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Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé

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LETTRE XI
Mademoiselle de l'Enclos à M. de Saint-Evremont

J'ai envoyé une réponse à votre dernière lettre, Monsieur, au correspondant de M. l'abbé Dubois; et je crains, comme il étoit à Versailles, qu'elle ne lui ait pas été rendue. Je serois fort en peine de votre santé, sans la visite du bon petit bibliothécaire de madame de Bouillon166, qui me combla de joie, en me montrant une lettre d'une personne qui songe à moi à cause de vous. Quelque sujet que j'aie eu dans ma maladie de me louer du monde et de mes amis, je n'ai rien ressenti de plus vif que cette marque de bonté. Faites sur cela tout ce que vous êtes obligé de faire, puisque c'est vous qui me l'avez attirée. Je vous prie que je sache, par vous-même, si vous avez rattrapé ce bonheur dont on jouit si peu en de certains temps. La source ne sauroit tarir tant que vous aurez l'amitié de l'aimable personne qui soutient votre vie167. Que j'envie ceux qui passent en Angleterre! et que j'aurois de plaisir de dîner encore une fois avec vous! n'est-ce point une grossièreté que le souhait d'un dîner? L'esprit a de grands avantages sur le corps: cependant ce corps fournit souvent de petits goûts qui se réitèrent, et qui soulagent l'âme de ses tristes réflexions. Vous vous êtes souvent moqué de celles que je faisois: je les ai toutes bannies. Il n'est plus temps quand on est arrivé au dernier période de la vie: il faut se contenter du jour où l'on vit. Les espérances prochaines, quoique vous en disiez, valent bien autant que celles qu'on étend plus loin: elles sont plus sûres. Voici une belle morale. Portez-vous bien, voilà à quoi tout doit aboutir.

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LETTRE XII
Mademoiselle de l'Enclos à M. de Saint-Evremont
Avril 1698

M l'abbé Dubois m'a rendu votre lettre, Monsieur, et m'a dit autant de bien de votre estomac que de votre esprit. Il vient des temps où l'on fait bien plus de cas de l'estomac que de l'esprit; et j'avoue à ma honte que je vous trouve plus heureux de jouir de l'un que de l'autre. J'ai toujours cru que votre esprit dureroit autant que vous. On n'est pas si sûr de la santé du corps, sans quoi il ne reste que de tristes réflexions. Insensiblement je m'embarquerois à en faire: voici un autre chapitre; il regarde un joli garçon qu'un désir de voir les honnêtes gens de toute sorte de pays a fait quitter une maison opulente, sans congé. Peut-être blâmerez-vous sa curiosité; mais l'affaire est faite. Il sait beaucoup de choses; il en ignore d'autres qu'il faut ignorer à son âge. Je l'ai cru digne de vous voir, pour lui faire commencer à sentir qu'il n'a pas perdu son temps d'aller en Angleterre. Traitez-le bien pour l'amour de moi. Je l'ai fait prier par son frère aîné, qui est particulièrement mon ami, d'aller savoir des nouvelles de madame la duchesse Mazarin et de madame Hervey, puisqu'elles ont bien voulu se souvenir de moi.

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LETTRE XIII
M. de Saint-Evremont à mademoiselle de l'Enclos
Mai 1698

Je n'ai jamais vu de lettre où il y eût tant de bon sens que dans la vôtre. Vous faites l'éloge de l'estomac si avantageusement qu'il y aura de la honte à avoir bon esprit, à moins que d'avoir bon estomac. Je suis obligé à M. l'abbé Dubois de m'avoir fait valoir auprès de vous par ce bel endroit. A quatre-vingt-huit ans, je mange des huîtres tous les matins, je dîne bien, je ne soupe pas mal; on fait des héros pour un moindre mérite que le mien.

 
Qu'on ait plus de bien, de crédit,
Plus de vertu, plus de conduite,
Je n'en aurai point de dépit;
Qu'un autre me passe en mérite
Sur le goût et sur l'appétit,
C'est l'avantage qui m'irrite.
L'estomac est le plus grand bien,
Sans lui les autres ne sont rien.
Un grand cœur veut tout entreprendre,
Un grand esprit veut tout comprendre:
Les droits de l'estomac sont de bien digérer:
Et dans les sentimens que me donne mon âge,
La beauté de l'esprit, la grandeur du courage,
N'ont rien qu'à sa vertu l'on puisse comparer.
 

Étant jeune, je n'admirois que l'esprit, moins attaché aux intérêts du corps que je ne devois l'être. Aujourd'hui je répare autant qu'il m'est possible le tort que j'ai eu, ou par l'usage que j'en fais, ou par l'estime et l'amitié que j'ai pour lui. Vous en avez usé autrement. Le corps vous a été quelque chose dans votre jeunesse; présentement vous n'êtes occupée que de ce qui regarde l'esprit. Je ne sais pas si vous avez raison de l'estimer tant. On ne lit presque rien qui vaille la peine d'être retenu. On ne dit presque rien qui mérite d'être écouté. Quelque misérables que soient les sens à l'âge où je suis, les impressions que font sur eux les objets qui plaisent, me trouvent bien plus sensible, et nous avons grand tort de les vouloir mortifier. C'est peut-être une jalousie de l'esprit, qui trouve leur partage meilleur que le sien. M. Bernier, le plus joli philosophe que j'aie connu. (Joli philosophe ne se dit guère; mais sa figure, sa taille, sa manière, sa conversation, l'ont rendu digne de cette épithète-là.) M. Bernier, en parlant de la mortification des sens, me dit un jour: «Je vais vous faire une confidence que je ne ferois pas à madame de la Sablière, à mademoiselle de l'Enclos même, que je tiens d'un ordre supérieur; je vous dirai en confidence que l'abstinence des plaisirs me paroît un grand péché». Je fus surpris de la nouveauté du système. Il ne laissa pas de faire quelqu'impression sur moi. S'il eût continué son discours, peut-être m'auroit-il fait goûter sa doctrine. Continuez-moi votre amitié, qui n'a jamais été altérée; ce qui est rare dans un aussi long commerce que le nôtre.

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LETTRE XIV
Mademoiselle de l'Enclos à M. de Saint-Evremont
Août 1698

M de Clérembault m'a fait un sensible plaisir en me disant que vous songiez à moi: j'en suis digne par l'attachement que je conserve pour vous. Nous allons mériter des louanges de la postérité par la durée de notre vie, et par celle de notre amitié. Je crois que je vivrai autant que vous. Je suis lasse quelquefois de faire toujours la même chose; et je loue le Suisse qui se jeta dans la rivière par cette raison. Mes amis me reprennent souvent sur cela, et m'assurent que la vie est bonne, tant que l'on est tranquille et que l'esprit est sain. La force du corps donne d'autres pensées. L'on préféreroit sa force à celle de l'esprit; mais tout est inutile quand on ne sauroit rien changer. Il vaut autant s'éloigner des réflexions, que d'en faire qui ne servent à rien. Madame Sandwich m'a donné mille plaisirs, par le bonheur que j'ai eu de lui plaire. Je ne croyois pas sur mon déclin pouvoir être propre à une femme de son âge. Elle a plus d'esprit que toutes les femmes de France, et plus de véritable mérite. Elle nous quitte; c'est un regret pour tout ce qui la connoît, et pour moi particulièrement. Si vous aviez été ici, nous aurions fait des repas dignes du temps passé. Aimez-moi toujours. Madame de Coulanges a pris la commission de faire vos complimens à M. le comte de Grammont par madame la comtesse de Grammont. Il est si jeune, que je le crois aussi léger, que du temps qu'il haïssoit les malades, et qu'il les aimoit dès qu'ils étoient revenus en santé. Tout ce qui revient d'Angleterre parle de la beauté de madame la duchesse Mazarin, comme on parle ici de celle de mademoiselle de Bellefond qui commence. Vous m'avez attachée à madame Mazarin, et je n'en entends point dire de bien sans plaisir. Adieu, Monsieur; pourquoi n'est-ce pas un bon jour? Il ne faudroit pas mourir sans se voir.

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LETTRE XV
Mademoiselle de l'Enclos à M. de Saint-Evremont 168
Le 3 juillet 1699

Quelle perte pour vous, Monsieur! Si on n'avoit pas à se perdre soi-même, on ne se consoleroit jamais. Je vous plains sensiblement; vous venez de perdre un commerce aimable, qui vous a soutenu dans un pays étranger. Que peut-on faire pour remplacer un tel malheur? Ceux qui vivent long-temps, sont sujets à voir mourir leurs amis. Après cela votre esprit, votre philosophie vous servira à vous soutenir. J'ai senti cette mort comme si j'avois eu l'honneur de connoître madame Mazarin. Elle a songé à moi dans mes maux: j'ai été touchée de cette bonté; et ce qu'elle étoit pour vous m'avoit attachée à elle. Il n'y a plus de remède, et il n'y en a nul à ce qui arrive à nos pauvres corps. Conservez le vôtre. Vos amis aiment à vous voir si sain et si sage; car je tiens pour sages ceux qui savent se rendre heureux. Je vous rends mille grâces du thé que vous m'avez envoyé. La gaîté de votre lettre m'a autant plu que votre présent. Vous allez ravoir madame Sandwich, que nous voyons partir avec beaucoup de regret. Je voudrois que la situation de sa vie vous pût servir de quelque consolation. J'ignore les manières angloises: cette dame a été très-françoise ici. Adieu mille fois, Monsieur. Si l'on pouvoit penser comme madame de Chevreuse, qui croyoit en mourant qu'elle alloit causer avec tous ses amis en l'autre monde, il seroit doux de le penser.

 
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LETTRE XVI
Mademoiselle de l'Enclos à M. de Saint-Evremont
1699

Votre lettre m'a remplie de désirs inutiles dont je ne me croyois plus capable. Les jours se passent, comme disoit le bon homme des Yveteaux, dans l'ignorance et la paresse; et ces jours nous détruisent, et nous font perdre les choses à quoi nous sommes attachés. Vous l'éprouverez cruellement. Vous disiez autrefois que je ne mourrois que de réflexion: je tâche à n'en plus faire et à oublier le lendemain le jour que je vis aujourd'hui. Tout le monde me dit que j'ai moins à me plaindre du temps qu'un autre. De quelque sorte que cela soit, qui m'auroit proposé une telle vie, je me serois pendue. Cependant on tient à un vilain corps comme à un corps agréable. On aime à sentir l'aise et le repos. L'appétit est quelque chose dont je jouis encore. Plût à Dieu de pouvoir éprouver mon estomac avec le vôtre, et parler de tous les originaux que nous avons connus, dont le souvenir me réjouit plus que la présence de beaucoup de gens que je vois, quoiqu'il y ait du bon dans tout cela, mais, à dire le vrai, nul rapport! M. de Clérembault me demande souvent, s'il ressemble par l'esprit à son père: non, lui dis-je; mais j'espère de sa présomption qu'il croit ce non avantageux, et peut-être qu'il y a des gens qui le trouveroient. Quelle comparaison du siècle présent avec celui que nous avons vu! Vous allez voir madame Sandwich; mais je crains qu'elle n'aille à la campagne. Elle sait tout ce que vous pensez d'elle. Madame Sandwich vous dira plus de nouvelles de ce pays-ci que moi. Elle a tout approfondi et tout pénétré. Elle connoît parfaitement tout ce que je hante, et a trouvé le moyen de n'être point étrangère ici.

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LETTRE XVII
M. de Saint-Evremont à mademoiselle de l'Enclos
1699

La dernière lettre que je reçois de mademoiselle de l'Enclos me semble toujours la meilleure; et ce n'est point que le sentiment du plaisir présent l'emporte sur le souvenir du passé: la véritable raison est que votre esprit se fortifie tous les jours. S'il en est du corps comme de l'esprit, je soutiendrois mal ce combat d'estomac dont vous me parlez. J'ai voulu faire un essai du mien contre celui de madame Sandwich, à un grand repas, chez milord Jersey; je ne fus pas vaincu. Tout le monde connoît l'esprit de madame Sandwich: je vois son bon goût par l'estime extraordinaire qu'elle a pour vous. Je ne fus pas vaincu sur les louanges qu'elle vous donna, non plus que sur l'appétit. Vous êtes de tous les pays; aussi estimée à Londres qu'à Paris. Vous êtes de tous les temps; et quand je vous allègue pour faire honneur au mien, les jeunes gens vous nomment aussitôt pour donner l'avantage au leur. Vous voilà maîtresse du présent et du passé; puissiez-vous avoir des droits considérables sur l'avenir! je n'ai pas en vue la réputation; elle vous est assurée dans tous les temps. Je regarde une chose plus essentielle; c'est la vie, dont huit jours valent mieux que huit siècles de gloire après la mort. Qui vous auroit proposé autrefois de vivre comme vous vivez, vous vous seriez pendue; l'expression me charme; cependant vous vous contentez de l'aise, et du repos, après avoir senti ce qu'il y a de plus vif.

 
L'esprit vous satisfait, ou du moins vous console;
Mais on préféreroit de vivre jeune et folle,
Et laisser aux vieillards, exempts de passions,
La triste gravité de leurs réflexions.
 

Il n'y a personne qui fasse plus de cas de la jeunesse que moi. Comme je n'y tiens que par le souvenir, je suis votre exemple, et m'accommode du présent le mieux qu'il m'est possible. Plût à Dieu que madame Mazarin eût été de notre sentiment! elle vivroit encore; mais elle a voulu mourir la plus belle du monde. Madame Sandwich va à la campagne. Elle part d'ici admirée à Londres comme elle l'a été à Paris. Vivez; la vie est bonne quand elle est sans douleur. Je vous prie de faire tenir ce billet à M. l'abbé de Hautefeuille, chez madame la duchesse de Bouillon. Je vois quelquefois les amis de M. l'abbé Dubois, qui se plaignent d'être oubliés. Assurez-le de mes très-humbles respects.

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LETTRE XVIII
Mademoiselle de l'Enclos à M. de Saint-Evremont
14 octobre, 1700

Le bel esprit est bien dangereux dans l'amitié! Votre lettre en auroit gâté une autre que moi. Je connois votre imagination vive et étonnante, et j'ai même eu besoin de me souvenir que Lucien a écrit à la louange de la Mouche, pour m'accoutumer à votre style. Plût à Dieu que vous pussiez penser de moi ce que vous en dites! je me passerois de toutes les nations. Aussi est-ce à vous que la gloire en demeure. C'est un chef-d'œuvre que votre dernière lettre. Elle a fait le sujet de toutes les conversations que l'on a eues dans ma chambre depuis un mois. Vous retournez à la jeunesse: vous faites bien de l'aimer. La philosophie sied bien avec les agrémens de l'esprit. Ce n'est pas assez d'être sage, il faut plaire; et je vois bien que vous plairez toujours tant que vous penserez comme vous pensez. Peu de gens résistent aux années. Je crois ne m'en être pas encore laissé accabler. Je souhaiterois, comme vous, que madame Mazarin eût regardé la vie en elle-même sans songer à son visage, qui eût toujours été aimable, quand le bon sens auroit tenu la place de quelque éclat de moins. Madame Sandwich conservera la force de l'esprit en perdant la jeunesse, au moins le pense-je ainsi. Adieu, Monsieur, quand vous verrez madame la comtesse de Sandwich, faites-la souvenir de moi; je serois très-fâchée d'en être oubliée.

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LETTRE XIX
M. de Saint-Evremont à mademoiselle de l'Enclos
Le premier janvier 1701

On m'a rendu dans le mois de décembre la lettre que vous m'avez écrite le 14 octobre 1700. Elle est un peu vieille; mais les bonnes choses sont agréablement reçues, quelque tard qu'elles arrivent. Vous êtes sérieuse, et vous plaisez. Vous donnez de l'agrément à Sénèque, qui n'est pas accoutumé d'en avoir. Vous vous dites vieille avec toutes les grâces de l'humeur et de l'esprit des jeunes gens. J'ai une curiosité que vous pouvez satisfaire: quand il vous souvient de votre jeunesse, le souvenir du passé ne vous donne-t-il point de certaines idées aussi éloignées de la langueur de l'indolence que du trouble de la passion? Ne sentez-vous point dans votre cœur une opposition secrète à la tranquillité que vous pensez avoir donnée à votre esprit?

 
Mais aimer et vous voir aimée,
Est une douce illusion,
Qui dans votre cœur s'est formée
De concert avec la raison.
 
 
D'une amoureuse sympathie
Il faut pour arrêter le cours,
Arrêter celui de nos jours;
Sa fin est celle de la vie.
 
 
Puissent les destins complaisans
Vous donner encore trente ans
D'amour et de philosophie!
 

C'est ce que je vous souhaite le premier jour de l'année 1701, jour où ceux qui n'ont rien à donner, donnent pour étrennes des souhaits.

Fin des lettres de mademoiselle de l'Enclos et de M. de Saint-Evremont
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LA COQUETTE VENGÉE; PAR MLLE. DE L'ENCLOS

Ma nièce, disoit Éléonore à Philimène, quand vous serez à Paris, ne faites point amitié ni conversation avec toute sorte d'hommes; il y a bien du choix à faire parmi eux; mais sur-tout évitez les philosophes. Voilà un mot que vous n'entendez pas, je le vois bien; un peu de patience, vous allez bientôt savoir ce que c'est. Quand Dorilas, votre frère, alloit au collége, vous avez vu souvent dîner chez vous un certain homme qui faisoit tant de révérences et tant de gestes en entrant, qui rioit au nez à tout le monde, qui parloit toute sorte de langues hormis la nôtre, qui avoit toujours les cheveux mal peignés, la barbe sale, et le collet entr'ouvert, toujours crotté, toujours la soutane grasse et le long manteau déchiré. Ne vous souvient-il pas d'un éclat de rire qui vous prit à table un jour, quand il disoit au laquais qui lui donnoit à boire qu'il se couvrit, autrement qu'il n'accepteroit jamais le verre de sa main, avec des complimens si longs et si opiniâtres, qu'il fût mort de soif, si votre père n'eût eu pitié de lui? Vous le connoissez; c'étoit le maître qui enseignoit la philosophie à Dorilas, c'étoit un philosophe; mais il n'étoit pas de ceux dont je vous veux parler.

Vous avez encore ouï parler cent fois d'un certain abbé qui est dans notre voisinage, dont la vie est toute retirée, qui ne songe qu'à lui, qui ne veut point faire d'amis de peur de s'engager à être le leur, qui se cache au grand monde pour en éviter l'embarras, qui fuit les compagnies comme autant d'occasions d'intrigues et de soucis, qui n'aime que ses livres et ses chiens, et encore plus ses chiens que ses livres; et autant de fois que nous en avons parlé, vous nous avez toujours ouï dire que c'étoit un philosophe; ce n'est point encore là ce que j'entends.

Il y a d'autres philosophes qui aiment la compagnie, mais celle de leurs semblables, où ils ont leurs coudées franches et la liberté entière de tout dire et de tout faire, des philosophes goinfres qui courent le cabaret, qui ivrognent sans cesse, parce qu'ils disent qu'ils n'ont jamais tant de plaisir que quand ils ont noyé ou endormi leur raison, qui leur joue cent mauvais tours quand elle veille, qui les contraint de faire cent réflexions fâcheuses, et qu'ils appellent l'ennemie capitale de leur repos. Ces philosophes-là portent leur reproche avec eux.

Quand je dis donc que vous devez éviter les philosophes, je n'entends point parler, ni d'un docteur, ni d'un solitaire, ni d'un libertin dont la profession est ouverte et déclarée. J'entends certains pédans déguisés, pédans de robe courte, des philosophes de chambre qui ont le teint un peu plus frais que les autres, parce qu'ils se nourrissent à l'ombre, et qu'ils ne s'exposent jamais à la poussière et au soleil; des philosophes de ruelles qui dogmatisent dans des fauteuils; des philosophes galans qui raisonnent sans cesse sur l'amour, et qui n'ont rien de raisonnable pour se faire aimer. Vous ne sauriez croire combien ces gens-là sont incommodes.

 

Au commencement que j'étois à Paris, encore toute pleine de l'air de nos provinces, lorsque le premier venu m'étoit bon, pourvu qu'il me dît quelque chose, je fis connoissance avec un de ces gens-là. Il vint par hasard dans une maison où j'étois en visite avec une de mes cousines; il étoit habillé fort uniment, il n'avoit ni ruban, ni dentelle, il ne me souvient pas même s'il avoit des glands; son chapeau étoit un peu lustré avec un petit crêpe, son bas de soie ne faisoit pas le moindre pli, le manteau sur ses deux épaules, le pourpoint fermé, la petite manchette au bout, le gand de Grenoble à la main, il n'y avoit rien de superflu; un clin-d'œil, un souris, un petit mouvement de tête suppléeoient à toutes ces révérences étudiées qui ne sont bonnes à rien. Le fils de la maison lui fit grand accueil. Voilà mon fils qui est ravi de vous voir, lui dit sa mère; c'est Monsieur tel, dit-elle à toute la compagnie; et dans la compagnie il y avoit force dames. Je ne vis pas qu'elles s'en émurent beaucoup. Je crus que le sujet de l'entretien qu'il avoit interrompu par son arrivée, les attachoit si fort qu'elles ne pensèrent point à lui faire compliment. Son nom ne m'étoit pas inconnu; des jeunes gens qui revenoient de Paris m'en avoient parlé dans la province. Il prit un siége auprès de moi. On continua l'entretien d'un certain mariage qui s'étoit fait à la cour. Ni lui, ni moi ne disions pas un mot; moi, parce que je ne savois rien; lui, parce que le sujet ne lui plaisoit pas. Il s'imagina que la même raison nous faisoit taire tous deux. Après avoir attendu quelque temps: nous ne sommes, ni vous, ni moi, me dit-il tout bas, du grand entretien; nous en pouvons faire un second entre nous sans troubler le leur: aussi bien elles parlent si haut qu'elles s'étourdissent elles-mêmes, et par conséquent, il est impossible, dans le bruit qu'elles font, qu'elles nous entendent. Je lui répondis; il me dit encore quelqu'autre chose; je lui fis aussi quelque autre réponse, mais j'affectois toujours de mettre dans ce que je disois quelque pointe et quelque mot extraordinaire. Il me reconnut provinciale; il me fit alors cent questions sur mon pays, sur ma naissance, sur mon nom, sur ma demeure, sur les livres que je lisois. Que ne dit-il point contre Balzac, Voiture et tous les faiseurs de lettres, de comédies et de romans! On abandonne lâchement la connoissance des choses solides pour s'attacher aux mots. Il me tint un grand discours là-dessus avec tant de chaleur, que souvent il en roidissoit le bras et fermoit le poing. Trouvez bon, me dit-il à la fin, que j'aie l'honneur de vous aller voir, et vous en saurez plus en un mois que tous ces conteurs de bagatelles ne pourroient vous en apprendre en toute votre vie. Il n'y aura point de grand sujet, dont vous ne puissiez parler sur-le-champ; d'une ligne que je vous dirai, vous pourrez tirer mille conclusions et former mille discours.

Il me vint voir quelque temps après, comme il m'avoit promis. J'achetai certains livres qu'on appelle des tables. Il me les expliquoit toutes les fois qu'il venoit au logis. C'étoit toute mon occupation; je négligeois toute autre chose. Ses visites et mon étude durèrent un an et quelques mois: j'avois du loisir, je ne connoissois pas encore le grand monde; mais enfin je fus obligée de recevoir tant de visites tous les jours et à tous momens, que je ne pouvois plus le voir qu'en compagnie.

Il entra dans ma chambre, un jour que Polixène y étoit avec Philidor, son frère, qui est un gentilhomme aussi adroit et aussi spirituel que j'en connoisse. Monsieur, lui dit Philidor, vous êtes venu bien à propos; vous avez appris tant de philosophie à Éléonore qu'elle nous fait enrager; je lui disois qu'un amour constant étoit la plus belle de toutes les vertus. Elle m'a répondu fièrement que je confondois les vertus avec les passions, que l'amour étoit une passion et non pas une vertu, et qu'une passion ne devient pas vertu par sa durée, mais seulement une plus longue passion. Elle m'a dit cent choses de la même force; je suis à bout, je vous demande secours. Comment vous pourrois-je secourir répondit-il à Philidor, Éléonore a toutes mes forces de son côté. Elle vous a découvert la source d'une erreur, qui est commune parmi les hommes, de prendre pour une passion ce qui est souvent ou une vertu, ou un vice, faute de savoir la nature et le nombre des passions. Tout cela, ajouta-t-il, est expliqué en deux tables. Il prit le livre qui étoit sur un guéridon, et ayant cherché la table des passions, il la donna à lire à Philidor. Comment! dit Philidor, est-ce là tout ce qu'on peut dire des passions, de tous ces mouvemens impétueux qui nous agitent dans la vie? Certainement voilà une grande mer renfermée dans un espace bien étroit. Vous travaillez admirablement en petit. Quoi! il n'y a qu'une ligne pour l'amour! voilà une divinité bien serrée. Si c'est assez d'une ligne pour fournir à tous les amans, il faut qu'elle soit bien longue. Qui veut devenir savant avec cela a besoin d'un grand naturel. L'amour est une inclination de l'appétit au bien sensible considéré absolument. J'en serai bien plus galant quand je saurai cela! j'aurai bien plus de quoi me faire aimer! j'en aurai de bien plus belles idées pour remplir la conversation! Il n'y a rien de si beau, ni de si plein que l'amour, et cependant ce livre nous en fait un squelette tout sec, sans embonpoint et sans couleur. Si toute la philosophie de cet homme-là est de même, savez-vous ce que j'en pense? c'est une reine bien pauvre et bien maigre, dont les tables sont bien mal servies.

Mon philosophe vouloit s'échauffer contre Philidor; mais pour finir le sujet d'un entretien qui alloit s'aigrir, je pris mon luth, je touchai quelques sarabandes. Philidor, avec son dégagement ordinaire, les dansa toutes. Nous parlâmes ensuite de la danse. Je croyois avoir ôté par ce moyen toute occasion de dispute, quand Polixène, par une belle malice, s'avisa de me demander si dans mon livre il n'y avoit pas une table de la danse, Monsieur, dit Polixène au philosophe, il faut que vous en fassiez une pour l'amour de moi. Cela est fort aisé, dit Philidor, je lui en sauverai la peine. Je mettrai premièrement quelques propositions générales pour montrer la nécessité ou utilité de la danse. J'en ferai après la définition. La danse est un mouvement mesuré du corps au son de la voix ou de l'instrument. Elle est ou simple, ou figurée, ou par bas, ou par haut. Ensuite, j'en remarquerai la différence; les sarabandes, les branles, les courantes, les ballets; j'en distinguerai les pas; le pas coulé, le gravé, le coupé, l'entrechat. Adieu, les maîtres à danser; quand ma table sera faite, quiconque la lira sera un habile sauteur.

Polixène se mit à rire de tout son cœur. Mon philosophe sortit de dépit. Je courus après lui; je lui fis des excuses dans mon antichambre le mieux que je pus. Il me dit que tout cela ne le choquoit point; que Philidor étoit un jeune homme sorti fraîchement de l'académie, qui vouloit s'égayer; qu'il étoit bien trompé si sa sœur n'étoit une franche coquette; qu'il voyoit bien qu'il ne pourroit plus me gouverner à l'avenir; qu'il me supplioit de l'en dispenser; qu'il m'enverroit à sa place un de ses anciens écoliers, qui savoit sa méthode aussi bien que lui. Je lui fis mille remercîmens des bontés qu'il avoit pour moi. Nous nous séparâmes. Voici le commencement d'une histoire bien plus plaisante.

Mon philosophe, encore qu'il ne parlât que par tables, par définitions et divisions, étoit pourtant commode en ce point, qu'il étoit content pourvu qu'on l'écoutât, et n'exigeoit rien autre chose ni de moi, ni des femmes qu'il voyoit, qu'un peu d'attention qui étoit bien dû à ses discours.

Ce n'étoit point là l'humeur de son ami, que Philidor appeloit son prévôt de salle. Il faisoit le galant; il vouloit persuader l'amour dont il parloit; il soupiroit quelquefois; il chantoit même des airs dont il se disoit l'auteur, aussi bien que des paroles. Il étoit jaloux généralement de tous les hommes; il censuroit tout ce qu'ils disoient; il n'en trouvoit pas un qui raisonnât à son gré; ils étoient tous ou des ignorans on des étourdis. Notre sexe même, qui est sacré et inviolable parmi les honnêtes gens, n'étoit point pour lui plus privilégié que tout le reste; il s'érigeoit en censeur de toutes les beautés; il se mêloit de juger du caractère et du tour d'esprit que chacune avoit, avec une présomption si grande, qu'il sembloit, à l'entendre, que nous n'eussions de grâce que ce qu'il lui plaisoit de nous en distribuer.

Cela attira sur lui une conjuration universelle de toutes les femmes et de tous les hommes qui venoient chez moi. On ne m'en dit rien, parce qu'on savoit bien que j'eusse eu pitié de lui, et que j'eusse rendu le complot inutile en le découvrant.

Comme ils épioient sans cesse quand il me viendroit voir, il leur fut aisé de le surprendre dans ma chambre. Ils y arrivèrent tous en un moment. Jamais assemblée ne fut plus grande. Tout le monde lui fit d'abord cent civilités. J'en étois étonnée. L'incomparable, l'inimitable, le plus galant, le plus spirituel, le plus propre à tout, le plus poli de tous les hommes, lui disoit-on. Il ne se reconnoissoit pas. On le pria de faire un petit discours; il expliqua les huit béatitudes. On s'écrioit de temps en temps: sans mentir cela est admirable! On le pria de chanter, et bien qu'il le fît avec des efforts effroyables, des convulsions et des contorsions de possédé; bien que sa voix fût aussi pitoyable et lugubre, que son visage est basané et mélancolique, on disoit tout haut qu'on n'avoit plus besoin de Lambert ni de sa sœur. C'étoient des applaudissemens perpétuels. Polixène lui montra un billet doux qu'elle avoit reçu; il ne voulut pas seulement le lire. C'étoient des bagatelles qui ne pouvoient amuser que des esprits mal faits; chacun lui dit qu'il avoit bien raison, et que l'homme étoit né pour des choses plus grandes. Jamais homme ne fut plus satisfait, ni plus content de lui-même; et parce que c'étoit Polixène qui le caressoit le plus, cela lui donna la hardiesse de venir auprès d'elle, et de lui dire quelques douceurs. Elle les recevoit avec un tel tempérament, qu'elle l'embarquoit toujours de plus en plus; il lui prenoit même la main, lui touchoit le bras, et feignant de lui vouloir dire un mot à l'oreille, il la baisa. Alors Polixène lui appuya un grand soufflet.

C'étoit le signal des conjurés. Chacun se rua sur lui; l'un lui donnoit une nasarde: voilà pour le philosophe amoureux. L'autre, de grands coups d'épingle: voilà pour le musicien amoureux. L'autre, de grands coups de busc sur les oreilles: voilà pour le poëte amoureux. Je fis ce que je pus pour secourir sa philosophie, sa musique et sa poésie attaquées de toutes parts; et tout ce que je pus, fut de le tirer de la presse, et de lui ouvrir la porte pour s'enfuir.

166M. l'abbé de Hautefeuille.
167La duchesse de Mazarin.
168Sur la mort de madame la duchesse de Mazarin, morte à Chelsey, près de Londres, le 21 Juillet 1699, âgée de 76 ans.