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Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé

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LETTRE IX

1727

Je ne vous ai point justifié le silence de M. d'Argental, à cause de vos craintes; à présent qu'il est guéri, je vous dirai qu'il vient d'avoir la petite vérole le plus heureusement du monde: c'est un grand plaisir pour lui et ses amis, qu'il se soit débarrassé de cette vilaine maladie. Je vis hier madame votre fille qui est, comme vous l'avez laissée, belle comme un ange, mais d'une vertu à battre; elle est bien votre digne fille. Madame Knight est grosse, elle retourne à Londres pour accoucher. Miladi Bolingbrocke a été très-mal; elle s'est mise au lit tout-à-fait; elle se trouve mieux de ce régime. Le public, qui veut toujours parler, assure que son mari en agit mal avec elle; je vous assure que rien n'est plus faux. M. le duc de Bouillon a été à l'extrémité. Il a envoyé au roi la démission de sa charge de grand chambellan; il l'a fait supplier de la donner à son fils, ce qui lui a été accordé: il est mieux; mais il n'y a aucune espérance que ce mieux continue. Pour parler de la vie que je mène, et dont vous avez la bonté de me demander les détails, je vous dirai que la maîtresse de cette maison est bien plus difficile à vivre, que le pauvre ambassadeur. Je ne sais jamais sur quel pied danser. Si je reste, on me fait la mine de ce que l'on croit que l'on me contraint: si je sors, on me fait des sorties affreuses: on me contrarie sans fin, on me caresse après, jusqu'à impatienter un ange. Une certaine demoiselle qui vient dans la maison, m'a fait l'honneur d'être jalouse de moi; elle travaille à me détruire dans l'esprit de madame de Ferriol qui avale le poison, sans qu'elle s'en aperçoive: je m'en suis doutée, et j'y ai mis bon ordre. J'ai parlé à madame avec beaucoup de force, de franchise et de respect. La tracassière ignore que je la connoisse, et je ne veux aucun éclaircissement avec des gens faux et méchans; je les laisse dans leur crasse. Je m'appuie sur la netteté de ma conduite, qui est de faire mon devoir de bon cœur, et ne point faire de tort aux autres: elle a déjà le fruit que recueillent les mauvais esprits, madame ne la peut plus souffrir. Pour la Tencin, je continue à ne la point voir: elle a plus de manége que jamais. L'archevêque de Tencin a été très-mal: nous avons été bien en peine. Il étoit cruel de mourir à la veille d'avoir le chapeau; il est mieux, et nous le verrons, j'espère, cardinal.

Nous avons une nouvelle princesse, la femme de M. le Duc, qui est très-jolie, mais fort petite: elle n'a que quatorze ans. Sa taille est charmante; elle a bonne grâce; elle a dit des ingénuités plaisantes sur son mariage. On lui présenta ses deux beaux-frères, et on lui demanda lequel des trois frères elle préféroit. Elle répondit que ses deux beaux-frères avoient de très-beaux visages, mais que M. le Duc avoit l'air d'un prince. On la mena à Versailles, où elle réussit très-bien. Le roi ne causa point avec elle; mais, quand elle fut partie, il dit qu'il la trouvoit bien. Tous les gens de la cour lui firent la révérence; elle reçut leurs complimens sans aucun embarras. M. le duc d'Orléans est d'une dévotion aussi outrée que son père étoit pervers. Madame de Parabère a été, comme je vous l'ai déjà dit, quittée par monsieur le premier, qui est amoureux de madame d'Épernon, qui n'a point encore fait parler d'elle. Cela cause bien du chagrin à madame de Parabère. Elle me fait toujours beaucoup d'amitiés. Voilà ce que c'est que de ne point se mêler des intrigues. Notre reine vint, le dix septembre, à Sainte-Geneviève, pour demander à Dieu un dauphin. Le roi a reçu les petites princesses galamment et avec courage. Ne vous chagrinez point, ma femme, dit-il à la reine, dans dix mois, nous aurons un garçon.

Nous avons à l'Opéra-comique une pièce qui dure depuis six semaines, qui est assez jolie. Je reviens de la comédie; on jouoit Régulus, où j'ai fondu en larmes. Baron a joué dans une perfection admirable. Je ne l'ai jamais vu mieux jouer; j'envisage avec douleur sa vieillesse. Il fit, l'autre jour, le rôle de Burrhus dans La mort de Britannicus, où il excella. Il est impossible que l'on ne le croie pas le personnage qu'il représente. M. le comte de Grancey, et M. le marquis son frère, sont morts à quinze jours l'un de l'autre. Ils sont si ruinés, que leurs veuves ne trouveront pas leur douaire: ils jouissoient de beaucoup de bienfaits du roi, et mangeoient plus que leur revenu. M. de la Chesnelaye vient d'épouser mademoiselle des Mares, sœur du grand fauconnier; elle est belle et bien faite, et voilà tout. Il a marié sa fille, qui a seulement quatorze ans, à M. de Pont-St. – Pierre, homme de condition, riche, mais assez débauché. M. de Maisons a épousé mademoiselle d'Angerviller. M. de Charolois vit toujours avec la de l'Isle, dont il n'est plus amoureux, ni jaloux. Il a une autre maîtresse, qui a été très-secrète, et qui n'a paru que par un éclat violent. Elle s'est jetée dans un couvent, prétendant que son mari avoit voulu l'empoisonner; elle se nomme madame de Courchamp; elle est sœur de cette madame Dupuis, qui a été si belle. M. de Clermont est amoureux fou de madame la duchesse de Bouillon. La marquise de Villars et madame d'Alincourt sont dans la plus grande dévotion: elles ne mettent plus de rouge: ce qui leur sied assez mal. M. l'Avalle et sa femme donnent des fêtes à madame Benard, qui loge où vous logiez. Je ne puis endurer que cette guenon et cette bête habite votre chambre. Elle est encore belle, et si belle, que, si elle se dépaysoit, on ne lui donneroit que trente ans. Les filles de l'opéra, et les filles de joie inondent Paris: on ne sauroit faire un pas qu'on n'en soit entouré. On rejoue à l'opéra Bellérophon. L'autre jour, quand le dragon parut sur le théâtre, il y eut quelque chose qui se dérangea à la machine; l'estomac de l'animal s'ouvrit, et le petit polisson parut aux yeux de l'assemblée, tout nu, ce qui fit rire le parterre. La Pellissier diminue de vogue imperceptiblement; on commence à regretter la Le Maure, qui attend qu'on la prie de revenir. Destouches et elle se tiennent sur la réserve; mais ils meurent d'envie tous deux d'être bien ensemble. Vous savez que Destouches a eu la place de Francine. Nous regrettons toujours Murer et le pauvre Thevenard; il baisse beaucoup. Chassé ne le remplacera pas, il ne devient pas meilleur.

Je me suis fait peindre en pastel, ou, pour mieux dire, M. de Ferriol, qui a un appartement charmant, a fait peindre six belles dames, dont je suis, non comme belle assurément, mais comme amie: madame de Noailles, de Parabère, madame la duchesse de Lesdiguières, madame de Montbrun, et une copie d'un portrait de mademoiselle de Villefranche, à l'âge de quinze ans. Ils sont tous de la même grandeur; le mien est parfaitement ressemblant: j'ai résolu d'en demander la copie; et, si le peintre croit qu'il vaut mieux le faire d'après moi, je le ferai venir; c'est l'affaire de trois heures. Si vous étiez ici, Madame, je vous aurois demandé à genoux la complaisance de vous laisser peindre pour moi. On s'appuie sur une table où le peintre travaille; cela fait qu'on s'amuse à voir dessiner, et que l'on n'a point d'attitude gênante. Aussitôt que j'aurai cette copie, ou l'original, je vous l'enverrai. En le voyant, je vous prie de croire qu'il fait des vœux au ciel pour vous; car on a voulu que les yeux fussent en l'air avec un voile bleu, comme une vestale, ou une novice.

Il y a ici un nouveau livre, intitulé, Mémoires d'un Homme de qualité, retiré du monde. Il ne vaut pas grand'chose; cependant on en lit 190 pages, en fondant en larmes. A peine le chevalier a été arrivé à Périgueux, où il comptoit passer quelques mois, qu'il a été obligé de repartir, et de revenir ici. J'avoue que je fus surprise bien agréablement, quand je le vis hier entrer dans ma chambre; j'ignorois son retour. Quel bonheur, si je pouvois l'aimer, sans me le reprocher! Mais, hélas! je ne serai jamais assez heureuse pour cela. Je finis cette longue épître, qui pourroit à la fin vous fatiguer. Adieu, Madame; excusez et plaignez votre pauvre Aïssé.

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LETTRE X

Paris, 1727

Monsieur d'Argental est arrivé, il y a deux jours; il est extrêmement marqué de la petite vérole, sur-tout le nez qui, à force d'être couturé, est devenu petit, échancré et façonné. Ses yeux, ses sourcils, ses paupières n'ont point été gâtés; par conséquent, sa physionomie est toujours la même; il est fort engraissé et fort rouge. Nous avons été si aises de le voir, que nous l'avons reçu comme si c'étoit l'amour. On peut dire de lui que ce n'est pas un beau garçon, mais c'est assurément un aimable caractère: il est généralement aimé et estimé; tous ceux qui le connoissent en font des éloges bien flatteurs pour lui, et pour ceux qui s'y intéressent. Vous savez, Madame, que cette réussite n'est pas capable de le gâter. Je voudrois que M. de Caze le connût; sûrement il l'aimeroit: on nous a bien alarmés sur la santé de ce dernier. M. de Saint-Pierre nous avoit mandé qu'il étoit très-mal; Dieu merci, ce n'est qu'une fausse alarme, il se porte bien. Le pathétique M. Jean-Louis Favre m'avoit fait pleurer, en faisant l'énumération des qualités de M. de Caze, la perte que faisoient ses parens et ses amis; en un mot, s'il avoit été romain, il l'auroit mis parmi les dieux. Dites-lui, je vous prie, quand il voudra prendre place parmi eux, que ce soit le plus tard qu'il pourra, et même qu'il fasse quelques mauvaises actions, pour qu'on ne le regrette pas.

 

Notre voyage de Pont-de-Vesle est toujours très-incertain; cela est insupportable. Madame de Ferriol continue à être d'une pesanteur à alarmer; il faudroit qu'elle prît les eaux de Bourbon. Son fils et moi, nous le lui avons représenté avec un ton d'attachement et d'amitié qui méritoit, de sa part, un peu de complaisance; elle est d'une opiniâtreté et d'une dureté à mettre en fureur. N'en parlons plus. Je suis actuellement, que je vous écris, sur votre fauteuil; il n'y a que mes favoris à qui je permette de s'y asseoir. M. Bertie quelquefois usurpe cette place; mais je ne le trouve pas bon.

Madame la duchesse de Fitz-james épouse M. le duc d'Aumont; il a dix-huit ans, elle vingt; ce mariage est très-convenable et fort approuvé. Elle a eu toutes les peines du monde à renoncer à la liberté dont elle jouissoit; mais il a 50,000 écus de rente, elle 25,000 livres; la médiocrité de son revenu et sa jeunesse l'ont déterminée; elle m'a fait l'honneur de me demander mon avis, ne voulant pas se décider, avant que je lui disse ce que je pensois: la noce se fera incessamment. Quand on le dit à sa sœur, qui a quatorze ans, elle répondit qu'elle auroit mieux aimé que ce fût elle qui se mariât, mais que, dès que les choses étoient arrangées, elle n'étoit point fâchée que ce fût sa sœur. La reine est grosse. On ne parle que de guerre; les officiers partent, dont ils sont bien fâchés. Monsieur et mademoiselle d'Uxelles ont fait avoir un guidon de gendarmerie à M. Clémence, frère de M. de La Marche. Je veux parler politique. On dit ici que les Espagnols prendront Gibraltar, que l'Empereur offre de suspendre, pour deux ans, la compagnie d'Ostende, et que les Anglois veulent que ce soit trois ans. On est en négociation pour cela; je juge que nous sommes les médiateurs. Les Anglois ont une grande animosité contre l'Empereur et les Espagnols. On prétend que la maréchale d'Uxelles est cause que nous ne faisons pas la guerre. L'indécision où l'on est, ruine; les avis étant si partagés dans les conseils, qu'on a été obligé de tenir tout prêt, pour n'être pas pris au dépourvu; les officiers en sont ruinés, et nos rentes retranchées: nous pouvons dire comme à l'opéra: l'incertitude est un rigoureux tourment. D'Argental vous assure de ses respects, et vous envoie cette lettre du marquis de Saint-Aulaire, au cardinal. Elle nous a paru belle.

Lettre du marquis de Saint-Aulaire, au cardinal de Fleury

«Voici la conjoncture la plus digne d'occuper une intelligence du premier ordre; il n'est point de puissance en Europe, qui ne désire le secours de votre Éminence, pour la conservation de ses droits, ou l'établissement de ses prétentions Le beau rôle que vous allez faire jouer à notre aimable monarque! Qu'il est heureux d'avoir un aussi bon guide dans le chemin de la vraie gloire! Celle de conquérir le monde ne vaut pas celle de le pacifier. Celle-là peut se faire craindre de quelques-uns, celle-ci est sûre de se faire aimer de tous: son ambition ne sera pas bornée à subjuguer quelques nouveaux sujets aux dépens des anciens; ses plus ardens désirs seront de contribuer au repos de ses amis; c'est dans le repos général qu'il cherche le bien. On va voir si l'amour de la justice, la candeur, la modération, la fidélité à sa parole, n'ont pas un succès aussi heureux, que les ruses et les artifices de l'ancienne politique. Mais en instruisant le roi de ses intérêts, n'oubliez pas le plus important, c'est de vous conserver. Je tremble, quand je songe au chaos que vous avez à débrouiller, à la quantité d'intérêts que vous avez à concilier. Il est d'autres craintes que les plus heureux succès ne feroient qu'augmenter. Puis-je espérer de retrouver en vous cette douce urbanité qui nous enchante? Quelle modestie pourroit tenir contre la gloire qui vous menace?»

On a fait une promotion d'officiers de marine, qui a été peu nombreuse; elle a fait une quantité de mécontens. M. le chevalier de Caylus, qui étoit colonel réformé, a été fait, de plein saut, capitaine de vaisseau; il passe sur le ventre de mille officiers, qui ont cinquante années de service, qui ont la plupart une grande naissance, et de fort belles actions; et les officiers réformés, pour lesquels on a beaucoup de dureté, demandent ce qu'a fait le chevalier de Caylus pour être si favorisé. Tous les marins se plaignent, et le public trouve fort étrange que le fils de madame la comtesse de Toulouse soit garde-marine, pendant que M. de Caylus est capitaine de vaisseau. Madame de Montmartel est accouchée à Brisach, d'un garçon: son père et son mari sont toujours en exil, et du Verney à la Bastille; on ne trouve rien pour le retenir, ainsi il sortira bientôt.

Le beau de la Mothe-Houdancourt, recherché des plus belles et des plus riches dames de la cour, a donné congé à madame la duchesse de Duras, pour la Entie, actrice de l'opéra, dont il est fou; il ne la quitte point, et on les prie à souper comme mari et femme. On dit que c'est charmant de voir l'étonnement de la Entie, l'enthousiasme de la Mothe; il n'y a jamais eu une passion aussi violente et aussi réciproque: le rôle de Cérès a fait naître cette passion. Les spectacles sont cessés, et les concerts spirituels sont fort courus. La Entie et la Le Maure, y chantent à enlever.

Il n'y a plus moyen d'excuser madame de Parabère; M. d'Alincourt est établi chez elle. Elle a toujours beaucoup d'empressement pour moi. J'ai du goût, je l'avoue, pour elle: elle est aimable; mais je la vois beaucoup moins, et sur-tout en public. Soyez persuadée de ce que je vous dis, Madame; elle n'est assurément pas excusable d'avoir repris un autre amant, mais bien d'avoir quitté celui qu'elle avoit. Il lui a mangé plus d'un million, et, dans sa rupture, tous les vilains procédés; et de sa part tous les plus nobles et les plus généreux. M. et madame de Ferriol entrent, dans ce moment, dans ma chambre, et me chargent de mille complimens pour vous. Le premier a pris un très-grand intérêt au retranchement de vos rentes viagères. C'est beaucoup pour lui; car il n'a pas le cœur bien tendre. Pour M. de Pont-de-Vesle, vous savez l'estime et l'attachement qu'il a pour vous. Nous parlons cent fois de vous ensemble.

Je pars pour la chasse dans ce moment. Vous me demandez des nouvelles de mon cœur: il est parfaitement content, Madame, à une chose près que des difficultés qui me paroissent insurmontables, empêchent. Mais Dieu est le maître de tout: j'espère en lui; l'attachement, la considération et la tendresse sont plus forts que jamais; et l'estime et la reconnoissance de ma part; quelque chose de plus, si j'ose le dire. Hélas! je suis telle que vous m'ayez laissée, bourrelée de cette idée que vous savez, que vous avez développée chez moi. Je n'ai pas le courage d'en avoir: ma raison, vos conseils, la grâce, sont bien moins agissans que ma passion. Le bruit a couru que je sortois de cette maison, et que je cherchois un appartement. Le chevalier en fut chagrin, mais sans humiliation. Ce qui donna lieu à ce bruit, c'est que j'étois allée voir plusieurs maisons pour madame du Deffant. La petite personne180 seroit bien heureuse, si elle savoit les bontés que vous avez pour elle. On dit qu'elle continue à être aimable pour le caractère et la figure. Je ne sais si j'oserai y aller cette année; ma bourse me prive de tout. Si j'avois seulement cent pistoles, j'irois l'embrasser, et vous baiser les mains à Genève. Que ma joie seroit grande! Mais, mon Dieu, je ne serai pas assez heureuse! Adieu, Madame: que n'êtes-vous à Paris!

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LETTRE XI

Paris, 1727

J'ai vu, ce matin, M. Tronchin181, Madame, qui m'a appris le testament de ce pauvre de Martine182. Vous jugez avec quelle joie j'ai su qu'il vous laissoit une marque de souvenir, aussi bien qu'à mademoiselle votre fille; il est mort comme il a vécu, avec amitié et générosité pour ses amis. Son ami en a usé en honnête homme avec les parens du défunt. Je ne sais pas s'ils seront contens; mais ce qu'il y a de très-sûr, c'est que c'est à lui qu'ils doivent ce que M. de Martine leur donne. Il n'étoit point content d'eux; il ne leur devoit rien, puisqu'il n'avoit rien eu de patrimoine, et que c'étoit à sa bonne conduite et à ses talens qu'il devoit sa fortune. M. Tencin lui avoit rendu des services; il étoit son ami. Est-il rien de plus juste que de faire du bien à ce que l'on aime, quand on est en état de le pouvoir faire? J'ai vu beaucoup de gens qui disent que M. Tronchin étoit un sot, de ne pas profiter entièrement de la bonne volonté de son ami. Mais il pensoit avec plus de délicatesse; il a engagé M. de Martine à donner à sa famille: ce qu'il n'auroit sûrement pas fait, je le répète, sans lui. Il est mort âgé de 78 ans; je le croyois plus vieux. Il a traité très-bien ses cousines; il a donné une année de gages à ses domestiques: il me semble que ce n'est pas assez.

Nous reparlons de Pont-de-Vesle plus que jamais, et même l'on assure que l'on y passera l'hiver. Si cela étoit, quelqu'ennui que j'aurois d'être si long-temps absente, si je vous voyois, je serois contente, et prendrois mes peines avec joie. Je n'assure rien; car la volonté de madame de Ferriol est comme une mer agitée. Je voudrois bien être à cette campagne où vous vivez avec tant d'innocence, de pureté et de contentement: je n'ai cru y être que pour me désespérer de n'y être pas. Je voudrois que vous eussiez une petite ménagerie. Quand j'y serai, sûrement je vous en ferai faire une; rien n'est plus amusant. Ne jouez-vous plus au quadrille? Pour moi, je l'ai absolument abandonné. J'ai passé quatre jours à la campagne; je m'y suis baignée; c'étoit justement les jours les plus chauds. Avez-vous une rivière près de votre campagne?

Nous n'avons point de nouvelles, sinon la grossesse de madame de Toulouse, et le bon mot du roi sur l'histoire d'Henri IV, qu'il vient de lire. On lui a demandé son sentiment là-dessus; il a répondu que ce qui lui avoit plu davantage dans la vie d'Henri, c'étoit son amour pour son peuple. Dieu veuille qu'il le pense et qu'il le suive! L'argent est encore bien rare; mais une chose qui l'est furieusement, et que vous n'avez jamais vue, c'est que le premier ministre est fort approuvé. C'est le plus honnête homme du monde, qui est certainement occupé du bien de l'état. Enfin, nous avons un premier ministre estimable, désintéressé, et dont l'ambition n'est que de remettre les affaires en ordre. Les premiers moyens ont été durs; mais la suite fait bien voir qu'il n'a pas pu faire autrement. Il a vaqué un gouvernement: la ville payoit 6,000 livres d'augmentation, qu'il a retranchées; et, à l'avenir, il n'y en aura plus de nouvelles, il remettra les choses sur l'ancien pied. Il a ôté le cinquantième, et a remis deux millions cent mille livres sur les tailles. Tout cela prouve un ministre qui veut rendre les peuples heureux. Dieu veuille qu'il vive assez long-temps pour mettre à exécution ses bonnes intentions! Je ne lui trouve qu'un défaut, c'est de vous avoir retranché vos rentes viagères. Vous n'avez partagé que le mal qu'il a fait, et vous ne pouvez jouir du bien; mais c'est votre malheureuse destinée: ne cessera-t-elle jamais de vous persécuter?

 

Proserpine ne réussit pas: on trouve cet opéra beau, mais trop triste; on ne le jouera pas long-temps. On joue deux fois la semaine les Élémens, et deux fois Proserpine. La Pellissier est guérie; elle étoit devenue folle, les uns disent de sa prodigieuse réussite, les autres de ce qu'on l'avoit soupçonnée de galanterie, faisant profession d'être sage. Nous avons une pièce à la Comédie françoise, intitulée le Philosophe marié, qui est très-jolie, et qui a eu une réussite prodigieuse: toutes les loges sont louées pour la onzième représentation. L'auteur est Destouches. On dit que c'est sa propre histoire: aussitôt qu'on l'imprimera, je vous l'enverrai. On trouve que Quinault joue bien: pour moi je ne suis pas de cet avis. Imaginez voir M. Bertie, conseiller au parlement; même attitude, mêmes gestes; en un mot, il n'y a de différence que la voix qui est plus forte. Mademoiselle votre fille se seroit prise d'aversion pour le Philosophe marié. On est ici dans la fureur de la mode pour découper des estampes enluminées, tout comme vous avez vu que l'on a été pour le bilboquet. Tous découpent, depuis le plus grand jusqu'au plus petit. On applique ces découpures sur des cartons, et puis on met un vernis là-dessus. On fait des tapisseries, des paravents, des écrans. Il y a des livres d'estampes qui coûtent jusqu'à 200 livres, et des femmes qui ont la folie de découper des estampes de 100 livres pièce. Si cela continue, ils découperont des Raphaël. Je suis déjà vieille: les modes ne prennent plus subitement sur moi. Adieu, Madame, permettez que j'embrasse M. votre mari et mademoiselle votre fille. Je suis lasse d'écrire tant de nouvelles qui sont indifférentes à toutes deux.

Je vous envoie une lettre du marquis de la Rivière à mademoiselle des Houlières, et la réponse. On a trouvé l'une et l'autre très-jolies.

Lettre du marquis de la Rivière, à mademoiselle des Houlières
 
Fille d'une aigle, aigle vous-même,
Qui n'avez point dégénéré,
Dont partout le mérite extrême
Est si justement révéré,
Qu'on s'honore, quand on vous aime!
Aimable interprete des Dieux,
Qui parlez si bien leur langage,
Et qui portez dans vos beaux yeux
Et leur douceur et leur image,
Recevez ce petit hommage
Que je vous offre tous les ans;
C'est un tribut de sentimens
Qui ne convient pas à mon âge;
Les bienséances me l'ont dit,
Les amours et les vers sont faits pour la jeunesse;
Mais le feu de mon cœur qui soutient mon esprit,
Amuse et trompe ma vieillesse.
Faites-moi seulement crédit
D'agrémens et de gentillesse;
Contentez-vous du fonds de ma tendresse;
Il en est de ce que je sens,
Comme des tableaux d'un grand maître,
Dont la beauté ne fait que croître,
Et redoubler de force à la longueur du temps.
Votre vertu n'est pas commune,
Vous aimez à faire du bien;
Donnez mes yeux à la fortune,
Il ne vous manquera plus rien.
 
Réponse de mademoiselle des Houlières
 
Demeurez dans votre hermitage;
Je crains ce dangereux hommage;
Qu'avec soin vous m'offrez ici:
Pour la tendresse, il n'est point d'âge,
Vous le sentez, et je le sens,
Ceci n'est point un badinage:
Vous de retour, nos cœurs sympathisans,
L'homme prudent, la fille sage,
Tous peut-être feroient naufrage.
Demeurez dans votre hermitage.
 
 
Le traître amour qui vous engage,
Ne doit pas être méprisé;
Avec lui naturalisé,
Les belles de son apanage
Vous ont, dans tous les temps, si bien favorisé,
Que tout de vous me fait ombrage.
Demeurez dans votre hermitage.
 
 
Vous parlez un certain langage
Qui porte au cœur, qui fait penser,
Et qui semble être un sûr présage,
Que de ses traits, le dieu volage
Est prêt encore à me blesser.
Demeurez dans votre hermitage.
 
 
Ah! s'il avoit eu l'avantage,
Du séjour de l'heureuse paix,
Que penseroit dame dont les attraits
Auroient soumis le cœur le plus sauvage:
Dame dont les beaux vers ne périront jamais,
Et dont le nom est tout mon héritage?
Car vous savez que pas un de ses traits,
Ne gît en mes écrits, non plus qu'en mon visage,
Et que je n'ai, pour tout partage,
Que les yeux doux qu'elle m'a faits,
Pour ne les point mettre en usage.
Demeurez dans votre hermitage.
 
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180La fille de mademoiselle Aïssé.
181M. Tronchin, conseiller d'état à Genève.
182Martine, Génevois, envoyé du Landgrave de Hesse, à Paris.