et mes enfans me dites seulement que j'ai fait des intrigues dans le palais. Si l'on savoit ce que c'est que l'intérieur de ce palais, et qu'aucune dame ni moi, ne nous disons jamais que bonjour et bonsoir, parce que je n'ai pu apprendre la langue du pays, on ne diroit pas que ça été avec les femmes, non plus qu'avec les hommes, dont aucun ne met le pied dans tout l'appartement de la reine. A l'égard du jeune roi, et de sa haine pour les François, qui est grande, je puis dire qu'elle est moins violente pour moi que pour les femmes françoises de la reine, par la raison qu'elles sont plus souvent auprès d'elle que je n'ai cet honneur. Si le premier ministre a fait négocier notre retour en France par l'ambassadeur d'Espagne, qui est à Paris, le roi, leur maître, n'en a rien su; car, le jour qu'on en eut ici la nouvelle, il parut fort étonné quand on la lui apprit, et demanda aussitôt si ce n'étoit point une marque qu'on allât rentrer en guerre avec la France. Jugez, sur cela, de beaucoup d'autres circonstances que je ne vous dis pas. Le roi et la reine sont dans une grande union, et meilleure, depuis deux ou trois mois, qu'elle n'a jamais été. Je ne me vanterai pas de m'être mêlée de donner des conseils à la reine; elle a un assez bon esprit pour n'en avoir pas besoin. Je ne sais si le roi lui communique les secrets de l'état; c'est ce qui n'est jamais entré dans les conversations que j'ai eu l'honneur d'avoir avec elle. Je ne sais plus que vous dire; car, en vérité, je ne trouve pas la moindre chose digne de remarque en tout ce qui s'est passé depuis que je suis en ce pays. Avec toute la tranquillité que doit inspirer le repos d'une bonne conscience, je suis pourtant affligée du malheur que j'ai de ne pouvoir quasi douter que mon nom n'a jamais été proféré que bien sinistrement devant tout ce qu'il y a de plus grand et de plus respectable dans le monde; et ce que je souffre à cet égard, me fait porter une véritable envie aux gens dont on n'a jamais entendu parler ni en bien ni en mal. Le jour que M. de Villars reçut son ordre pour son retour, je tremblois qu'il ne portât aussi de me faire partir incontinent. Mais, quand je sus qu'il n'y en avoit pas un mot, je pris patience. J'ai plus de reconnoissance de cette bonté du roi, malgré mon innocence, que n'en ont mille gens pour les solides bienfaits qu'ils reçoivent tous les jours de sa majesté. Je ne laisserai point de partir la première, parce que M. de Villars s'en ira plus vîte, quand il sera tout seul, dès le moment qu'il aura reçu les derniers ordres du roi. Adieu, madame; laissez dire de moi tout ce qu'on voudra. Je vous verrai bientôt; ce me sera une véritable joie. Quel voyage ai-je à faire, et quelle fatigue à essuyer!

 
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LETTRE XXXV

Madrid, 17 avril 1681.

Je vous rends grâces de l'impatience que vous me marquez de savoir le temps de mon retour; je ne puis vous le dire. On a mille choses à faire avant que de partir. C'est M. de Villars qui règle tout cela. J'ai pris congé de la reine ayant son départ pour Aranjuez. Elle m'a fort commandé de l'y aller voir; mais je ne sais si j'irai. Vous me demandez des raisons pour alléguer contre les torts qu'on me donne au pays où vous êtes; mais il me les faudroit apprendre auparavant. Tout ce que je sais de Paris, est qu'on publie que j'ai eu un grand démêlé avec un maître-d'hôtel de la jeune reine; mais, comme j'ai déjà répondu que je n'en connois pas un, et que jamais je n'ai eu le moindre mot avec homme ni femme, dedans ou dehors le palais, je ne saurois plus en rien dire. Toutes ces choses seront des nouveautés pour moi, quand j'arriverai à Paris. Il me semble qu'on dit encore que je vois trop souvent la reine. Si elle ne l'avoit pas voulu, cela n'eût pas été; et si, de France, on avoit ordonné à M. de Villars que mes visites fussent moins fréquentes, on ne se le seroit pas laissé dire deux fois. Je vous conterai un jour plus au long comme je m'y divertissois. Je vous supplie instamment encore une fois, ma chère madame, de laisser dire, sur mon sujet, tout ce qu'on voudra, pourvu que ces mensonges ne fassent point d'impression sur votre esprit: c'est tout ce que je désire de vous.

Ce que l'on vous mande de Rome de la connétable Colonne seroit meilleur pour elle que ce qui se passe ici. La pauvre femme est peut-être bien près d'éprouver de pires aventures que toutes celles qu'elle a eues par le passé. Il ne faut rien imputer à toutes ces sortes de têtes-là; mais on ne peut s'empêcher de la plaindre. C'est la meilleure femme du monde, à cela près qu'il n'est pas au pouvoir humain de lui faire prendre les meilleurs partis, ni de résister à tout ce qui lui passe dans la fantaisie. Son mari part samedi ou lundi avec ses enfans. Il a marié l'aîné, comme vous savez, avec une fille de Medina Celi, premier ministre, qu'il emmène aussi à Rome. La connétable demeure dans son couvent, où apparemment elle va manquer de tout. Elle y est déjà misérablement. Si je n'avois pas autant compati à son malheur, je n'aurois pu m'empêcher de me divertir à l'entendre parler comme elle fait. Elle a de l'esprit. Elle écrit que cela est surprenant, avec ses hauts et bas. Il étoit, en quelque sorte, facile à M. de Nevers, son frère, de la tirer du malheureux état où elle est, s'il étoit venu ici pour soutenir ses intérêts. Elle n'auroit pas été réduite à jouer la religieuse. Je pensai tomber de mon haut, quand le confesseur de la reine me dit qu'il lui alloit écrire la proposition de se faire religieuse pour sortir du château de Ségovie. Elle n'hésita pas un moment, comme je vous l'ai mandé, à trouver qu'elle en avoit la vocation. Je crus, au moins, qu'étant entrée dans le couvent, elle déclareroit qu'elle se moquoit, et que tout ce qu'elle avoit promis étoit pour sortir de prison; mais, au lieu de cela, elle prend l'habit dès l'instant qu'elle a mis le pied dans l'église. Il falloit que son frère vînt alors l'enlever de là, et tâcher de la faire aller demeurer avec la duchesse de Modène, comme on l'avoit proposé.

J'ai fort bien commencé et fini le carême; je n'en suis pas malade, Dieu merci. Le chocolat est une chose merveilleuse. N'en voudrez-vous point prendre?

On parle beaucoup de guerre avec le Portugal. Les deux princes veulent absolument qu'une certaine île soit à eux. Ils assurent qu'ils vont faire la guerre, si l'on ne la leur cède. On est pourtant tout-à-fait tranquille dans cette cour. Adieu, madame; je vous aime de tout mon cœur.

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LETTRE XXXVI

Madrid, premier mai 1681.

Jamais rien au monde ne m'a paru moins un compliment que tout ce que vous me dites, ma chère madame, sur l'obligeante envie que vous me marquez que j'aille loger chez vous en arrivant à Paris. Soyez bien persuadée que je pense et que je sens sur cela tout ce qu'il faut pour inspirer une tendresse vive et reconnoissante. Mes enfans vous feront mille excuses de ma part, de ce que je ne puis faire ce que vous souhaitez. Ce sont des excuses bien différentes de celles que l'on emploie pour refuser une grâce ou un service que l'on ne peut rendre. Mais votre cœur est fait de manière que je ne puis douter que ce ne soit vous faire une espèce d'offense de mettre quelque obstacle aux services que vous voulez rendre. Je vous demande donc une infinité de pardons; je m'en demande à moi-même de m'opposer à la joie que j'aurois de me trouver à portée de vous voir, de vous parler à tout moment. Je ne suis pas destinée à des plaisirs continuels, il s'en faut bien; et, pour changer de discours, je vous avouerai que, depuis quelque temps je suis moins empressée de mon retour à Paris; car vous saurez que M. de Villars prit la résolution de me faire partir, quand il sut, par la lettre du roi, son maître, qu'il le rappeloit. Il crut, pour plus grande commodité, qu'il étoit plus à propos que je m'en allasse la première, pour être en état de faire plus de diligence, débarrassé de femmes, de hardes et d'équipages; ne doutant point qu'au plus tard, trois semaines ou un mois après, il n'eût ordre du roi pour partir, et qu'il n'y eût un autre ambassadeur nommé. Mais je vois présentement qu'on ne parle de rien, et que M. de Villars peut demeurer encore ici long-temps. Cela étant, je ne voudrois plus m'en aller, pour ne pas laisser mon mari dans cet ennuyeux pays, où je puis être comptée pour quelque chose, par rapport au dénuement de toute sorte de plaisirs. Cependant M. de Villars ne pouvant s'imaginer d'être ici pour long-temps, et les chaleurs approchant, veut que je parte. A propos de cela, si vous trouvez par hazard, sur votre chemin, quelqu'un qui dise que le roi ait ordonné que je m'en revinsse en France, dites hardiment, madame, qu'il n'en est rien; sa majesté n'en a jamais écrit un mot à M. de Villars. Si ce que je vous écris là n'étoit pas vrai, vous croyez bien que je ne vous manderois pas le contraire. Vous voyez à quoi se réduisent mes vanteries, qui sont de vouloir établir, parce que cela est vrai, que le roi n'ordonne point de me faire partir, par la raison de mes malversations. Je vous entretiendrai bien, madame, quand je vous verrai. Il ne me sera, je crois, guère difficile de vous faire avouer que je ne mérite pas beaucoup de blâme sur ma conduite en cette cour; et, sans me vanter, peut-être n'ai-je fait tort à la conduite de personne. Adieu, ma chère madame.

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LETTRE XXXVII

Madrid, 15 mai 1681.

Je ne suis point encore partie; les pluies ont été si excessives et si continuelles ici, que les carrosses ni les litières ne peuvent se mettre en chemin. Présentement que le temps se met au beau, et qu'on nous fait espérer que nous apprendrons par le premier courrier, que le roi a nommé le successeur de M. de Villars, je partirai plus volontiers avec la certitude qu'il ne demeurera pas long-temps ici après moi. Leurs majestés Catholiques revinrent samedi d'Aranjuez. La reine a eu la bonté de me dire qu'elle eût été au désespoir d'en revenir sitôt, sans la joie qu'elle avoit de me revoir. Elle n'a pas pourtant engraissé dans ce charmant séjour. Je l'ai trouvée changée. J'ai vu la reine mère ces jours passés, dont j'ai tous les sujets du monde de me louer, par toutes les choses obligeantes qu'elle dit de la conduite de M. de Villars et de la mienne, quant à l'union de sa belle-fille avec elle; et je suis bien persuadée qu'elle en écrit conformément à la reine en France. Je suis à vous, ma chère madame, plus que je ne puis vous le dire.

Fin des Lettres de Madame de Villars
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LETTRES DE MADAME DE COULANGES, A MADAME DE SÉVIGNÉ

NOTICE SUR MADAME DE COULANGES

Madame de Coulanges a laissé d'elle la réputation d'une femme très-aimable et de beaucoup d'esprit; mais on ne trouve dans les livres, pour ainsi dire, aucune particularité, aucun détail sur sa personne. Il seroit aujourd'hui fort difficile, et peut-être même impossible, de suppléer entièrement à leur silence. A la distance où nous sommes déjà du siècle de Louis XIV, comment puiser dans la tradition des renseignemens certains sur les personnages de ce siècle, lorsque les écrivains du temps ont négligé de nous en transmettre? Les Lettres de madame de Sévigné sont presque le seul écrit où il soit question de madame de Coulanges. Nous allons en extraire le peu de notions biographiques qu'elles offrent sur cette femme spirituelle.

Madame de Coulanges naquit en 1631, de M. du Gué-Bagnols, intendant de Lyon.

Elle épousa Philippe-Emmanuel de Coulanges, conseiller au parlement de Paris, puis maître des requêtes, mort en 1716, âgé de 85 ans. M. de Coulanges était cousin-germain de madame de Sévigné, dont sa femme devint l'amie intime et presque inséparable. Plein d'esprit et sur-tout de gaîté, très-agréable en société, à cause de ses saillies et de ses chansons, il avoit peu d'aptitude ou du moins peu de goût pour les fonctions graves et laborieuses de la magistrature. On raconte qu'étant chargé de rapporter une affaire, où il s'agissoit d'une marre d'eau que se disputoient deux paysans dont l'un s'appeloit Grapin, il s'embarrassa tellement dans le détail des faits, qu'il fut obligé d'interrompre son récit: Pardon, messieurs, dit-il aux juges; je me noie dans la marre à Grapin, et je suis votre serviteur. Depuis cette aventure, il ne voulut plus être rapporteur, et il finit par se démettre de sa charge pour faire des voyages, des chansons et de bons dîners.

Madame de Coulanges, fille d'un simple intendant de province, et femme d'un homme de robe, qui avoit renoncé à son état, n'avoit aucun rang à la cour; et cependant elle y jouissoit de beaucoup de considération. Elle étoit nièce de la femme de le Tellier, ministre d'état, depuis chancelier, et cousine du fameux Louvois, ministre de la guerre. La parenté lui donnoit un certain crédit auprès de ces deux hommes puissans; et, comme on peut croire, ses amis lui fournissoient quelquefois l'occasion d'en faire usage. C'étoit sur-tout auprès de Louvois qu'on réclamoit ses bons offices, dans ce temps de guerres continuelles, où les emplois de l'armée passoient si rapidement de main en main.

 

C'étoit beaucoup, pour avoir des succès à la cour, que d'être nièce et cousine de ministre; mais ceux de madame de Coulanges tenoient encore à une autre cause bien plus honorable pour elle. C'est ce que madame de Sévigné a exprimé d'une manière si vive et si ingénieuse, en disant: l'esprit de madame de Coulanges est une dignité. Cet esprit consistoit à dire avec grâce, avec aisance, des choses fines et imprévues, des mots vifs et piquans. On appeloit cela les épigrammes de madame de Coulanges. Voici ce qu'en dit madame de Caylus dans ses Souvenirs. «Madame de Coulanges, femme de celui qui a fait tant de chansons… avoit une figure et un esprit agréables, une conversation remplie de traits vifs et brillans; et ce style lui étoit si naturel, que l'abbé Gobelin dit, après une confession générale qu'elle lui avoit faite: Chaque péché de cette dame est une épigramme. Personne en effet, après madame de Cornuel, n'a dit plus de bons mots que madame de Coulanges.» Madame de Sévigné, qui, dans ses Lettres, nous a conservé plusieurs bons mots de madame de Cornuel, que l'on cite encore tous les jours, en a rapporté aussi quelques-uns de madame de Coulanges; mais ils n'ont pas fait la même fortune. Il semble qu'ils avoient quelque chose de plus délié, de plus fugitif, qui tenoit davantage aux circonstances des personnes, des lieux et du temps; aux manières et au ton de celle qui les disoit; en un mot, nous pensons qu'ils perdroient beaucoup à être déplacés; et ce motif nous détermine à n'en transporter aucun dans cette Notice.

Madame de Coulanges, dont la malice s'égayoit souvent aux dépens des femmes que l'on soupçonnoit de quelque tendre foiblesse, fut à son tour l'objet des épigrammes; elle fut accusée d'avoir un peu plus que de l'amitié pour le marquis de la Trousse, cousin-germain de son mari. Le marquis étoit follement amoureux; elle, dure, méprisante et amère, à ce que dit madame de Sévigné, qui avouoit bonnement ne rien concevoir à leur conduite. «Il y auroit, dit-elle ailleurs, à parler un an sur l'état inconcevable et surprenant des cœurs de M. de la Trousse et de madame de Coulanges». Tout le monde n'avoit point là-dessus la même incertitude qu'elle. Madame de la Trousse étoit jalouse avec fureur de madame de Coulanges; et Louvois ayant envoyé M. de la Trousse sur la frontière, demanda publiquement pardon à sa cousine de ce qu'il lui ôtoit, pendant l'hiver, cette douce société. «Au milieu de toute la France, dit madame de Sévigné, elle soutint fort bien cette attaque; elle ne rougit point, et répondit précisément ce qu'il falloit».

Cette intrigue, vraie ou fausse de madame de Coulanges avec M. de la Trousse, n'empêcha, point la scrupuleuse et dévote madame de Maintenon d'avoir toujours le plus vif attachement pour son ancienne amie de l'hôtel de Richelieu. Elle vouloit toujours l'avoir auprès d'elle à Versailles et à St. – Cyr, et alloit elle-même la voir quand elle étoit malade.

Nous ignorons dans quelle année est morte madame de Coulanges.

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