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Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé

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Il crioit de toute sa force, en s'en allant: coquettes, coquettes, je saurai bien me venger; et on m'a dit qu'étant mort, ou de ses blessures, ou de désespoir, on a trouvé parmi ses papiers, une grande invective contre les femmes, sous le nom d'Aristandre, que ses héritiers ont fait imprimer à leurs dépens.

J'étois assez fâchée que ce malheur lui fût arrivé chez moi; mais je m'en dois accuser moi-même pour avoir été si facile que de donner accès chez moi à des philosophes, c'est-à-dire, à des gens qui portent la censure, la médisance et le désordre dans les plus belles, les plus douces et les plus agréables compagnies. Ma nièce, soyez sage par mon exemple, et donnez-vous-en de garde.

Ainsi parloit Éléonore à Philimène, qui en entendoit une partie et devinoit le reste.

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LETTRES DE MADEMOISELLE AÏSSÉ

NOTICE SUR MADEMOISELLE AÏSSÉ

M de Ferriol, ambassadeur de France à Constantinople, acheta d'un marchand d'esclaves, en 1698, une petite fille âgée d'environ quatre ans. Elle avoit été enlevée avec beaucoup d'autres enfans dans une ville de Circassie que les Turcs avoient pillée. Ses grâces enfantines lui attirèrent la préférence de l'ambassadeur, et la lui firent choisir parmi ses compagnes d'infortune. Le marchand, peut-être pour accroître l'intérêt qu'elle inspiroit et obtenir de M. de Ferriol un prix plus considérable, assura qu'elle avoit été trouvée dans un palais, et qu'elle étoit fille d'un prince circassien. L'ambassadeur, touché de commisération, acheta 1,500 livres la petite Aïssé. Il étoit garçon et ne pouvoit donner à sa jeune orpheline une éducation proportionnée à l'intérêt qu'elle lui avoit inspiré, intérêt que la pitié sans doute avoit d'abord excité, et auquel se mêlèrent bientôt des vues et des espérances moins pures. Il confia mademoiselle Aïssé à sa belle-sœur, madame de Ferriol, sœur de madame de Tencin: l'éducation de la jeune fille fut très-soignée; elle acquit des talens agréables et de l'instruction. M. d'Argental et M. de Pont-de-Vesle, fils de madame de Ferriol, qui tous deux eurent dès leur jeune âge le goût des plaisirs de l'esprit, se lièrent d'une tendre amitié avec la pupille de leur mère; et cette liaison eut sans doute les plus heureux effets sur son esprit. Elle eut le bonheur plus grand encore, au milieu de cette immoralité qui accompagna les dernières années de Louis XIV et la régence de Louis XV, d'acquérir et de conserver un cœur honnête, et une âme délicate et sensible, qui devoient la rendre plus estimable et plus malheureuse dans la situation dépendante et presque subalterne où le sort l'avoit placée.

Son dégoût pour les vices qui l'entouroient fut bientôt mis à de rudes épreuves. Au sortir de l'enfance, elle entra dans la maison de M. de Ferriol. C'étoit un vieux libertin qui, après s'être livré dans sa jeunesse à tous ses goûts, avoit fortifié ses habitudes de dépravation par un long séjour en Turquie, où il avoit vécu tout à fait à la manière du pays. Ses désirs se portèrent bientôt sur sa jeune protégée, et l'attachement qu'il avoit pour elle, ne fut pas assez fort pour les vaincre. Les personnes qui ont vécu avec l'un et avec l'autre, ont douté long-temps qu'il eût triomphé de la vertu, et sans doute de la répugnance de mademoiselle Aïssé. En effet, l'esprit repousse cette image d'une vertueuse, belle et intéressante personne, flétrie par un vieux débauché, qui détruisoit en elle le sentiment de la reconnoissance, en en exigeant un autre. Des lettres trouvées dans les papiers de M. d'Argental constatent malheureusement cette circonstance pénible et humiliante de la vie de mademoiselle Aïssé.

«Quand je vous achetai, lui écrit M. de Ferriol, je vous destinai à être ou ma fille ou ma maîtresse: vous avez été l'une et l'autre.» Si quelque chose peut inspirer plus de dégoût pour la conduite de M. de Ferriol, c'est sans doute une semblable manière de s'exprimer: en associant ainsi la tendresse paternelle avec les désirs d'un libertin, il semble vouloir rappeler que rien ne ressemble plus à l'inceste qu'une affection de cette nature. Mais tel est le cœur humain, que l'on conçoit comment ces deux sentimens étoient également vrais dans la même personne. Quant à mademoiselle Aïssé, il est douteux que sa reconnoissance pour M. de Ferriol ait survécu à la crainte et au dégoût que dut inspirer à son âme délicate un prétendu bienfaiteur qui ne l'avoit achetée d'un marchand d'esclaves que pour la rendre à sa première destination, après lui avoir donné une éducation qui devoit lui faire regarder cet abaissement comme le plus grand des malheurs. Cependant M. de Ferriol étant tombé dangereusement malade, elle le soigna avec tout le dévouement d'une fille. Il mourut en lui laissant une rente de 4,000 liv., et un capital assez considérable qu'il chargeoit ses héritiers de lui payer.

Après sa mort, mademoiselle Aïssé rentra chez madame de Ferriol, à qui l'ambassadeur l'avoit recommandée spécialement. Madame de Ferriol, quoiqu'au fond du cœur elle aimât assez son ancienne pupille, manqua toujours pour elle de cette délicatesse de sentiment, si nécessaire pour le bonheur de ceux qui passent leur vie ensemble, et que les supérieurs ont si peu avec leurs inférieurs, quoique jamais de semblables ménagemens ne soient plus nécessaires, que lorsqu'ils doivent déguiser des rapports de dépendance. C'est cette absence d'attentions, de soin à ne jamais blesser une âme fière et délicate, que mademoiselle Aïssé reproche souvent à madame de Ferriol, dans les lettres que nous publions. Elle ne méconnoît point les grandes obligations qu'elle a à madame de Ferriol, et elle montre pourtant comment, dans le détail de la vie, sa bienfaitrice la rendoit fort malheureuse.

Elle commença par lui faire sentir que les dons de son beau-frère lui paroissoient trop considérables. Mademoiselle Aïssé, trop fière pour se laisser reprocher des bienfaits, jeta au feu, devant madame de Ferriol, le billet que lui avoit laissé M. de Ferriol. Un pareil désintéressement n'inspira point à madame de Ferriol plus de délicatesse, et elle ne laissa pas de profiter du sacrifice.

Cependant mademoiselle Aïssé jeune, aimable et répandue, avoit d'assez grands succès dans le monde; et au milieu de la galanterie et de la corruption qui signalèrent la régence et le système, elle ne céda jamais ni à la vanité, ni à l'intérêt qui faisoient alors oublier à tant de femmes des devoirs que mademoiselle Aïssé n'avoit point à remplir. Elle eut l'honneur bien extraordinaire de donner quelqu'idée de la vertu et de la pudeur au régent, qui fit gloire toute sa vie de douter de leur existence; opinion qui, chez un prince, est presque toujours fondée, puisqu'il fait disparoître les vertus d'autour de lui, dès qu'il ne les respecte pas. Ce fut chez madame de Parabère que le duc d'Orléans vit mademoiselle Aïssé et lui fit des propositions qu'il ne s'attendoit pas à voir refuser, sur-tout en pareil lieu. Il ne perdit point l'espoir de réussir, et chargea madame de Ferriol de ses intérêts. Madame de Ferriol accepta sans répugnance des fonctions moins honorables encore que celles que le Régent destinoit à mademoiselle Aïssé. Ses efforts furent vains. Comme elle revenoit sans cesse à la charge et développoit à mademoiselle Aïssé tous les avantages d'une semblable conquête, mademoiselle Aïssé se jeta à ses pieds pour la conjurer de ne plus lui en parler, assurant qu'elle se jeteroit dans un couvent si l'on continuoit à la persécuter. Madame de Ferriol, qui ne cherchoit qu'à obtenir du crédit et de la faveur, craignit de perdre tout moyen d'y parvenir en se séparant de mademoiselle Aïssé, et cessa ses exhortations.

Mademoiselle Aïssé, qui avoit résisté à l'appât de la faveur et de la fortune, ne trouva pas les mêmes forces quand il lui fallut défendre sa vertu contre l'amour et l'estime. Elle vit chez madame du Deffant le chevalier d'Aydie; il conçut pour elle la plus vive passion; il se fit présenter chez madame de Ferriol, et bientôt abandonnant presqu'entièrement le monde, il ne quitta plus cette maison. Le chevalier d'Aydie joignoit à la plus noble figure et au caractère le plus aimable, une âme fort tendre. Jusqu'alors son cœur n'avoit point éprouvé de sentimens profonds; il avoit eu plusieurs intrigues, mais aucun attachement durable. Rioms, son oncle, l'avoit présenté chez la duchesse de Berri, qui prit du goût pour lui, et cette princesse ne différoit guère d'ordinaire à satisfaire ses goûts et même ses fantaisies.

Voir à ses pieds un homme brillant et spirituel, que les femmes de la cour s'étoient disputé, que les princesses avoient honoré de leurs faveurs, et le voir animé par un amour tendre, délicat et timide, quelle séduction pour l'amour-propre et pour le cœur de mademoiselle Aïssé! Ce qui rendoit le chevalier plus dangereux pour elle, c'est qu'il n'avoit que des vues honorables. Il vouloit épouser celle qu'il aimoit, et cherchoit à se faire relever des vœux qui l'engageoient dans l'ordre de Malte. Mademoiselle Aïssé se sentoit bien assez de vertu pour ne point se prêter à un projet dont l'exécution eût dégradé son amant aux yeux du monde; mais elle ne se croyoit pas assez de force pour résister à des désirs dont la satisfaction ne pouvoit nuire qu'à sa propre gloire. Dans la défiance qu'elle avoit d'elle-même, elle eut recours à madame de Ferriol, qui comprit encore moins ses scrupules que la première fois, et qui travailla à les détruire. Ne pouvant trouver aucun secours extérieur, voyant tous les jours le chevalier qu'on ne lui permettoit pas de fuir comme elle l'auroit voulu, elle finit par lui avouer qu'elle partageoit ses sentimens, et, en s'abandonnant à lui, elle eut la satisfaction de voir qu'elle en étoit aimée encore davantage. Il redoubla ses instances pour l'épouser; elle n'y voulut jamais consentir; et même, lorsqu'elle s'aperçut qu'elle alloit devenir mère, l'intérêt de son enfant et la perte de sa réputation ne la rendirent pas moins inflexible.

 

Ce ne fut point à madame de Ferriol qu'elle confia sa situation; elle lui connoissoit trop peu de discrétion et de délicatesse. Elle avoua tout à lady Bolingbrocke, avec qui elle étoit très-liée. C'étoit une femme sensible et estimable. On sait qu'elle étoit nièce de madame de Maintenon, et que son premier mari avoit été M. de Villette. Elle pria madame de Ferriol de lui confier pour quelque temps mademoiselle Aïssé pour la mener en Angleterre. Madame de Ferriol consentit à ce voyage. Lady Bolingbrocke et le chevalier d'Aydie logèrent mademoiselle Aïssé dans un quartier retiré de Paris. Elle y accoucha d'une fille, et y reçut tous les soins d'une amie tendre et d'un amant passionné. L'enfant fut conduit en Angleterre par lady Bolingbrocke, et, après sa première éducation, elle fut ramenée en France, et placée dans un couvent à Sens, sous le nom de miss Black, nièce de lord Bolingbrocke.

C'est d'une époque un peu postérieure que sont datées les lettres que nous publions, et qui se continuant presque jusqu'aux derniers jours de la vie de mademoiselle Aïssé, nous dispensent de prolonger cette notice169. Elles sont adressées à madame Saladin qui pendant qu'elle habitoit Paris où son mari étoit résident de la république de Genève, s'étoit liée d'une tendre amitié avec mademoiselle Aïssé. Il paroît que cette dame dont les principes étoient plus sévères que ceux des femmes qui entouroient sa jeune amie, sans que son cœur fût moins sensible, contribua par ses conseils et son exemple à lui donner assez de force pour ne plus s'écarter de ses devoirs. Du moins voyons-nous qu'à l'époque où commença cette correspondance, mademoiselle Aïssé, quoique le chevalier d'Aydie qui fût plus cher que jamais, quoique lui-même l'aimât toujours davantage, avoit rendu cette passion plus pure. Ce combat continuel contre un amour qui acquéroit tous les jours plus de force, le manque absolu d'espérance, le repentir de sa foiblesse, le chagrin de ne pouvoir se livrer sans rougir à la tendresse maternelle, donnent à ses lettres un caractère de mélancolie tout-à-fait touchant. Ce triste sentiment, auquel venoit peut-être se mêler le souvenir de fautes plus anciennes et plus humiliantes, prend plus de force à mesure que la santé de mademoiselle Aïssé s'affoiblit: les consolations de la religion, refuge des âmes tendres et malheureuses, donnent sur la fin un caractère plus résigné et moins amer à sa douleur, mais la rendent plus intéressante encore. Mademoiselle Aïssé mourut en 1733. Sa mort qui termina une vie malheureuse, le désespoir où fut d'abord plongé le chevalier d'Aydie, la tristesse profonde où il vécut encore pendant quinze ans, donnent à ceux qui lisent leur histoire, la tentation de reprocher à mademoiselle Aïssé une délicatesse scrupuleuse qui priva son amant et elle d'un bonheur dont ils étoient dignes de jouir.

Les scrupules peut-être exagérés qui s'opposèrent à ce bonheur, peuvent bien avoir rendu mademoiselle Aïssé plus malheureuse; mais ils donnent une sorte d'admiration pour une vertu si désintéressée. Le chevalier d'Aydie eut toujours pour sa fille une tendresse et des soins auxquels ses regrets donnoient plus de force encore.

Il la maria à un gentilhomme de sa province, et lui laissa sa fortune. Il existe des lettres qu'il écrivit à M. de Pont-de-Vesle, relativement à ce mariage. Elles sont pleines de la douleur la plus vive, quoique l'époque de la mort de mademoiselle Aïssé fût déjà assez éloignée. Elles paroîtront bientôt dans un recueil de lettres trouvées chez M. d'Argental, qui est maintenant sous presse. L'éditeur a bien voulu nous les communiquer, ainsi que celle de M. de Ferriol à mademoiselle Aïssé, dont nous avons cité un passage.

Les lettres de mademoiselle Aïssé à madame Saladin, ont été recueillies et publiées par mademoiselle Rieu, petite-fille de madame Saladin. Elle les avoit, long-temps avant, communiquées à Voltaire, qui y avoit mis de sa main quelques notes que nous avons conservées. Il paroît que la notice que mademoiselle Rieu a mise à la tête de son édition, existoit déjà quand le manuscrit des lettres fut montré à Voltaire; car il atteste dans une note placée au bas de cette notice, que le chevalier d'Aydie avoit offert plusieurs fois à mademoiselle Aïssé de l'épouser. Les détails que nous avons ajoutés à ceux que contient la notice de mademoiselle Rieu, nous ont été fournis par des personnes qui ont beaucoup vu d'anciens amis de mademoiselle Aïssé et du chevalier d'Aydie.

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LETTRE PREMIÈRE

1726

Je n'ai pu me résoudre à vous écrire plutôt: j'ai envisagé avec chagrin que l'on ne vous laisseroit pas lire mes lettres; ainsi j'ai mieux aimé laisser passer les premiers empressemens. Mandez-moi, Madame, de vos nouvelles. Êtes-vous remise de la fatigue du voyage? J'ai plus fait de vœux pour que vous eussiez le beau temps, qu'un amant n'en auroit fait; il ne seroit assurément pas plus occupé et affligé que moi, de votre départ. Le soleil, la pluie, les vents, me paroissent des embrâsemens, des inondations, des ouragans: enfin, j'ai respiré, quand j'ai vu arriver le jour bienheureux pour vos parens et vos amis, où ils vous ont enfin revue. Vous me manderez, s'il vous plaît, quelques détails de votre réception. Je partage toutes les amitiés que vous recevez. Hélas! je ne puis passer dans la rue où vous avez demeuré, sans avoir le cœur serré et les larmes aux yeux. Je reviens d'Ablons170, où j'ai passé quelques jours tête à tête avec madame de Ferriol; j'y ai toujours pensé à vous, et je dis à ma compagne le regret que j'avois que vous n'eussiez pas vu cette guinguette. Dans l'instant, je vois entrer dans le salon madame votre fille; jugez de ma joie: elle passa ici pour aller à la Jaquinière; elle venoit de je ne sais où, aux environs. Notre dame prenoit du café; elle vouloit se lever; madame votre fille se précipita pour l'en empêcher. Le chien noir, qui est mal morigéné, saute sur la tasse de café pour japper, la renverse sur sa maîtresse: le désespoir s'empare de ladite dame; fichu sali, robe unie tachée. Vous jugez de l'embarras de madame Rieu, qui auroit voulu être à cent lieues de là. Pour moi je vous l'avoue, j'eus tant envie de rire, que madame votre fille se remit. Cependant, passé ces premiers momens, on lui fit toutes sortes de politesses. Elle la trouva très-belle; en effet, elle l'étoit aussi, quoique dans un grand négligé.

Je parle toujours du voyage de Pont-de-Vesle171, qui me procurera le bonheur d'aller vous voir. J'espère qu'à force d'en parler, je forcerai d'y aller. Je suis occupée de ce projet: les hommes ne peuvent être sans quelques désirs; je me flattois d'être une petite philosophe; mais je ne le serai, jamais sur ce qui touche le sentiment.

Pont-de-Vesle172 se porte un peu mieux, il vous assure de ses respects. D'Argental173 est dans l'île enchantée, chez son amie, qui a hérité considérablement; il revient à la St. – Martin. Le Grand donna, l'autre jour, une comédie qui tomba de la plus belle chute que j'aie jamais vue; il n'en a pas été de même d'un opéra que deux violons ont donné: le sujet est Pyrame et Thisbé; il y eut une très-jolie décoration; ils reçurent bien des applaudissemens.

Je passe mes jours à chasser aux petits oiseaux; cela me fait grand bien. L'exercice et la dissipation sont de très-bons remèdes pour les vapeurs et les chagrins; je reviens de mes courses avec appétit et sommeil. L'ardeur de la chasse me fait marcher, quoique j'aie les pieds moulus: la transpiration que cet exercice m'occasionne, me convient. Je suis hâlée comme un corbeau; je vous ferois peur, si vous me voyiez. Je voudrois bien en être à la peine. Que je serois heureuse si j'étois encore avec vous, Madame! Avouez que vous ne seriez point fâchée d'être encore à Paris. Pour moi, je donnerois bien une pinte de mon sang pour que nous fussions ensemble actuellement; je vous rendrois compte de mille choses, je goûterois le plaisir de vous revoir; au lieu de ce bien, j'ai des regrets; que cela est différent! Le chevalier est en Périgord, où je crois qu'il s'ennuie: sa santé est toujours délicate, son cœur toujours plus tendre. Je vous enverrois avec plaisir des copies de ses lettres; mais non: il y a des choses qui vous déplairoient, et j'aurois honte que vous les vissiez. L'abbé, frère du chevalier, vit l'autre jour madame Rieu chez moi; ce fut un coup de foudre. Il revint le lendemain à Ablons, il me dit qu'il n'avoit jamais rien vu de si beau à son gré: les lis et les roses ne sont pas si fraîches qu'elle étoit ce jour-là; son air de modestie et de douceur plut si fort à ce pauvre abbé, qu'il m'en parle toutes les fois qu'il me voit: cependant il avoit été prévenu; on l'avoit annoncée, et je lui dis: vous allez voir une des belles femmes de Paris: malgré cela, il fut surpris. M. Bertie vous aime toujours de même, quoiqu'il ait changé son goût pour moi en amitié. On vous aime pour vous, et non pas pour les autres. Vous le savez bien; et quand vous dites le contraire, vous parlez contre votre pensée. En bonne foi, peut-on vous connoître sans vous aimer? J'en laisse juge votre cœur. Adieu, Madame, aimez-moi, et soyez assurée que personne dans le monde ne vous aime, ne vous estime, et ne vous respecte autant qu'Aïssé.

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LETTRE II

Paris, 1726

J'ai reçu la lettre que vous avez eu la bonté de m'écrire de votre campagne: je ne doute point que vous n'ayez eu un plaisir bien vif de vous être vu recevoir avec tant d'amitié: les démonstrations de joie que l'on a eues de votre retour ne peuvent être feintes. Ainsi, Madame, vous avez joui d'un bonheur que les rois mêmes ne goûtent pas. Vous me direz qu'il n'étoit point nécessaire que vous fussiez malheureuse pour être aimée; que vous le seriez tout autant, et même davantage, si vous étiez dans une fortune riante. L'expérience, il est vrai, fait voir que l'adversité et la mauvaise fortune déplaisent aux hommes; et que le plus-souvent les bonnes qualités, le mérite, sont les zéro, et le bien, le chiffre qui les fait valoir; mais cependant on se rend toujours à la vertu; je conviens qu'il faut en avoir beaucoup pour qu'elle supplée au manque de richesses: ainsi, Madame, rien n'est plus flatteur que l'accueil obligeant que vous avez reçu. Vous êtes amplement dédommagée des injustices du sort. Je suis charmée que vous vous portiez mieux; rien ne contribue à la santé, comme d'avoir sujet d'être content de soi. Je fais tous mes efforts pour déterminer M. et madame de Ferriol à aller à Pont-de-Vesle; ils disent que c'est bien leur dessein, mais je ne le croirai que lorsque nous partirons: il n'y a pas de jour que je ne leur fasse sentir le besoin de leur présence dans leurs terres, et celui de quitter quelque temps Paris. M. de Bonac va à Soleure; je lui ai parlé de madame votre sœur; madame de Bonac espère la voir souvent pendant son séjour dans ce pays-là. Comme il n'y a pas loin de Genève, nous irons, vous et moi, les voir; me dédirez-vous? M. et madame de Ferriol et Pont-de-Vesle vous font mille tendres complimens et respects. Pour d'Argental, il est dans l'île enchantée; on ne sait plus quand il en sortira. J'occupe sa chambre, parce que je fais raccommoder la mienne, qui sera charmante; je suis bien fâchée que vous ne la voyiez pas; mes réparations me reviendront à cent pistoles. J'ai vu M. Saladin le cadet; je me suis senti une tendresse pour lui, dont je ne me serois pas doutée, il y a six mois; et je crois que je l'aurois eue pour M. Buisson, s'il avoit vécu. Les gens que j'ai connus chez vous, me sont chers. Il y a long-temps que je n'ai vu madame votre fille; elle a été à la campagne, et moi, de mon côté; nous sommes allés passer les fêtes à Ablons, mademoiselle de Villefranche, madame de Servigni, M. et madame de Ferriol, MM. de Fontenai, La Mésangères, le chevalier et Clémence: nous avons fait grand feu et bonne chère: vous en êtes étonnée; mais c'est pour long-temps; la maîtresse de la maison craignoit La Mésangères. Elle n'a jamais osé appeler Clément, son chien noir, ni Champagne; elle a été de très-bonne humeur, malgré sa contrainte, et la partie s'est très-bien passée. La Mésangères fut charmant. M. de Fontenai m'a chargée de vous assurer de ses respects.

 

Il faut un peu vous parler des spectacles. Les deux petits violons Francœur et Rebel ont fait un opéra; le sujet est Pyrame et Thisbé; il est fort joli, quant à la musique; car pour le poëme, il est mauvais: il y a une décoration nouvelle. Le premier acte représente une place publique, avec des arcades et des colonnes, ce qui est admirable: la perspective est parfaitement bien suivie et les proportions bien gardées. Le pauvre Thevenard tombe si fort, que je ne doute pas qu'il ne soit sifflé dans six mois. Pour Chassé, c'est son triomphe; il est acteur dans cet opéra; son rôle est très-beau, il fait deux octaves pleins. La Entie en est folle. Mademoiselle Le Maure est rentrée; et Murer, qui a été très-mal, se porte bien; le bruit avoit couru qu'il se faisoit moine, mais le métier est trop bon, et il ne quitte point l'opéra. Il y a une nouvelle actrice nommée Pellissier, qui partage l'approbation du public avec la Le Maure: pour moi, je suis pour la Le Maure; sa voix, son jeu me plaisent plus que celui de mademoiselle Pellissier. Cette dernière a la voix très-petite, et elle l'a toujours forcée sur le théâtre; elle est très-bonne pantomime; tous ses gestes sont justes et nobles; mais elle en a tant, que mademoiselle Entie paroît tout d'une pièce auprès d'elle. Il me semble que dans le rôle d'amoureuse, quelque violente que soit la situation, la modestie et la retenue sont choses nécessaires; toute passion doit être dans les inflexions de la voix et dans les accens. Il faut laisser aux hommes et aux magiciens les gestes violens et hors de mesure; une jeune princesse doit être plus modeste. Voilà mes réflexions. En êtes-vous contente? Le public rend justice à mademoiselle Le Maure; et quand on l'a revue sur le théâtre, elle parut premièrement à l'amphithéâtre, tout le parterre se retourna, et battit des mains pendant un quart-d'heure; elle reçut ses applaudissemens avec une grande joie, et fit des révérences pour remercier le parterre. Madame la duchesse de Duras, qui protège la Pellissier, étoit furieuse, et me fit signe que c'étoit moi et madame de Parabère qui avions payé des gens pour battre des mains. Le lendemain, la même chose arriva, et mademoiselle Pellissier en pensa crever de dépit. La comédie est de retour de Fontainebleau où il y a jubilé: nous ne l'avons pas ici, à cause de M. le cardinal de Noailles. On est affamé de tragédies, parce que depuis Fontainebleau on ne joue que des farces. Pour la comédie italienne, on y joue la critique de l'opéra qui, à ce qu'on dit, est fort jolie. La pauvre Silvia174 a pensé mourir: on prétend qu'elle a un petit amant qu'elle aime beaucoup; que son mari, de jalousie, l'a battue outrément, et qu'elle a fait une fausse couche de deux enfans, à trois mois; elle a été très-mal, elle est mieux à présent. Mademoiselle Flaminia avoit eu la méchanceté d'instruire le mari des galanteries de sa femme. Vous jugez bien, à l'amour que le parterre avoit pour Flaminia, combien il l'a maltraitée. Les bals vont commencer; mais ils seront sûrement aussi déserts que l'année passée.

Permettez que je fasse ici quelques petites coquetteries à M. votre mari. Je suis extrêmement touchée du petit mot qu'il a mis dans votre lettre; et dussiez-vous le battre de jalousie, je lui dirai que je l'aime beaucoup.

A mademoiselle votre fille

Je suis persuadée, Mademoiselle, que vous avez un peu d'amitié pour moi: votre extrême vérité m'en assure; le retour est naturel à tous les cœurs bien faits, d'aimer qui nous aime. Continuez, je vous prie, de parler un peu de moi à madame votre mère: choisissez, s'il vous plaît, le moment où vous vous mettez à table, pour que je puisse avoir part à votre conversation; plût à Dieu que j'en fusse témoin! Adieu, Mesdames, recevez mes tendres embrassades. Voici une lettre d'un officier des Invalides à M. du Voisin, pour obtenir la permission de se marier.

Monseigneur,

«J'aurois cru que le précepte de Saint Paul étoit bon à suivre, sur-tout quand il dit, qu'il vaut mieux se marier que brûler. C'est ce qui m'a fait prendre la liberté de demander à votre Grandeur la permission d'épouser mademoiselle d'Auval, fille d'un mérite et d'une sagesse consommée. C'est ce que tous ceux qui la connoissent certifieront à votre Grandeur. Cependant M. notre gouverneur m'a défendu de voir cette demoiselle, si je ne voulois être démis de mon emploi. J'ai obéi à cette défense; et si votre Grandeur ne trouve pas à propos ce mariage, je la supplie très-instamment, pour le salut de mon âme, de m'en présenter une autre, ou bien d'envoyer ordre au père Pascal, mon confesseur, de m'absoudre quand je vais à confesse, ce qu'il m'a refusé: je fais tous mes efforts pour contenter ce bon père, mais en vain, Dieu ne m'ayant point donné à trente-huit ans le don de continence. Enfin, Monseigneur, si vous me procurez le paradis sans femmes, et que je vienne à mourir plutôt que votre Grandeur, je ne laisserai point Dieu en repos, qu'il ne vous ait marqué une place digne de votre mérite, dans son paradis».

»Je suis, etc.»

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169Ces lettres vont de l'année 1725 à l'anné 1733.
170Ablons, campagne près Paris.
171Pont-de-Vesle, terre en Bourgogne.
172Fils de madame de Ferriol.
173Autre fils de cette dame.
174Excellente actrice pour les pièces de Marivaux. (Note de M. de Voltaire).