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Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé

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LETTRE XXIII

Paris, 13 août 1695.

La mort de M. de Paris81, ma très-belle, vous aura infailliblement surprise; il n'y en eut jamais de si prompte. Madame de Lesdiguières a été présente à ce spectacle; on assure qu'elle est médiocrement affligée. L'on ne parle point encore du successeur; mais bien des gens croient que ce sera M. de Cambrai82, et ce sera certainement un bon choix; d'autres disent M. le cardinal de Janson. Nous saurons lundi ce grand événement; la chose mérite bien qu'on y pense. Il s'agit maintenant de trouver quelqu'un qui se charge de l'oraison funèbre du mort. On prétend qu'il n'y a que deux petites bagatelles qui rendent la chose difficile; c'est la vie et la mort. On vous aura sans doute envoyé les articles de la capitulation de Namur; vous aurez vu qu'on fait la guerre fort poliment, et qu'on se tue avec beaucoup d'honnêteté. Nous bombardons Bruxelles83 à l'heure qu'il est; les chansons, les madrigaux, les bons mots pleuvent sur le maréchal de Villeroi, qui peut-être n'a aucun tort: c'est le malheur des places; heureux qui n'en a point; mais peu de gens sentent ce bonheur-là. La comtesse de Grammont est de retour; je la vis hier si fatiguée des eaux de Bourbon, qu'elle me confirma plus que jamais dans ma paresse; elle est revenue dans une litière, et elle dit qu'elle aimeroit mieux être revenue à pied. Le roi doit aller samedi à Meudon pour deux jours; les distinctions vont rouler présentement sur Meudon, et point sur Marli. Tout y a été cette semaine, jusqu'à M. de Busenval et M. de Saint-Germain. Comme je me sens incapable de prendre la résolution d'aller à Bourbon, je m'en vais essayer à Paris des eaux de Forges. Cela s'appelle aller du chaud au froid. Depuis que madame de Fontevrault84 est ici; Saint-Joseph, où elle est presque toujours, est le rendez-vous du beau monde, mais non pas de la galanterie85. Adieu, ma très-aimable. Tous les marchés de M. de Chaulnes sont rompus. Madame de Chaulnes se console de tout avec madame de Saint-Germain; elle ne se peut passer d'elle, et cela apprend à se passer de madame de Chaulnes.

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LETTRE XXIV

Paris, 2 septembre 1695.

Hélas! mon amie, il n'est non plus question de M. l'archevêque, que s'il n'avoit jamais été; on a dit bien du mal de lui après sa mort; on a parlé du successeur86; depuis qu'il est nommé, on ne parle plus ni de l'un ni de l'autre; ceci est un tourbillon qui ne permet pas les réflexions. Tout le monde étoit fou hier à Paris; on ne voyoit que des femmes désespérées; les unes couroient les rues, les autres se faisoient enfermer dans les églises; on entendoit: «je n'ai plus de mari, je n'ai plus de fils»; d'autres ne disoient pas ce qu'elles n'avoient plus, mais elles ne s'en désespéroient pas moins. La comtesse de Fiesque disoit que la bataille étoit donnée, et par conséquent gagnée; elle ajoutoit que le prince d'Orange étoit prisonnier; je me trouvai le soir chez madame de Carman, où étoit madame de Sulli, la duchesse du Lude, madame de Chaulnes, et une douzaine d'autres femmes, dont étoit la comtesse de Fiesque. Quand elles eurent bien discouru, j'entrepris de leur remettre l'esprit (chose bien difficile) par un petit raisonnement, qui concluoit qu'il n'y auroit point de bataille; elles se moquoient toutes de moi; aujourd'hui que l'événement justifie mes raisons, elles croient que d'ici je conduis l'armée: on ne parle que de ma pénétration; et sur cela je conclus qu'on ne sait presque jamais pourquoi on loue ni pourquoi on blâme. J'étois hier folle, et aujourd'hui je suis la plus habile personne du monde; et la vérité est que je ne suis ni folle ni habile; mais que par un courrier qui étoit arrivé, on avoit appris qu'il étoit impossible de donner une bataille sans hasarder toute l'armée. M. de Conti l'a mandé au roi, aussi bien que monsieur le duc du Maine, et tout ce qu'il y a de principal dans l'armée.

M. de Coulanges est toujours à Navarre, il me prie par toutes ses lettres de vous dire des choses infinies de sa part. Le roi doit partir le 24 de ce mois pour aller à Fontainebleau. M. et madame de Chaulnes partent incessamment pour Chaulnes, et le bruit court que je vais avec eux. Je prends des eaux de Forges, dont je me trouve assez bien. Je suis ravie que la santé de madame de Grignan soit bonne; je m'en réjouis avec vous et avec elle. Faites-vous la violence d'embrasser la charmante Pauline pour l'amour de moi; je vous en conjure, ma très-aimable.

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LETTRE XXV

Paris, 9 septembre 1695.

Que d'événemens, madame! que de discours! que de chansons! que d'épigrammes! que de dignités! Le maréchal de Boufflers est duc; vous le savez déjà. Le même courrier, qui a apporté la réduction de Namur, lui a été renvoyé pour lui apprendre que le roi le faisoit duc, et lui dire en même temps qu'il pouvoit prendre le chemin de la cour. Quand il s'est trouvé pressé par sa reconnoissance de venir remercier le roi, le prince d'Orange lui a dit qu'il le faisoit son prisonnier. On prétend qu'il a pris cette conduite sur celle que nous avons eue à Dixmude. Il a bien voulu cependant le laisser revenir à la cour sur sa parole; mais le maréchal a cru devoir attendre les ordres du roi. La maréchale de Boufflers est transportée de joie de sa nouvelle dignité, et ne sait point encore ce malheur, qui, selon les apparences, ne sera pas long. Revenons aux épigrammes. Le maréchal de Villeroi en est chamarré; il a pourtant la consolation de savoir que le roi est persuadé qu'il n'a aucun tort; et je sais bien ce que je dis. Mais le monde veut juger de ce qu'il ignore; et, comme on juge par l'opinion des autres, on est assez fou pour se croire malheureux, malgré sa bonne conduite. Le roi va aujourd'hui à Marli pour dix jours. M. et madame de Chaulnes partiront dans peu pour Chaulnes, et moi-avec eux. Que dites-vous de cette résolution? Ne me trouvez-vous pas grande femme tout-à-fait? M. de Coulanges est toujours à Evreux; madame de Louvois le boude; mademoiselle de Bouillon l'aime de passion, et le retient malgré lui. Moi, je lui écris régulièrement, et lui mande toutes les nouvelles. A qui donneriez-vous la préférence? Les passions sont horribles; je ne les ai jamais tant haïes que depuis qu'elles ne sont plus à mon usage: cela est heureux. Notre dragon87 est sorti tout couvert de gloire, et tout nourri de cheval. Il a écrit une très-plaisante lettre à sa sœur. Dans toutes les relations, il a été nommé au roi avec distinction; et, pour dire plus, c'est de madame de Montchevreuil que je le sais. Vous jugez bien, ma très-aimable, de la joie de madame de Sanzei, qui sait a cette heure que son fils se porte bien. Songez que, de douze mille hommes qu'ils étoient dans Namur, il n'en est resté que trois mille trois cents. J'oubliois de vous dire que c'est M. de Guiscard qui étoit venu apprendre à la cour que le maréchal de Boufflers est prisonnier. Madame de Sulli a la même maladie que madame de Grignan. Elle prend des eaux de Forges, dont elle se trouve à merveille. Mais Forges est un peu trop loin de Grignan: il faudroit s'en approcher, mon amie. Je pardonne à madame de Sulli cette maladie; mais madame de Grignan est trop avancée pour son âge. On prétend que, de toutes les façons d'être malade, c'est la moins fâcheuse. Je vous demande toujours des nouvelles de madame de Grignan, dont je suis très-sincèrement en peine. Ne me laissez point oublier dans le château que vous habitez, et baisez, pour l'amour de moi, la charmante Pauline. Vous m'avouerez que j'exige des choses bien difficiles de votre amitié.

 
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LETTRE XXVI

Paris, 16 septembre 1695.

Ce n'est que pour marquer la cadence que je vous écris aujourd'hui, madame; car je n'ai point reçu de vos lettres, cette semaine, et je suis toute honteuse de n'avoir pas de grands événemens à vous mander; depuis quelque temps, ils ne nous ont pas manqué; de vous dire que le roi est à Marli depuis huit jours, voilà une belle affaire; la duchesse du Lude y est; le roi en revient demain, et doit partir jeudi 22 de ce mois pour aller à Fontainebleau. Une assez grande nouvelle; c'est que je crois que j'irai dimanche à Versailles pour deux ou trois jours: Il sera question incessamment du voyage de Chaulnes; j'espère encore que j'en serai; mais j'ai une santé qui me dérange si aisément, que je n'ose plus faire de projets. M. de Coulanges doit revenir aujourd'hui d'Evreux pour rompre avec madame de Louvois, et aller à Chaulnes. Encore faut-il bien vous apprendre, mon amie, que c'est le P. Gaillard, qui ne doit point faire l'oraison funèbre de feu M. l'archevêque (de Paris). Voici ce que je veux dire. M. le président et le P. de la Chaise se sont adressés au P. Gaillard pour ce grand ouvrage; le P. Gaillard a répondu qu'il y trouvoit de grandes difficultés; il a imaginé de faire un sermon sur la mort au milieu de la cérémonie, de tourner tout en morale, d'éviter les louanges et la satire, qui sont des écueils bien dangereux. Tout le prélude des oraisons funèbres n'y sera point. Il se jetera sur les auditeurs pour les exhorter; il parlera de la surprise de la mort, peu du mort; et puis, Dieu vous conduise à la vie éternelle. Adieu, ma belle amie; ne me laissez jamais oublier à Grignan, je vous en conjure; et sur-tout de la charmante Pauline. Je crois que M. de Chaulnes va acheter Villeflit de M. de Fiaubet, dont madame de Chaulnes paroît peu contente. Le confesseur extraordinaire de madame de Grignan me doit demain lire l'oraison funèbre qu'il a faite de ce saint homme.

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LETTRE XXVII

Paris, 30 septembre 1695.

Je m'en vais vous parler bien habilement du mal de madame de Grignan, c'est-à-dire du mal d'estomac, qui n'est autre chose, mon amie, que le mien. J'ai éprouvé, par mon impatience, toute sorte de remèdes; trop heureuse si ces expériences lui peuvent être utiles. Carette m'a donné, pendant neuf mois, de ses gouttes, qui ne m'ont point fait un mal sensible, mais qui m'avoient grésillée à un tel point sans me raccommoder l'estomac, que je vous avouerai confidemment qu'elles m'ont fait une seconde maladie. Venons à Helvétius: il m'a donné une préparation d'absinthe, qui m'a tout-à-fait rétabli l'estomac. Comme cela fait quelqu'impression de chaleur, très-légère pourtant, il m'a fait prendre des eaux de Forges, dont je me trouve à merveille. Je commence à engraisser; je mange du fruit, je dîne et je soupe; en un mot, mon amie, je ne suis plus la même personne que j'étois il y a deux mois. Vous voyez bien pourquoi je vous conte tous ces détails. Ramenez-nous donc madame de Grignan à Paris; je vous promets qu'en trois semaines, Helvétius et moi lui rétablirons l'estomac. C'est la cause de presque tous les maux. Je me suis même raccommodée avec le café; et, comme je ne sais point user d'une chose que je n'en abuse, j'en prends dans l'excès. Ma petite absinthe est le remède à tous maux. Vous me demanderez, mon amie, pourquoi me portant aussi-bien que je vous le dis là, je ne suis point allée à Chaulnes? Et je vous répondrai que je me trouve comme les personnes qui deviennent avares par être riches. Depuis que j'ai un peu de santé, je la ménage beaucoup. Le vilain temps m'avoit alarmée; si j'avois prévu qu'il pût faire aussi beau qu'il fait présentement, je crois que je me serois embarquée pour ce grand voyage; mais je me garde pour Dampierre, et je fais très-facilement de ma maison une maison de campagne. Je me promène les matins sur mon rempart, et je passe les après-dînées assez solitairement. La cour d'Angleterre est à Fontainebleau. Ils ont des comédies, des fêtes, et s'ennuient, à ce qu'ils disent; et tant pis pour eux. Madame la marquise de Grignan ne veut voir personne; c'est ce qui m'a empêchée de me présenter à sa porte aussi souvent que j'aurois fait. M. de Chaulnes, qui sait forcer les portes, dit qu'elle est très-aimable. M. de Coulanges est allé à Chaulnes; ils reviendront tous dans un mois, et c'est tout-à-l'heure. L'abbé et moi ne laisserons point ignorer à madame de Sanzei tout ce que vous dites pour elle. Je vous demande mille complimens pour madame de Grignan, ma très-aimable: je vous demande aussi d'embrasser la belle Pauline pour l'amour de moi, tout comme si vous n'aviez point de sujet de vous plaindre d'elle.

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LETTRE XXVIII

Paris, 28 octobre 1695.

Vous avez eu la colique, ma chère amie; et quoique je sache que vous vous en portez bien présentement, je ne saurois être rassurée que je ne le sois par vous-même. Je vous demande aussi des nouvelles de madame de Grignan; si vous saviez combien l'air subtil est contraire à ses maux, vous l'obligeriez de se mettre dans une litière bien faite et bien commode, et vous gagneriez Paris; l'air de Lyon lui feroit connoître qu'il n'y a point de meilleur remède pour elle que de changer de climat; c'est l'avis de mon oracle (Helvétius). La maréchale de Boufflers a été fort malade d'une pareille maladie, elle se-porte très-bien aujourd'hui. Le roi est de retour dans une parfaite santé. Je vis hier la duchesse du Lude, qui est venue à Paris pour se faire saigner et purger, sans autre raison, je crois, que d'avoir trop de santé. Il s'est fait de grands changemens à Chaulnes. M. de Chaulnes aime son château comme sa vie, et ne le peut quitter. Madame de Chaulnes passe les jours, et peut-être une bonne partie des nuits à jouer. M. de Coulanges est devenu délicat et précieux; les visites de province l'ennuient. Je vois souvent notre petite accouchée (la duchesse de Villeroi)88; elle a un fils un peu plus grand que son père, et un peu moins grand que le maréchal (de Villeroi); il n'y a point de jour qu'elle ne me demande des nouvelles de mademoiselle de Grignan, et qu'elle ne lui souhaite tous les biens et les maux qu'elle a. L'on dit que le maréchal de Lorges se porte mieux, et on n'appelle plus sa maladie une apoplexie; la maréchale, qui l'est allé trouver, va avec lui aux eaux de Plombières. Tout le monde croit le mariage de M. de Lesdiguières fait avec mademoiselle de Clérembault89; le charme que madame de Lesdiguières trouve dans ce mariage, c'est qu'elle n'aura point son fils avec elle. Le monde dit aussi celui de mademoiselle d'Aubigné avec le fils90 de M. de Noailles; et je crois qu'en cette occasion le monde dit vrai. Au reste, ma très-belle, j'ai à vous apprendre que l'abbé Testu est charmé de madame de Carman, et qu'il se plaint hautement de toutes ses amies de ne lui avoir pas fait connoître ce mérite-là plutôt. On parle fort ici de la solitude de madame la marquise de Grignan; on dit que sa vie n'est pas soutenable, parce qu'il ne faut voir personne, ou voir bonne compagnie. Vous voyez combien votre retour et celui de sa belle-mère91 sont nécessaires; mes conseils sur cela vous paroîtront bien intéressés; je souhaite que cette raison ne vous empêche pas de les suivre, et que vous me croyez aussi tendrement à vous que j'y suis. Je vous demande en grâce de dire bien des choses de ma part à madame de Grignan, et de ne pas oublier la belle et charmante Pauline.

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LETTRE XXIX

Paris, 7 novembre 1695.

Après avoir réfléchi avec toute l'application possible sur tout ce que vous me mandiez, ma chère amie, Helvétius a encore voulu emporter votre lettre afin d'y penser à loisir; il ne me rapporta qu'hier ce que je vous envoie; il est persuadé que l'air subtil est fort contraire à madame de Grignan, et que s'il étoit possible qu'elle se mît dans une litière bien commode, et quelle fit de petites journées, elle ne seroit pas plutôt arrivée à Lyon qu'elle se trouveroit fort soulagée; c'est un remède que nous approuvons fort ici. Notre oracle Helvétius a sauvé la vie à la pauvre Tourte; il a un remède sûr pour arrêter le sang, de quelque côté qu'il vienne; c'est un très joli homme et très-sage. Sa physionomie ne promet pas tant de sagesse; car il ressemble à Dupré comme deux gouttes d'eau. Je vous demande des nouvelles de madame de Grignan, ma très-aimable, pour me récompenser de toutes mes consultations. M. le marquis de Grignan m'est venu voir; il est assurément moins gras qu'il n'étoit; je lui en ai fait des complimens très-sincères: madame sa femme me fit l'honneur de venir ici hier; je la trouvai si considérablement embellie, qu'elle me parut une autre personne que celle que j'avois vue; c'est qu'elle est engraissée, et qu'elle a bien meilleur visage, de beaux yeux si brillans, que j'en fus éblouie; elle vint ici sur les deux heures avec madame sa mère et mademoiselle sa sœur. Malheureusement pour moi, madame de Nevers s'étoit levée aussi matin qu'elles; elle arriva un moment après ces dames, qui s'en allèrent quand elle entra; et madame de Nevers qui me parla très-sincèrement, trouva madame la marquise de Grignan toute des plus jolies. M. et madame de Chaulnes et M. de Coulanges arrivent mercredi pour dîner à Paris; je me dois trouver à l'hôtel de Chaulnes pour les y recevoir. Le roi est à Marli pour jusqu'à lundi; la comtesse de Grammont y est aussi; mais quoiqu'elle ait rattrapé à la cour les grâces de la nouveauté, la pauvre femme ne s'en porte pas mieux. Tous ses maux sont revenus; elle les soutient avec un courage et une gaieté qui m'étonnent, ayant perdu, je crois, jusqu'à l'espérance de guérir. La duchesse de Villeroi reçoit ses visites dans son lit, jolie tout ce qu'on peut l'être; je fis, il y a deux jours, les honneurs de sa chambre avec la maréchale de Villeroi; j'ai découvert à cette petite duchesse un mérite qui lui fait bien de l'honneur dans mon esprit, c'est qu'elle a un goût si naturel pour mademoiselle de Grignan92, qu'elle en est sincèrement occupée; elle m'en demande continuellement des nouvelles. Elle lui souhaite tout le bonheur qu'elle mérite; mais elle ne veut consentir à aucun mariage, qu'elle ne soit assurée de la revoir ici. Enfin, elle a des sentimens, elle a des pensées; c'est un des miracles de Pauline. Je sais de ses nouvelles; on dit que vous vous allez encore marier93; j'en suis ravie, mon amie; revenez donc toutes; la vie est trop courte pour de si longues absences. Par rapport à la vie, les plus longues ne devroient être que de deux heures. Je vous envoie une lettre de M. de Vannes, qu'il y a en vérité trois mois qui est dans mon écritoire. Je lui en demande pardon; car pour vous, je suis assurée que vous l'aimez autant à l'heure qu'il est, que quand elle a été écrite. Adieu, ma très-aimable; mandez-moi vîtement que vous allez revenir, et que vous ne pouvez plus souffrir la solitude de cette jeune marquise, qui, comme moi, soupire après votre retour.

 
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LETTRE XXX

Paris, 18 septembre 1695.

Monsieur de Lamoignon me montra hier une lettre de M. le chevalier de Grignan, qui m'apprit que madame votre fille se portoit bien mieux; j'en ai une joie très-sincère, et je souhaite de tout mon cœur, ma très-chère, d'apprendre la continuation de ce mieux; j'ai la confiance de croire que vous me le ferez savoir; cela me donne aussi des espérances que nous vous reverrons bientôt; il n'y a rien, en vérité, que je désire si vivement: votre retour est nécessaire à bien des choses, dont le changement d'air est une des principales pour madame de Grignan. Madame sa belle-fille est trop abandonnée ici; le retour de M. de Sévigné qui approche; que de raisons, ma très-belle, pour nous revenir voir! Paris est fort rempli à l'heure qu'il est; mais il ne le sera point à ma fantaisie, tant que vous ne serez point avec nous. J'ai bien envie d'apprendre si madame de Grignan a fait usage des bouillons d'écrevisse, et si elle s'en est bien trouvée. Il y a tous les jours de bon dîners à l'hôtel de Chaulnes, et une très-bonne compagnie, où vous êtes toujours désirée. M. le marquis de Grignan me fit l'honneur de me venir voir il y a deux jours. Je le remerciai de n'être point grossi; il me paroît fort content du palais qu'il habite. On me mande de Lyon que la charmante Pauline va changer de nom; ne nous l'amenez-vous pas? Il n'y a que madame de Simiane que je puisse jamais autant aimer que mademoiselle de Grignan. Hélas! à propos de Simiane; le pauvre monsieur de Langres94 est à l'extrémité; j'en suis tout-à-fait en peine. Je crois M. Nicole mort; il tomba en apoplexie il y a deux jours. Racine vint en diligence de Versailles lui apporter des gouttes d'Angleterre, qui le ressuscitèrent; mais on vient de me dire qu'il est retombé; c'est une grande perte. Il s'est trop épuisé à écrire: on prétend qu'il s'est cassé la tête à ce dernier livre contre les Quiétistes; ils n'en valoient, en vérité, pas la peine. Adieu, ma très-aimable; j'attends toujours de vos nouvelles avec impatience, mais encore plus à présent, à cause de l'état où est madame de Grignan.

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81François de Harlai de Chanvalon, archevêque de Paris, mort à Conflans près de Paris, le 6 d'août 1698, âgé de 70 ans.
82M. de Fénélon.
83C'étoit le maréchal de Villeroi qui commandoit l'armée en ce temps-là.
84Sœur de madame de Montespan.
85Allusion à ces vers du Menteur: Mais, puisque nous voici dedans les Tuileries, Le séjour du beau monde et des galanteries.
86Louis-Antoine de Noailles, évêque de Châlons, depuis cardinal.
87M. de Sanzei, neveu de M. de Coulanges.
88Marguerite le Tellier, fille du marquis de Louvois, ministre de la guerre.
89Ce mariage ne se fit point avec mademoiselle de Clérembault, mais avec mademoiselle de Duras, fille du maréchal de ce nom, en 1696.
90Ce mariage ne se fit que le premier avril 1698.
91Madame la comtesse de Grignan.
92Depuis marquise de Simiane.
93C'est à l'occasion du mariage de mademoiselle de Grignan, qui devoit bientôt épouser le marquis de Simiane.
94Louis-Marie-Armand de Simiane de Gordes, évêque de Langres, mort le 21 novembre 1695.