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Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé

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LETTRES DE MLLE. DE L'ENCLOS; A M. DE St. – EVREMONT, ET DE M. DE St. – EVREMONT A MLLE. DE L'ENCLOS

LETTRE PREMIÈRE
M. de Saint-Evremont à mademoiselle de l'Enclos

Votre vie, ma très-chère, a été trop illustre pour n'être pas continuée de la même manière jusqu'à la fin. Que l'enfer de M. de la Rochefoucauld157 ne vous épouvante pas; c'étoit un enfer médité, dont il vouloit faire une maxime. Prononcez donc le mot d'amour hardiment, et que celui de vieille ne sorte jamais de votre bouche. Il y a tant d'esprit dans votre lettre, que vous ne laissez pas même imaginer le commencement du retour. Quelle ingratitude d'avoir honte de nommer l'amour à qui vous devez votre mérite et vos plaisirs! Car enfin, ma belle gardeuse de cassette, la réputation de votre probité est particulièrement établie sur ce que vous avez résisté à des amans qui se fussent accommodés volontiers de l'argent de vos amis. Avouez toutes vos passions pour faire valoir toutes vos vertus. Cependant, vous n'avez exprimé que la moitié du caractère. Il n'y a rien de mieux que la part qui regarde vos amis; rien de plus sec que ce qui regarde vos amans. En peu de vers, je veux faire le caractère entier; et le voici formé de toutes les qualités que vous avez, ou que vous avez eues.

 
Dans vos amours on vous trouvoit légère,
En amitié toujours sûre et sincère;
Pour vos amans les humeurs de Vénus,
Pour vos amis les solides vertus.
Quand les premiers vous nommoient infidelle,
Et qu'asservis encore à votre loi,
Ils reprochoient une flamme nouvelle,
Les autres se louoient de votre bonne foi.
Tantôt c'étoit le naturel d'Hélène,
Ses appétits, comme tous ses appas;
Tantôt c'étoit la probité romaine,
C'étoit d'honneur la règle et le compas.
Dans un couvent, en sœur dépositaire,
Vous auriez bien ménagé quelqu'affaire;
Et dans le monde, à garder les dépôts,
On vous eût justement préférée aux dévots.
 

Que cette diversité ne vous surprenne point.

 
L'indulgente et sage nature,
A formé l'âme de Ninon,
De la volupté d'Épicure,
Et de la vertu de Caton.
 
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LETTRE II
Mademoiselle de l'Enclos à M. de Saint-Evremont

J'étois dans ma chambre, toute seule, et très-lasse de lecture, lorsque l'on me dit: voilà un homme de la part de M. de Saint-Evremont. Jugez si tout mon ennui ne s'est pas dissipé dans le moment. J'ai eu le plaisir de parler de vous, et j'en ai appris des choses que les lettres ne disent point: votre santé parfaite et vos occupations. La joie de l'esprit en marque la force; et votre lettre, comme du temps que M. d'Olonne vous faisoit suivre, m'assure que l'Angleterre vous promet encore quarante ans de vie; car il me semble que ce n'est qu'en Angleterre que l'on parle de ceux qui ont vécu au delà de l'âge de l'homme. J'aurois souhaité de passer ce qui me reste de vie avec vous: si vous aviez pensé comme moi, vous seriez ici. Il est pourtant assez beau de se souvenir toujours des personnes que l'on a aimées; et c'est peut-être pour embellir mon épitaphe que cette séparation du corps s'est faite. Je souhaiterois que le jeune158 prédicateur m'eût trouvée dans la gloire de Niquée, où l'on ne change point; car il me paroît que vous m'y croyez des premières enchantées. Ne changez point vos idées sur cela; elles m'ont toujours été favorables, et que cette communication, que quelques philosophes croyoient au-dessus de la présence, dure toujours.

J'ai témoigné à M. Turretin la joie que j'aurois de lui être bonne à quelque chose. Il a trouvé ici de mes amis qui l'ont jugé digne des louanges que vous lui donnez. S'il veut profiter de ce qui nous reste d'honnêtes abbés en l'absence de la cour, il sera traité comme un homme que vous estimez. J'ai lu devant lui votre lettre avec des lunettes, mais elles ne me siéent pas mal; j'ai toujours eu la mine grave. S'il est amoureux du mérite que l'on appelle ici distingué, peut-être que votre souhait sera accompli; car tous les jours on me veut consoler de mes pertes par ce beau mot.

J'ai su que vous souhaitiez la Fontaine en Angleterre. On n'en jouit guère à Paris. Sa tête est bien affoiblie: c'est le destin des poëtes; le Tasse et Lucrèce l'ont éprouvé. Je doute qu'il y ait eu du philtre amoureux pour la Fontaine. Il n'a guère aimé de femmes qui en eussent pu faire la dépense.

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LETTRE III
M. de Saint-Evremont à mademoiselle de l'Enclos

M Turretin m'a une grande obligation de lui avoir donné votre connoissance. Je ne lui en ai pas une médiocre d'avoir servi de sujet à la belle lettre que je viens de recevoir. Je ne doute point qu'il ne vous ait trouvée avec les mêmes yeux que je vous ai vue: ces yeux, par qui je connoissois toujours la nouvelle conquête d'un amant, quand ils brilloient un peu plus que de coutume, et qui nous faisoient dire:

 
Telle n'est point la Cythérée159,
Quand d'un nouveau feu s'allumant,
Elle soit pompeuse et parée
Pour la conquête d'un amant;
Telle ne luit en sa carrière
Des mois l'inégale courrière;
Et telle dessus l'horizon,
L'Aurore au matin ne s'étale,
Quand les yeux même de Céphalo
En feroient la comparaison.
 

Vous êtes encore la même pour moi; et quand la nature, qui n'a jamais pardonné à personne, auroit épuisé son pouvoir à produire une petite altération aux traits de votre visage, mon imagination sera toujours pour vous cette gloire de Niquée, où vous savez qu'on ne changeoit point. Vous n'en avez pas affaire pour vos yeux et pour vos dents, j'en suis assuré. Le plus grand besoin que vous ayez, c'est de mon jugement, pour bien connoître les avantages de votre esprit, qui se perfectionne tous les jours. Vous êtes plus spirituelle que n'étoit la jeune et vive Ninon.

 
Telle n'étoit point Ninon,
Quand le gagneur160 de batailles,
Après l'expédition
Opposée aux funérailles,
Attendoit avec vous en conversation
Le mérite nouveau d'une autre impulsion.
 
 
Votre esprit, à son courage
Qui paroissoit abattu,
Faisoit retrouver l'usage
De sa première vertu.
 
 
Le charme de vos paroles
Passoit ceux des Espagnoles,
A ranimer tous les sens
Des amoureux languissans.
 
 
Tant qu'on vit à votre service
Un jeune, un aimable garçon161,
A qui Vénus fut rarement propice,
Bussi n'en fit point de chanson.
 
 
Vous étiez même regardée
Comme une nouvelle Médée;
Qui pourroit en amour rajeunir un Éson.
Que votre art seroit beau, qu'il seroit admirable,
S'il me rendoit un Jason,
Un Argonaute capable
De conquérir la toison!
 
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LETTRE IV
M. de Saint-Evremont à mademoiselle de l'Enclos
1696

J'ai reçu la seconde lettre que vous m'avez écrite, obligeante, agréable, spirituelle, où je reconnois les enjouemens de Ninon et le bon sens de mademoiselle de Lenclos. Je savois comment la première a vécu; vous m'apprenez de quelle manière vit l'autre. Tout contribue à me faire regretter le temps heureux que j'ai passé dans votre commerce, et à désirer inutilement de vous voir encore. Je n'ai pas la force de me transporter en France, et vous y avez des agrémens qui ne vous laisseront pas venir en Angleterre. Madame de Bouillon vous peut dire que l'Angleterre a ses charmes; et je serois un ingrat, si je n'avouois moi-même que j'y ai trouvé des douceurs. J'ai appris avec beaucoup de plaisir que M. le comte de Grammont a recouvré sa première santé, et acquis une nouvelle dévotion. Jusqu'ici je me suis contenté grossièrement d'être homme de bien. Il faut faire quelque chose de plus, et je n'attends que votre exemple pour être dévôt. Vous vivez dans un pays où l'on a de merveilleux avantages pour se sauver. Le vice n'y est guère moins opposé à la mode qu'à la vertu. Pécher, c'est ne savoir pas vivre, et choquer la bienséance autant que la religion. Il ne falloit autrefois qu'être méchant; il faut être de plus malhonnête homme pour se damner en France présentement. Ceux qui n'ont pas assez de considération pour l'autre vie, sont conduits au salut par les égards et les devoirs de celle-ci. C'en est assez sur une matière où la conversion de M. le comte de Grammont m'a engagé. Je la crois sincère et honnête. Il sied bien à un homme qui n'est pas jeune, d'oublier qu'il l'a été. Je ne l'ai pu faire jusqu'ici. Au contraire, du souvenir de mes jeunes ans, de la mémoire de ma vivacité passée, je tâche d'animer la langueur de mes vieux jours. Ce que je trouve de plus fâcheux à mon âge, c'est que l'espérance est perdue: l'espérance, qui est la plus douce des passions, et celle qui contribue davantage à nous faire vivre agréablement. Désespérer de vous voir jamais, est ce qui me fait le plus de peine. Il faut se contenter de vous écrire quelquefois, pour entretenir une amitié qui résiste à la longueur du temps, à l'éloignement des lieux, et à la froideur ordinaire de la vieillesse162. Ce dernier mot me regarde. La nature commencera par vous, à faire voir qu'il est possible de ne vieillir pas. Je vous prie de faire assurer M. le duc de Lauzun, de mes très-humbles services, et de savoir si madame la maréchale de Créqui lui a fait payer cinq cents écus qu'il m'avoit prêtés. On me l'a écrit, il y a long-temps; mais je n'en suis pas trop assuré.

 
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LETTRE V
M. de Saint-Evremont à mademoiselle de l'Enclos

Il y a plus d'un an que je demande de vos nouvelles à tout le monde, et personne ne m'en apprend.

M. de la Bastide m'a dit que vous vous portiez fort bien; mais il ajoute, que si vous n'avez plus tant d'amans, vous êtes contente d'avoir beaucoup d'amis. La fausseté de la dernière nouvelle me fait douter de la vérité de la première. Vous êtes née pour aimer toute votre vie. Les amans et les joueurs ont quelque chose de semblable. Qui a aimé, aimera. Si l'on m'avoit dit que vous étiez dévote, je l'aurois pu croire. C'est passer d'une passion humaine à l'amour de Dieu, et donner à son âme de l'occupation; mais ne pas aimer est une espèce de néant qui ne peut convenir à votre cœur.

 
Ce repos languissant ne fut jamais un bien,
C'est trouver, sans mourir, l'état où l'on n'est rien.
 

Je vous demande des nouvelles de votre santé, de vos occupations, de votre humeur, et que ce soit dans une assez longue lettre, où il y ait peu de morale, et beaucoup d'affection pour votre ancien ami. L'on dit ici que le comte de Grammont est mort, ce qui me donne un déplaisir fort sensible. Si vous connoissez Barbin, faites-lui demander pourquoi il imprime tant de choses sous mon nom, qui ne sont point de moi. J'ai assez de mes sottises, sans me charger de celles des autres. On me donne une pièce contre le père Bouhours, où je ne pensai jamais. Il n'y a pas d'écrivain que j'estime plus que lui. Notre langue lui doit plus qu'à aucun auteur, sans excepter Vaugelas. Dieu veuille que la nouvelle de la mort du comte de Grammont soit fausse163, et celle de votre santé véritable!

La gazette de Hollande dit que M. le comte de Lauzun se marie; si cela étoit vrai, on l'auroit mandé de Paris: outre cela, M. de Lauzun est duc, et le nom de comte ne lui convient point. Si vous avez la bonté de m'en écrire quelque chose, vous m'obligerez, et de faire bien des complimens à M. de Gourville de ma part, en cas que vous le voyiez toujours. Pour des nouvelles de paix et de guerre, je ne vous en demande pas. Je n'en écris point, et je n'en reçois pas davantage. Adieu. C'est le plus véritable de vos serviteurs qui gagneroit beaucoup si vous n'aviez point d'amans; car il seroit le premier de vos amis, malgré une absence qu'on peut nommer éternelle.

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LETTRE VI
Mademoiselle de l'Enclos à M. de Saint-Evremont

Je défie Dulcinée de sentir avec plus de joie le souvenir de son chevalier. Votre lettre a été reçue comme elle le mérite, et la triste figure n'a point diminué le mérite des sentimens. Je suis touchée de leur force et de leur persévérance. Conservez-les à la honte de ceux qui se mêlent d'en juger. Je crois, comme vous, que les rides sont les marques de la sagesse. Je suis ravie que vos vertus extérieures ne vous attristent point. Je tâche d'en user de même. Vous avez un ami164, gouverneur de province, qui doit sa fortune à ses agrémens. C'est le seul vieillard qui ne soit pas ridicule à la cour. M. de Turenne ne vouloit vivre que pour le voir vieux. Il le verroit père de famille, riche et plaisant. Il a plus dit de plaisanteries sur sa nouvelle dignité, que les autres n'en ont pensé. M. d'Elbene, que vous appeliez le Cunctator, est mort à l'hôpital. Qu'est-ce que les jugemens des hommes! Si M. d'Olonne vivoit, et qu'il eût lu la lettre que vous m'écrivez, il vous auroit continué votre qualité de son philosophe. M. de Lauzun est mon voisin. Il recevra vos complimens. Je vous rends très-tendrement ceux de M. de Charleval. Je vous demande instamment de faire souvenir M. de Ruvigny de son amie de la rue des Tournelles.

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LETTRE VII
Mademoiselle de l'Enclos à M. de Saint-Evremont
1693

M de Charleval vient de mourir, et j'en suis si affligée, que je cherche à me consoler par la part que je sais que vous y prendrez. Je le voyois tous les jours. Son esprit avoit tous les charmes de la jeunesse, et son cœur toute la bonté et la tendresse désirable dans les véritables amis. Nous parlions souvent de vous, et de tous les originaux de notre tems. Sa vie et celle que je mène présentement avoient beaucoup de rapport. Enfin, c'est plus que de mourir soi-même qu'une pareille perte. Mandez-moi de vos nouvelles. Je m'intéresse à votre vie à Londres, comme si vous étiez ici, et les anciens amis ont des charmes que l'on ne connoît jamais si bien que lorsqu'on en est privé.

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LETTRE VIII
Mademoiselle de l'Enclos à M. de Saint-Evremont

J'apprends avec plaisir que mon âme vous est plus chère que mon corps, et que votre bon sens vous conduit toujours au meilleur. Le corps, à la vérité, n'est plus digne d'attention, et l'âme a encore quelque lueur qui la soutient, et qui la rend sensible au souvenir d'un ami dont l'absence n'a point effacé les traits. Je fais souvent de vieux contes où M. d'Elbene, M. de Charleval et le chevalier de la Rivière réjouissent les modernes. Vous avez part aux beaux endroits. Mais comme vous êtes moderne aussi, j'observe de ne vous pas louer devant les académiciens qui se sont déclarés pour les anciens. Il m'est revenu un prologue en musique que je voudrois bien voir sur le théâtre de Paris. La beauté, qui en fait le sujet, donneroit de l'envie à toutes celles qui l'entendroient. Toutes nos Hélènes n'ont pas le droit de trouver un Homère, et d'être toujours les Déesses de la beauté. Me voici bien haut; comment en descendre? Mon très-cher ami, ne falloit-il pas mettre le cœur à son langage? Je vous assure que je vous aime toujours plus tendrement que ne le permet la philosophie. Madame la duchesse de Bouillon est comme à dix-huit ans. La source des charmes est dans le sang Mazarin. A cette heure que nos rois sont amis, ne devriez-vous pas venir faire un tour ici? ce seroit pour moi le plus grand succès de la paix.

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LETTRE IX
M. de Saint-Evremont à mademoiselle de l'Enclos

Je prends un plaisir sensible à voir de jeunes personnes, belles, fleuries, capables de plaire, propres à toucher sincèrement un vieux cœur comme le mien. Comme il y a toujours eu beaucoup de rapport entre votre goût, entre votre humeur, entre vos sentimens et les miens, je crois que vous ne serez pas fâchée de voir un jeune cavalier qui sait plaire à toutes nos dames. C'est M. le duc de Saint-Albans, que j'ai prié, autant pour son intérêt que pour le vôtre, de vous visiter. S'il y a quelqu'un de vos amis avec M. de Tallard, du mérite de notre temps, à qui je puisse rendre quelque service, ordonnez. Faites-moi savoir comment se porte notre ancien ami M. de Gourville. Je ne doute point qu'il ne soit bien dans ses affaires. S'il est mal dans sa santé, je le plains.

Le docteur Morelli, mon ami particulier, accompagne madame la comtesse de Sandwich, qui va en France pour sa santé. Feu M. le comte de Rochester, père de madame Sandwich, avoit plus d'esprit qu'homme d'Angleterre. Madame Sandwich en a plus que n'avoit M. son père. Aussi généreuse que spirituelle, aussi aimable que spirituelle et généreuse: voilà une partie de ses qualités. Je m'étendrai plus sur le médecin que sur la malade.

Sept villes, comme vous savez, se disputèrent la naissance d'Homère. Sept grandes nations se disputent celle du Morelli. L'Inde, l'Égypte, l'Arabie, la Perse, la Turquie, l'Italie, l'Espagne; les pays froids, les pays tempérés même, la France, l'Angleterre, l'Allemagne, n'y ont aucune prétention. Il sait toutes les langues, il en parle la plupart. Son style haut, grand, figuré, me fait croire qu'il est né chez les Orientaux, et qu'il a pris ce qu'il y a de bon chez les Européens. Il aime la musique passionnément. Il est fou de la poésie. Curieux en peinture, pour le moins; connoisseur, je ne le sais pas. Sur l'architecture, il a des amis qui la savent. Célèbre, sérieusement, dans sa profession; capable d'exercer celle des autres. Je vous prie de lui faciliter la connoissance de tous vos illustres. S'il a bien la vôtre, je le tiens assez heureux. Vous ne lui sauriez faire connoître personne qui ait un mérite si singulier que vous. Il me semble qu'Épicure faisoit une partie de son souverain bien, du souvenir des choses passées. Il n'y a plus de souverain bien pour un homme de cent ans comme moi; mais il est encore des consolations. Celle de me souvenir de vous, et de tout ce que je vous ai ouï dire, est une des plus grandes. Je vous écris bien des choses dont vous ne vous souciez guère; je ne songe pas qu'elle vous ennuieront: il me suffit qu'elles me plaisent. Il ne faut pas, à mon âge, croire qu'on puisse plaire aux autres. Mon mérite est de me contenter. Trop heureux de le pouvoir faire en vous écrivant! Songez à me ménager du vin avec M. de Gourville. Je suis logé avec M. de l'Hermitage, un de ses parens, fort honnête homme, réfugié en Angleterre pour sa religion. Je suis fâché que la conscience des catholiques françois ne l'ait pu souffrir à Paris, ou que la délicatesse de la sienne l'en ait fait sortir. Il mérite l'approbation de son cousin, assurément.

 
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LETTRE X
Mademoiselle de l'Enclos à M. de Saint-Evremont

A quoi songez-vous de croire que la vue d'un jeune homme soit un plaisir pour moi? Vos sens vous trompent sur ceux des autres. J'ai tout oublié hors mes amis. Si le nom de docteur ne m'avoit rassurée, je vous aurois fait réponse par l'abbé de Hautefeuille, et vos Anglois n'auroient pas entendu parler de moi. On leur a dit à ma porte que je n'y étois pas, et on y reçut votre lettre qui m'a autant réjouie qu'aucune que j'aie jamais reçue de vous. Quelle envie d'avoir de bon vin! et que je suis malheureuse de ne pouvoir vous répondre du succès! M. de l'Hermitage vous diroit aussi bien que moi que M. de Gourville ne sort plus de sa chambre. Assez indifférent pour toutes sortes de goûts, bon ami toujours, mais que ses amis ne songent pas d'employer, de peur de lui donner des soins. Après cela, si par quelque insinuation que je ne prévois pas encore, je puis employer mon savoir-faire pour le vin, ne doutez pas que je ne le fasse. M. de Tallard a été de mes amis autrefois, mais les grandes affaires détournent les grands hommes des inutilités. On m'a dit que M. l'abbé Dubois165 iroit avec lui. C'est un petit homme délié, qui vous plaira, je crois. Il y a vingt de vos lettres entre mes mains: on les lit ici avec admiration; vous voyez que le bon goût n'est pas fini en France. J'ai été charmée de l'endroit où vous ne craignez pas d'ennuyer; et que vous êtes sage, si vous ne vous souciez plus que de vous! non pas que le principe ne soit faux pour vous, de ne pouvoir plus plaire aux autres. J'ai écrit à M. Morelli; si je trouve en lui toutes les sciences dont vous me parlez, je le regarderai comme un vrai docteur.

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157L'enfer des femmes c'est la vieillesse, disoit un jour le duc de la Rochefoucauld à mademoiselle de l'Enclos.
158M. Turretin, professeur en histoire ecclésiastique à Genève.
159Malherbe, dans l'ode à la reine-mère, sur sa bien-venue en France.
160Le grand Condé qui avoit été son amant.
161Le comte de Guiche.
162Saint-Evremont étoit né le premier avril 1613, et mademoiselle de l'Enclos en mai 1616; il avoit trois ans plus qu'elle.
163Elle l'étoit en effet. Le comte de Grammont ne mourut que le 10 janvier 1707, âgé de quatre-vingt-six ans.
164M. le comte de Grammont.
165Guillaume, cardinal Dubois, archevêque, duc de Cambrai, prince du Saint-Empire, premier ministre sous la régence du duc d'Orléans, né le 6 septembre 1656, et mort à Paris le 10 août 1723, âgé de soixante-six ans, onze mois et quatre jours. N'étant encore que l'abbé Dubois, il fut envoyé, en 1698, en Angleterre, pour quelque négociation secrète de la cour de France avec celle de Londres.