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Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé

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LETTRE XX

Pont-de-Vesle, 1729

Nous voilà enfin arrivés à Pont-de-Vesle. Jugez, Madame, de ma joie. J'aurai donc le plaisir de vous voir et de vous embrasser bientôt: j'ignore encore le moment où je jouirai de ce bonheur. J'attends que M. de Pont-de-Vesle soit ici, et les lettres de l'archevêque, pour m'arranger. D'ailleurs madame votre fille est actuellement avec vous: cela vous partageroit trop; je veux la laisser établir. Nous avons tous eu bien du regret de ne l'avoir pas eue ici quelques jours. Monsieur son mari me vint voir le lendemain de son départ. Il m'attendrit beaucoup; je le trouvai si touché, et en même temps si raisonnable, si rempli de considération et d'estime pour madame votre fille, que me connoissant, vous devez juger si je fondis en larmes. Il faut dédommager cette aimable femme de tous ses malheurs. Elle trouvera des parens, des amies qui l'aiment bien tendrement. Mais, hélas! il en feroit plus de cas, si elle revenoit avec une fortune brillante. On pense de cette façon à Paris; et je crois que les hommes sont partout les mêmes. Pour vous, Madame, votre tendresse et votre bonté vous la feront recevoir avec bien de la joie. C'est une grande douceur pour une mère de vivre avec une fille telle que la vôtre. Je vous la recommande comme ma sœur bien aimée. Plaisante recommandation, penserez-vous! en a-t-elle besoin? n'est-elle pas ma fille, et une fille que j'aime tendrement?

J'avois laissé ma lettre pour recevoir M. de Pont-de-Vesle qui vient d'arriver dans ce moment; il vous assure de ses respects. Je suis libre, et je serai bientôt auprès de vous. Préparez-vous à me trouver changée; je ne m'en soucie que pour vous que j'aime, et respecte de tout mon cœur.

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LETTRE XXI

Pont-de-Vesle, 1729

Je ne puis vous dire, Madame, la douleur où je suis de vous avoir quittée. J'ai le cœur si gros et si serré, que j'ai cru étouffer; la crainte de vous trop attendrir, m'a fait me contraindre, en me séparant de vous; j'ai fait ce que j'ai pu, pour que vous ne vissiez pas couler mes larmes; mais j'en ai gagné un mal de tête affreux. Si je n'avois pas la certitude de vous revoir, je ne sais pas, en vérité, de quoi je serois capable: les réflexions morales m'accablent. La vie me paroît si courte, pour essuyer de si grandes peines, que je ne veux plus faire de connoissances, dans la crainte de m'exposer à la peine où je suis; mais tout cela se détruit à mesure que je le pense. Je me dis que je ne trouverai jamais d'amie qui mérite d'être aimée sur tous les points, comme vous; je ne pense plus à la retraite: mes idées là-dessus sont évanouies. Je me priverois par là absolument de l'espérance de vous aller voir souvent: et d'ailleurs, Madame, je sens trop les conséquences de ce parti-là. Depuis que nous en avons parlé ensemble, je puis me conduire aussi bien dans le monde, et même mieux. Plus ma tâche est difficile, plus il y a de mérite à la remplir, et je dois, par reconnoissance, rester auprès de madame de Ferriol, qui a besoin de moi. Hélas! Madame, je me rappelle sans cesse notre conversation dans votre cabinet: je fais des efforts qui me tuent. Tout ce que je puis vous promettre, c'est de ne rien épargner pour que l'une des choses arrive; mais, Madame, il m'en coûtera peut-être la vie; car pour les espérances, elles sont si éloignées, que je mourrai peut-être de vieillesse avant qu'elles arrivent. On m'a chargée de cent mille jolies choses pour vous; il est juste que je vous en fasse part. Voici deux articles de ses lettres.

«Mille respects à votre amie: assurez-la qu'il y a tant de sympathie entre votre façon de penser et la mienne qu'il ne me seroit pas possible de ne pas partager avec vous les sentimens que vous avez pour elle.»

Dans une précédente, que je reçus à Lyon.

«Je vous félicite du plaisir que vous avez eu de voir et d'embrasser madame Saladin. Je connois votre cœur, et je ne suis pas surpris des larmes que la joie vous a fait répandre. J'en ai répandu aussi, ma chère Aïssé, en lisant votre lettre, et je n'ai pas été plus touché de la peinture que vous faites de vos transports, que de l'empressement avec lequel madame Saladin vous a reçue. Dites-lui bien, je vous prie, que j'ai une extrême reconnoissance des marques de son souvenir: le goût que l'on a pour la vertu, doit être la mesure du respect que l'on a pour elle. Je la crois trop juste, et je lui crois trop de sentimens, pour condamner l'amitié que vous avez pour moi. Si vous pouviez lui peindre l'attachement que j'ai pour vous, ma chère Silvie! dites-lui bien qu'il n'y a jamais eu, et qu'il n'y aura jamais un moment dans ma vie où je cesse de de vous aimer. Demeurez à Genève tout le temps que vous pourrez; je regrette moins votre absence; j'imagine que votre santé y est en sûreté. Je suis en peine des fatigues du retour Conservez-vous, ma chère Aïssé. Aimez-moi; c'est là le véritable fondement du bonheur de ma vie.»

Voilà, Madame, bien des choses qui blessent ma modestie; mais aussi je serai plus excusable à combattre si lentement. Hélas! que l'on est heureuse, quand on a assez de vertu pour surmonter de pareilles foiblesses; car, enfin, il en faut infiniment pour résister à quelqu'un que l'on trouve aimable, et quand on a eu le malheur de n'y pouvoir résister. Couper au vif une passion violente, une amitié la plus tendre et la mieux fondée! Joignez à tout cela de la reconnoissance, c'est effroyable! La mort n'est pas pire. Cependant vous voulez que je fasse des efforts: je les ferai; mais je doute de m'en tirer avec honneur, ou la vie sauve. Je crains de retourner à Paris. Je crains tout ce qui m'approche du chevalier, et je me trouve malheureuse d'en être éloignée. Je ne sais ce que je veux. Pourquoi ma passion n'est-elle pas permise? pourquoi n'est-elle pas innocente?

Mandez-moi au plutôt de vos nouvelles. Permettez que je vous embrasse mille fois, et de tout mon cœur. Beaucoup d'amitiés à mesdames vos filles. Je les embrasse toutes; souvenez-vous de votre Aïssé, et soyez persuadée de tout son attachement, et de tout son respect pour vous; il est extrême.

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LETTRE XXII

Pont-de-Vesle, 1729

J'ai retardé de vous écrire, parce que j'ai été assez incommodée; j'ai eu une colique très-violente. Je n'ai pas manqué de dire que c'étoit vous qui m'aviez préservée; car je n'ai eu aucun mal à Genève, mes maux ont respecté ma joie; ils feroient bien mieux de ne pas se mêler à ma douleur. Je vous ai quittée, Madame, avec un chagrin extrême. Vos lettres m'ont serré le cœur et ont renouvelé mes larmes. A chaque instant, je me rappelle la douceur, la tranquillité, la candeur avec laquelle j'ai passé ce peu de temps auprès de vous. J'ai trouvé les personnes avec qui je vivois à Genève, selon les premières idées que j'avois des hommes, et non pas selon mon expérience. Je me retrouve presque moi-même, comme dans le moment que j'entrois dans le monde, sans humeur, sans peines, sans chagrins. Combien tout a changé! que les habitans de ces lieux sont différens de ceux des vôtres! je n'ai pas eu un moment de bonne humeur depuis notre séparation. J'ai retrouvé ici des coliques, le serein, les concerts, les puces, les rats, et qui pis est, des hommes, non pas de l'ancienne roche, mais de la nouvelle. Tenons-nous-en aux réflexions générales. Vous me pardonnerez bien de ne pas entrer sur cette matière dans des détails.

Vous m'affligez beaucoup de m'apprendre que madame votre belle-sœur P… est malade: je sais combien vous l'aimez, et je l'estime et l'aime de tout mon cœur. J'ai fait vos complimens à l'archevêque196, et aux autres qui vous en remercient. Ce premier m'a fait beaucoup de questions sur mon séjour auprès de vous, sur la douleur de nous séparer, et sur votre ville; il se flatte qu'on l'aime un peu dans ce pays. Je n'ai pas manqué de lui dire que l'on m'avoit demandé de ses nouvelles. J'ai nommé les gens qu'il dit ses amis. Il m'a grondée de ne lui avoir pas emprunté sa litière pour vous aller voir, qu'il y seroit allé lui-même très-volontiers, vous aimant beaucoup. Il me fit faire la description de votre maison de campagne, de la façon dont vous viviez en ville, en un mot, il s'informa de tout, soit par amitié pour vous, soit pour me dire de choses obligeantes. Il y réussit très-bien; car je lui sus le meilleur gré du monde de toutes ses questions. Pour sa sœur, elle ne m'en fit que très-peu: elle cherchoit des discours pour elle, et rien autre chose. M. de Pont-de-Vesle partage de tout son cœur mon enthousiasme.

Nous passons d'ailleurs notre temps ici assez tristement. Le matin, après la messe, l'archevêque s'enferme avec un jésuite jusqu'à dîner. Après le dîner, une partie de quadrille, pleine de rapine et d'aigreur: le tout pour cinq sous que l'on ne paie point; toujours une compagnie de la ville peu divertissante, et à qui il faut faire autant de cérémonies qu'à des intendans. Sur le soir, on va se promener. La maîtresse du logis et moi, nous restons, l'une à lire, l'autre à tricoter, ou à découper. Après la promenade, un concert qui arrache les oreilles. On soupe très-mal; on n'a ni bons poissons, ni des amies. Songez-vous bien à la différence de ce séjour à Genève pour moi, et combien j'ai de raisons de vous regretter?

 

Vous pouvez m'écrire en toute sûreté: on me rend directement mes lettres. La personne qui les retire a ordre de les remettre à moi seule, pas même à ma fidèle Sophie. La peur que l'on a de payer les ports de lettres, fait que l'on n'ose pas demander si j'en ai eu. L'archevêque paie mes places, et celles de Sophie dans la diligence: c'est bien honnête à lui assurément. Malgré toutes les avarices de madame de Ferriol, sa mauvaise humeur et ses discours, souvent désobligeans; elle étoit dans une grande inquiétude de ma santé pendant mon séjour auprès de vous. Elle disoit: «elle est partie malade; elle a la fièvre ou la petite vérole.» Elle paroissoit aussi en peine de moi que de son fils. Sa femme de chambre disoit à Sophie que sa maîtresse ne pouvoit passer l'hiver auprès de son frère à Embrun, sans moi, et que la crainte que je ne voulusse pas y aller, l'empêcheroit d'y penser. Concevez-vous, Madame, à la façon dont elle agit avec moi, qu'elle puisse regarder comme un malheur de ce que je serois séparée d'elle? D'Argental m'a écrit: je reçus sa lettre, en revenant de chez vous. Il y avoit cent mille choses pour vous; je vous les laisse imaginer. Ma lettre seroit trop longue, si je vous les répétois. Nous partons d'ici dans quinze jours, pour aller à Ablons. Madame de Ferriol y sera dix ou douze jours. Pour moi, j'irai à Sens, voir qui vous savez197. J'y resterai le plus que je pourrai. Madame de Ferriol m'y viendra joindre. Vous aurez des détails de mon entrevue: j'aurai vu cette année tout ce qui m'est cher. Adieu, Madame, mes sentimens et mon âme vous sont dévoués.

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LETTRE XXIII

Pont-de-Vesle, 1729.

Voulà enfin le bienheureux jour arrivé! Je pars d'ici demain matin, et je n'ai que la nuit à passer. Madame de Ferriol avoit bien raison de dire que je ne pouvois tenir ici. En revenant de chez vous, je suis morte d'ennui; et ma santé, d'accord avec l'ennui, m'a très-mal traitée. Je me suis fait saigner: cela ne m'a pas réussi; mes maux de tête et mes coliques sont toujours aussi fréquens; peut-être est-ce l'air du pays et les eaux.

J'attendois une réponse de vous, avant de partir, mais j'espère que vous aurez la bonté de m'écrire à Sens. J'y serai le 15 de ce mois. Mon adresse est chez madame de V…, abbesse de Notre-Dame. Madame de Bolingbrocke a pensé mourir à Reims d'une colique à quoi elle est sujette. Elle a été à l'extrémité; elle est mieux, et je la trouverai à Sens. Mandez-moi de vos nouvelles et de celles de madame P… Sa sciatique m'inquiète. Vous êtes, je crois, de retour en ville, assise sur ce bon canapé, avec vos aimables filles autour de vous, et toute votre famille empressée à vous voir. Vous jouissez de l'estime et de l'amitié de tout ce qui est auprès de vous, et vous n'avez aucun sentiment pénible à combattre. Que je souhaiterois passer mes jours ainsi! Vous savez à qui je dois des complimens. Voulez-vous bien les faire à votre choix? Pour M. votre mari, je ne vous en charge pas; j'ai remarqué que vous aviez toujours un peu de jalousie. Madame votre fille voudra bien lui faire quelques agaceries de ma part, et me rendre ce petit service; en reconnoissance, je l'embrasse de tout mon cœur.

Madame de Nesle est morte, dit-on, de la rougeole; mais les amies particulières, et qui sont par conséquent au fait, disent qu'il y avoit complication de maux, et que de plus robustes qu'elle y auroient succombé. M. de Richelieu est dans le même cas, excepté qu'il n'est pas mort; mais on me mande qu'il se meurt. Madame d'Aumont et son mari, qui n'ont que la rougeole, s'en tirent très-bien. Je ne sais si je vous ai mandé que M. de la Ferrière marie sa fille à un homme qui a vingt mille livres de rente, et qui demeure à Lyon. C'est une grande joie pour la mère d'avoir sa fille auprès d'elle. Ils méritent bien tous deux de trouver ce beau parti; car ils avoient refusé pour leur fille un homme fort riche, mais vieux, et qu'elle n'auroit pu aimer. Ils lui donnent dix mille écus, et vingt mille francs après leur mort. C'est une très-aimable fille. Adieu, Madame; j'ai bien de la peine à vous quitter. Plût à Dieu que je fusse avec vous réellement! je ne pourrois plus m'en séparer. Il m'en a trop coûté, et il m'en coûte trop tous les jours, en m'en souvenant. Adieu, Madame, je vous aime de tout mon cœur. Je vais encore m'éloigner de vous, et ce n'est pas sans regrets. Vous aurez de mes lettres, quand je serai à Paris. Je serai trop occupée à Sens, pour avoir le temps de vous écrire.

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LETTRE XXIV

Paris, 1729

Vous m'avez demandé un compte exact de mon retour à Paris et de mon séjour à Sens. J'ai trouvé la petite très-grande, mais fort pâle. Sa figure est noble. Elle est bien faite; elle a les plus beaux yeux que vous ayez vus, l'air délicat. Elle a de l'esprit, de la douceur, de la raison, mais d'une distraction inouie, le caractère et le cœur à souhait. Je crois sans prévention que ce sera un bon sujet. La pauvre petite m'aime à la folie: elle fut si saisie de joie de me voir, qu'elle fut prête à se trouver mal. Vous devez juger de tout ce que je sentis en la voyant. Mon émotion étoit bien vive, d'autant plus qu'il falloit la cacher. Elle me dit cent fois que c'étoit un bien heureux jour pour elle que celui de mon arrivée. Elle ne pouvoit me quitter; et cependant, dès que je la renvoyois, elle s'en alloit avec une douceur extrême; elle écoutoit mes avis, et paroissoit appliquée à en profiter. Elle ne cherchoit point à s'excuser de ses fautes, comme les enfans. Hélas! la pauvre petite, quand je suis partie, étoit si pénétrée de douleur, que je n'osai la regarder, tant elle m'attendrissoit; elle ne pouvoit parler. J'emmenai l'abbesse avec moi, pour voir madame de Bolingbrocke, qui étoit à Reims, où elle avoit été très-mal, et qui comptoit de là aller à Paris. Tout le couvent étoit en pleurs du départ de l'abbesse, et la pauvre petite disoit: «Pour moi, Mesdames, je suis aussi fâchée que les autres de vous voir partir; mais je crois que cela est nécessaire, et que madame de Bolingbrocke sera bien aise de vous voir, et que votre vue lui fera du bien; c'est ce qui me console un peu de votre départ;» et puis la pauvre petite étouffoit. Elle s'assit sur une chaise, n'ayant pas la force de se soutenir, et elle m'embrassoit et me disoit: «Voilà un furieux contre-temps, ma bonne amie; car vous seriez restée ici davantage. Je n'ai ni père ni mère: soyez, je vous prie, ma mère; je vous aime autant que si vous l'étiez». Vous jugez, ma chère madame, dans quel embarras ce discours me mettoit; mais je me suis très-bien conduite. J'y ai resté quinze jours, et mon rhumatisme m'a prise là. Je fus perclue de tout mon corps. Pendant deux jours, elle ne me quitta pas. Elle resta cinq heures d'horloge au chevet de mon lit, sans qu'elle voulût me quitter; elle me lisoit pour m'amuser et puis elle m'entretenoit, et je m'assoupissois un moment. Elle craignoit de me réveiller, et n'osoit respirer. Une personne de trente ans n'auroit pas été plus capable d'attentions. Mademoiselle de Noailles vouloit qu'elle vînt jouer avec elle. Elle la pria de l'en dispenser, ne voulant point me quitter. Enfin, Madame, je suis persuadée que, si elle avoit le bonheur d'être connue de vous, vous l'aimeriez beaucoup. Madame de Bolingbrocke la veut emmener avec elle; et avoir soin de sa fortune: ce qui afflige terriblement qui vous savez; il en est fou. Je ne puis exprimer toute la joie qu'il a eue de mon retour; tout ce que la vivacité d'une passion violente peut faire faire et dire, il l'a fait et dit. Si c'est jeu, il est bien joué. Il est revenu plusieurs fois, après de longues et pénibles chasses: enfin, le roi lui dit la dernière fois, quand, il demanda congé (car il faut le demander toujours au roi directement), ce qu'il avoit tant à faire à Paris; il fut déconcerté de la demande, et rougit; il ne put dire autre chose, sinon qu'il avoit des affaires.

Ce 2 décembre

Depuis seize jours que cette lettre est écrite, le chevalier est revenu de Marly avec la fièvre, une attaque d'asthme et un rhumatisme sur les reins; il souffre beaucoup. Je suis dans un état violent, il faut que je vous écrive pour me distraire; je n'ai de consolation que celle de penser à vous. Si j'étois plus raisonnable, j'oserois vous faire part de toutes mes réflexions. J'ai beaucoup de chagrins; il n'y auroit que vous qui pourriez entrer dans mes peines: le résultat de tous mes regrets, c'est que je vous aime tendrement, que vous méritez de l'être, et qu'il n'y a que vous dans le monde qui en êtes digne. Vous me répondrez à cela qu'il y a bien, de l'orgueil et de l'amour-propre dans ce que je dis. Il peut y en avoir un peu; mais ce n'est point dans le sens que vous l'entendez. Je suis très-imparfaite; mais j'exige des autres ce que je n'ai pas moi-même. Toutes vos qualités me sont agréables, quoique je n'ait pas le bonheur de les posséder. La vertu, l'esprit, la douceur, la délicatesse, l'honnête sensibilité, la pitié pour les malheureux et pour ceux qui ne sont pas dans le bon chemin, sont des qualités utiles pour les autres, quoiqu'on ne les possède pas soi-même. Encore une chose qui satisfait mon cœur, c'est que je sens que je puis dire tout ce que je pense de vous, sans pouvoir être accusée de prévention, ni de flatterie. Vous êtes enfin, selon mon cœur et mon âme. L'amour partage mon cœur avec vous, Madame; mais si je ne trouvois pas dans l'objet ces vertus que j'aime en vous, il ne subsisteroit pas. Vous m'avez rendue délicate sur cet article. Je l'avoue à la honte de l'amour; il cesseroit, s'il n'étoit pas fondé sur l'estime. Adieu, Madame.

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LETTRE XXV

Paris, 1728

Vous êtes surprise, Madame, que j'aie été si long-temps sans avoir eu l'honneur de vous écrire: ce n'est pas assurément que je n'en eusse une grande envie; mais j'ai été assez incommodée d'un très-gros rhume qui m'a fait garder le lit. J'ai voulu plusieurs fois me lever de bonne heure, pour me mettre à mon écritoire, pour causer avec vous, et toutes les fois, j'ai été interrompue soit par des visites, ou par des invitations. J'ai été premièrement nichée dans un galetas, pendant quinze jours, que madame de V… et sa compagnie se sont emparées de ma chambre et de tous mes ustensiles. Après cela, madame de Bolingbrocke est arrivée de Reims, malade, et dans un grand besoin de nous tous, pour l'aider à se ranger dans sa maison, et à recevoir ses visites; elle est un peu mieux. Toutes les personnes qui ont des bontés pour moi, se relayent pour ne pas me laisser un instant tranquille; je ne suis pas rentrée pour me coucher, avant trois heures du matin. Je vis hier M. votre neveu, que j'ai trouvé beau et bien fait. Je viens d'apprendre quelque chose qui m'a surprise. M. de Bellegarde a dit à M. de Marcieux que madame votre cousine n'avoit jamais voulu l'écouter comme amant; qu'elle lui avoit dit que ses discours ne lui convenoient pas, et que, s'il continuoit, elle ne le verroit plus; qu'un, homme de sa naissance et de son âge devoit mieux faire que l'amour; qu'il devoit aller dans les pays étrangers chercher du service; qu'elle lui prêteroit 10,000 écus, et que s'il avoit besoin de davantage, elle le lui feroit tenir; qu'elle ne disconvenoit pas qu'elle n'eût beaucoup d'estime et d'amitié pour lui, mais qu'elle ne vouloit point d'amour. Il a assuré M. de Marcieux, à qui il a raconté cette conversation telle qu'elle étoit, qu'il partoit tout de suite pour la Pologne, et que n'ayant aucun secours de sa famille, il se trouvoit dans le cas d'accepter les offres de madame V…, et qu'il devoit aux procédés généreux et désintéressés de cette dame, la plus grande reconnoissance. Je ne puis m'empêcher, je vous l'avoue, de trouver cela très-bien, si cela est198.

 

Je suis si lasse des humeurs de mademoiselle Bideau, que je suis résolue de me tirer de ses pattes, à quelque prix que ce soit. Je vendrai ce qui me reste de pierreries, me défaisant, sans regret, de ces joyaux qui me divertissent, mais qui me seroient insupportables, si je continuois d'avoir un fardeau si pesant. Elle exige beaucoup de moi; elle trouve trop que je lui ai des obligations, pour que ma reconnoissance soit bien grande. Elle traite de manie et de sottise ce qu'elle a pratiqué toute sa vie. La dévotion, qui est à présent sa seule ressource, sert encore à me tyranniser. Rien n'est si difficile que de faire son devoir auprès de gens que l'on n'aime point, et que l'on n'estime point. Madame de Ferriol est d'une avarice sordide; elle ne fait plus que végéter, mais d'une façon si triste, elle est si aigre, que personne n'y peut tenir. Tout le monde l'abandonne. D'Argental m'a tant parlé de vous et des vôtres et avec tant d'attachement, que je lui en sais un gré infini, et l'en aime davantage.

Le maréchal d'Uxelles a quitté la cour avec courage; mais il est comme Charles-Quint; il s'en repent. Il se flatte, dit-on, que le roi lui ordonnera de revenir; mais il ne lui a rien dit: on assure que c'est à l'occasion du traité, qu'il l'a quitté. Cela lui fait honneur; car le public n'en a pas été content.

Le chevalier est mieux. Je voudrois bien qu'il n'y eût plus de combat entre ma raison et mon cœur, et que je pusse goûter parfaitement le plaisir que j'ai de le voir. Mais hélas! jamais. Mon corps succombe à l'agitation de mon esprit: j'ai de grandes coliques d'estomac; ma santé est furieusement dérangée. Adieu, Madame, je finis cette lettre qui n'est qu'une rapsodie; je ne sais comment vous vous en tirerez.

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196Le cardinal de Tencin, archevêque de Lyon.
197Sa petite fille, au couvent.
198M. de Bellegarde, cadet sans fortune, fut ensuite en Pologne, où il épousa la sœur du maréchal de Saxe, fille d'Aurore de Konigsmark. Rien de plus vrai. (Note de M. de Voltaire). Voltaire a commis ici une petite erreur que nous allons rectifier. La femme qu'épousa M. de Bellegarde, étoit bien sœur du maréchal de Saxe, puisqu'ils avoient tous deux pour père Auguste II, roi de Pologne; mais elle n'étoit point fille d'Aurore de Konigsmark, la mère du maréchal: la sienne étoit une turque, dont Auguste II eut aussi un fils nommé le comte de Rutowski.