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Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé

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LETTRE XXXI

Paris, 6 avril 1696.

Je ferai voir votre lettre à la maréchale de Créqui95, madame; le seul plaisir qui lui reste, c'est d'entendre louer on pauvre fils96: elle me paroît plus affligée que le premier jour; je n'en passe guère sans la voir. Je l'ai cependant envoyée à M. de Coulanges cette aimable et tendre lettre; il est à Saint-Martin d'où il doit revenir mardi. Madame de Saint-Géran a reçu deux visites de madame de Maintenon; vous jugez bien qu'il n'en falloit pas tant pour la consoler: madame de Mornai ne quitte point madame de Maintenon; plus cette petite femme paroît insensible aux honneurs qu'elle reçoit, plus on est occupé d'elle. Je suis étonnée de ces sortes de conduites. Le mariage de ma nièce est absolument rompu avec M. de Poissi97; elle part dans huit jours pour aller en Flandre. M. et madame de Bagnols n'ont aucun tort: madame de Maisons98 a fait aussi ce qu'elle a pu, et nous lui en serons toujours très-sensiblement obligées: je suis ravie de la connoître; elle a un très bon cœur, et une véritable générosité. Il faut espérer que notre grande fille sera bien mariée99; mais ce ne peut plus être qu'au retour de la campagne, car rien ne nous convient plus dans la robe. Je m'en vais vîte finir ce petit billet; car madame de Montespan me vient prendre dès la pointe du jour, pour aller entendre le P. de la Ferté (jésuite), qui prêche comme un Bourdaloue, et qui ressemble si fort au duc son frère, qu'on ne se peut empêcher de rire des discours qu'ils tiennent tous deux: madame de Fontevrault100 vient aussi: voilà bien des sermons que j'entends avec cette bonne compagnie, qui part dans huit jours pour aller à Bourbon. Moins madame de Grignan se rétablira où elle est, plus elle se devroit presser de changer d'air. Séparément de l'intérêt que j'ai à donner ce conseil, c'est l'avis de tous les gens habiles. Quand reverrons-nous aussi madame de Simiane? elle ne s'en soucie guère; elle a de quoi s'amuser, pendant que nous soupirons ici après elle. Je ferai vos complimens à la maréchale de Créqui, et ceux de M. et de madame de Grignan, je vous en assure, ma très-aimable. Le roi a donné deux mille louis au maréchal de Choiseul pour l'aider à faire son équipage; je ne sais si le marquis de Grignan ira avec lui. Adieu, ma vraie amie, et vîte adieu; on me presse de sortir.

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LETTRE XXXII

A Madame De Simiane 101
Paris, 2 mai 1696.

Je vous suis sensiblement obligée, madame, de songer encore à moi; je connoissois toutes vos perfections; mais la tendresse de votre cœur, et l'amitié que vous avez su avoir pour une personne102 aussi digne d'être aimée que celle que vous regrettez, c'est ce qui me paroît fort au dessus de tout ce qu'on en peut dire. Ah! madame, que vous avez raison, de me croire infiniment touchée! Je ne pense à autre chose; je ne parle d'autre chose; j'ignore tous les détails de cette funeste maladie, je les cherche avec un empressement qui fait voir que je ne songe point à me ménager. Je passai hier toute la journée avec le prieur de Sainte-Catherine; vous jugez bien sur quoi roula notre conversation; je lui fis voir la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire; elle lui fit un vrai plaisir; car ces sortes de gens-là sont si persuadés que cette vie-ci ne doit servir qu'à s'assurer l'autre, que les dispositions dans lesquelles on quitte le monde sont les seules dignes d'attention pour eux; mais on songe à ce que l'on perd, et on le pleure. Pour moi, il ne me reste plus d'amie; mon tour viendra bientôt, cela est raisonnable: ce qui ne l'est guère, c'est d'entretenir une personne de votre âge de si tristes et de si noires pensées; votre raison fait oublier votre jeunesse, madame; et cela, joint à l'inclination naturelle que j'ai pour vous, m'autorise, ce me semble, à vous parler comme je fais.

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LETTRE XXXIII

A LA MÊME
Paris, 8 juin 1696.

Il me paroît qu'il y a bien du temps que vous n'avez reçu de mes lettres; vous ne serez peut-être pas de cet avis: il n'y a pas moyen cependant de pousser ma discrétion plus loin; c'est un bien qui m'est devenu nécessaire, d'avoir de vos nouvelles; et, quelque inégalité qu'il y ait de votre âge au mien, j'éprouve que l'on vous aime très-solidement. Il y a des endroits dans votre cœur, qui font oublier votre jeunesse, sans qu'il y en ait aucun dans votre figure, qui ne présente toute la fleur de ce bel âge.

Je ne m'accoutume point à la perte que nous avons faite103; et lorsque j'apprends le retour de la santé de madame votre mère, je ne puis m'empêcher d'être vivement touchée que cette joie n ait point été sentie par une personne qui en eût été si digne104. Je vous prie, madame, que je sois informée de la continuation de cette santé, à laquelle je prends plus d'intérêt que je ne puis vous le dire.

Je vis avant-hier M. de Coulanges dans la belle maison de Choisi: madame de Louvois et lui y sont établis pour tout l'été; on est obligé tous les jours d'y avoir deux tables par la quantité de monde qui s'y trouve; un lansquenet ensuite, et puis des promenades délicieuses; joignez à tout cela les plaisirs qui suivent l'abondance, et vous trouverez que Choisi est un séjour enchanté: il y a trop de ces plaisirs pour moi, et je ne saurois me résoudre à y passer plusieurs jours: mon goût augmente pour la solitude, ou du moins pour une très-petite compagnie. Madame de Mornai ne quitte plus madame de Maintenon: elle va à Marli; enfin, madame, je ne trouve rien de si extraordinaire que de la voir de tous les plaisirs, pendant que vous êtes éloignée du monde et du bruit; il est vrai que vous avez de grandes ressources dans vous-même. Adieu, madame, je vous demande en grâce de ne pas négliger l'occasion de dire à M. le comte de Grignan combien je l'honore; mais sur-tout rendez-moi de bons offices auprès de vous, je vous en supplie.

 
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LETTRE XXXIV

A LA MÊME
Paris, 20 juillet 1696.

Il y a long-temps, madame, que je n'ai eu l'honneur de vous écrire; mais je ne suis point seule à m'en apercevoir? En vérité, c'est pure discrétion qui m'empêche de vous dire plus souvent ce que je sais penser de vous; il y a une telle disproportion de votre âge au mien, qu'il me paroît de la cruauté à moi de vous aimer comme je fais, et sur-tout de vous en entretenir. Je suis très-persuadée que vous n'enviez point les extrêmes distinctions dont jouit madame de Mornai; mais, madame, n'est-ce point être trop avancée pour votre âge, de vous savoir passer du monde et de la cour? Il me semble qu'il n'y a que l'expérience qui en puisse détromper, et voilà ce que vous n'avez pas jusqu'à présent. Madame de Mornai est de tous les voyages de Marli, sans être nommée de toutes les promenades du roi; en un mot, madame de Maintenon la traite comme sa fille; et pensez-vous qu'on puisse être insensible à ces honneurs? ma nièce de Bagnols voit tout cela d'un grand sang-froid. La trêve d'Italie donne ici de grandes espérances de la paix générale; je suis assurée, madame, que cette grande nouvelle ne vous sera pas indifférente. On se tourmente déjà pour être des dames de madame de Bourgogne; car on dit qu'elle n'aura point de filles, et qu'on lui donnera à peu près les dames qu'avoit la reine, excepté madame de Beauvilliers, qui, selon toutes les apparences, sera dame d'honneur. Nous craignîmes beaucoup ayant-hier pour madame de Chaulnes, qui, à la suite d'une mauvaise santé, eut une si grande foiblesse, qu'elle perdit connoissance. On envoya quérir des médecins, un confesseur, enfin un appareil très-propre à épouvanter; elle se porte beaucoup mieux; elle a pris aujourd'hui un peu d'émétique. J'aime cette duchesse de la vraie douleur qu'elle a eue de la perte de madame de Sévigné. Pour moi, madame, je vous avoue avec une sincérité que j'ai pour vous, malgré mon âge, que je ne m'en consolerai jamais; j'y pense sans fin et sans cesse; et quand je songe que tous les retours ne la ramèneront point, je ne puis soutenir une telle idée. Je vous demande des nouvelles de votre santé, madame; on m'a dit qu'elle n'étoit pas absolument bonne, et que vous preniez des eaux: je vous croyois une sorte de maladie, où les eaux n'étoient point propres. La maréchale de Castelnau est morte d'un très-douloureux cancer: les petites-filles espèrent la pension de quatre mille livres, que le roi lui faisoit. Je vous demande pardon, madame, de vous écrire une si longue lettre; mais le goût que j'y trouve, me doit faire espérer que vous ne vous en plaindrez pas.

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LETTRE XXXV

A LA MÊME
Paris, 14 septembre 1696.

J'ai été fort aise, madame, d'apprendre par vous le rétablissement de la santé de madame votre mère; mais je ne puis m'ôter la pensée que la personne du monde, qui s'intéressoit le plus à cette santé, n'ait point partagé notre joie. Ah! madame, je ne m'accoutume point à ne plus espérer qu'aucun retour nous amène ce que nous regrettons avec tant de raison. Je comprends ce que ce sera pour madame de Grignan, de se trouver en ce pays-ci au milieu de ces tristes souvenirs. Je suis fort occupée de ce que vous nous privez de l'espérance de votre retour. Il me semble que vous seriez bien nécessaire à madame votre mère; et je vous avoue que j'aurois plus de joie de vous revoir qu'il ne convient à une personne de mon âge. Vous êtes faite pour charmer tout ce qui est aimable et jeune comme vous; et c'est vous offenser que de vous aimer aussi véritablement que je fais; mais qu'importe? Je ne sens point que je puisse m'empêcher de vous offenser, ni d'espérer que vous me pardonnerez. Que dites-vous, madame, de notre duchesse du Lude? Je l'embarquai mardi avec les dames du palais, dans une santé parfaite: jamais on n'a marqué tant de confiance en une personne, que le roi et madame de Maintenon ont fait pour elle dans cette occasion; et je vous assure qu'elle n'y est pas insensible. On dit qu'il sera question encore de quatre dames du palais, et de deux autres, quand la jeune princesse se mariera. Je ne comprendrai jamais qu'on ne vous aille pas chercher au bout du monde pour cela. J'ai assez bonne opinion de votre voisine105, pour croire que vous seriez sa favorite. Enfin, je fais de tout ceci un petit château qui vous regarde uniquement, et je ne m'accommoderai jamais que ce château soit en Espagne. A propos d'Espagne, savez-vous que toute l'histoire de cette reine est fausse? Elle n'est point grosse, elle se porte fort bien; le roi en a reçu des nouvelles. On est ici dans les Te Deum, dans les feux de joie de la paix de Savoie. Grâces à Dieu, le roi continue de se porter de mieux en mieux. On croit que la cour ira à Fontainebleau vers la fin de ce mois, pour y recevoir la princesse. Conservez-moi l'honneur de vos bonnes grâces, madame; j'espère que vous voudrez bien vous souvenir de moi auprès de madame la comtesse de Grignan et de M. le Chevalier. Je vous demande pardon de la liberté que je prends; mais tout est permis à une personne qui a la confiance de vous écrire, et que vous honorez de vos aimables lettres. M. de Coulanges est à Vichi avec sa femme de Louvois106.

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LETTRE XXXVI

A LA MÊME
Paris, 25 octobre 1696.

Je suis fort aise, madame, que vous nous fassiez espérer le retour de madame votre mère; mais, en vérité, pour que la joie fût complète, le vôtre nous seroit bien nécessaire. J'admire que l'on ait pu faire des dames du palais pour madame la duchesse de Bourgogne, sans avoir songé à vous envoyer chercher au bout du monde. Je fis part, il y a quelques jours, de mon étonnement à madame de Montchevreuil. A propos de madame de Montchevreuil, madame de Mornai est accouchée d'un fils. Cet événement donne beaucoup de joie à toute sa maison. Où avez-vous pris, madame, que madame la duchesse de Bourgogne a eu la rougeole? Est-il possible qu'une de ses voisines soit si peu instruite?107 Je reçus hier une lettre de madame la duchesse du Lude108, qui me paroît charmée de sa princesse. Elle me mande qu'elle est grâcieuse, qu'elle a un très-bon air, et que, sans beauté, on ne peut être plus agréable qu'elle est. Le roi et Monsieur iront coucher à Montargis, pour la recevoir, et M. le duc de Bourgogne ira jusqu'à Nemours. Madame, toutes les princesses et les femmes de la cour l'attendront toutes parées dans l'appartement qu'on lui destine à Fontainebleau, qui est le même qu'occupoit madame la Dauphine. On dit que l'on nommera encore six dames au mariage de la princesse. Le roi, madame de Maintenon, tout est charmé de madame du Lude. Elle s'est surpassée elle-même dans toute la bonne conduite qu'elle a eue: j'en suis aussi peu surprise que j'en suis aise. Le pauvre abbé Pelletier est mort d'apoplexie. Il y a quatre ou cinq jours que je vois un spectacle bien triste, mais qui commence à le devenir moins. M. d'Harrouis tomba dimanche dernier en apoplexie: je volai à son secours; et nous avons si bien fait par nos remèdes et par nos soins, que je le crois hors d'affaire; mais le pauvre homme demeurera paralytique. Tout ce qu'il nous a dit dans son agonie, ne se peut ni croire ni imaginer; je n'ai jamais vu envisager la mort avec tant de courage, ni revenir à la vie avec tant de docilité. Ce pauvre mourant parloit toujours de madame de Sévigné. Il disoit: «si elle étoit au monde, elle seroit de celles qui ne m'abandonneroient pas.» Nous fondions toutes en larmes, et puis il nous disoit des choses qui nous faisoient rire, malgré que nous en eussions. J'ai une vraie impatience de recevoir l'honneur que vous dites que doit me faire un homme, qui a été assez heureux pour vous plaire. J'avoue que cela me prévient en sa faveur; mais, madame, pourquoi le laissez-vous venir tout seul? En vérité, vous êtes trop raisonnable, et nous souffrons trop de votre raison. J'espère que mademoiselle de Bagnols aura un beau palais sans l'aller chercher à Turin, ou, pour parler plus juste, un beau château; j'ai une grande envie qu'elle soit bien établie. Conservez-moi l'honneur de vos bonnes grâces, madame; et, si vous n'êtes point honteuse d'avoir un commerce avec une vieille comme moi, comptez qu'il ne finira point par ma faute. Je vous serai sensiblement obligée, si vous voulez bien me faire la grâce d'assurer madame la comtesse de Grignan et M. le Chevalier que j'attends leur retour avec toute l'impatience qu'ils méritent.

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LETTRE XXXVII

A LA MÊME
Paris, 7 mars 1697.

Je suis charmée de la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, madame. Comme il y a long-temps qu'on n'a eu celui de vous voir, on est étonné de trouver tant de sagesse, de raison et de bon sens, avec tous les charmes de la jeunesse. Il n'y a que vous qui ayez pu accorder des choses si opposées. Je suis très-fâchée d'avoir ignoré si long-temps le séjour de M. de Simiane en ce pays-ci. Le hasard me l'a fait trouver à dîner chez M. de Saint-Amant; il m'a ensuite fait l'honneur de me venir voir deux fois. Il m'a paru tout comme il vous paroît; je ne crois pas peu dire. Il a bien raison d'être pour vous, comme il est. J'avoue que cela m'a fait un sensible plaisir; je n'aime point qu'on ignore de tels bonheurs. Ah! madame, que ne feroit point notre pauvre madame de Sévigné dans une pareille occasion? Le malheur de ne la plus voir m'est toujours nouveau; il manque trop de choses à l'hôtel de Carnavalet. Je ne saurois m'empêcher de vous désirer; et toute votre indifférence pour ce pays-ci ne m'en peut inspirer pour votre retour. Je le souhaite comme si j'étois d'âge à en profiter; mais il me semble que mon inclination si naturelle pour vous, vous fait souffrir mon âge avec quelque bonté. J'ai eu la conduite que vous m'avez prescrite au sujet de votre lettre; cependant je vous avouerai, madame, que je l'ai montrée à madame de Chaulnes, qui m'a fait promettre de vous dire de sa part qu'elle vous approuve autant qu'elle désapprouve, je ne dirai pas qui. Savez-vous que madame de Chaulnes a un nouveau mérite à mon égard? C'est celui de ne se point du tout consoler de la perte de madame de Sévigné. Nous en parlons sans cesse; car, pour moi, c'est ma manière; j'aime à parler de ce que j'ai aimé, et à ne me point ménager sur les souvenirs qui me sont chers.

 

Je fis une longue réponse à une lettre, que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire avant la dernière; je la donnai à madame votre mère, et ma lettre s'est trouvée perdue. Je vous le dis, madame, afin que vous ne me soupçonniez pas d'une grossièreté pareille à celle d'y avoir, manqué. Au reste, le mariage de ma nièce avec M. de Poissi est rompu. Si j'étois à sa place, j'en serois aussi aise qu'elle en est peut-être fâchée. Il ne la désiroit point autant qu'il convenait pour surmonter les plus petites difficultés: quand cela est ainsi, il me paroît qu'on se doit trouver heureuse de ne point entrer dans une maison où l'on est si peu souhaitée: je suis assurée que c'est là votre avis. Quel bon sens, madame, que le vôtre, de n'être point entêtée de la cour! Songez que madame du Lude, qui avoit une si bonne santé, est accablée de rhumatismes. Songez qu'il faut qu'elle couche dans la chambre de la princesse; qu'elle se fatigue jour et nuit, et pour qui109? Cependant je sais une personne du monde, qui admire les agrémens de la place, et la trouve préférable à tout le repos, dont madame du Lude pouvoit jouir. J'ai eu quelque escarmouche avec cette personne sur une telle façon de penser, que je vous avoue que je ne comprends point. Continuez-moi toujours un peu de part dans votre amitié, madame. Il faudroit que vous pussiez bien savoir comme je suis pour vous, afin de vous persuader que je n'en suis pas indigne. Permettez-moi de prendre part à la joie de M. le marquis de Simiane de se trouver auprès de vous. Sa joie est d'autant plus raisonnable, qu'il n'est pas aise tout seul. J'ai eu assez l'honneur de le voir, pour désirer beaucoup de le voir davantage.

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LETTRE XXXVIII

A madame de Grignan
Paris, 19 avril 1700.

Il y a si long-temps, madame, que je ne fais rien de ce que je désire, que je n'ai pu trouver le moment de vous remercier de la dernière lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire. Ma mère a depuis quinze jours la fièvre continue avec des redoublemens; et moins elle est en état de penser, plus je suis attachée auprès d'elle: c'est un terrible spectacle. Ce qui se passe en moi dans cette cruelle occasion, ne se peut concevoir; mais en voilà trop sur un si triste sujet. Il vaut mieux vous faire de très-sincères complimens sur le voyage que M. le marquis de Grignan va faire en Lorraine. Toutes les distinctions sont agréables à son âge; et vous ne sauriez croire, madame, combien celle-là a été recherchée. Je me présentai hier à la porte de son excellence; elle étoit à Versailles. Je vis madame votre belle-fille chez madame de Simiane, qui est en vérité bien incommodée de sa grossesse. Je rendis mes devoirs en votre appartement; il est très-beau; la vue m'en paroît charmante. Je le regardai avec un air d'intérêt, qui me le fit bien examiner pour la première fois. Vous serez bien logée, madame; mais vous nous ferez trop languir après votre retour. C'est là votre unique défaut; nous aurions besoin que vous en eussiez d'autres pour nous consoler. On commence aujourd'hui à tirer la loterie de madame de Bourgogne. J'ai eu trente pistoles à la grande, qui s'est faite à l'Hôpital; se peut-il un plus grand malheur dans une pareille occasion? Cependant j'ai eu l'âme assez intéressée pour préférer ce vilain petit billet noir à un billet blanc; ma sœur a trouvé ce sentiment très-indigne d'elle. M. de Bagnols est ici. Je ne désespère point qu'il n'aille à Grignan rendre à M. de Grignan tout ce qu'il lui doit; car pour Paris, ce n'auroit été que la conduite des autres. Madame la duchesse du Lude a eu un mal assez considérable au pied. Elle a quelquefois un rhumatisme; mais elle ne sent point ses maux dans la chaleur du combat. Je pense toujours de la même façon sur ce qui la regarde; et, Dieu merci pour elle, sa façon de penser n'est point changée aussi. La pauvre petite madame d'Aunai, fille de madame de Morangis, est morte à vingt-un ans; les Villeroi sont très-affligés avec raison. On assure que M. de Rochebonne et M. de Saint-Germain ont des raisons d'espérer; je souhaite de tout mon cœur pour la chose en elle-même, et par l'intérêt sensible que vous y avez tous, que leurs espérances soient fondées. J'ai appris à l'abbé Testu que vous l'honoriez de votre souvenir; mais je vous avouerai que, quoiqu'il ait reçu cette marque de votre bonté avec beaucoup de reconnoissance, il a voulu voir si je ne le trompois point, car il lui faut des démonstrations; et après avoir été convaincu de la vérité de ce que je lui disois, il a tiré des conséquences qu'il falloit qu'il fût charmé, et il a conclu qu'il l'étoit.

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95Catherine de Rougé du Plessis-Bellière.
96Nicolas-Charles de Créqui, marquis de Blanchefort, mort à Tournai le 16 mars 1696, âgé de 27 ans.
97Claude de Longueil, marquis de Poissi et de Maisons, président à mortier au parlement de Paris.
98Louise de Fieubet, mère de M. de Poissi.
99Elle fut mariée, en 1699, au comte de Tillières.
100Sœur de madame de Montespan.
101Pauline Adhémar de Monteil, marquise de Simiane, et petite-fille de madame de Sévigné.
102Madame de Sévigné, morte à Grignan peu de jours auparavant.
103De madame de Sévigné, grand'mère de madame de Simiane, et bonne amie de madame de Coulanges, morte depuis environ six semaines.
104A cause de l'extrême tendresse de madame de Sévigné pour madame de Grignan, sa fille.
105La princesse de Savoie, qui devoit être dans peu duchesse de Bourgogne, est appelée ici la voisine de madame de Simiane, parce qu'alors madame de Simiane demeuroit en Provence.
106Il a déjà été remarqué que M. de Coulanges appeloit madame de Louvois sa seconde femme.
107A cause de la proximité du Piémont et de la Provence.
108Dame d'honneur de madame la duchesse de Bourgogne.
109Madame du Lude n'avoit point d'enfans.