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Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé

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LETTRE XIV
Paris, 24, janvier 1692.

Hélas! ma belle, tout ce que j'ai à vous dire de ma santé est bien mauvais; en un mot, je n'ai repos ni nuit ni jour, ni dans le corps ni dans l'esprit; je ne suis une personne, ni par l'un ni par l'autre; je péris à vue d'œil; il faut finir quand il plaît à Dieu, et j'y suis soumise. L'horrible froid qu'il fait m'empêche de voir madame de Lavardin. Croyez, ma très-chère, que vous êtes la personne du monde que j'ai le plus véritablement aimée.

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EXTRAITS DE LETTRES DIVERSES

Madame de la Fayette se moque des ridicules manières de parler de quelques personnes de son temps. Elle fait parler un amant jaloux à sa maîtresse
PREMIER EXTRAIT

Ce sont de ces sortes de choses qu'on ne pardonne pas en mille ans, que le trait que vous me fîtes hier. Vous étiez belle comme un petit ange. Vous savez que je suis alerte sur le compte de Dangeau; je vous l'avois dit de bonne foi; et cependant vous me quittâtes franc et net pour le galoper; cela s'appelle rompre de couronne à couronne; c'est n'avoir aucun ménagement et manquer à toutes sortes d'égards. Vous sentez que cette manière de peindre m'a tiré de grands rideaux. Vous avez oublié qu'il y a des choses dont je ne tâte jamais, et que je suis une espèce d'homme que l'on ne trouve pas aisément sur un certain pied. Sûrement ce n'est point mon caractère que d'être dupe et de donner dans le panneau tête baissée. Je me le tiens pour dit; j'entends le françois. A la vérité, je ne ferai point de fracas; j'en userai fort honnêtement; je n'afficherai point; je ne donnerai rien au public; je retirerai mes troupes; mais comptez que vous n'avez point obligé un ingrat.

SECOND EXTRAIT,
Composé de phrases où il n'y a point de sens, et que bien des gens de la cour mettent dans leurs discours

Je vous assure, Monseigneur, qu'on est bien chagrin de ne pouvoir faire son devoir, et il est fort honnête de le pardonner. Je vous écris cette missive pour vous donner des nouvelles de M. Domdtel; j'espère qu'il sera bientôt hors d'affaire, et que sa maladie ne sera pas longue. Je me suis trouvé depuis peu à un grand repas où l'on a mangé une bonne soupe, et où vous avez été bien célébré. Vous savez, Monseigneur, que vous inspirez la joie. L'on fit mille plaisanteries; vous me ferez bien la justice de croire que l'on a eu le dernier déplaisir de ne vous y avoir pas. J'ai bien envie d'avoir l'honneur de vous voit pour vous entretenir sur mon gazon. Mes fermiers sont cause que je ne puis m'aller rabattre chez Fredole; mais je vas souvent en un lieu où l'on aime à se réjouir, et où l'on met les plats en bataille. Il y a une personne qui désire fort le tête-à-tête avec vous. Vous connoîtrez dans son dialogue qu'elle a du savoir-faire, et que l'on vous trouve furieusement aimable; je vous dis tout ceci, parce que je suis engoué de vous; car votre caractère me réjouit; et, de bonne foi, il est vrai que je me suis coulé de mon pied en un lieu où j'ai vu de beaux esprits qui ne peuvent se passer de vous à cause de votre génie. Je m'étonne que vous ne veniez pas dialoguer avec les demoiselles; c'est à coup sûr que vous les réjouissez quand elles vous voient; car, assurément, vous êtes du bel air, et vous distinguez bien dans le beau monde, où l'on vous rend justice. Il est vrai que je m'en allai hier au bal dans un grand embarras, dont j'eus bien de la peine de me tirer; il est vrai que je n'y demeurai pas long-temps; j'ouïs la bonne femme qui me parla bien de vous, qui me dit que vous faisiez figure. Elle vous aime autant que les demoiselles; sûrement vous êtes aujourd'hui la coqueluche de tout le monde; il est vrai que votre mérite n'est pas postiche. Les demoiselles en rendent sûrement de bons témoignages.

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PORTRAIT DE LA MARQUISE DE SÉVIGNÉ, PAR MADAME LA COMTESSE DE LA FAYETTE, SOUS LE NOM D'UN INCONNU

Tous ceux qui se mêlent de peindre des belles, se tuent de les embellir pour leur plaire, et n'oseroient leur dire un seul de leurs défauts; mais pour moi, Madame, grâce au privilège d'inconnu que j'ai auprès de vous, je m'en vais vous peindre bien hardiment, et vous dire toutes vos vérités tout à mon aise, sans craindre de m'attirer votre colère; je suis au désespoir de n'en avoir que d'agréables à vous conter; car ce me seroit un grand déplaisir si, après vous avoir reproché mille défauts, je voyois cet inconnu aussi bien reçu de vous, que mille gens qui n'ont fait toute leur vie que de vous louer. Je ne veux point vous accabler de louanges, et m'amuser à vous dire que votre taille est admirable, que votre teint a une beauté et une fleur qui assurent que vous n'avez que vingt ans, que votre bouche, vos dents et vos cheveux sont incomparables; je ne veux point vous dire toutes ces choses; votre miroir vous les dit assez; mais comme vous ne vous amusez pas à lui parler, il ne peut vous dire combien vous êtes aimable et charmante quand vous parlez; et c'est ce que je veux vous apprendre.

Sachez donc, Madame, si par hasard vous ne le savez pas, que votre esprit pare et embellit si fort votre personne, qu'il n'y en a point au monde de si agréable. Lorsque vous êtes animée dans une conversation dont la contrainte est bannie, tout ce que vous dites a un tel charme, et vous sied si bien, que vos paroles attirent les ris et les grâces autour de vous; et le brillant de votre esprit donne un si grand éclat à votre teint et à vos yeux, que, quoiqu'il semble que l'esprit ne dût toucher que les oreilles, il est pourtant certain que le vôtre éblouit les yeux, et que, lorsqu'on vous écoute, l'on ne voit plus qu'il manque quelque chose à la régularité de vos traits, et l'on vous croit la beauté du monde la plus achevée. Vous pouvez juger, par ce que je viens de vous dire, que, si je vous suis inconnu, vous ne m'êtes pas inconnue, et qu'il faut que j'aie eu plus d'une fois l'honneur de vous voir et de vous entretenir, pour avoir démêlé ce qui fait en vous cet agrément dont tout le monde est surpris; mais je veux encore vous faire voir, Madame, que je ne connois pas moins les qualités solides qui sont en vous, que je sais les agréables dont on est touché. Votre âme est grande, noble, propre à dispenser des trésors, et incapable de s'abaisser au soin d'en amasser. Vous êtes sensible à la gloire et à l'ambition, et vous ne l'êtes pas moins au plaisir. Vous paroissez née pour eux, et il semble qu'ils soient faits pour vous. Votre présence augmente les divertissemens, et les divertissemens augmentent votre beauté lorsqu'ils vous environnent; enfin la joie est l'éaât véritable de votre âme, et le chagrin vous est plus contraire qu'à personne du monde. Vous êtes naturellement tendre et passionnée; mais, à la honte de notre sexe, cette tendresse nous a été inutile, et vous l'avez renfermée dans le vôtre, en la donnant à madame de la Fayette. Ah! Madame, s'il y avoit quelqu'un au monde assez heureux pour que vous ne l'eussiez pas trouvé indigne de ce trésor dont elle jouit, et qu'il n'eût pas tout mis en usage pour le posséder, il mériteroit toutes les disgrâces dont l'amour peut accabler ceux qui vivent sous son empire. Quel bonheur d'être le maître d'un cœur comme le vôtre, dont les sentimens fussent expliqués par cet esprit galant et agréable que les dieux vous ont donné! et votre cœur, Madame, est sans doute un bien qui ne se peut mériter; jamais il n'y en eut un si généreux, si bien fait et si fidèle. Il y a des gens qui vous soupçonnent de ne le montrer pas toujours tel qu'il est; mais, au contraire, vous êtes si accoutumée à n'y rien sentir qu'il ne vous soit honorable de montrer, que même vous y laissez voir quelquefois ce que la prudence du siècle vous obligeroit de cacher. Vous êtes née la plus civile et la plus obligeante personne qui ait jamais été, et, par un air libre et doux qui est dans toutes vos actions, les plus simples complimens de bienséance paroissent, en votre bouche, des protestations d'amitié, et tous ceux qui sortent d'auprès de vous s'en vont persuadés de votre estime et de votre bienveillance, sans qu'ils se puissent dire à eux-mêmes quelle marque vous leur avez donnée de l'une et de l'autre. Enfin, vous avez reçu des grâces du ciel qui n'ont jamais été données qu'à vous; et le monde vous est obligé de lui être venu montrer mille agréables qualités qui, jusqu'ici, lui avoient été inconnues. Je ne veux point m'embarquer à vous les dépeindre toutes; car je romprois le dessein que j'ai de ne vous pas accabler de louanges, et, de plus, Madame, pour vous en donner qui fussent

 
Dignes de vous et de paroître,
Il faudroit être votre amant,
Et je n'ai pas l'honneur de l'être156.
 
Fin des lettres de Madame de la Fayette
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LETTRES DE NINON DE L'ENCLOS

NOTICE SUR NINON DE L'ENCLOS

Anne de l'Enclos naquit à Paris le 15 mai 1616 de M. de l'Enclos, gentilhomme de Touraine, et de mademoiselle de Raconis, son épouse, d'une famille noble de l'Orléanois.

 

Madame de l'Enclos vouloit faire de Ninon une dévote; mais M. de l'Enclos, homme d'esprit et de plaisir, se chargea lui-même de l'éducation de sa fille, et donna une direction toute différente à ses inclinations.

Ninon perdit ses parens de bonne heure: dès l'âge de quinze ans, elle se trouva maîtresse d'elle-même, et d'une fortune que les dissipations de son père avoient considérablement réduite. Elle mit son bien à fonds perdu, et se fit, par ce moyen, un revenu suffisant pour vivre dans l'aisance, et même obliger ses amis au besoin. Elle sut économiser sans avarice, et dépenser sans profusion.

Plusieurs fois elle fut recherchée en mariage; mais elle chérissoit trop l'indépendance pour contracter un pareil engagement.

Élevée dans les principes les moins sévères, et née avec des sens fort vifs, elle se livra toute entière aux plaisirs de l'amour. Nous n'entreprendrons point de faire l'apologie d'une conduite aussi peu retenue; en renonçant à la principale vertu de son sexe, Ninon a sans doute perdu une grande partie de ses droits à l'estime; mais s'il n'est pas permis de chercher à excuser ses torts, il doit l'être au moins de mettre sous les yeux du lecteur tout ce qui peut contribuer à les faire juger moins rigoureusement. M. de l'Enclos, professant ouvertement l'épicuréisme le plus relâché, avoit donné à sa fille des préceptes de volupté qu'il ne confirmoit que trop par sa manière de vivre; et l'on sait quelle influence exercent sur nos idées et nos actions de toute la vie, les discours et l'exemple des personnes qui ont présidé à notre éducation, sur-tout lorsque ces personnes nous ont été chères, et que leur doctrine a flatté nos goûts, au lieu de les contrarier. Abandonnée fort jeune à sa propre volonté, entourée de mille adorateurs que lui attiroient ses charmes, flattée d'inspirer de l'amour, ne pouvant s'empêcher d'en ressentir elle-même pour des hommes qui réunissoient presque tous aux grâces de l'esprit et du corps l'éclat d'une grande fortune ou d'un grand nom, comment Ninon se seroit-elle défendue contre tant de séductions? Elle y céda sans résistance; mais si elle fut foible, elle ne fut point vile. Quoiqu'elle eut le tort très-grand de ne considérer l'amour que comme une sensation et non point comme un sentiment, on ne voit pas que ce travers d'opinion, qui auroit pu l'entraîner aux choix les plus honteux, lui en ait jamais fait faire un seul que la délicatesse la plus platonique eût pu désavouer. La liste de ses amans est nombreuse; mais il n'y figure aucun nom que, pour son honneur, on soit fâché d'y trouver inscrit; ce sont les Condé, les la Rochefoucauld, les Longueville, les Coligni, les Villarceaux, les Sévigné, les d'Albret, les d'Estrées, les Gersey, les d'Effiat, les Clérembault, les la Châtre, les Bannier, les Gourville, etc. Mais ce qui établit sur-tout une prodigieuse différence entre Ninon et les autres femmes qui, comme elle, ont fait de l'amour une sorte de profession, c'est qu'elle ne trafiqua point de ses faveurs. Par inclination, par caprice ou même par vanité, elle les accordoit en pur don à l'amabilité, au mérite, à la célébrité; mais jamais elle ne les vendit à la richesse. Elle poussoit, dit-on, les scrupules du désintéressement jusque-là, que ceux dont elle avoit satisfait les désirs, en perdoient le droit de lui faire accepter les dons les plus légers.

Celle qui rejetoit les présens de l'amour comme un salaire offensant, n'étoit pas faite pour retenir les dépôts de l'amitié. Gourville, obligé de fuir du royaume, avoit confié vingt mille écus en or à Ninon, dont il étoit alors l'amant, et remis pareille somme entre les mains d'un personnage fameux par l'austérité de ses mœurs. Gourville revint. L'ecclésiastique (c'en étoit un) nia le dépôt. Gourville, à qui Ninon dans l'intervalle avoit donné un successeur, lui fit l'injure de la croire aussi peu fidèle en affaires qu'en amour, et il doutoit si peu de son malheur qu'il s'épargnoit jusqu'à la peine d'aller s'en assurer. Ninon l'envoya chercher. «Mon cher Gourville, lui dit-elle, il m'est arrivé un grand malheur pendant votre absence. J'ai perdu le goût que j'avois pour vous; mais je n'ai pas perdu la mémoire. Voici les vingt mille écus que vous m'avez confiés à votre départ de Paris. Ils sont encore dans la cassette où vous les avez serrés vous-même.»

Ninon ne trahissoit point ses amans; elle cessoit de les aimer et le leur disoit. Ce ne fut que pour se soustraire aux fatigantes importunités de la Châtre, qu'elle lui signa ce fameux billet, où elle faisoit de tous les sermens celui qu'elle étoit le moins en état de tenir, le serment de n'en aimer jamais d'autre de sa vie; et elle ne se crut pas liée un seul instant par un engagement aussi téméraire. Au reste il est certain, d'après son caractère, que si le porteur de cette risible cédule eût été de retour auprès d'elle, quand il lui vint en fantaisie de manquer à la foi jurée, elle lui auroit ingénument confié à lui-même que son billet ne valoit plus rien.

Volage en amour, mais non point perfide, Ninon étoit en amitié d'une constance à toute épreuve. Ses amans, en cessant de l'être, devenoient ses amis, et c'étoit pour toujours. L'amitié étoit le seul sentiment respectable à ses yeux, et elle en remplissoit religieusement tous les devoirs. J. J. Rousseau a dit: «Je n'aurois pas plus voulu d'elle pour mon ami que pour ma maîtresse.» On ne voit pas trop par quel motif il eût répugné si fort à être l'ami de Ninon; on expliqueroit plus facilement encore pourquoi il eût refusé d'être son amant, quoiqu'à dire vrai, Rousseau lui-même eût peut-être eu bien de la peine à se défendre de ses charmes, si elle se fût mis en tête de venir à bout de sa philosophie.

Tous ses contemporains s'accordent à la peindre comme la plus séduisante des femmes. Sa taille, disent-ils, étoit pleine de grâce et de noblesse; sa figure n'étoit pas parfaitement régulière, et n'avoit point ce grand éclat de beauté qui frappe d'abord; mais l'examen y faisoit découvrir une foule d'agrémens et de finesses qui la faisoient préférer aux figures les plus correctes et les plus éblouissantes. Elle dédaignoit le luxe des habits, ou plutôt, par une coquetterie mieux entendue, elle le rejetoit comme contraire aux intérêts de sa beauté. Une propreté recherchée, une simplicité élégante faisoient tous les frais de sa parure. Les charmes de sa personne se conservèrent si long-temps, ils diminuèrent d'une manière si lente et si peu sensible, qu'elle prolongea le don de plaire et d'exciter le désir, jusqu'à un âge où toutes les autres femmes sont trop heureuses de ne pas exciter le dégoût. On prétend qu'à quatre-vingts ans elle inspira une vive passion à l'abbé Gedoyn. Voltaire ne rejette point entièrement cette anecdote, comme quelques autres ont fait; mais à l'abbé Gedoyn il substitue l'abbé de Château-Neuf, et il rabat dix années de l'âge attribué à Ninon quand elle fit sa dernière folie. Au compte même de Voltaire, c'est encore avoir poussé bien loin sa carrière amoureuse. L'abbé Fraguier, qui n'avoit connu Ninon que dans un âge déjà très-avancé, disoit que quiconque vouloit faire attention à ses yeux, pouvoit y lire encore toute son histoire. Chaulieu exprimoit autrement la même idée: L'amour, disoit-il, s'étoit retiré jusque dans les rides de son front.

L'esprit de Ninon n'étoit pas moins célèbre que ses charmes. Elle l'avoit tout à la fois agréable et solide. Elle se l'étoit formé de bonne heure par la lecture de nos meilleurs écrivains. A l'âge de dix ans, Montaigne et Charron étoient ses livres favoris. Elle parloit avec facilité l'italien et l'espagnol. Elle évitoit avec un soin extrême le ridicule si commun parmi les femmes qui se croient ou sont en effet plus instruites que les autres, celui de faire parade de leur savoir. Mignard se plaignoit de ce que sa fille, depuis madame la comtesse de Feuquières, manquoit de mémoire: Vous êtes trop heureux, Monsieur, lui dit Ninon, elle ne citera point. «Son entretien étoit doux et léger, dit l'abbé Fraguier: le contraire la blessoit, mais il n'y paroissoit point.» Elle n'avoit pas négligé les arts agréables; elle dansoit avec grâce, chantoit avec goût, et jouoit très-bien du clavecin, du luth, du tuorbe et de la guitare.

Tant d'agrémens réunis ne pouvoient manquer d'attirer chez elle l'élite de la cour et de la ville. Les hommes les plus distingués par la naissance, l'esprit et les talens, lui faisoient une cour assidue. Les mères ambitionnoient pour leurs fils l'avantage d'être admis chez Ninon, auprès de qui ils se formoient aux manières et au ton de la bonne compagnie. Cette faveur n'étoit point accordée indistinctement à tous ceux qui la sollicitoient. Un mérite reconnu, ou d'heureuses dispositions pour en acquérir, étoient, avec la probité, les seuls titres qui pussent la faire obtenir. Ninon n'y fut trompée qu'une fois. A la sollicitation d'un de ses meilleurs amis, elle avoit consenti à recevoir chez elle un M. Rémond, dont l'éducation ne lui fit point d'honneur. Il se signala bientôt dans le monde par toutes sortes de ridicules. On apprit à Ninon qu'il alloit se vantant partout d'avoir été formé par elle. Je suis comme Dieu, dit-elle, qui s'est repenti d'avoir formé l'homme. Chapelle fut exclus de sa maison, à cause de son ivrognerie, quoique ce défaut, qui est devenu le partage de la dernière classe du peuple, fût encore de mode alors parmi les plus honnêtes gens. Chapelle, offensé, jura que pendant un mois il ne se coucheroit pas sans être ivre, et sans avoir fait une chanson contre Ninon. Il tint parole, dit Voltaire.

On conçoit sans peine que les hommes, moins scrupuleux dans leurs liaisons de tout genre, aient recherché avec empressement la société d'une femme, disons le mot, d'une courtisane charmante, et se soient, en quelque sorte, fait un honneur d'y être admis; mais que des femmes, à qui le soin de leur réputation commandoit à cet égard la plus grande réserve, n'aient point rougi d'être ouvertement les amies de Ninon, voilà ce qui étonne avec raison, voilà ce qu'on ne peut expliquer que par un mérite vraiment extraordinaire dans la personne qui les faisoit ainsi passer par-dessus les conseils du plus sage préjugé. Cela fait supposer aussi, que Ninon mettoit dans sa conduite autant de décence extérieure qu'il en falloit, pour que des femmes honnêtes ne fussent point embarrassées chez elle de leur contenance. Mesdames de la Suze, de Castelnau, de la Ferté, de Sulli, de Fiesque, de la Fayette, de Choisi, de Lambert, de Bouillon-Mancini, de Sandwich, etc., furent liées avec elle d'une amitié très-étroite. Elle en avoit contracté une plus intime encore avec madame de Maintenon, lorsque celle-ci n'étoit que mademoiselle d'Aubigné ou madame Scarron; elles couchèrent plusieurs mois ensemble dans le même lit, et l'on assure que mademoiselle d'Aubigné enleva à Ninon, Villarceaux, son amant, sans que Ninon en sût plus mauvais gré à l'un et à l'autre. Madame de Maintenon, parvenue au comble de la faveur, fit proposer à son ancienne amie de se faire dévote, et de venir auprès d'elle à la cour. Ninon refusa. Ce ne fut pas la seule fois qu'elle sacrifia la fortune et la faveur à son amour pour le repos et la liberté. La reine Christine fit en vain mille efforts pour l'emmener avec elle à Rome. Christine dit en partant qu'elle n'avoit trouvé aucune femme en France qui lui plût autant que l'illustre Ninon. C'est dans une conversation avec cette reine que Ninon qualifia les précieuses de jansénistes de l'amour. Madame de Sévigné n'aimoit point Ninon. Dans plusieurs de ses lettres, elle parle d'elle avec très-peu de considération. Sa prévention est excusable; le marquis de Sévigné s'occupoit peu de son avancement, mais en revanche il travailloit assez efficacement à déranger une fortune que sa mère mettoit tous ses soins à conserver. Madame de Sévigné crut voir dans l'amour de son fils pour Ninon la cause de son indolence et de ses dissipations. La Champmêlé, qui succéda à Ninon dans le cœur du marquis de Sévigné, eut aussi sa part de la mauvaise humeur et des ressentimens de cette mère tendre et inquiète. En général, elle ne ménageoit aucun de ceux qu'elle croyoit pouvoir accuser du dérangement de son fils. Pour un ou deux soupers que celui-ci fit accepter à Racine et à Boileau, elle parle quelque part d'eux, comme de poëtes faméliques, pour qui un repas pris en ville est une bonne fortune. Or, on sait que Boileau recevoit chez lui les plus grands seigneurs, et que Racine refusoit de dîner avec M. le duc de Bourbon, pour manger une carpe en famille.

 

Revenons à Ninon. Plusieurs beaux esprits du temps, plusieurs écrivains assez distingués la célébrèrent en prose et en vers. De ce nombre furent Scarron, Regnier-Desmarais, l'abbé de Châteauneuf et Saint-Evremont. Ce dernier partageoit ses adorations entre elle et la fameuse duchesse de Mazarin. Tout le monde connoît le joli quatrain qu'il fit pour Ninon:

 
L'indulgente et sage nature
A formé l'âme de Ninon,
De la volupté d'Épicure,
Et de la vertu de Caton.
 

Un hommage plus flatteur encore pour elle, c'est le cas que Molière faisoit de son goût et de son esprit; il la consultoit, dit-on, sur tous ses ouvrages. Comme il lui avoit lu un jour son Tartuffe, elle lui fit le récit d'une aventure qui lui étoit arrivée avec un scélérat à peu près de la même espèce. Molière rapporta qu'elle lui en avoit fait le portrait avec des couleurs si vives et si naturelles, que, si sa pièce n'eût pas été faite, il ne l'auroit jamais entreprise, tant il se seroit cru incapable de rien mettre sur le théâtre d'aussi parfait que le Tartuffe de mademoiselle de l'Enclos. Voltaire trouve l'anecdote peu vraisemblable, quoiqu'on en ait pour garant l'abbé de Châteauneuf, qui disoit la tenir de Molière lui-même. On peut l'adopter, en admettant que Molière a parlé avec un peu trop de modestie sur son propre compte, et d'exagération sur celui de Ninon, qui l'avoit frappé d'admiration par son talent pour saisir et peindre le ridicule.

Ses contes et ses bons mots lui avoient fait de bonne heure une réputation. On cite d'elle une foule de réflexions profondes ou ingénieuses. Nous n'en rapporterons que quelques-unes. Elle eut, à l'âge de vingt-deux ans, une maladie qui la mit au bord du tombeau. Ses amis déploroient sa destinée qui l'enlevoit à la fleur de son âge. Ah! dit-elle, je ne laisse au monde que des mourans. Ce mot est bien philosophique. La beauté sans les grâces, disoit-elle souvent, est un hameçon sans appât. Elle disoit un jour à Saint-Evremont qu'elle rendoit grâces à Dieu tous les soirs de son esprit, et qu'elle le prioit tous les matins de la préserver des sottises de son cœur. Elle prétendoit qu'une femme sensée ne devroit jamais prendre d'amant sans l'aveu de son cœur, ni de mari sans le consentement de sa raison. Ninon avoit le talent des vers; mais elle en faisoit rarement usage. Le Grand-Prieur de Vendôme avoit essayé inutilement de se faire aimer d'elle; indigné de ses refus, il mit un jour sur sa toilette ce quatrain:

 
Indigne de mes feux, indigne de mes larmes,
Je renonce sans peine à tes foibles appas:
Mon amour te prêtoit des charmes,
Ingrate, que tu n'avois pas.
 

Elle y répondit par cette plaisante parodie:

 
Insensible à tes feux, insensible à tes larmes,
Je te vois renoncer à mes foibles appas;
Mais si l'amour prête des charmes,
Pourquoi n'en empruntois-tu pas?
 

Le bonheur dont jouissoit Ninon ne fut troublé qu'une fois, mais ce fut par l'accident le plus affreux. L'un des deux fils qu'elle avoit eus de Villarceaux, ignorant qu'elle étoit sa mère, devint éperdument amoureux d'elle, et lorsque voulant mettre fin à cette fatale passion, elle lui eût révélé le secret de sa naissance, l'infortuné jeune homme alla se poignarder de désespoir. Son autre fils, nommé la Boissière, fit une espèce de fortune; il devint capitaine de vaisseau, et mourut à Toulon, en 1732, âgé de 75 ans.

Tout le monde sait que Voltaire fut présenté à Ninon au sortir du collége par l'abbé de Châteauneuf, et qu'elle lui laissa par son testament deux mille francs pour acheter des livres.

Ninon mourut à Paris dans sa maison de la rue des Tournelles, au Marais, le 17 octobre 1706, sur les cinq heures du soir, à l'âge de quatre-vingt-dix ans et cinq mois.

On a écrit plusieurs fois sa vie. Voltaire impatienté de voir paroître tant de mémoires sur elle, disoit: Si cette mode continue, il y aura bientôt autant d'histoires de Ninon que de Louis XIV.

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156Derniers vers de la pompe funèbre de Voiture, par Sarrasin.