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Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé

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LETTRE X

Madrid, 21 mars 1680.

Je veux vous parler d'une promenade où je fus hier, qui est la plus ordinaire, quand il fait chaud; et il en fait déjà beaucoup ici. C'est dans cette rivière si vantée du Mançanarès: au pied de la lettre, la poussière commence à y être si grande, qu'elle incommode déjà beaucoup. Il y a de petits filets d'eau par-ci, par-là, mais pas assez pour qu'on en puisse arroser des sables menus, qui s'élèvent sous les pieds des chevaux; en sorte que cette promenade n'est plus supportable. Ce n'est donc pas pour vous dire une mauvaise plaisanterie, mais une vérité assez extraordinaire. Je vous prie, madame, de conter cela, comme vous savez orner toutes les choses auxquelles vous voulez donner un air. Je vous expose seulement celle-ci, qu'on ne peut se promener dans une rivière, parce qu'il y a de la poudre. Mais ce n'est rien: il faut voir le grand et prodigieux pont qu'un roi d'Espagne a fait bâtir sur ce Mançanarès. Il est bien plus large et bien plus long que le Pont-Neuf de Paris: et l'on ne peut s'empêcher de savoir bon gré à celui qui conseilla à ce prince de vendre ce pont, ou d'acheter une rivière. Je pensois que je pourrois vous dire tout ceci en cinq ou six lignes; en voilà bien davantage.

Les femmes de la reine partirent d'ici le 14 de ce mois. Elles vinrent ce jour-là chez nous; elles y firent toutes leurs affaires, et après-dîner, M. de Villars et moi nous les menâmes dans mon carrosse hors la ville, prendre le leur. Elles avoient dit le soir à la reine qu'elles la reverroient le lendemain; mais elles firent prudemment de ne lui dire point adieu. Dès les sept heures, elle les demanda; elles n'y étoient plus. Elle pleura beaucoup: elle ordonna qu'on me vînt dire de l'aller trouver; mais je revins chez moi un peu tard. J'allai, sur les cinq heures du soir, au palais. Elle se levoit. Il est surprenant, en vérité, comme elle est embellie. Elle avoit ses cheveux sur le front, renoués en grosses boucles; des rubans couleur de rose à sa cornette et dessus sa tête, point barbouillée de rouge, comme il faut qu'elle le soit ordinairement; une gorge admirable. Elle mit une robe de chambre à la françoise, et passa le reste du jour avec cet habillement. Elle se considéra un peu de cette sorte dans un grand miroir. Cette vue la remit. Il paroissoit à ses yeux qu'elle avoit bien pleuré. Comme elle commençoit à me parler, le roi entra; et c'est ici une loi établie, que, quand sa majesté entre dans la chambre de la reine, toutes les dames qui s'y trouvent, en sortent aussitôt, si ce n'est la camarera mayor et deux ou trois autres qui sont domestiques. J'entendis qu'on demandoit des cartes, et je conjecturai par là que la reine s'alloit fort ennuyer au petit jeu que le roi aime, et où l'on peut perdre une pistole avec un malheur extraordinaire. La reine fait toujours comme si elle étoit ravie de cette occupation. Il lui est resté deux des femmes qu'elle a amenées, une de ses nourrices, qui est assez adroite, et une Provençale qui joue du clavecin. Le roi a une grande joie de voir diminuer le nombre des François; car il ne peut celer qu'il hait au dernier point notre nation. Pour vous expliquer un peu mieux le renvoi de ces femmes, c'est une grosse nourrice de la reine, et une fille nommée Martin, jolie, belle et sage. On ne les a pas chassées; mais on leur a rendu la vie du palais, assez insupportable, pour les obliger d'en sortir. Joignez à cela les marques que le roi leur donnoit de son aversion.

M. de Villars me prie de ne pas oublier de vous parler d'une parure qu'une des dames de la reine avoit, il y a deux jours; c'est ce qu'on appelle en France fille d'honneur. Elle en a dix. L'on en prend tous les jours quelque nouvelle. Celle dont je vous parle est la fille du duc d'Albe. Leurs habits sont des plus magnifiques; beaucoup de pierreries. Celle-ci servant la collation à la reine, comme les autres, reportoit un plat. Je lui vis un pistolet pendu au côté avec un gros nœud de ruban. Ne croyez pas que ce fut un bijou. Il auroit fort bien tué un homme: il étoit de plus de demi-pied de long, d'un acier bien poli et bien monté. Je ne voulus pas faire semblant, devant la reine, de le remarquer; peut-être ne fis-je pas ma cour à la fille, qui ne portoit pas cette arme pour la cacher, et pour n'en prétendre pas quelque louange.

Il y eut l'autre jour une procession dans ce qu'on appelle les cloîtres du palais. Je la vis par une petite fenêtre devant laquelle elle passoit. Le roi et la reine marchoient ensemble. Elle avoit une grande robe de cérémonie, des manches pendantes, une longue queue portée par la camarera mayor. Les filles ou dames d'honneur marchoient ensuite, parées avec des habits extraordinaires pour ces jours-là. La croix, le patriarche, les évêques, les prêtres et religieux marchent devant leurs majestés. Mais pour en revenir aux dames qui sont suivies de celle qui s'appelle la guarda mayor, leurs amans obtiennent ces jours-là ce qui s'appelle dar lugar17, c'est-à-dire, qu'ils ont place et la liberté pendant cette procession d'entretenir leurs maîtresses. Les processions sont bien meilleures ici pour les amans que les comédies, où ils ne peuvent se parler que de loin avec les doigts. Voilà, madame, tout ce qu'on peut vous dire de cette cérémonie. Si la croix n'y étoit pas portée, je vous-dirois que c'est une des plus galantes fêtes que l'on voie en Espagne.

Je m'en vais finir cette lettre par quelque chose, qui vous paroîtra aussi extraordinaire que ce que je vous ait dit au commencement: c'est un secret que M. de Villars m'a confié. Le roi, les deux reines et le premier ministre n'ont point du tout de crédit. Ce secret est comme celui de la comédie. Je m'en suis un peu doutée par le peu de précaution que M. de Villars a pris en me le confiant.

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LETTRE XI

Madrid, 16 avril 1680.

J'ai reçu deux de vos lettres par ce dernier ordinaire, comme je montois en carrosse pour aller à l'Escurial. Hélas! madame, quelle nouvelle m'avez-vous apprise que celle de la mort de M. de la Rochefoucauld18. Je n'ai pas le courage de vous parler de toutes les merveilles que je viens de voir. La tristesse de cette mort dont j'étois pénétrée, m'engagea à considérer plus long-temps que je ne l'aurois peut-être fait dans une autre situation d'esprit, ce magnifique Panthéon, et ces huit belles demeures, si l'on peut nommer de la sorte celles que les morts habitent, et où sont déjà quatre rois19 et quatre reines. Tout de bon, madame, je ne saurois vous entretenir de rien aujourd'hui. Je vous embrasse de tout mon cœur; et c'est tout ce que je puis faire, affligée comme je le suis.

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LETTRE XII

Madrid, 27 avril 1680.

Si j'avois été dimanche à une belle procession qui se fit encore, je vous en rendrois un léger compte; mais je ne jugeai pas raisonnable de passer de propos délibéré toute la matinée du dimanche des Rameaux sans prier Dieu. Je me contentai la veille de voir l'habit de la reine qu'elle me fit apporter. Il y en a toujours un exprès pour cette cérémonie, où il s'agit de marquer le deuil et la mortification. Le fond de cet habit est de satin noir tout brodé de jais blanc et d'acier, mais, sans nulle comparaison, mieux qu'on ne les emploie en France. C'est la seule broderie que j'aie vue dans sa perfection. La reine avoit beaucoup de pierreries, mais avec de petits morceaux de gaze plissés, attachés en quelques endroits sur le corps de jupe; l'on prétend marquer une grande modestie. Les dix filles d'honneur avaient des pointes de gaze blanche sur leurs têtes, et leurs amans à leurs côtés. Je ne vous dirai rien, de tout ce qui se passe les trois jours saints, mercredi, jeudi et vendredi. Toutes les femmes sont parées, et courent d'église en église toute la nuit, hors celles qui ont trouvé dans la première où elles ont été, ce qu'elles y cherchoient; car il y en a plusieurs, qui, de toute l'année, ne parlent à leurs amans que ces trois jours-là.

Je vous écris par un courrier que le roi a envoyé à M. de Villars. Vous aimeriez peut-être davantage cet ambassadeur, si vous saviez à quel point il sait bien se gouverner dans cette cour. Comme je suis toujours sur mes gardes pour ne rien écrire qui vise aux affaires d'état, je ne vous ai point informée de plusieurs choses qui se sont passées ici, quoique publiques; mais, en général, vous pouvez dire que M. de Villars a fait rétablir toutes choses comme le roi le désiroit. On lui a tendu mille panneaux depuis deux ou trois mois, pour lui donner dans son quartier, à Madrid, des sujets de batterie, et pour faire piller et brûler notre maison, en animant le peuple. Tout est à craindre, quand il arrive de semblables esclandres: il faut avoir une attention continuelle à les empêcher, et même, s'il se peut, à les prévoir, quoique cela soit quelquefois bien difficile. Le cardinal Bonzi, étant ici ambassadeur, y a passé. Quand ces désordres-là arrivent, les plaintes ne manquent pas d'être portées en France, et un pauvre ambassadeur est condamné, sans avoir pu dire ses raisons. Ils ont eu ici un tel dépit que Juvenozo, leur ambassadeur en France, n'ait pas reçu les traitemens qu'il vouloit, qu'ils auroient acheté bien cher quelques sujets d'attaquer la conduite de M. de Villars, sur le fait ou le caractère de l'ambassade. Personnellement on ne peut être plus aimé, ni plus estimé qu'il l'est. Ce roi a une haine effroyable contre les François; je ne cesse pas de vous l'écrire. La conduite de la reine est toujours très-bonne. Vous la louez du bon goût qu'elle a pour moi; mais savez vous à quelle sauce je me mets pour être trouvée de si bon goût? Adieu, ma chère madame; M. de Villars vous assure de mille véritables respects.

 
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LETTRE XIII

Madrid, premier mai 1680.

Tout ce que je puis vous dire de la reine, c'est qu'elle continue à bien faire. Le roi fut mercredi à l'Escurial, et en revint vendredi. Il faut des airs ici: la reine eut tous ceux qui étoient nécessaires pour marquer une grande mélancolie de cette absence. Je ne serois pas bonne comédienne; mais je sais bien comme il faut louer, et donner des avis à propos, quand je me trouve dans l'occasion de le faire. Ils se sont envoyé, pendant cette courte absence, des présens riches et galans.

Je reviens du palais. C'est aujourd'hui la fête de Monsieur. La reine étoit belle comme le jour. Je ne sais pas comment elle peut être si belle à Madrid. Elle étoit extraordinairement parée de très-grosses perles, et de beaucoup de diamans. J'ai été quelque temps seule avec elle. Nous avons chanté quelques airs d'opéra: car il n'est pas question, dans nos conversations, de la gravité que comporteroit mon âge. En vérité, si je dressois bien mon intention, je ne crois pas que ce fût une œuvre très-bonne que de la divertir. La vie du palais de Madrid ne se peut guère comprendre. Le roi se trouva un peu mal hier: il se porte bien aujourd'hui. J'ai laissé toute la maison royale aller à la comédie; j'ai senti un grand plaisir de n'y point aller, et de revenir chez moi. Je ne vous dis point tout ce que M. de Villars voudroit que je vous fisse entendre de sa part. On ne peut vous honorer ni vous respecter plus qu'il fait, et ma fille aussi, qui aime M. de Coulanges de tout son cœur. Adieu, madame.

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LETTRE XIV

Madrid, 26 mai 1680.

Vous dites, madame, que j'attire des louanges à la reine par le goût qu'elle paroît avoir pour moi, et le désir qu'elle fait voir que je sois presque toujours auprès d'elle. Elle en mérite, en vérité, d'autres, par la manière dont elle supporte cette vie affreuse du palais. Elle joue trois ou quatre heures par jour aux jonchets, qui est le jeu favori du roi, sans lui marquer de chagrin. Il lui fait souvent des présens qu'elle aime fort, et voilà par où il la console.

Le marquis de Grana et sa femme sont arrivés. On dit que cette femme parle cinq ou six sortes de langues; je serai bien simple auprès d'elle. Je ne sais si elle verra souvent la jeune reine. Si cela est, nous serons souvent ensemble; car il n'y a que les ambassadrices de France et d'Allemagne, qui entrent dans la chambre des reines. Toutes les autres femmes de ministres étrangers ne les voient que dans un lieu destiné pour les cérémonies. Avec cette prérogative, peut-on ne se pas trouver heureuse à Madrid?

M. de Villars vous assure de mille très-humbles respects, et ma fille aussi. Elle aime un peu mieux M. de Coulanges que vous. Elle porta hier à la reine la lettre et les chansons de M. de Coulanges. Elles les chantèrent long-temps. N'avez-vous pas reçu une petite boîte par des religieux?

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LETTRE XV

Madrid, 28 mai 1680.

J'ai vu M. et madame de Grana; le mari me vint voir il y a deux ou trois jours; il fut toute l'après-dînée avec moi. Il parle mieux françois qu'un François même; il est de bonne conversation. Il s'ennuie à la mort à Madrid, quoiqu'il y ait demeuré long-temps, et qu'il y ait beaucoup de parens. Il est épouvanté du gouvernement, quoiqu'il n'en parle que comme en doit parler un ambassadeur de l'Empereur, à une Françoise. Il dit qu'il ne sera pas long-temps ici. Il me soutient qu'il n'y avoit qu'un ambassadeur de France qui pût présentement trouver quelque plaisir dans cette cour, en entendant parler du méchant état où on la voit. Pour moi, madame, vous croyez bien que je n'entre dans aucun de ces détails.

Je jouis du beau temps, qui est admirable présentement. Depuis un mois, il est tempéré. Nous ne voyons ni ne sentons de soleil que ce qu'il en faut pour réjouir. La reine m'ordonne, et, si je l'ose dire, me prie instamment de la voir souvent. L'ennui du palais est affreux, et je dis quelquefois à cette princesse, quand j'entre dans sa chambre, qu'il me semble qu'on le sent, qu'on le voit, qu'on le touche, tant il est répandu épais. Cependant je n'oublie rien pour faire en sorte de lui persuader qu'il faut s'y accoutumer, et tâcher de le moins sentir qu'elle pourra; car il n'est pas en mon pouvoir de la gâter, en la flattant de sottises et de chimères, dont beaucoup de gens ne sont que trop prodigues. On a cru deux mois qu'elle étoit grosse; c'est à elle à savoir s'il y en avoit sujet. On ne peut être moins propre à questionner que je le suis sur de pareils chapitres. De plus, vous savez que, quand elle est partie de Paris, je n'étois pas beaucoup dans sa confiance, ni connue et considérée au Palais-royal. Je ne m'entremets de rien ici: la reine a du plaisir à voir une Françoise, et à parler sa langue naturelle. Nous chantons ensemble des airs d'opéra. Je chante quelquefois un menuet qu'elle danse. Quand elle me parle de Fontainebleau, de St-Cloud, je change de discours; et il faut éviter de lui en écrire des relations. Quand elle sort, rien n'est si triste que ses promenades. Elle est avec le roi dans un carrosse fort rude, tous les rideaux tirés. Mais enfin ce sont des usages d'Espagne; et je lui dis souvent qu'elle n'a pas dû croire qu'on les changeroit pour elle, ni pour personne. Entre nous, ce que je ne comprends pas, c'est qu'on ne lui ait pas cherché par mer et par terre, et au poids de l'or, quelque femme d'esprit, de mérite et de prudence, pour servir à cette princesse de consolation et de conseil. Croyoit-on qu'elle n'en eût pas besoin en Espagne? Elle se conduit envers le roi avec douceur et complaisance. Pour des plaisirs, elle n'en voit aucun à espérer dans cette cour; mais comme je n'ai aucun personnage à faire auprès d'elle, et que je n'ai ni charge ni mission de m'en mêler, ni de pénétrer rien sur le présent, le passé et l'avenir, elle me fait beaucoup d'honneur de vouloir que je sois souvent auprès d'elle; mais, quand cela n'est pas, je ne meurs point d'ennui avec M. de Villars, avec qui j'aime bien autant m'aller promener. Si je vous disois la continuation, où, pour mieux dire, l'augmentation des misères de ce pays, cela vous feroit de la peine. Adieu, madame; je suis à vous de tout mon cœur.

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LETTRE XVI

Madrid, 13 juin 1680.

Depuis ma dernière lettre, nous avons fait un petit voyage en la seule maison qu'ait le roi d'Espagne, quand il veut, pour quelque temps, quitter la demeure de Madrid. Elle s'appelle Aranjuez. Elle passe ici pour la merveille du monde. La situation pour les eaux est des plus belles; et, si M. le Nostre en trouvoit une pareille, ce qu'il y pourroit faire s'appelleroit en effet une merveille. Le jardin, qui est grand, est entouré de deux rivières dont l'une est le Tage, et l'autre le Guadaran. Voilà de grands noms; mais me voilà, pour toute ma vie, détrompée de ces noms fameux. N'avez-vous pas une haute idée de ce Tage? et le Mançanarès n'a-t-il pas quelquefois touché votre imagination, comme de quelque agréable rivière? Le Tage est plus grand; mais, en revanche, son eau n'est point claire. Il faut pourtant dire la vérité; ce jardin, pour l'Espagne, est agréable, par la quantité de fontaines et d'arbres qui y sont; car rien n'est si rare en ce pays que les bois, par la sécheresse du climat. Je n'ai rien trouvé à redire au peu de largeur des allées. C'est Philippe II qui les a fait planter; et peut-être que, de son temps, il falloit qu'elles fussent ainsi pour être parfaites. La maison serait assez belle, si elle étoit achevée; mais il s'en faut plus de la moitié, quoique le dessin ne soit pas grand. Il y a sept ou huit lieues d'Aranjuez à Madrid. Nous y allâmes le vendredi, et nous en revînmes le lundi: j'allai le lendemain, voir la reine: je lui en dis des merveilles, et je la suppliai de le dire au roi qui entra. Elle fit fort bien son devoir: je lui avois conseillé de marquer quelque impatience que sa majesté la menât voir ce beau lieu. Elle n'eut pas de peine à lui persuader que j'en étois charmée; car il le croit au-dessus de tout ce qu'il y a au monde. Cette demeure, qui semble n'être propre que pour le temps des chaleurs, est mortelle en été; et le gouverneur a permission de n'y être jamais en cette saison. Pour toutes bêtes rares, il y a une infinité d'horribles chameaux: d'en voir un seul, comme on en voit quelquefois à Paris, ne fait pas un effet désagréable, comme lorsqu'on en voit beaucoup ensemble. Tout ce qu'on voit là ne fait point du tout souvenir de la ménagerie de Versailles. Il n'y a même point de ménagerie; car ces vilains animaux paissent dans les champs comme des troupeaux de bœufs et de vaches; et l'on s'en sert pour porter des pierres ou de la terre, quand on bâtit. Me voilà donc revenue de cette maison royale, dont je ne vous parlerai plus.

Les Espagnols nous disent incessamment que nous aurons bientôt la guerre: les pauvres gens en ont grand'peur. Pour moi, j'aime bien mieux l'ennui de Madrid, que d'en partir pour une telle raison, et je leur réponds toujours que je n'en crois rien. Ce bruit est plus grand au palais qu'ailleurs; et la reine, comme vous pouvez penser, en est bien alarmée. Elle continue de se bien porter. C'est un heureux tempérament pour la santé; et je ne sais pas ce qui se passe dans son esprit et dans sa tête, pour la soutenir si bien; car pour son cœur, je crois qu'il ne s'y passe rien. Quand je suis un peu de temps sans la voir, elle ne le trouve point bon. Nous chantons comme des cigales. Elle lit des opéras; elle joue à merveille du clavecin, assez bien de la guitare; en moins de rien, elle a appris à jouer de la harpe. Elle ne prend pas beaucoup de consolation dans les livres de dévotion. Cela n'est point extraordinaire à son âge. Je dis souvent que je voudrois bien qu'elle fût grosse, et qu'elle eût un enfant.

Je n'ai point vu le marquis de Grana depuis que je vous ai écrit. Je serois fort aise que nous nous vissions, mais la politique qu'il croit devoir garder en cette cour, le retient peut-être et sa femme aussi, qui, par politique de son côté, s'habille à l'espagnole. On l'en devroit récompenser, car elle est bien mieux autrement.

Il y aura lundi une fête de taureaux. On s'y attend à beaucoup de plaisir, parce qu'on n'a jamais vu de taureaux si furieux. L'abbé de Villars vous entretiendra, si vous voulez, sur ce sujet. Il est charmé de celle qu'il a vue; mais, quoi qu'il vous en puisse dire, croyez-moi, c'est une épouvantable beauté. Il y aura une autre fête le 31 de ce mois, dont je vous ferai écrire une ample relation. Vous la trouverez bien extraordinaire. Elle ne se fait que de cinquante en cinquante ans. On y brûle beaucoup de Juifs; et il y a d'autres supplices pour des hérétiques et des athées. Ce sont des choses horribles.

 
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17Donner ou faire place.
18François, duc de la Rochefoucauld, prince de Marsillac, etc. auteur des Maximes et des Mémoires, etc. mort le 17 mars 1680. Il a eu cinq garçons et trois filles.
19Les quatre Rois sont: Charles-Quint, Empereur. Philippe II. Philippe III. Philippe IV.