Za darmo

Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

LETTRE XXXIX

A LA MÊME
Paris, 30 juillet 1700.

Tout ce que vous me faites la grâce de me dire est vrai, madame; cependant on ne sauroit s'imaginer ce que la nature soutenue du spectacle m'a fait souffrir. L'impression qui m'en est restée est si vive, que je n'en puis revenir, malgré tout ce que la raison peut fournir de consolation. J'espère en la diversion que je n'ai point encore éprouvée; car je n'ai vu personne dans cette triste conjoncture. Je ne vous fais point d'excuses de n'avoir pas fait réponse à votre lettre; vous jugez aisément, madame, de ce qui m'en a empêchée, et combien j'avois renoncé à mes plaisirs, puisque je m'étois retranché celui de vous entretenir. M. de Coulanges est à Versailles; on vient de me dire qu'il vit hier madame de Maintenon chez madame de Saint-Géran, et qu'il en avoit reçu des amitiés infinies. Il a mandé cette heureuse rencontre à madame de Louvois. C'est une chose raisonnable que les secondes femmes soient mieux traitées que les premières; et je suis assez juste pour ne me point plaindre de la préférence que M. de Coulanges donne à madame de Louvois. Que dites-vous de la mort de la duchesse d'U***? Pour moi, je voudrois qu'on fît un exemple de tels assassinats. On dit cependant que la presse est grande à qui épousera ce joli héros. O grand pouvoir du tabouret! Le roi est à Marli pour dix jours. Je donnai à dîner à madame de Simiane en plein réfectoire le jour de la Madeleine. Nous avions la comtesse de Grammont à notre dîner, et ensuite il fut question d'un sermon tout neuf du père Massillon. La seule visite que je me suis permise, a été celle de la maréchale d'Humières. En vérité, il n'y a qu'à habiter le faubourg Saint-Jacques pour être une personne au dessus des autres. On ne peut assez admirer la parfaite patience de cette maréchale, sa résignation à la mort, sa piété, son courage; enfin, rien n'est tel que le faubourg Saint-Jacques. Madame de Guitaut l'habite aussi; je vous assure que ce quartier fournit une très-bonne compagnie. Je voudrois bien, pour nous venger de la joie que vous avez eue de nous quitter, que votre séjour à Grignan vous ennuyât autant que nous. Si cela étoit, madame, il nous seroit permis d'espérer bientôt votre retour. Une des grandes nouvelles du monde, c'est que madame de Bourgogne changera de confesseur aussi souvent qu'elle voudra, pourvu qu'il soit jésuite.

/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\

LETTRE XL

A LA MÊME
Paris, 18 décembre 1700.

Vous n'avez pas eu de peine, madame, à imaginer la raison, je ne dis pas de mon oubli, mais de mon silence, puisque vous m'avez fait la grâce de le remarquer. Votre vie est plus remplie que la mienne; ainsi c'est à moi qu'il convient d'être discrète. Je suis plus solitaire que jamais, et ne le suis pas encore assez à mon gré. Il n'a pas été au pouvoir des grands et prodigieux événemens qui sont arrivés110, de m'obliger à quitter ma chambre. Les années m'ont tellement mise à la raison, que si j'en avois encore beaucoup à passer, je crois que je me retirerois dans quelque petit désert; mais l'avenir est court pour moi. Vous jugez bien qu'avec de telles dispositions je ne suis pas assez informée des nouvelles du monde, pour avoir la confiance d'espérer vous divertir; et je ne dois pas avoir celle de croire que de ne vous apprendre que des miennes, cela vous suffise. Ce n'est pas que je n'aie véritablement souffert d'ignorer ce qui se passoit dans les lieux que vous habitez, et que je n'en aie été instruite, autant que je l'ai pu, par madame de Simiane. Il faut avouer cependant que les nouvelles considérables n'ont pas manqué depuis quelque temps; mais quiconque ne voit guère, n'a guère à dire aussi. Vous allez avoir bien des affaires, madame, pour recevoir les princes111; je suis assurée que vous n'en serez point du tout embarrassée. Madame de Simiane trouva hier au soir ici madame la duchesse du Lude, qui est venu passer deux ou trois jours à Paris, et lui demanda de quelle manière il convenoit que vous fussiez habillée pour recevoir cette belle et grande compagnie. Elle lui répondit que ce n'étoit pas une question; qu'il falloit un grand habit, une coiffure noire, en un mot, comme vous seriez au souper du roi. Je ne vous parle point de plusieurs mariages dont il est question, et dont je suis sûre que vous ne vous souciez guère. Madame de Simiane s'embarqua hier au soir pour aller souper chez ma nièce de Tillières, où est le rendez-vous du beau monde tous les jours. Vous voyez bien, madame, qu'on a du monde, quand on en veut avoir. M. de Coulanges veut répondre lui-même aux aimables reproches que vous lui faites; il est cause que l'on a fait des chansons sur tous les grands directeurs: il a eu la goutte comme un grand homme. Je le plains, si jamais il est obligé de se croire vieux.

/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\

LETTRE XLI

A LA MÊME
Paris, 17 juin 1701.

Je vous rends mille grâces, madame, de l'attention que vous avez eue à la subite et violente maladie, dont par les soins de Chambon j'ai été délivrée en vingt-quatre heures. Je suis ravie de vous devoir ce médecin; car j'aime fort à être obligée aux personnes pour qui j'ai un sincère attachement; j'espère vivre et mourir de sa façon. Vous aurez été fâchée et surprise de la mort de Monsieur112, j'en suis assurée. La dernière fois que j'eus l'honneur de le voir, il me demanda tant de vos nouvelles, que je lui fis très-bien ma cour par être en état de lui répondre sur ce qui vous regardoit. En vérité, la mort est un événement trop ordinaire pour pouvoir compter sur cette vie; pour moi, j'avoue que je ris quand je vois traiter solidement quelque chose d'aussi court et d'aussi fragile; c'est ma raison qui a cette conduite; car si c'étoit le sentiment, eh! mon Dieu, on ne feroit rien de tout ce que l'on fait, et on feroit tout ce que l'on ne fait point. On vous aura sans doute mandé, madame, que le roi conserve à M. le duc d'Orléans tous les honneurs et privilèges de Monsieur; des gardes, tous les grands officiers, et même un chancelier. Le roi est très-véritablement affligé. Toutes les femmes ont paru en mante devant S. M., et les cours souveraines vont lundi la haranguer. Les personnes, dont la mort devroit faire le plus d'impression, sont celles qui paroissent le moins regrettées, par la raison que l'on se tourne tout d'un coup à ce qui remplit leurs places. J'avoue, madame, que mon goût ne diminue point pour le repos, et qu'à l'heure qu'il est, je n'y préférerois que ce qui se doit préférer à tout; mais je n'aime point le repos que vous avez; il est trop loin de moi. Ce n'est pas que le séjour de Grignan ne me plût infiniment, si j'y pouvois aller. Au reste, madame, à propos de beau château, je vais avoir celui d'Ormesson; et je suis assez modérée pour n'en point désirer d'autres, ne voyant rien au-dessus que le séjour de Grignan. Nous avons eu ici la duchesse du Lude cinq ou six jours avant la funeste mort de Monsieur. J'ai vu l'abbé de Polignac depuis son retour, dont il se croit redevable au P. de la Chaise; il est plus aimable que jamais, je dis l'abbé de Polignac. M. de Coulanges est ravi de la fin de cette disgrâce; mais comme il court toujours les champs, je crois qu'il ne l'a point encore vu. M. le cardinal de Bouillon est tranquille dans son abbaye, chose étonnante et difficile à croire? mais, madame, vous n'en serez point surprise, quand vous saurez qu'il est dans une extrême dévotion. Le roi lui a fait la grâce de lui accorder une main-levée pour la jouissance de tous ses revenus; cela fait espérer bien des adoucissemens dans ses malheurs. Il faut que je vous remercie beaucoup de vous être souvenue de mon amie la marquise, dont je ne sais seulement pas le nom, mais qui m'a été recommandée par une de mes véritables amies. On me l'amena hier. Elle dit qu'elle connoissoit fort toute ma famille à Lyon; je ne me souviens point de l'y avoir vue. Tout ce que je sais, c'est que c'est une femme de bonne maison, et que je vous suis très-obligée, madame, et à M. de Grignan, de la bonté que vous avez eue l'un et l'autre d'avoir égard à la très-humble prière que je vous ai faite. Madame de Sulli est assez malade; elle est dans toutes les règles des mauvais médecins, du lait, saignare, purgare, etc. Il n'y a pas moyen de lui faire entendre raison sur cela, quoiqu'elle l'entende si bien sur toute chose. Continuez-moi l'honneur de vos bonnes grâces, madame, et croyez, s'il vous plaît, qu'on ne peut vous honorer plus que je fais. Ma sœur brille à Bruxelles; elle a tous les soirs madame la comtesse de Soissons à souper chez elle. Il me prend quelquefois envie d'aller à Bruxelles représenter madame de Béthune113 en Pologne. Vous ne sauriez comprendre à quel point je désire votre retour, madame. Plus je suis indifférente pour tout ce qui vient, plus je m'attache à ce qu'il y a quelque temps que je connois. M. de Coulanges s'en va en Bourgogne avec madame de Louvois, et moi à Choisi toute seule prendre patience de ne pouvoir être à Ormesson que l'année qui vient; mais le moyen de faire encore des projets avec les exemples qu'on a chaque jour sous les yeux.

 
/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\

LETTRE XLII

A LA MÊME
Paris, 12 septembre 1701.

Je suis dans le monde, madame, et si peu instruite de ce qui s'y passe, que je n'oserois vous agacer; mais quand vous m'honorez de votre souvenir, j'y réponds avec un empressement, qui vous doit faire connoître la sensible joie que j'en ai, et juger en même temps que mon silence doit s'appeler de la discrétion toute pure. Il est vrai, madame, que vous êtes bien exposée aux grandeurs de ce monde. Vous réussissez si bien, qu'il seroit malheureux que vos talens ne parussent point. Vous ne payez pas seulement d'invention; on n'a parlé ici que de la magnificence avec laquelle vous avez reçu les princes; ce n'étoit qu'en attendant la reine d'Espagne. Madame de Bracciane sera ravie de vous présenter à sa jeune reine. Je la trouve, comme vous, bien digne de l'emploi qu'elle a; mais la façon de penser de quelqu'un qui n'est plus jeune, ne laisse rien imaginer d'agréable114. J'ai déjà tant vécu, qu'il me paroît peu possible d'envisager un long avenir; ainsi ce peu qui me reste, j'aimerois à le passer dans le repos. Je n'ai jamais eu de goût pour les personnages, qui n'étoient point les jeunes dans les comédies. Cela m'est demeuré pour le théâtre du monde. Ma paresse naturelle, une foible santé sans doute, me donnent de telles pensées, qui s'accommodent si bien avec ma médiocre fortune, que je n'en puis assez remercier Dieu. J'ai trop aimé le monde. Il me semble cependant que je n'ai pas perdu le temps que j'ai passé à m'en détromper; car il est certain que je préfère la vieillesse aux belles années, par la grande tranquillité dont elle me laisse jouir: mais je veux répondre à vos questions, madame. Le voyage que madame de Louvois devoit faire en Bourgogne, est rompu; elle est à Choisi pour toute l'automne: monsieur de Coulanges y est avec elle, et je compte y aller dans sept ou huit jours. Comme je n'ai point encore de maison de campagne, je prends patience à Paris. Si je vis jusqu'à l'année qui vient, j'aurai Ormesson, qui n'est plus reconnoissable que par le bois. La maison est aussi blanche qu'elle étoit noire. Les fenêtres sont coupées jusques en bas; enfin, il y aura pour se coucher, pour se promener; et, grâce à Dieu, je n'en désire pas davantage. Pardonnez-moi, je désire passionnément de vous y recevoir; les cabarets plaisent quelquefois, quand on est accoutumé aux délices des grands palais. Oui, madame, M. de Coulanges ira voir M. le cardinal de Bouillon, lequel, à ce que j'apprends, est bien plus heureux qu'il n'a jamais été. Je suis tout-à-fait sensible au malheur qui vient d'arriver à madame de Chatelux. Son fils, bien fait, bien riche, qu'elle alloit marier à une héritière de Bourgogne, a été tué à cette dernière occasion115. Je crois que le maréchal de Villeroi justifiera tout-à-fait la conduite de M. le maréchal de Catinat. Il est si honnête, qu'il ne dira que des vérités. Votre amie madame de Lesdiguières a été bien heureuse. Vous ne m'aviez jamais confié que ce qu'elle a pour vous, madame, est une passion très-vive. Madame de Louvois et moi, passâmes avec elle, il y a quelques jours, une partie de l'après-dinée. Elle nous montra un assortiment pour prendre du café d'une magnificence et d'une perfection comme il n'y en a point. On proposa d'en faire usage; elle nous assura que personne ne s'en serviroit avant votre retour. Elle l'attend avec une impatience que je comprends mieux que personne; en un mot, madame, vous lui avez inspiré des sentimens qui lui seroient inconnus sans vous. Son palais est plus beau et plus tranquille que jamais. Je m'y trouve à merveille; il me paroît qu'on ne se peut ennuyer dans un lieu où vous êtes si chérie. L'abbé Testu a été ravi de l'honneur de votre souvenir, aussi bien que madame Frontenac et mademoiselle d'Outrelaise. Ce premier est plus jeune que jamais; il seroit tout prêt à conduire le roi d'Espagne116. Chaque année lui en ôte deux, de façon qu'il est assurément trop jeune. Il y a long-temps que je n'ai vu madame votre belle-sœur. Elle a des vapeurs; et quand cela est ainsi, elle est seule sur son lit. Je lui ferai vos reproches. Je crois que M. de Sévigné reviendra bientôt de Bretagne. A propos de Bretagne, personne ne doute que M. de Beaumanoir n'épouse mademoiselle de Noailles. Madame de Simiane accouchera bientôt. Je voudrais bien pouvoir lui être bonne à quelque chose; mais je suis très-peu habile sur les accouchemens; et comme vous savez que je ne joue point, vous voyez bien qu'il m'arrive encore de lui être inutile, quand elle se porte bien. J'aurai cependant l'honneur de la voir, et de vous mander de ses nouvelles, quand elle ne sera point en état de vous écrire. Madame de Sanzei est à Autri. La cour est à Marli jusqu'à samedi. Elle partira mardi pour Fontainebleau; elle séjournera deux jours à Sceaux; Meudon, Chaville, Sceaux, Lestang, admirez; madame, comme tout cela a changé en peu de temps: il n'y a que madame de Bracciane et l'abbé Testu qui ne changent point. Je vous demande pardon de la longueur de ma lettre. Je me laisse aller au plaisir de vous entretenir; je crains qu'il ne m'en coûte d'être long-temps sans recevoir de vos nouvelles. Seroit-il possible, madame, que je vous pusse recevoir à Ormesson? Vous ne me parlez jamais de votre retour, et cela m'afflige. Madame de Lesdiguières assure qu'il est décidé pour le printemps. Je la verrai aujourd'hui, et ce ne sera pas sans qu'il soit bien parlé de vous. J'aime fort à lui plaire; mais il n'est pas aisé de démêler qui est la complaisante de nous deux, quand il est question de vous, madame.

/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\

LETTRE XLIII

A LA MÊME
Paris, 4 avril 1702.

Je suis bien récompensée du soin que j'ai pris pour le chocolat de M. de Grignan, madame, puisque cela m'a attiré une marque d'honneur de votre souvenir. Il me semble que je vous aurois importunée, si je vous avois écrit dans toutes les occasions où il a été question de vous en ce pays-ci. Vous avez fait les honneurs de la France avec une telle magnificence et une telle profusion que l'on en parle encore tous les jours. Vous allez avoir le roi d'Espagne. J'avoue que tous ces honneurs ne me laissent point oublier mes intérêts, et je crains toujours que cela ne retarde votre retour, que je ne puis m'empêcher de désirer très-vivement. Je ne doute point que vous n'ayez été fort sensible à la perte de notre pauvre duchesse de Sulli117. Elle vous aimoit véritablement, et c'étoit une très-aimable femme. Ah! madame, je la vis la veille de sa mort. Elle se croyoit bien malade; mais elle étoit bien éloignée de penser que le terme fût aussi court. Sa docilité pour les médecins l'a tuée; cependant s'il est vrai que nos jours sont comptés, pourquoi ne nous pas désaccoutumer de nos ridicules raisonnemens? Quant à moi, qui me trouve seule de toutes les personnes avec qui j'ai passé ma vie, je demeure dans ma solitude sans vouloir faire aucune nouvelle connoissance; cela n'en vaut pas en vérité la peine. Ma vie est très-éloignée de celle du monde. Je ne m'y trouve plus du tout propre. Ces nouveautés qu'il me présente ne sont plus à mon usage; et mon antiquité n'est plus au sien. Ainsi, grâce à Dieu, nous nous passons à merveille l'un de l'autre. Vous jugez bien, madame, que cela me rend peu digne du commerce que je pourrois avoir avec madame de Simiane. Son âge118 et le mien sont trop disproportionnés. Je sais cependant qu'elle va habiter notre quartier, et je la plains beaucoup. Je suis assurée que quand elle auroit tort à votre égard, vous chercheriez toujours à la justifier. Ainsi, j'espère que vous l'aimerez toujours par la raison qu'elle vous est fort attachée, et que vous l'aimez naturellement. Elle est aussi très-aimable; cela est constant. Mais, madame, savez-vous bien que votre amie, madame de Lesdiguières, n'est point du tout en bonne santé? elle a une jambe qu'elle ne sent point, et qui est enflée. Elle n'imagine point d'autre remède que la saignée, qui est le seul, je crois, qui peut rendre son mal dangereux. Il faudroit fournir des esprits, et elle se veut épuiser, ce qui n'est assurément pas raisonnable. Je vous en avertis comme la seule personne qui peut lui faire entendre raison. La maréchale de Villeroi a commencé à être affligée du jour que le maréchal partit pour l'Italie. L'événement n'a que trop justifié sa douleur; il étoit plus heureux, étant le marquis de Villeroi. Mais, madame, vous nous avez envoyé un prisonnier, qui l'est, je crois, présentement de mademoiselle de Bellefond. Il soupa avec elle le jour de son arrivée à Vincennes; il fut charmé avec raison de sa beauté. Il a gagné le donjon depuis, avec l'idée de cette jolie fille, qui est toute des plus aimables. Enfin, elle n'a des Mancini que la beauté. J'ai si peu de commerce avec M. de Richelieu119, que je ne l'ai point vu depuis son mariage. Si on le voyoit toutes les fois qu'il se marie, on passeroit sa vie avec lui. Il est trop jeune pour moi; je ne sais pas si madame de Richelieu lui trouvera ce défaut. On ne peut trop louer sa modération; elle n'a pas encore pris son tabouret. L'hôtel de Richelieu est à vendre. Pour l'abbé Testu, je le crois très-fâché de ne pouvoir suivre l'exemple de M. de Richelieu. Sa jeunesse augmente tous les ans; et vous croyez bien, madame, qu'avec un tel privilège il est assurément trop jeune pour se marier. Il m'a priée de vous dire des choses très-passionnées de sa part. La princesse de la Cisterne120, à qui j'ai appris que vous vous étiez souvenue d'elle, m'a fait promettre, madame, que je vous dirois combien elle est véritablement affligée de ne vous avoir point trouvée en ce pays-ci. Elle y a réussi à merveilles; la cour lui en a fait. Elle a tourné l'esprit de sa mère à tout ce qu'elle a désiré. Sa petite fille est morte; et c'est un bien pour faire réussir ses projets. Elle a un fils aîné, qui est fort grand seigneur dans son pays; et un petit, beau comme le jour, qu'elle prétend établir en France sous le nom de marquis de la Trousse avec ses deux belles terres de la Trousse et de Lisi. Elle ne trouve nul obstacle du côté de sa mère, qui lui a, je crois, assuré tout son bien. C'est une très-habile femme que madame de la Cisterne. Je la regrette; elle nous quitte après un voyage de huit jours qu'elle va faire à la Trousse. Elle vous plairoit, madame; elle a un esprit bon et naturel: je pense qu'elle pourra bien se venir établir en France dans quelques années; mais je ne prends plus aucune part dans les projets éloignés. Nous sommes ici dans l'agitation du Jubilé. Cette dévotion n'est point dans les principes du Quiétisme; car il se faut donner bien du mouvement. Le roi viendra trois jours de suite à Notre-Dame, à commencer jeudi, et s'en retournera à Meudon; Monseigneur y est venu ces jours-ci. Enfin, madame, tout le monde est dans la ferveur, jusqu'à M. de Coulanges, qui, avant que d'aller courir les rues, m'a fort priée de vous assurer de ses respects. Je ne puis vous dire, madame, à quel point je sais vous honorer et vous aimer; mais les absences sont trop longues. Je ne les trouve point proportionnées à la brièveté de la vie; et vous jugez bien, madame, par la tristesse de cette réflexion, de tout l'ennui que me cause votre éloignement.

 
/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\
110La mort de Charles II, roi d'Espagne, appela, par son testament, M. le duc d'Anjou à la succession entière de la monarchie d'Espagne.
111M. le duc de Bourgogne et M. le duc de Berri, après avoir accompagné le roi d'Espagne, leur frère, sur la frontière d'Espagne, firent le voyage de Provence.
112Philippe, fils de France, frère unique de Louis XIV, mort à Saint-Cloud le 9 de juin 1701, âgé de soixante ans et huit mois.
113Louise-Marie de la Grange d'Acquien, femme du marquis de Béthune, et sœur de Marie-Casimire de la Grange, reine de Pologne.
114Madame de Bracciane étoit fort vieille.
115Au combat de Chiari.
116Allusion à madame de Bracciane, qui, malgré son âge avancé, conduisoit la reine d'Espagne.
117Marie-Antoinette Servien, morte le 26 janvier 1702.
118Madame de Simiane n'avoit alors que 26 à 27 ans.
119Armand-Jean du Plessis, duc de Richelieu, épousa en troisièmes noces, le 20 mars 1702, Marguerite-Thérèse Rouillé, veuve du marquis de Noailles.
120Marie-Henriette le Hardi, fille unique du marquis de la Trousse, lieutenant-général des armées du roi, chevalier des ordres de sa majesté, et de Marguerite de la Fond, étoit veuve d'Amédée-Alphonse del Pozzo, prince de la Cisterne.