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Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé

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LETTRE XV

Paris, 10 juin 1723

On dit enfin que nous irons à Pont-de-Vesle. Madame de Ferriol a toutes les peines du monde à s'y déterminer: tous les projets qu'elle avoit faits sont rompus. Premièrement son mari avoit un procès qui devoit se juger incessamment, et il a été remis à l'année prochaine; ensuite elle a dit que jamais son mari ne voudroit venir avec elle, et que pendant son absence, il dépenseroit beaucoup. Il l'a assurée qu'il l'accompagneroit, soit dans la diligence, soit dans une chaise de poste, tout comme elle le souhaiteroit. Ensuite elle a dit qu'elle ne vouloit point partir, qu'elle ne sût si miladi Bolingbrocke ne viendroit point cet été. Madame Bolingbrocke lui a mandé qu'elle ne comptoit venir qu'au commencement de l'hiver, et que si elle n'étoit pas à Paris, elle remettroit son voyage à l'été prochain. Enfin, il a fallu chercher quelqu'autre raison. Elle a dit qu'elle n'avoit point d'argent. M. son frère lui en a offert. La voilà, comme vous voyez, à quia. Elle a paru se rendre; mais elle veut, avant que de partir, prendre les eaux de Balaruc: elles ne sont pas arrivées: ainsi cela renvoie. Je crois qu'il faudra qu'à la fin elle se décide. Tout le monde est excédé de ses incertitudes. Le vrai de ses difficultés, c'est qu'elle ne voudroit point quitter le maréchal, qui ne s'en soucie point, et ne feroit pas un pas pour elle. Mais elle croit que cela lui donne de la considération dans le monde. Personne ne s'adresse à elle pour demander des grâces au vieux maréchal. Elle est très-souvent seule; ses affaires sont toujours très-délabrées, elle ne paie point, elle ne fait aucune dépense, elle est d'une avarice et d'un dérangement inconcevables. Je suis obligée de me rappeler cent fois le jour le respect que je lui dois. Rien n'est plus triste que de n'avoir pour faire son devoir, que la raison du devoir.

Le chevalier est toujours malade; il m'a paru un peu moins oppressé: je tremble de le quitter. Mais je dois accompagner madame de Ferriol dans l'état où elle est. Il faut absolument la déterminer à prendre les eaux de Bourbon; et elle ne les prendra jamais, si elle ne va pas à Pont-de-Vesle. Le devoir, l'amour, l'inquiétude et l'amitié combattent sans cesse mon esprit et mon cœur: je suis dans une cruelle agitation; mon corps succombe; car je suis accablée de vapeurs et de tristesse; et s'il arrive malheur à cet homme-là; je sens que je ne pourrai supporter cet horrible chagrin. Il est plus attaché à moi que jamais; il m'encourage à remplir mon devoir. Quelquefois je ne puis m'empêcher de lui dire, que s'il étoit plus mal, il me seroit impossible de le quitter; il me gronde, et il ne veut absolument point que j'imagine rien qui s'éloigne de ce devoir: il m'assure qu'il n'y a rien dans le monde qui m'excusât; si je restois ici, quand madame de Ferriol va à cent lieues: il ne l'aime point; mais il a ma réputation à cœur. Pardonnez toutes ces foiblesses à votre pauvre amie.

J'avois laissé ma lettre; j'ai eu mille ennuis. Le chevalier est toujours très-incommodé. Je vous avoue que je suis dans de furieuses transes pour lui. Je crains qu'à la fin la suppuration des poumons ne se fasse; je n'ose faire des réflexions sur cela, et je n'ose même en parler; mais mille idées funestes me suivent sans cesse malgré moi: rien ne me console. Je n'ai personne à qui je puisse ouvrir mon cœur. Quel malheur pour moi que votre absence! Si je vous avois, vous me soutiendriez; vous me donneriez des forces; et peut-être vos conseils, mes remords, et l'amitié que j'ai pour vous, Madame, me donneroient assez de courage pour surmonter une passion que ma raison n'a pu vaincre, mais qu'elle condamne.

Madame de Tencin a toujours la fièvre; elle a été 15 jours sans en avoir; elle se croyoit guérie, et avoit pris le ton de se plaindre de tout le monde, et sur-tout du chevalier, mais d'une façon si violente que madame de Lambert, à qui elle en parla, le dit au chevalier, qui la pria de dire à madame de Tencin que jamais il n'avoit parlé d'elle, que rien n'étoit plus faux, qu'il n'étoit point de ceux qui accablent les malheureux, et que, comme il ne la connoissoit point, il auroit été dans le droit du public, pour causer sur l'aventure de La Fresnaye194, mais qu'il ne l'avoit pas fait, en partie par égard pour madame sa sœur et pour moi. Madame de Tencin dit à madame de Ferriol qu'il étoit fort singulier qu'étant chez elle, je ne vinsse pas savoir de ses nouvelles, et qu'elle ne m'avoit vue qu'une fois depuis six mois; qu'elle me dispensoit très-fort d'y venir; qu'elle ne me laisseroit entrer que quand je serois avec elle; mais que si je venois seule, elle avoit donné ses ordres, pour que l'on me refusât sa porte. Je me le suis tenu pour dit, et je ne m'exposerai pas à m'entendre dire mille injures. Je m'en soucie si peu, que je bénis ce noble courroux contre moi. Je n'irai point à Pont-de-Vesle: madame dit qu'elle veut y aller pour trois semaines seulement, pour régler quelques affaires. J'en suis fâchée à cause de vous. J'aurois eu le plaisir de vous embrasser, et j'aurois vendu jusqu'à ma dernière chemise pour cela; sûrement je vous verrai tôt ou tard. Madame radote plus que jamais; elle vient de prendre les eaux de Balaruc: on lui a fait une ample saignée. Je crains infiniment pour elle. Ses radotages m'impatientent, car ils sont extrêmes; mais quand je fais un moment de réflexion, ma reconnoissance se réveille bien vivement. Je suis entourée de chagrins, et je ne vous ai plus pour me consoler. Le chevalier est toujours très-incommodé, et il est d'un changement horrible. Vous jugez de mon inquiétude: son attachement est toujours plus fort. A propos, j'ai fait deux grandes pertes: une bague que je vous avois destinée, en cas de mort: c'étoit un petit cachet avec un jonc de diamant que j'aime beaucoup; et l'autre perte, c'est mon chien, ce pauvre Patie, à qui vous aviez donné une loge. On me l'a volé; il étoit toujours à la porte pour attendre les gens du chevalier qu'il aime passionnément. Je ne puis vous dire le chagrin que j'ai eu de la perte de ce joli animal. Je souhaite bien me mettre dans la suite hors de l'inquiétude de devoir qui me bourrelle sans cesse. J'ai essuyé un petit malheur; j'avois vendu mes boucles de diamans 1,800 livres pour acheter trois actions que je voulois garder pour qui vous savez. Je ne doute point que le dividende ne fût fort; elles étoient à 650 livres. Comme j'étois prête à les acheter, madame de Ferriol eut besoin de mille francs. Je les lui prêtai, comptant, comme elle me le disoit, qu'elle me les rendroit deux jours après. Il y a six mois, et les actions ont monté à 1,150 livres; elles sont actuellement à 1,000. Jugez, j'aurois gagné, en les vendant, mille écus, et aurois payé quelques-unes de mes dettes. Ainsi ma destination est à vau-l'eau. Je paie quelques bagatelles avec les 600 livres qui me restent. Il faut se consoler des pertes de la fortune. Il y a des gens qui valent mieux que moi, qui sont bien plus à plaindre. Cette consolation est cruelle, quand ces gens-là sont nos amis.

M. Bertie vous aime beaucoup; mais il a été si occupé de la perte de madame de M…, qui étoit sa bonne amie, et la plus impertinente de toutes les femmes, qu'il n'a pu se donner au reste de ses amis. Il est rempli de très-bons procédés à l'égard de madame de Ferriol; il songeoit à l'ambassade de Constantinople depuis long-temps, il n'étoit point éloigné de l'avoir: quand il a su que M. de Pont-de-Vesle y songeoit, sans le dire à aucun de nous, il est allé chez MM. de Maurepas et de Morville, à qui il a dit qu'il ne pensoit à l'ambassade, qu'au cas que M. de Pont-de-Vesle n'y pensât pas, et que comme il venoit d'apprendre que son ami en avoit envie, il y renonçoit, le croyant plus capable que lui; qu'il avoit beaucoup d'esprit, et de plus l'expérience de son oncle, dont la mémoire étoit chère dans ce pays-là. Il est venu dîner chez nous, et il nous a laissé ignorer son bon procédé. M. de Pont-de-Vesle l'a su de M. de Maurepas. Je partage bien la reconnoissance qu'on lui doit; mais cela ne passera jamais l'estime. Dites-le bien à mademoiselle votre fille qui me soutenoit une fois que je l'aimerois un jour. Parlons un peu de M. d'Argental; c'est le plus joli garçon du monde; ses yeux sont bien ouverts; il remplit tous les devoirs du sentiment; il n'est plus amoureux; il est tout à ses amis; il est toujours constant pour les petits pâtés, et nous mourons de faim: la cuisine est si froide, que cela va de mal en pire: il n'y a plus rien à retrancher de la première table: car nous n'avons rien, non, rien du tout, on commence à retrancher de celle des domestiques, et je ne doute pas que l'on ne vienne à faire comme cet homme qui prétendoit que son cheval pouvoit vivre sans manger, et qui commença par diminuer la moitié de ce qu'il lui donnoit; quelques jours après, la moitié de l'autre moitié; et ainsi du reste: le pauvre animal creva; ainsi ferons-nous. Voilà une bien grande lettre; vous aurez de la peine à la déchiffrer: la tête me tourne; car je crois que sans cela, je remplirais encore bien des feuilles. Vous ne dites rien, Madame, de Gulliver. Mes respects à vous, et à tout ce qui vous appartient.

 
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LETTRE XVI

Paris, 1728

Il y a un siècle que vous ne m'avez fait l'honneur de m'écrire. Êtes-vous si exacte avec vos amis, que de ne point leur écrire qu'ils ne vous aient fait réponse? Je devois, Madame, vous remercier de la lettre que j'ai reçue il y a un mois: j'avois commencé ma réponse, j'y voulois mettre plusieurs petites nouvelles; j'ai attendu des dénouemens, ils ont été si chargés d'evénemens que je n'ai plus su où j'en étois. D'ailleurs, madame Bolingbrocke a été très-mal: ce qui m'a occupée bien tristement; et puis la santé de madame de Ferriol, toujours mauvaise, et son humeur encore plus. Pont-de-Vesle me charge de ses respects pour vous: il est toujours malingre; une mauvaise digestion. D'Argental n'est plus amoureux de mademoiselle de Tencin; elle ne l'occupe plus que par devoir; il n'est point aussi amoureux de la Couvreur, mais aussi prévenu de son mérite que s'il l'étoit encore; elle est très-incommodée depuis quelque temps: on craint qu'elle ne tombe en langueur.

Madame de Parabère a été quittée, il y a environ quatre ou cinq mois, par M. d'Alincourt: ce dont elle a été au désespoir; et pour s'en consoler, elle a pris, au bout de huit jours, M. de la Mothe-Houdancourt, qui est, à mon sens, le plus vilain homme que je connoisse. Cette précipitation a paru étrange à tout le monde, et sur-tout à moi, qui ne m'en serois pas doutée. Ledit M. de la Mothe ne la quitte pas d'un pas; il est jaloux comme un tigre. Pour vous faire le portrait tant de sa figure que de son esprit (je commencerai par la figure), il est grand, dégingandé, le visage long; il ressemble beaucoup à un vilain cheval de l'âge de quarante-cinq ans; babillard, ne sachant ce qu'il dit; se contredisant sans cesse, ne parlant jamais que de lui; fat, comme s'il étoit un Adonis, et glorieux par fatuité; assez bon homme dans le fond, mais ayant été gâté par les caillettes de la cour. Il me craint prodigieusement, et ne peut pas s'empêcher de m'estimer: il a vu peu de femmes qui se souciassent moins de se mêler d'intrigues: il m'a dit bien des fois qu'il aimeroit mieux que je fusse amie de sa femme, que de sa maîtresse. J'y vais très-rarement; je crois qu'il ne seroit pas bien de n'y point aller du tout; elle a pour moi des façons touchantes: d'abord que j'ai le moindre mal, elle me vient voir; elle m'accable de galanteries; elle dit à tous ceux qu'elle voit qu'elle m'aime infiniment. Je dois être reconnoissante, Madame, de tant de marques d'amitié. Il y avoit, pendant les huit jours de vacance, plus de vingt prétendans à qui je faisois une peur horrible, étant persuadés que je mettrois tout en usage pour la retirer du désordre. Un des prétendans m'a conté tous leurs manéges; ils s'étoient tous ligués de concert pour la retirer de Paris, et qu'elle fût à la campagne, pour que je ne la visse pas. Celui qui m'a raconté tout cela, est parent du chevalier; il espéroit, par son canal, obtenir de moi que je ne m'opposasse point au voyage de madame de Parabère. Le chevalier lui répondit qu'il avoit tort de me soupçonner, que je ne me parois ni de conseiller les prudes, ni de condamner les autres; que jamais je n'avois su ce que c'étoit que de me mêler de tracasseries; en quoi il me loua beaucoup, connoissant assez bien la dame, pour être persuadé qu'elle ne seroit pas susceptible de conseils.

Je veux vous parler de madame du Deffant: elle avoit un violent désir pendant long-temps de se racommoder avec son mari; comme elle a de l'esprit, elle appuie de très-bonnes raisons cette envie; elle agissoit dans plusieurs occasions, de façon à rendre ce raccomodement durable et honnête; sa grand'mère meurt, et lui laisse 4,000 liv. de rentes; sa fortune devenant meilleure, c'étoit un moyen d'offrir à son mari un état plus heureux, que si elle avoit été pauvre; comme il n'étoit point riche, elle prétendoit rendre moins ridicule son mari de se raccommoder avec elle, devant désirer des héritiers. Cela réussit, comme nous l'avions prévu; elle en reçut des complimens de tout le monde. J'aurois voulu qu'elle ne se pressât pas autant; il falloit encore un noviciat de six mois, son mari devant les passer naturellement chez son père. J'avois mes raisons pour lui conseiller cela; mais, comme cette bonne dame mettoit de l'esprit, ou pour mieux dire, de l'imagination, au lieu de raison et de stabilité, elle emballa la chose, de manière que le mari amoureux rompit son voyage, et se vint établir chez elle, c'est-à-dire, y dîner et souper; car pour habiter ensemble, elle ne voulut pas en entendre parler de trois mois, pour éviter tout soupçon injurieux pour elle et son mari. C'étoit la plus belle amitié du monde pendant six semaines; au bout de ce temps-là, elle s'est ennuyée de cette vie, et a repris pour son mari une aversion outrée; et sans lui faire de brusqueries, elle avoit un air si désespéré et si triste, qu'il a pris le parti d'aller chez son père; elle prend toutes les mesures imaginables pour qu'il ne revienne point. Je lui ai représenté durement toute l'infamie de ses procédés. Elle a voulu par distances et par pitié, me toucher et me faire revenir à ses raisons; j'ai tenu bon, j'ai resté trois semaines sans la voir; elle est venue me chercher. Il n'y a sorte de bassesses qu'elle n'ait mises en usage pour que je ne l'abandonnasse pas; je lui ai dit que le public s'éloignoit d'elle, comme je m'en éloignois; que je souhaiterois qu'elle prît autant de peine à plaire à ce public qu'à moi; qu'à mon égard, je le respectois trop, pour ne lui pas sacrifier mon goût pour elle. Elle pleura beaucoup; je n'en fus point touchée. La fin de cette misérable conduite, c'est qu'elle ne peut vivre avec personne. Un amant qu'elle avoit avant son raccommodement avec son mari, excédé d'elle, l'avoit quittée; et quand il a appris qu'elle étoit bien avec M. du Deffant, il lui a écrit des lettres pleines de reproches, et il est revenu. L'amour-propre ayant réveillé des feux mal éteints, la bonne dame n'a suivi que son penchant; et sans réflexion, elle a cru un amant meilleur qu'un mari; elle a obligé ce dernier à abandonner la place; il n'a pas été parti, que l'amant l'a quittée. Elle reste la fable du public, blâmée de tout le monde, méprisée de son amant, délaissée de ses amies; elle ne sait plus comment débrouiller tout cela. Elle se jette à la tête des gens, pour faire croire qu'elle n'est pas abandonnée. Cela ne réussit pas; l'air délibéré et embarrassé règnent tour à tour dans sa personne. Voilà où elle en est, et où j'en suis avec elle.

Madame de Tencin est toujours si outrée contre moi, parce que je n'ai fait aucune démarche pour remettre les pieds chez elle, qu'elle m'a déclaré une guerre ouverte. Elle envoie savoir si je dîne ici pour ne pas y venir, si j'y suis. Je ne suis pas plus alarmée de cette nouvelle disgrâce que des autres. On me persécuta l'autre jour pour faire ma paix avec elle: je répondis à cela, que je ne demandois pas mieux; que tout ce qui étoit de la famille Ferriol, m'étoit respectable; qu'il n'y avoit que cette raison qui me fît désirer que madame de Tencin ne fût pas fâchée contre moi; mais que je ne me sentois pas assez de religion pour présenter ma seconde joue, et que je n'irois jamais demander pardon à madame de Tencin de ce qu'elle m'avoit fait refuser sa porte; que je ne connoissois que madame de Ferriol dans le monde, pour qui je pusse faire cette démarche; que madame de Tencin n'avoit aucun droit sur moi, pour en agir aussi mal; que si elle prétendoit que j'avois tenu de mauvais discours sur elle, je répondrois comme madame de Saint-Aulaire, qui répondit sur la même accusation, que s'il étoit vrai qu'il fût revenu à madame de Tencin qu'elle avoit mal parlé d'elle, elle en étoit bien affligée, parce que cela lui faisoit voir qu'elle avoit des amis perfides. Je suis dans ce cas: j'ai pu dire à mes amis ce que je pensois; mais pour l'amour de moi et de mes devoirs, je n'en ai point parlé ailleurs; et même dans l'accident de la Fresnaye, qui est ce qui l'aigrit contre tous les gens dont elle n'a pas besoin, j'ai dit que c'étoit l'affaire du monde la plus malheureuse, qu'il n'y avoit personne qui fût à l'abri d'un fou qui venoit se tuer chez vous.

Ma vie est assez douce. Si je vous avois à Paris, le roi ne seroit pas plus heureux que moi. Les étrennes m'affligent un peu: tout le monde m'en donne, et je ne puis en donner à personne. Je prends mon parti sur les gouttières de cette maison; il y a des temps où les choses ne font pas autant d'impression. C'est, suivant l'état du cœur; quand il est satisfait, on glisse facilement sur les épines qui se rencontrent toujours dans la vie; il n'y en a point d'exempte. On radote toujours ici; on se plaint sans cesse: il y a quelques jours qu'elle s'adressa à Fontenay, qui lui répondit très-fortement, et l'assura qu'elle ne persuaderoit jamais le public, et qu'elle le révolteroit contre elle-même; qu'il étoit témoin que la veille j'avois été pressée extrêmement de rester à souper chez madame de Parabère avec le chevalier; que j'avois refusé, et étois revenue à neuf heures à pied et par la pluie. Cette justification m'a affligée les raisons ne font que l'aigrir. J'ai lieu d'être très-contente du chevalier; il a la même tendresse et les mêmes craintes de me perdre. Je ne mésuse point de son attachement. C'est un mouvement naturel chez les hommes de se prévaloir de la foiblesse des autres: je ne saurois me servir de cette sorte d'art; je ne connois que celui de rendre la vie si douce à ce que j'aime, qu'il ne trouve rien de préférable: je veux le retenir à moi, par la seule douceur de vivre avec moi. Ce projet le rend aimable; je le vois si content, que toute son ambition est de passer sa vie de même. Peut-être cela nous conduira à ce que nous désirons tant: la nature de son bien est un furieux obstacle. Dieu nous regardera peut-être en pitié: j'ai des mouvemens quelquefois bien durs à combattre. Ce qu'il y a de surprenant, c'est que je les ai eus toute ma vie: je me reproche… Hélas! que n'étiez-vous madame de Ferriol? vous m'auriez appris à connoître la vertu. Mais passons sur cela; cependant je suis, en fait d'amour, la plus heureuse personne du monde. Matière à réflexions pour de jeunes cœurs! Pardonnez toutes mes foiblesses à l'aveu sincère que je vous en fais; et permettez que je vous parle de la petite. Elle est charmante: tout ce qui m'en revient, m'empêche de me repentir de sa naissance; et je crains que la pauvre petite n'en pleure plus que moi: sa figure embellit tous les jours; j'ai envoyé Sophie sous prétexte d'aller voir sa tante; elle y a été quinze jours; elle en a été enchantée; elle est adorée de tout le couvent; elle a de la raison, de la bonté et de la fermeté: on lui fit arracher quatre dents, elle ne jeta aucun cri; on la loua; elle répondit: à quoi m'auroit-il servi de crier? ne falloit-il pas les arracher? Elle dit à Sophie qu'elle étoit bien fâchée que je n'allasse pas cette année la voir; qu'elle me prioit bien d'y venir l'autre; qu'elle me remercioit de toutes mes bontés, qu'elle savoit que l'on m'importunoit souvent pour elle, et qu'elle feroit tout ce qu'elle pourroit, pour bien apprendre, et être sage; qu'elle ne vouloit pas que je me rebutasse. Elle est très-caressante; la pauvre petite sent déjà, je crois, le besoin qu'elle a de l'être. Son bon ami est au désespoir de ne pouvoir pas la voir; il l'aime à la folie; il lui prend des envies d'aller la voir, que j'ai bien de la peine à combattre. Nous travaillons à lui faire une dot, en cas qu'elle ne voulût pas se faire religieuse: si Dieu nous prête vie, elle pourra avoir 40,000 livres et 400 livres de rente. Elle seroit très-bien mariée en province avec cela; mais gare au pot au lait! si elle avoit le malheur de nous perdre, elle seroit bien à plaindre: je la recommanderai à d'Argental. Le chevalier a déjà placé 2,000 écus pour elle seule. Adieu, Madame, voilà une lettre assez longue pour être écrite de suite; mais je suis seule, et j'ai voulu en profiter pour causer long-temps avec vous. Je vous envoie une petite boîte d'écaille, couleur de feu; je n'ai pu me refuser la satisfaction d'y prendre du tabac un jour, pour que vous disiez, quand vous en prendrez dedans, qu'elle a servi à la personne du monde qui vous aime le plus.

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194La Fresnaye, amant de madame de Tencin, qui, dit-on, l'avoit ruiné; il se tua dans son cabinet. Il disoit dans son testament, que s'il mouroit de mort violente, c'étoit elle qu'on devoit en accuser: elle fut mise au châtelet, d'où elle sortit justifiée.(Note de M. de Voltaire).